samedi 20 avril 2013

Automatiser la production d'ebooks pour sortir de la période des e-incunables ?

Alors que j'ai actualisé hier ma liste de 127 professionnels francophones de l'édition numérique (à consulter en suivant ce lien...) je repense au keynote d'Archicol auquel j'avais assisté la veille au soir dans le cadre du Labo de l'Edition de la Ville de Paris.
Archicol est une start-up développant des solutions logicielles commerciales automatisées à destination de l'édition numérique.
Ses deux principaux services sont : Lines2ePub, pour la réalisation de fichiers ePubs cross-platerformes à partir de fichiers sources XML, et, Paper2ePub pour la réalisation de fichiers ePubs cross-plateformes à partir de fichiers sources PDF ou de documents imprimés.
Pour ma part je retiendrais surtout l'effort exprimé par leur solution baptisée A2F (Archicol Fix Flux) pour intégrer dans un standard ePub des mises en pages originales ou complexes de type multicolonnes, avec, par exemple, de nombreux encarts ou graphiques… A2F permet aux lecteurs de passer en un clic d’un mode "feuilletage" de la mise en page imprimée initiale, à un mode de "lecture écran", mieux adapté aux nouveaux dispositifs de lecture (illustration ci-dessous).
   
Photo presse Archicol
  
L'on voit bien, dans le passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, le besoin de préserver la lisibilité en reprenant ou en adaptant les codes typographiques. 
Pour information, Archicol a été créé et est animé par Serge Morisseau et Emilie Barreau (deux anciens d'Edilivre et d'i-Kiosque) et par David Dauvergne (ancien de La poule ou l'oeuf, logiciel libre d'édition numérique à partir d'une application web). Des professionnels au départ étrangers par leurs formations au monde du livre.
L'augmentation du nombre de start-up dans l'édition doit nous interroger.
 
Dans un post récent sur son blog, Frédéric Kaplan, qui occupe la chaire de Digital humanities et dirige le DHLAB (Digital Humanities Lab) à l'EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) montre les origines médiévales de l'hyperlien, des pointeurs et des smileys (à lire en suivant ce lien...).
Je prépare moi-même une démonstration inédite dans les semaines à venir sur mon incubateur web 3D immersive dédié à l'exploration de nouvelles formes de médiations autour du livre et de la lecture (MétaLectures) qui mettra elle  aussi en évidence le lien de continuité dans l'histoire du livre.
De telles réflexions peuvent nous permettre je pense de remettre en perspective les véritables enjeux et de questionner les pratiques de lecture afin d'utiliser au mieux les outils logiciels qui peuvent être mis à notre disposition par une nouvelle génération d'entreprises à l'image d'Archicol.
 

mercredi 17 avril 2013

LES 14 DROITS DES LECTEURS

Le 14 avril 2013 j’ai eu le plaisir d’intervenir, à l’invitation de Nathalie Bretzner, Vincent Demulière et de la Ville de Chenôve-en-Bourgogne, pour la conférence de clôture des premières Journées Le Futur du Livre.
Une vraiment bonne initiative à laquelle je suis heureux d’avoir participé et qui j’espère se pérennisera en rendez-vous annuels, ce dont ont véritablement besoin les différents acteurs du livre, pour échanger, tester, découvrir ensemble et renforcer la solidarité entre passionnés du livre et de la lecture. Un salon non-commercial aussi et ouvert au grand public, aux lecteurs pour leur information.
C’est notamment pour ces raisons que j’avais choisi ce thème des droits des lecteurs pour la conférence de clôture.
Droits des lecteurs, certes déjà défendus par quelques grandes figures auquel j’ai rendu hommage dans ma présentation (Michael Hart, Aaron Swartz, Richard Stallman), et par quelques blogueurs, au rang desquels parmi les francophones, Lionel Maurel ou Thierry Crouzet, entre autres.
C’est cependant, à ma connaissance, la première fois que le sujet était ainsi traité en public dans une tentative de lister l’ensemble de ces droits et dans une perspective de légitime revendication.
L’accueil fut bon et quelques contacts après ma conférence prometteurs.
L’avenir dira.
En ce qui me concerne je ne compte pas baisser les bras.
 
