dimanche 23 décembre 2012

Semaine 51/52 : Pour une organologie du livre

Durant cette année 2012 qui s’achève j’avais décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Cet opus est donc le pénultième, le 51/52.
 
L’organologie, de par son étymologie, nous rappelle utilement que nos organes, naturels (comme le cœur ou l’estomac) ou artificiels (comme les livres et les téléphones portables) sont des instruments. Car l’organologie, suivant sa définition wikipédienne : « a pour objet l'étude des instruments de musique et leur histoire ». Analyses iconographiques (picturales, sculpturales et manuscrites), recherches musicologiques et ethnomusicologiques, historiques, archéologiques et technologiques en sont les principaux moyens.
Je pense qu’aujourd’hui une sorte “d’organologie des livres”, comme dispositifs de lecture, serait nécessaire.
 
Des bipèdes hypertextuels
 
A considérer de tous temps les efforts de l’espèce pour lire le monde, et depuis les débuts de l’écriture pour lire les livres (quelles que soient leurs formes temporaires), je me demande si le façonnage que nous avons appliqué, que nous appliquons à la nature, ne témoignerait pas simplement d’une forme d’extériorisation, de projection, de notre imaginaire, de nos imaginaires de lecteurs.
Que cherchons-nous en somme à (re)produire ?
 
Nous devrions bientôt, si nous suivons la voie indiquée par les transhumanistes, pouvoir mieux discerner les articulations entre fiction (mythes) et monde (réalités) et science-fiction.
 
Je vois en ville, je vois dans les transports en commun, de plus en plus de bipèdes de mon espèce vivant apparemment en mode hypertexte. Leurs connexions permanentes les rendent intrinsèquement hypertextuels. Contrairement à moi, ils ne sont plus dans la linéarité, plongés dans le contexte, mais dans une forme d’échappatoire à l’espace physique et urbain. Ils “s’ubiquitisent” dans une spatio-temporalité où l’architecture du web et celle de nos kystes urbains, de plus en plus, s’hybrident.
 
Durant des siècles nous avons configuré le livre, comme support, à notre format mental, et cherché à ramener l’univers entier dans cette boîte de Pandore qu’est aussi tout volume imprimé, en ce qu’il renferme du tragique de notre condition.
 
Aujourd’hui, la ville conçue comme cinquième écran (après celui de cinéma, de télévision, d’ordinateur, de smartphone) se réaffirme dans la lignée des cités antiques où l’écrit se donnait à lire sur les façades de ses volumes architecturés. Une ville était une bibliothèque, du moment que nombre de ses bâtiments y étaient des livres habitables et habités.
 
Considérer les livres, maintenant, comme des édifices de verre, qui laissent voir leurs contenus, leurs habitants et leurs vies, et qui laissent notre regard passer au-travers, au-delà ; considérer les livres comme des prismes rendant visibles le rayonnement des mots.
 
Se relier à son odyssée ?
 
Alors pourrait-on parler d’une reterritorialisation du livre ?
La lecture poursuit-elle dans nos concentrations technologiques la conversation des sociétés pastorales ?
Partout sur Terre, sans doute pas seulement en Australie, les pistes chantées des aborigènes ont créé le monde en même temps qu’elles le découvraient. Les pas en avant comme les pas de côté établissaient le chemin en le révélant pas à pas, en désignant puis en nommant son paysage.
Je crois avoir fait pareil en faisant mes premiers pas et en acquérant les premiers mots vers 1962 sur le boulevard Richard Lenoir.
 
La fiction comme laboratoire, le récit comme réservoir de la pensée, le livre comme territoire, devraient-être des intuitions à prendre davantage en considération par les chercheurs je pense.
Car ce qui s’opère aujourd’hui au 21e siècle se réalise dans la déstructuration du livre. Et nous devons bien en prendre acte. Et cela nous ramène à l’aventure. Face à de grands espaces de temps. Vers le passé. Vers le futur.
Nous n’avons pratiquement plus d’autres choix en ce 23 décembre 2012 que de renouveler notre expérience du livre.
 
Imaginer pour l’humanité des futurs inimaginables ne doit plus être laissé aux seuls auteurs de science-fiction. Outre que j’ai prétention à faire entendre ma voix en tant que prospectiviste du livre, je pense que nous devons oser forcer l’inimaginable-innommable à nous relier aux aborigènes des premières pistes, quel que puisse être le prix à payer ; au-delà les siècles, ceux de la pierre gravée et ceux de la tablette internet, d’avant même, et d’après aussi.
Décrypter ce passé. Anticiper ce futur.
Beaucoup de livres sont en fait de véritables grimoires.
 