Les 14 droits des lecteurs au 21e siècle
  
En 2013, les droits des lecteurs n’ont plus rien à voir avec ceux qui avaient été définis en 1992 par Daniel Pennac dans son essai Comme un roman (Gallimard éd.). Nous vivons des temps plus durs.
  
Voici les 14 droits fondamentaux que je propose de documenter et de défendre :
(Actualisation le 13 septembre 2014. Qu’en pensez-vous ?)
  
1 - Le droit de ne pas être fiché ou profilé sur ses lectures.
(vs les pratiques de certains cybermarchands, les systèmes dits propriétaires…)
 
2 - Le droit d’accéder librement au domaine public.
 
3 - Le droit à des dispositifs et des interfaces de lecture pérennes.
(vs obsolescence programmée.)
 
4 - Le droit d'avoir le choix de lire, soit en version imprimée, soit en version numérique, quels que soient le titre et l'auteur.
 
5 - Le droit d’être informé dans sa langue sur les mutations du livre et de son marché.
(vs infobésité, blogs perroquets, intox marketing, contenus anglo-saxons, “l'information" partisane des lobbies et des corporations professionnelles...)
 
6 - Le droit d’être propriétaire des livres achetés ou offerts et de pouvoir les partager librement.
(c-a-d droit à une bibliothèque personnelle privée inviolable, droits de prêts, de dons, de legs... Et bien sûr : pas de DRM contraignants.)
 
7 - Le droit à l’autonomie, par rapport notamment aux applications logicielles d’annotation et de lecture sociale…
 
8 - Le droit à un juste prix.
(c-a-d un prix abordable au plus grand nombre avec une juste répartition entre auteurs, éditeurs et libraires indépendants, un juste différentiel de prix entre version numérique et version imprimée, et avec la possibilité de refuser la publicité dans les livres numérisés ou numériques et/ou au niveau des dispositifs et des logiciels de lecture.)
 
9 - Le droit d’égalité de traitement avec les lecteurs des autres pays.
(c-a-d notamment en termes d’offre (de traductions…) et pour une harmonisation entre les pays sur "le mieux faisant" en matière de domaine public et d’accès aux œuvres…)
 
10 - Le droit à une médiation humaine.     
(notamment en librairies et en bibliothèques, vs prescriptions algorithmiques et fausses critiques achetées…)
 
11 - Le droit à la bibliodiversité.
(vs formatage, best-sellarisation, world litterature, censure…)
 
12 - Le droit à une offre de qualité.
(c-a-d des textes corrigés et convenablement mis en page, ayant été l’objet d’une validation éditoriale ou d’un véritable soin dans le cas de textes autoédités ; le respect de l’intégrité de l’oeuvre et l’interopérabilité des fichiers numériques…) 

13 - Des bibliothèques physiques accessibles (ouvertes le soir et le week-end et des bibliothèques numériques avec une médiation humaine...)
 
14 - Les mêmes droits d'accès aux textes pour tous
(Le respect des treize droits précédents quel que soit son handicap éventuel, notamment visuel ou moteur, et sa situation sociale...)
   