Pensons à eux. Le sol semblait solide sous leurs pieds. Mais il ne fallait pas s’y fier. Ce n’était pas tant avec l’espace qu’ils avaient à faire, les premiers. Mais au temps. Dans les filets duquel nous sommes toujours pris.
Moi écrivant.
Vous me lisant.
Cela dit : joyeux Noël.
 
N.B. : illustration, Exterior photo of the Bibliotheca Alexandrina (library) in Alexandria, Egypt. Stone relief mural on library's stone facade. Credits Photo taken by Hajor, December 2002. Released under cc-by-sa and/or GFDL.

samedi 22 décembre 2012

La consommation solidaire pourrait-elle gagner (par) le marché du livre ?

S'il y a un phénomène qui prend actuellement de l'ampleur avec, d'une part, la crise économique, et, d'autre part, un ras le bol croissant du consumérisme écoeurant qui nous obsède tous plus ou moins, c'est bien celui de la consommation dite collaborative. Mauvaise qualification cependant à mon avis, car réductrice, qui se satellise bêtement sur la culture numérique - car même s'il est exact je pense qu'elle en dérive, avec notamment la culture du logiciel libre et les outils de communication et de comparaison que l'informatique apporte, la consommation "collaborative" déborde largement ce cadre, tout comme d'ailleurs les Fab Labs, coopératives du futur, débordent le numérique.
Je préfère donc quant à moi parler de : Consommation solidaire.
 
J'ai déjà évoqué récemment dans le post : La gratuité du livre numérique vous faisait peur ? le développement de pratiques non-marchandes qui s'organisent dans des circuits parallèles à l'édition commerciale, et en premier lieu, imprimée.
 
Plusieurs signaux faibles semblent en effet dessiner, en marge de l'édition numérique, des possibilités d'émergence d'un nouvel écosystème solidaire pour le livre et la lecture, et recentré sur l'auteur et le lecteur, au cours de ces prochaines années :
- Un retour au modèle de la souscription (sauvagement baptisée crowdfunding).
- Une explosion des fan-fictions (un "Tous auteurs ! Tous lecteurs !" qui se vivrait dans une fraternité de l'aventure narrative partagée, dont le site Fanfiction donne déjà un aperçu étonnant, même s'il est regrettable de constater que, là aussi, la francophonie est pratiquement absente :-(
- L'invention de monnaies alternatives (vaste sujet que je connais moins et qui ici nous éloignerait trop de mon propos).
 
La consommation solidaire touche déjà de nombreux domaines (le portail dédié en rend compte), et pour ce qui est des livres l'offre s'étoffe :
- Le mouvement des little free libraries (en français : "petites bibliothèques gratuites") gagne la planète (lire, par exemple : De drôles de cabanes à livres).
- Idem pour le mouvement du bookcrossing qui gagne de plus en plus la France, avec par exemple Circul'Livre...
- Les sites de dons et d'échanges gratuits de livres, comme BigLib, BookMooch...
En parallèle l'offre de versions numérisées légales et gratuites d'ouvrages du domaine public est déjà conséquente et bien répertoriée sur la Toile, tandis que le mouvement des PiratesBox se répand, notamment... en bibliothèques.

L'interprofession aurait tort à mon avis de négliger ces signaux ou de n'y répondre qu'avec les arsenaux juridiques des siècles passés.
Je lisais par exemple récemment ceci sur le site d'un auteur : "
Quoi qu’on en pense, Alexandriz est un acteur du livre. Illégal, certes, mais un acteur tout de même. Il est le reflet d’un certain comportement moderne dans la consommation des biens culturels, et une porte vers ce que sera aussi l’avenir. Si les artistes veulent s’adapter, cela passe forcément par essayer de comprendre les comportements des internautes." (A comme Alexandriz, par Thomas Geha).
Cet Alexandriz dont il est ici question n'est autre que la Team Alexandriz, poursuivie en justice par le SNE (Syndicat national de l'édition) et plusieurs groupes d'éditeurs français depuis le mois de novembre 2012 (Des éditeurs engagent des poursuites contre le site Team Alexandriz).
Il est intéressant d'ailleurs de lire sur ce sujet le point de vue d'un éditeur pure-player : Quand un auteur tend la main (contraint) à la Team Alexandriz, par Julien Simon de Walrus Books.
 
Du lectorat aux lecteurs-écrivants
 
Etienne Mineur, éditeur designer, pointait récemment des faits relevant De l’incohérence des prix des livres numériques.
Ces questions étaient en filigrane de mon récent post sur l'avenir du format poche face au livre numérique.

Le carcan juridique entrave et limite souvent en effet des initiatives citoyennes, encouragé en cela par les lobbies qui privilégient les circuits commerciaux, même bien évidemment pour les biens culturels.
Mais de plus en plus d'auteurs et de lecteurs se révoltent. Je pense d'ailleurs parfois à fermer ce blog, et à rejoindre ces maquis pour lesquels l'écriture et la lecture sont prioritaires sur le commerce du livre, et me consacrer uniquement à la recherche, à l'enseignement  et à l'écriture.
 