Guy Debord – Günther Anders – Victor Hugo
  
Le spectacle, écrivait Guy Debord en 1971 dans La société du spectacle (éd. Champ Libre), « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l'on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. Dans les lieux les moins industrialisés, son règne est déjà présent avec quelques marchandises-vedettes et en tant que domination impérialiste par les zones qui sont en tête dans le développement de la productivité. Dans ces zones avancées, l'espace social est envahi par une superposition continue de couches géologiques de marchandises. ».
Cette déclaration exprime bien ce que je ressens régulièrement déjà depuis plusieurs années dans les grandes surfaces, même dites culturelles, quand je me retrouve face à un mur de livres, comme quand je me retrouve face à un mur de boites de sardines ou de tubes de dentifrice.
Outre Guy Debord, ma réflexion se nourrit également de la pensée de Günther Anders dans son essai de 1956, L'Obsolescence de l'homme.
Sa lecture peut je crois nous aider à penser les nouveaux dispositifs de lecture, dans le sens où Anders y désigne en fait les machines en général.
« Ces instruments, écrit-il, ne sont pas des moyens mais des décisions prises à l’avance : ces décisions, précisément, qui sont prises avant même qu’on nous offre la possibilité de décider. Ou, plus exactement, ils sont la décision prise à l’avance. ».
 
Non seulement l’offre précède la demande, mais une liseuse ou une tablette ne sont pas uniquement des moyens de lire. Ces dispositifs de lecture ne sont pas des livres qui se suffiraient à eux-mêmes. Ils ne sont en vérité que les parties d’un système organisant et donc contrôlant nos lectures.
La plus grande vigilance m’apparaît donc nécessaire et les réactions à chaud à ma conférence de Chenôve m’ont renforcé dans cette intuition que j’avais.
Nous devons je pense nous interroger sur la technophilie ambiante qui gagne l’écosystème de la lecture et n’est peut-être, en partie tout au moins, qu'un effet du formatage imposé par les stratégies marketing de majors américaines qui prônent tout en l’organisant un contexte d’hyperconnectivité dans une économie de l’attention et du temps de cerveau disponible, en démultipliant l’offre et la création sans cesse renouvelée de besoins factices et addictifs.
 
Si nous n’informons pas les lecteurs, si nous ne formons pas au numérique les professionnels du livre et de la médiation littéraire, si nous ne renforçons pas le rôle et le statut des indépendants (tant des auteurs que des éditeurs et des libraires) nous risquons de tous devenir les otages d'une aliénation collective imposée par quelques marques.
 
Victor Hugo dans son Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878 déclarait ceci : « Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. ». J’ai dit.
 
- Photo prise par Michèle Drechsler, 14 avril 2013, Chenôve-en-Bourgogne, alors que je me prépare à donner ma conférence devant un public attentif et curieux.
- Version espagnole : Los derechos de los lectores (Les droits des lecteurs), Trama & Texturas (Espagne), N° 24, septembre 2014.

samedi 6 avril 2013

Sur les nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques

Ci-après le texte que j'ai lu à la suite de ma conférence ("L'avenir du livre et l'évolution des bibliothèques à l'ère du numérique") le 05 avril 2013 dans le cadre de la Journée des Bibliothèques de Côte-d'Or et des 8e Rencontres de la BD de Longvic :  
 
" Communication sur les nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques
  
On m’a demandé de m’exprimer, en introduction de cette Journée des Bibliothèques de Côte-d’Or et de la présentation par M. Benoît VALLAURI de la Médiathèque Départementale d'Ille-et-Vilaine, sur la question des nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques.
Je vais aborder cette question en tant que chercheur en prospective du livre et de la lecture et non pas en tant que bibliothécaire, ce que je ne suis pas.
Voici donc ce que j’observe depuis quelques années avec l’intrusion du numérique dans l’univers de l’imprimé, la fameuse Galaxie Gutenberg : une métamorphose du livre en tant que contenant, ainsi qu’une volatilité des livres en tant que contenus. Deux faits aujourd’hui indéniables et qui peuvent être considérés je pense comme des marqueurs d’une nouvelle période dans l’histoire du livre, période que nous pourrions qualifier comme étant celle des "e-incunables", en référence aux incunables de 1450 à 1501, premiers ouvrages imprimés qui reprenaient les codes des œuvres manuscrites.
Comme je l’ai signalé dans ma conférence il faut également prendre en compte l’évolution des pratiques, notamment de lecture et de recherche d’information, ainsi que les nouvelles attentes d’usagers qui sont devenus des internautes, et sont même maintenant de plus en plus souvent des mobinautes.
 