Malgré les verrous et les contrôles croissants imposés par les majors du numérique nous passerions bel et bien cependant du lectorat, via les lectorats, aux lectrices et aux lecteurs individuels et eux-mêmes auteurs potentiels, et développant de leurs relations quotidiennes, tant sur les réseaux sociaux que dans "la vraie vie" de tous les jours, des fonctions médiatrices de prescripteurs, de critiques, de bibliothécaires, voire de libraires de livres d'occasion.
Une libre redistribution des rôles en fonction des désirs et des compétences de chacune de chacun, du moment que l'échange est entre passionnés de lecture(s).
 
 
 
 
Une culture économique alternative pourrait peut-être ainsi se structurer, au moins par rapport au marché des biens culturels et peut-être précisément à partir de celui du livre.
Mais il faut regarder la réalité en face et voir aussi les manoeuvres sinistres qui vont dans le sens contraire, avec des attaques répétées contre le domaine public, la marchandisation des biens communs, les tractations entre les acteurs français de la filière et les industriels de la culture anglo-saxonne.
 
Cependant un mouvement global existe bel et bien et est clairement identifié, bien au-delà du marché du livre, comme le confirme une récente enquête de D'Cap Research sur les comportements des français : " Nous avons constaté, avec cette étude, l’apparition d’une très large économie « en réseau », largement invisible : des espaces où les gens échangent d’une façon nouvelle, souvent sans intervention d’aucune institution, parfois même sans monnaie. Le phénomène est beaucoup plus massif que nous ne le pensions. Son développement est reflété par le succès spectaculaire de sites d’échanges [...] Un tel phénomène est né du mariage du Web et de la crise. Il se développe dans une immense zone grise. Quand je dis « grise », je ne veux pas dire « illégale » : ces échanges sont pour la plupart conformes à la loi, mais ils échappent aux statistiques et aux observations des économistes." (extrait de « Crise et Web ont généré une très large économie de la débrouille » dans Rue 89 Eco).
Le phénomène prend de l'ampleur. Un salarié de Google a même récemment créé en open source un scanner de livres pouvant traiter 1000 pages en 90 minutes seulement (voir ici la vidéo) et le P2P pourrait bien préfigurer la société de demain, basée sur une plus grande justice des échanges.
Pour Michel Bauwens, théoriciens des systèmes pair-à-pair et fondateur de la P2P Foundation : "Ce modèle d’architecture peut également s’adapter à une structure sociale. Il s’agit alors d’une structure au sein de laquelle chacun est capable de communiquer et de collaborer avec qui il veut, sans demander la permission. C’était déjà possible au niveau local. Aujourd’hui, internet permet des formes de collaboration à l’échelle globale, sur de grands projets matériels, scientifiques ou culturels. Ça, c’est nouveau ! Donc, pour moi le P2P c’est cette capacité de sociabilisation horizontale et de création de valeur commune, en partageant la connaissance..." (extrait de Michel Bauwens : Les P2P préfigure la société de demain).
Les grands groupes issus des 19e et 20e siècles sont aujourd'hui prisonniers de l'obsolescence de leurs modèles économiques (et cela est aussi valable pour l'édition). Certains envisagent de possibles retournements stratégiques, qu'un regard attentif peut percevoir aussi dans le marché du livre au-delà des discours corporatistes et syndicalistes convenus.
 
Mais surtout les partenaires indépendants et les lecteurs (consommateurs) sont moins facilement corruptibles que les décideurs économiques et politiques. J'en veux pour preuve le développement d'une campagne citoyenne contre Amazon en Angleterre et la multiplication sur le web de bannières incitant les lecteurs à acheter leurs livres auprès de sociétés solidaires (payant leurs taxes dans le pays concerné). La France restera-t-elle en retrait ?  
 

vendredi 21 décembre 2012

La lecture (tout simplement ;-)

La lecture d'un texte est généralement une communication différée. Aujourd'hui elle est dissociable de ses supports et peut avoir une audience potentiellement universelle.
Plus que jamais la lecture est une interaction productive avec les lecteurs.
Depuis les années 1970 se sont développées diverses théories sur la lecture. Sans avoir aucunement la prétention de les connaitre ni de les maitriser toutes, j'essaye seulement, avec la représentation graphique ci-après, d'en réunir et synthétiser les éléments convergents permettant de répondre à cette question : que se passe-t-il lorsqu'on lit un texte ? et d'envisager de comprendre : comment un texte et ses supports programment-ils leurs réceptions ? 
(Ce travail m'a été inspiré par la lecture de l'essai de Vincent Jouve, titré : La lecture, et paru en 1993 aux éditions Hachette Livre.)
 



dimanche 16 décembre 2012

Semaine 50/52 : Le livre comme symbolon

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 50/52.
 