De l’extérieur j’observe trois principales perspectives vers lesquelles les médiathèques semblent évoluer au cours de ce 21e siècle.
D’abord, on commence à l’observer aux États-Unis d’Amérique, en parallèle à la fermeture de bibliothèques entre guillemets “classiques”, l’apparition de bibliothèques sans livres, établissements surtout universitaires et offrant des documents numériques et des postes informatiques pour accéder notamment à des fonds numérisés.
Puis, d’Angleterre et du nord de l’Europe nous voyons se développer des bibliothèques conçues comme troisième lieu. Après le premier lieu du domicile et le deuxième lieu du cadre professionnel, il s’agit d’aligner la bibliothèque comme troisième lieu, espace public d’échanges sociaux et culturels, en concurrence avec le cinéma, le café, la place du marché… ; et cela donne parfois lieu je trouve à des dérives.
Enfin, et notamment en France, se développe le concept de bibliothèque inclusive, c’est-à-dire allant à l’encontre des exclusions sociales et œuvrant en ce sens : à l’accessibilité des lieux et des contenus aux usagers handicapés, à la mixité et à la diversité sociale en accueillant et en fournissant des contenus adaptés à des publics d’âges, de conditions sociales et de nationalités différentes, à l’accompagnement social par des informations pratiques, par exemple sur l’emploi et la formation professionnelle, voire l’alphabétisation, enfin en participant à la réduction de la fracture numérique en proposant des équipements et des formations, par exemple en recherche et en validation d’informations sur le web.
 
Nous observons donc en fait deux mouvements contradictoires : d’une part, celui de vouloir faire venir les usagers "à tous prix", d’autre part, celui de proposer des services en ligne pour leur éviter de devoir venir.
Il faudrait je pense rendre davantage complémentaires ces deux approches. Une bibliothèque numérique devrait être un dispositif de médiation inscrit dans et participant d'un écosystème territorial.
Aussi je vous propose moi un modèle plus ambitieux, celui de la bibliothèque comme hyper-lieu.
J’emprunte cette notion d’hyper-lieu à Patrick Bazin, directeur de la BPI (Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris) s’exprimant ainsi en mai 2012 dans le magazine professionnel Livres Hebdo : « Mieux vaudrait, disait-il, parler d'hyperlieu, comme l'on parle d'un hypertexte ou d'un hypermédia, c'est-à-dire d'une structure complexe, multidimensionnelle. Les bibliothèques ont toujours été, dans une certaine mesure, des hyper-lieux. ».
Malheureusement cette excellente idée est restée au niveau du concept. L’émergence d’un web 3D, qui rend pleinement possible le co-browsing, reste méconnue des édiles. Le web 2D, enfant chimérique des magazines imprimés et de la télévision et qui fondamentalement, à bien y regarder, ne va pas tellement plus loin que le Minitel, ce web-là est frappé d’obsolescence. Il faudrait en prendre acte.
Les lecteurs et les usagers des bibliothèques ont le droit à une médiation humaine et à ne pas être influencés par des algorithmes. Des effets de modes, comme la mise à disposition de liseuses qui apportent facilement une caution de modernité aux élus locaux, ne suffiront pas à générer un saut qualitatif de la bibliothéconomie. Il faudrait être à la fois plus ambitieux, et surtout mieux informés des mouvements de fond qui travaillent la société.
Comme le dit Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) du Centre Pompidou : « La seule façon de prévoir l’avenir, c’est de l’inventer » (magazine du ministère de la Culture, N°208 de février 2013).
La médiation culturelle va être, est déjà, profondément remodelée par la porosité de plus en plus grande entre le monde dit “réel” et les nouveaux territoires numériques. Les nouvelles interfaces de réalité augmentée (je pense aux lunettes vidéo connectées, par exemple), l’internet des objets, les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle…, vont renouveler les rapports de médiation et d’expertise.
Alors inventons ! Inventez la bibliothèque du 21e siècle et ses nouvelles formes de médiations autour des ressources numériques, certes, mais aussi autour de l’imprimé, car comme tout le corpus manuscrit n’a pas été imprimé au 16e siècle, tout le corpus imprimé ne sera pas numérisé.
Les nouvelles formes de médiations que le numérique induit vous entrainent je pense à ne plus considérer les usagers comme de simples usagers, mais comme des "cherchants", voire parfois comme des chercheurs à part entière, et à redevenir en ce qui vous concerne des “sachants”, des guides. En 2006 dans La Sagesse du Bibliothécaire, Michel Melot écrivait : « Le bibliothécaire aime les livres comme le marin aime la mer. Il n'est pas nécessairement bon nageur mais il sait naviguer. », alors ne vous jetez pas à l’eau, mais gardez le cap ! "
 