Je me demande souvent quelle serait aujourd’hui la manière la plus féconde de repenser le livre ?
Peut-être comme un symbolon ?
Un symbolon était dans la Grèce archaïque un fragment d’objet cassé en deux parties, chacune remise à un contractant. Nous sommes là à l’origine du terme et du concept de symbole. C’est dans le lien invisible, la relation qui unit les deux parties et qui leur permettra le moment venu de se reconnaître complémentaires, l’une comme l’autre, liées l’une à l’autre, que réside toute la puissance invisible du symbolon, sa puissance dans la séparation même, par opposition à celle du diabolo qui, lui, divise.
 
Se délier de son odyssée ?
 
« Lire, nous l’avons peut-être oublié, c’est se tenir à la limite d’un domaine dangereux, à une frontière d’où nous appelions et en même temps rejetions un autre à la ressemblance de celui que nous logions, un autre auquel il fallait bien faire appel pour justifier les incursions que nous risquions dans les territoires secrets que nous abritions. Cet autre de soi, cette ombre portée, cet autre foyer de l’ellipse qu’on peut poser comme une hypothèse nécessaire, ou un artifice de calcul, quand nous lisons, à travers nos émotions ou les profits d’un savoir, ne faisons-nous peut-être qu’en convoquer la présence, que créer les conditions de son observation. » (Jean-Louis Baudry, “Un autre temps“, Nouvelle revue de psychanalyse, 1988, “La lecture”).
 
Comme il faut un point d’appui pour qu’un levier puisse être un outil opérationnel, cette citation, ci-dessus, a joué ce rôle alors que je m’interrogeais sur ce que m’apportait en vérité la lecture.
 
Je me demandais comment imaginer à la lettre une civilisation post-alphabétique, et supposer ses équivalences et ses représentations mentales avec le monde qui est le nôtre aujourd’hui ?
Comment nier le mystère qui surgit dès lors que l’on s’éloigne du présent ?
En fait, tant l’origine que l’avenir du livre et de la lecture ne sont pas opaques à ma réflexion : ils sont, tout simplement, mystérieux. Comme écrits sur une pliure, difficilement déchiffrables.
Il se pourrait cependant, d’après ce dont je puis avoir l’intuition, que notre univers soit une vaste structure narrative.
Je constate souvent, comme vous-mêmes je pense, que nos vies sont forcément, férocement parfois, romanesques, même si nous ne sommes généralement que des personnages secondaires, troisièmes couteaux, seconds rôles au mieux le plus souvent, mais toujours personnages et jamais figurants ; des personnages en quête d’auteur.
Dans l’histoire littéraire nous pourrions trouver des marqueurs de cela je pense, dans les récits sans intrigue notamment, la veine des antihéros et celle de l’autofiction, les expérimentations de l’Oulipo et de l’Alamo (Atelier de littérature assistée par les mathématiques et les ordinateurs), des écritures numériques plus récemment et des générateurs de textes…, autant de pas vers un horizon dont les lignes semblent se préciser depuis 1971.
Seulement, l’actualité quotidienne en parasite l’écho narratif, brouille la ligne sur laquelle nous inscrivons vaille que vaille nos vies et nos vices dans le (dis)cours.
Déterminer notre place sur la portée, notre tonalité propre, le juste interligne sur lequel nous pourrions nous rattacher au récit, cela reste, cela est possible je pense, mais cet exercice fait de nous des funambules, des personnages de fiction.
Dé-lire ainsi sa propre histoire, sa légende personnelle, permettrait-il de se délier de son odyssée ?
Suspendre ses préjugés et réévaluer son propre personnage par rapport au récit global, universel, seraient donc les étapes pour parvenir, par les livres et la lecture, à une redécouverte de soi, d’un moi-lecteur tout frétillant, comme un petit poisson d’argent dans les filets d’un « Il était une fois… ».
 
Dans l’espèce humaine, l’embranchement des lecteurs, ces plantes mélancoliques que sont les lecteurs, eux, les lecteurs, seraient sans doute plus sensibles que les autres à ces influx que j’évoque ici. Peut-être.
Les livres seraient peut-être ainsi des symbolons, reliant les lecteurs par la lecture, ce lien invisible, cette relation qui unit dans la distance et l’histoire, ce que l’espace et le temps ont désuni.