Vous pouvez lire également : La bibliothèque en 2042...
 

dimanche 17 mars 2013

Appel au Peuple de Bourgogne pour le Futur du Livre !

 
Bourguignonnes, bourguignons, mes amis, j'aurai le plaisir d'être parmi vous les 12, 13 et 14 avril prochains à Chenôve-en-Bourgogne (près Dijon) pour Le Futur du Livre.
Le style ampoulé de l'annonce peut surprendre, mais derrière son ironie de façade pointe l'espoir qu'un mouvement citoyen de lecteurs, d'auteurs et d'acteurs indépendants de l'interprofession du livre, qu'il soit imprimé, numérisé ou numérique, se lève depuis la province.
    
Cette première manifestation, placée sous le parrainage d'Edgar Morin et co-organisée par l'association APELLE avec Nathalie Bretzner et la ville de Chenôve, rassemblera un éventail de questionneuses et de questionneurs de cet indéfini "passage de l'édition imprimée à l'édition numérique", personnalités multiples que vous n'avez sans doute pas l'habitude d'entendre, ou qui n'ont pas forcément l'occasion de s'exprimer dans les petites et grandes messes parisiennes.
Je serai ainsi heureux d'y retrouver notamment Elizabeth Sutton, Françoise Prêtre, Michèle Drechsler (laquelle collabore notamment à mon incubateur MétaLectures) , Christel Bony Le Coq, ainsi que Vincent Demulière, David Queffélec, Yves d'Aviau de Ternay, Eric Briys, Alexis Chaperon du Larrêt, entre autres... 
 
 
J'interviendrai pour ma part en donnant deux conférences : l'une sur Le livre et la lecture dans le futur web 3D (le samedi 13 avril à 14H00), l'autre, conférence de clôture le dimanche 14 avril sur le thème, à ma connaissance encore jamais abordé : Les droits des lecteurs à l'heure du passage à l'édition numérique.
Je lancerai à cette occasion un appel pour une information saine des lecteurs qui à leur insu voient, avec le passage à la diffusion numérique des livres, leurs droits élémentaires (que je définirai) bafoués.
 
 
 
Ces trois journées d'avril 2013 pourront-elles initier un mouvement pour que l'avenir du livre ne soit ni son passé ni sa fin, pour que le livre redevienne autre chose qu'une marchandise entre les mains d'entreprises américaines (Amazon, Google, Apple) et de quelques héritiers et actionnaires plus ou moins germanopratins. Y parlerons-nous de la lecture et des lecteurs avant le soir du 14 avril ? 
D'autres régions françaises s'inspireront-elles de ce bel exemple pour, pourquoi pas, réorienter ensemble le marché du livre alors que les pratiques de lecture changent, inventer de nouveaux modèles, de partout monter un jour à Paris par cars par trains entiers et bondés secouer le cocotier à Singe-des-Prés !
La révolution du Futur du Livre commencera-t-elle, en avril, à Chenôve ?

samedi 23 février 2013

e-paper : parchemin du 21e siècle ?