samedi 15 décembre 2012

Retour sur la conférence de Florian Forestier sur l'écrit et la spatialité

Très intéressante conférence hier soir sur la plateforme de web 3D immersive Francogrid, au sein de l'incubateur MétaLectures, que j'y ai lancé en janvier 2012.
Florian Forestier, docteur en philosophie, membre du CEPCAP (Centre d'études de la philosophie classique allemande et de sa postérité) de la Sorbonne, et chargé de collection à la BnF, nous a en effet entretenu durant une petite heure du thème suivant : "L'élargissement de l'ordre des livres : l'urbanisme comme modèle".
Ce sujet l'a conduit à aborder la question de l'hybridation du réel et du virtuel, phénomène pour le moins singulier que nous sommes de plus en plus nombreux à expérimenter au quotidien sur Francogrid en général et MétaLectures en particulier, pour ce qui concerne l'exploration de nouvelles formes de médiations autour du livre et de la lecture.
Personnellement j'en avais fait l'expérience pour la première fois en 2007, avec une conférence au sein de la Bibliothèque francophone du Métavers.

Elargissement de l'ordre des livres...
 
Extraits de la conférence de Florian Forestier, qui fut suivie par une quinzaine d'internautes avatarisés de la France entière et en vidéo live streaming par quelques dizaines d'autres (lien vers la captation vidéo) et fut prolongée avec de riches échanges entre l'auditoire et le conférencier :
 
" Cette conférence est composée à partir de deux articles que nous avons écrits : « L’élargissement de l’ordre des livres », publié dans la revue Argus, décembre 2012, et « Internet comme espace urbanisé », en attente de publication.
 
Où va le livre ?
  
Dans la continuité des travaux de Leroi-Gourhan, un certain nombre de penseurs contemporains, dont, particulièrement, Bernard Stiegler, comprennent le développement humain comme une extériorisation progressive de la mémoire. Une des fonctions du livre-objet a été de participer à ce processus de « domestication » collective de la mémoire. Le livre-objet servait ainsi de processus de stabilisation et d’extériorisation d’une mémoire fortement dépendante des opérations de la pensée humaine, donc fragile, et exigeant des processus de transmissions rigides. Roger Chartier évoque, à ce sujet, un « ordre des livres », amorcé avec la mise en place du codex dans les premiers siècles de notre ère et renforcé par l’invention et la généralisation de l’imprimerie. [...]
 
La finitude du livre
 
Des formes symboliques comme le livre-objet, en d’autres termes, ne sont pas seulement des outils cognitifs. Elles participent plutôt à l’inscription matérielle du rythme de la pensée se cherchant, se retenant, se contrôlant, s’affinant. Elles matérialisent l’excès de la pensée sur ce qu’elle peut retenir d’elle-même – excès qui n’est que l’autre face de l’inscription et de l’appartenance de la pensée au monde. Au-delà de certaines caractéristiques de la matérialité spécifique du livre-objet (la relation quasiment insécable entre le texte et le support), c’est bien à l’organisation fondamentale d’une forme de vie que celui-ci participe. [...]
 
Le livre et la ville
 
... la question de l’élargissement du livre au-delà du livre est également celle de l’architecture. La problématique du déplacement de l’ordre des livres recoupe la très intéressante réflexion menée par un certain nombre de philosophes contemporains sur l’architecture en tant que dimension fondamentale de la constitution d’une expérience comme expérience humaine. Le déploiement de la pensée, s’avisent ces derniers, est spatial aussi bien que temporel. Ainsi, « l'architecture est une condition de possibilité de la fiction, et, sans doute, du dire et du penser en général. », écrit Benoît Goetz, qui, dans la filiation de Heidegger et Derrida, lie même de façon indissociable pensée et spatialité. L'architecture est mise en œuvre d'horizons de sens : en cela elle est « condition de possibilité », lieu d'articulation des dimensions de sens qui traversent l'expérience. [...]
  
L'espace et la métaphore urbaine
  
La ville est un modèle fécond sur au moins deux plans. Tout d’abord, parce qu’elle constitue un exemple de système complexe et évolutif « non-borné » ; ensuite, parce qu’elle permet de penser de façon originale et pertinente à notre époque la mise en œuvre d’horizons de sens au sein d’un espace générateur.
La métaphore urbaine est une façon de penser sans la réduire la complexité des univers de l’information, mais également de comprendre que cette complexité se traduit par une structuration. [...]
 
La ville et Internet : deux espaces qui s'hybrident
 
C’est bien ici une hybridation, non seulement de l’Internet, mais du virtuel en général et du (disons) réel qui a lieu. D’une part, on interagit avec l’environnement physique comme s’il s’agissait d’un environnement virtuel, en y cliquant, y naviguant, et d’autre part le numérique vient lui-même s’inscrire dans l’espace réel au sein duquel on le rencontre comme on rencontre les autres objets. [...]
 
La patrimonialisation d’Internet : quelques observations sur le Dépôt Légal du web
 
L’évolution des pratiques liées à Internet invite à se pencher sur le statut – légal et symbolique – à accorder à cet Internet épaissis et densifié. [...] "
 
  

dimanche 9 décembre 2012

Semaine 49/52 : L’abolition de l’espace (du livre puis du corps…)

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 49/52.
  
J’aurais peut-être pensé cela de toutes les époques où j’aurais pu vivre, mais n’empêche que je le pense aujourd’hui bel et bien de la nôtre : nous vivons une époque bizarre.
Par exemple, j’ai mis cette semaine moins de temps pour aller en train de Paris à Bruxelles, que je n’en ai mis en rentrant le soir à Paris, de la Gare du Nord à chez moi aux portes du treizième arrondissement en métro. Je n’ai pas une nature voyageuse, je voyage surtout dans les livres, mais je crois bien que j’avais mis encore moins de temps pour aller à Naples ou à Madrid en avion. Peu importe les détails objectifs. Ce qui m’intéresse dans cette digression est mon sentiment subjectif, étayé par ma montre, à savoir que : plus je vais loin, moins je mets de temps !
Je rapproche cette observation, pour le moins paradoxale, de mon accès presque absolu (en fantasmant légèrement) à la bibliothèque mondiale, avec une simple connexion au web, et à ce fait corollaire que je peux accéder plus rapidement à un document, de la BnF par exemple, via Gallica, depuis chez moi devant mon ordinateur, qu’en me rendant sur les lieux.
Au tout début de La montagne magique, Thomas Mann, faisant relation de l’approche d’Hans Castorp du sanatorium international Berghof, éclaire ce rapport du temps et de l’espace : « L’espace qui, décrit-il, tournant et fuyant, s’interpose entre lui et son lieu d’origine, développe des forces que l’on croit d’ordinaire réservées à la durée. D’heure en heure, l’espace détermine des transformations intérieures, très semblables à celles que provoque la durée, mais qui, en quelque manière, les surpassent. ».
 
Du moment que nous sommes connectés, une surcouche sensible aboli les repères du temps et de l’espace physiques, voilà en quoi résiderait peut-être un rapport analogique entre volume des livres et temps de lectures, entre livres dématérialisés et connexion permanente.
 

Signaux faibles et tendances émergentes…

    
J’insiste toujours dans les cours que je donne sur la nécessité de bien distinguer les tendances émergentes, qui ont une probabilité de se développer et de s'imposer à court, moyen ou long terme, des signaux faibles, informations fragmentaires répétées et convergentes, mais dont le sort est plus difficile à déterminer, et des phénomènes purement conjoncturels, liés eux à des effets de modes, à d’éphémères stratégies industrielles ou marketing.
Ce n’est pas ici le lieu de telles analyses, mais j’indiquerais quelques-unes de ces tendances, de ces signaux, pêle-mêle, juste pour brouiller nos certitudes sur le livre et entrer (peut-être) dans l’abolition de ce qui pour le lecteur fait (peut-être) barrière entre le réel et la fiction.
J’indiquerais ainsi le développement d’une logique de l’accès versus la possession, en parallèle au développement de pratiques non marchandes autour du livre et de la lecture et au mouvement open source ; la renaissance de la littérature dans la réalité augmentée, le transmédia, les arts numériques, la ludification ; la plus importante perméabilité de la frontière entre amateurs et professionnels ; enfin, la possibilité d’un nouveau type d’interfaces de lectures, mixage du papier et des écrans (à terme de la peau ?) ; la miniaturisation des supports de stockage, en parallèle des bio-nanotechnologies.
 
Ce ne serait en fait qu’une question de temps et de générations, d’aspiration du temps, de laps (qui) suce : de ce bref instant où les mots permutent à mon insu, où la langue se joue de moi ; birlibirloque de la langue comme si j’étais toréé par elle, comme si le langage, difficilement conquit dans les années 1960, m’utilisait depuis lors, et m’instrumentalisait aujourd’hui au service de la promotion de ses avatars technicisés.
 
C’est juste une question de temps (temps de lire, des lectures et des lecteurs, temps diégétique — celui des histoires lues…), de temps passé à lire, et d’espace, du volume des livres et de celui du corps des lecteurs, des lectrices, de mon propre corps avec ses manifestations triviales, et d’espace virtuel parcouru durant la lecture.
A ce carrefour dont nous approchons qu’allons-nous rencontrer ?
 

Peut-on utiliser le livre pour ce qu’il est en vérité ?

 
C’est quelque part une déviation, un fétichisme, une perversion, que de considérer le livre comme un objet esthétique en soi. C’est en fait je pense beaucoup plus que cela.
C’est d’un véritable prolongement de l’être humain dont il s’agit, une projection de sa parole, de sa gestuelle, de son cheminement, de son passé nomade et agité ; de tout cela l’objet livre serait une mise en ordre.
Mais le livre en vérité dans ses entrailles toujours poursuit et manifeste notre nomadisme, au-delà nos postures statiques de lecteurs. Il nous court après.
 
Le rapport sage et respectueux que nous entretenons vis-à-vis du livre imprimé, marqué d’interdits, atteste de sa totémisation.
On constaterait aisément, si l’on était un peu attentif, que les interdits qui s’appliquent aux livres sont les mêmes que ceux qui s’appliquent à la chair humaine. Brûler. Manger…
 
Avec les avancées des nanotechnologies et des neurosciences le livre pervasif, diffus, se réordonnera peut-être au cours de ce millénaire sous la forme de prothèses, voire de fonctions, voire d’organes supplémentaires.
Pourrait-on imaginer alors l’émergence d’une nouvelle espèce, d’une chimère, mi-humaine mi-livresque ? Cela s’appelle des personnages de roman. Et certains sont en quête d’auteur.
 

dimanche 2 décembre 2012

Semaine 48/52 : Les arts numériques, ligne de fuite pour la littérature ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 48/52.
 
J’ai vu deux très beaux cèdres sous la pluie cette semaine.
Je me demande parfois s’il n’y aurait pas plus d’humanité à être un arbre qu’un humain en proie à l’indifférence ou au mépris de ses pairs.
La force d’inertie qui se déploie occupe presque tout l’espace vital qu’il me reste. J’ai presque manqué d’air dans les heures qui ont suivi. Je ressens durement cette froide résistance au changement, comme des parois lisses, sans failles, je le ressens particulièrement dans les non-réactions à l’incubateur web 3D immersive que j’ai lancé en janvier de cette année. Qui pourtant pourrait encore nier la porosité de son quotidien au numérique, que la réalité devient les réalités, qu’elles sont mixtes, aléatoires, augmentées, enrichies, ou artificiellement appauvries ou contrôlées, plus ou moins à notre insu.
Garder ses œillères c’est laisser les maquignons faire, les faquins gouverner.
L’homme est au fond un animal domestique apparemment.
L’offensive du numérique au Salon du livre et de la presse jeunesse, qui se déroule actuellement à Montreuil, ne peut pas être niée, par quiconque. Dans moins d’une génération, dans une dizaine d’années seulement, deux fois cinq ans, ces jeunes seront ou ne seront pas le lectorat du siècle.
 
Je ne pense pas avoir failli depuis le lancement de cette chronique, il y aura bientôt un an. C’est bien de l’actualité que je traite toujours, même si je ne donne pas toujours les clefs, les noms, le contexte ; si j’essaye, immodestement sans doute, de prendre un peu de hauteur.
Il y a deux semaines j’ai suivi attentif une prestation publique de Yann Minh, talentueux comme toujours, mais au mieux nos voies sont parallèles. Depuis quelques semaines je peine à lire le pourtant intéressant Surfer la vie de Joël de Rosnay. Je le recommande aux étudiants pour son message porteur d’optimisme et d’une saine combattivité, pour les valeurs qu’il véhicule. Mais lorsque j’ai récemment eu l’occasion de le croiser et d’échanger quelques mots avec lui je suis resté atterré par son scepticisme, sa méfiance instinctive vis-à-vis de la prospective du livre.
Apparemment la révolution numérique, qu’elle soit vécue comme catastrophique ou comme bienfaitrice, ne concernerait ni le livre ni la lecture. Ah ?
Il est vrai que Joël de Rosnay est un surfeur. Il ne fait pas de plongée sous-marine. Il n’est pas océanographe. Mais sous les vagues, sous la surface des choses, s’agitent bien des possibles, se préparent bien des avenirs. Avec la déconstruction du livre ce sont les habitants de ces grands fonds marins qui vont revenir hanter nos esprits et parler par nos bouches, nous subjuguer par le truchement de nos petites machines électroniques. Les mythes vont remonter à la surface. De nos yeux. De nos bouches, oui.
« Vieil océan, aux vagues de cristal... Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai pas la force de poursuivre ; car, je sens que le moment venu de revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal ; mais... courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil océan ! » (Les Chants de Maldoror - Chant I - Strophe 9, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont).
 
Oui il faudrait changer de lunettes, de logiciels, s’arracher peut-être même les yeux et le cerveau, se débarrasser de notre pensée, sortir de notre peau, si nous voulons vraiment comprendre ce qui nous arrive, ce qui va arriver.
 
La fin de l’ère “bibliolithique”
 
Il faut considérer la prospective du livre et de la lecture dans la perspective de la Singularité de Ray Kurzweil.
L’effort doit aussi consister dans le présent à dépasser les théories d’études du champ littéraire et les modèles explicatifs de la linguistique, en réintégrant les problématiques de la lecture dans l’épopée de l’espèce, en interrogeant les neurosciences, les éventuels processus synesthésique et cybernétique en jeu dans l’exercice de la lecture.
En cette première moitié du 21e siècle nous sortons enfin de l’ère bibliolithique, celle du livre inscrit sur la pierre, ses dérivés et ses substituts ; j’entends là tous les supports matériels d’affichage, par ailleurs plus ou moins difficilement réinscriptibles et non connectés.
Nous en sortons, et ce faisant nous entrerions dans la bibliosphère, nous accèderions enfin à un stade du livre où l’impermanence des supports de lecture dans leur singulière pluralité, et surtout la volatilité de leurs impertinences, comme des ondes radio, nous obligeront. La parole désincarcérée des reliures sera. Une nouvelle ère de l’oralité où l’écrit agira avec la versatilité des mots dits. Maudits ? Malédiction ? Mal et diction ? Par exemple, oui, peut-être, ainsi.
Beaucoup restent encore abusés par les industriels du divertissement, qui masquent les évolutions du livre et de la lecture en les réduisant à un marché de gadgets, mais ces manœuvres commerciales n’empêchent rien. Ce ne sont que de grands enfants même s’ils font de gros dégâts.
 
Le passage, par exemple, des tablettes d’argile aux rouleaux de papyrus, le passage des rouleaux de papyrus aux livres de parchemin, furent des ruptures. Ce que nous vivons apparaît plus radical encore. Et bien plus encore que du passage de la copie écrite à la reproduction imprimée.
Nous ne passons pas seulement d’un support de lecture à un autre.
Le livre est dans une phase de déconstruction.
De voyage à-rebours.
Il retourne à la page unique, à la labilité de la langue, à la mobilité des populations nomades, et peut-être plus loin encore.
 
A travers nos émotions
 
Lire, comme le reste, c’est parcourir des lignes. Ce que nous voyons nous le ramenons toujours à des lignes. Ce que nous entendons aussi. Nous avons porté les sons sur des lignes que nous avons appelées “portées”. Lorsqu’il n’y a pas de lignes, comme dans l’espace, alors nous en inventons, pour relier les étoiles en constellations, dessiner les orbites des planètes.
Notre espèce est-elle la seule à être ainsi obsédée par les lignes ?
 
Que révèlent les sens multiples des écritures, horizontal, vertical, de gauche à droite ou de droite à gauche, de haut en bas ou de bas en haut, et les quatre sens figurés dans le judaïsme et le christianisme : le sens littéral du texte, son sens allusif, celui de son interprétation parabolique, et enfin son sens caché, ésotérique ; tous ces sens différents qui pourtant convergent et à eux quatre délimitent le tracé du verger, le Paradis.
L’espèce humaine en est-elle réduite à ne pouvoir échanger que par des mots ?
Les mots sont-ils le chemin ?
Le sillon initial se perd dans les brumes du temps. Du passé, et de l’avenir aussi. La mélancolie du paysage littéraire face à son destin, c’est ici donc ce que nous contemplons, cette approche de l’inconnu dont l’ombre portée sur la page nous fait tressaillir.
« La ligne de mots palpe ton propre cœur. Elle envahit les artères, elle entre dans le cœur avec la ruée du souffle ; elle étreint le rebord mobile d’épaisses valvules ; elle tâte ce muscle obscur aussi fort que des chevaux, cherchant une chose, qu’elle ignore. » (Annie Dillard, En vivant, en écrivant, traduit de l’américain par Brice Matthieussent).
 
Pourquoi les écrans d’ordinateurs, qui dissipent nos lectures, sont-ils appelés des moniteurs ?
Les arts numériques introduisent une rupture, tout comme les nouvelles technologies d’affichage et de diffusion, ils brisent les lignes.
Électrifiée, connectée au monde à l’entour, la page expérimente plus que jamais la mise sous tension d’une étendue délimitée par les hommes, le champ cultivé, le verger, avec d’autant plus de puissance peut-être, qu’elle peut s’étendre par-delà les écrans au-delà des supports (le transmédia notamment) et s’inventer comme les cités nouvelles d’un nouveau monde (l’imaginaire de la SF est fructueux sur ce chapitre, les villes vertes et connectées, les cités intelligentes et futuristes qui commencent à sortir de terre en témoignent à voix basse, les métaphores livres/villes murmurent dans le chaos…). Et je perçois cela.
 
Peut-être la littérature pourrait-elle s’y enfouir — dans cette faille ouverte par les arts numériques, s’y enfuir pour échapper à l’enfer que nous préparent les marchands.
La puissance des grandes œuvres romanesques est je pense en ce quelle abrite de mythique.
Avec les arts numériques, la fiction pourrait peut-être s’exprimer hors du champ des jeux numériques, et initier un dialogue avec ce qui s’écrit aux lisières et dans les terrains vagues.