Je pense ne pas pouvoir être accusé de nourrir un a priori négatif à l'encontre du e-paper (papiel). En 2007 j'ai été l'auteur du premier, et à ma connaissance toujours le seul - en français en tous cas, ouvrage qui présente les avantages de la technologie de l'encre et du papier électroniques, et ce à l'époque grâce au soutien de Malo Girod de l'Ain et de sa maison M21 éditions, depuis malencontreusement disparue. Je fais référence à Gutenberg 2.0, le futur du livre aujourd'hui obsolète faute d'une réédition actualisée mais pour information en grande partie consultable sur le site de Google LIvres.
 
En fait, depuis 2006 où je me suis mis à la rédaction de ce livre, et jusqu'à ce jour de février 2013, je n'ai pas cessé d'être attentif à ce que j'ai longtemps qualifié de disruptive innovation, une nouvelle technologie sous performante par rapport à celle dominante du papier, mais appelée à progresser rapidement et à la remplacer un jour.
Je lis toujours attentivement les billets de Bruno Rives et je suis assez réservé vis-à-vis des études et autres enquêtes qui prédisent le déclin de ce que l'on appelle maintenant des liseuses (e-paper) face à l'irrésistible montée en puissance des tablettes connectées et rétroéclairées.
Ces dernières années les surfaces e-paper se sont nettement améliorées en contraste, rapidité d'affichage et en connectivité, et elles sont elles aussi devenues tactiles. La couleur par contre, annoncée tous les ans, n'est toujours pas satisfaisante et l'éclairage sur-ajouté pour pouvoir lire dans l'obscurité m'apparaît un gadget inutile et fatiguant pour les yeux - mais ce n'est là qu'un avis personnel.
 
Des écrans... en papier
 
J'ai assisté récemment à un petit déjeuner organisé par Culture Papier, le groupe d'influence pour le développement durable du papier et de l'imprimé.
Ce fut pour moi l'occasion d'entendre Bernard Pineaux (directeur de
Grenoble INP-Pagora, l’Ecole internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux, depuis novembre 2008) s'exprimer sur le thème : Les évolutions technologiques du papier.
 
Il faut évidemment garder à l'esprit la subjectivité et l'engagement bien compréhensibles du conférencier. Nonobstant des arguments exposés méritent je pense toute notre attention
Il nous serait en effet aujourd'hui difficile de nier l'épuisement à plus ou moins court terme des ressources pétrolières et conséquemment le déclin de la chimie du plastique. Nous sommes aussi plutôt bien disposés à considérer la biomasse végétale comme une ressource naturelle, à la fois renouvelable, biodégradable et recyclable. (Nous nous garderons toutefois de confondre la forêt avec des cultures d'arbres car, cela dit en passant, une forêt n'est pas un champ.)
 
La cellulose, matériau du 21e siècle ?
 
Il est ainsi intéressant d'avoir à l'esprit le fait que des électroniciens travaillent aussi dans la filière papier, et que la fonctionnalisation de ses fibres, au papier précisément, puis que des encres fonctionnelles conductrices, ainsi que des batteries en papier et plus généralement que l'électronique imprimée, pourraient déboucher un jour sur la production d'écrans papier réinscriptibles, tactiles et connectés, plus légers, plus fins, plus souples et plus écologiques que les tablettes high-tech, à la technologie plus invasive et froide.
   

L'Afelim (Association française de l'électronique imprimée) à Saint-Cloud, l'Enstib (
Ecole nationale supérieure des technologies et des industries du bois) de Nancy, le CTP (Centre technique du papier) de Grenoble, entre autres, travaillent eux aussi à accompagner les nouvelles logiques d'usages qui apparaissent dans les pratiques de consultation d'informations et de lecture, en s'appuyant en partie sur le matériau papier et les procédés d'impression traditionnelle.
En fait la tradition, pour sa perpétuation, se maintient sur un mode d'assimilation et d'accommodation, et là où nos esprits fougueux voient des ruptures il n'y a bien souvent en fait que les conséquences de causes depuis longtemps à l'oeuvre.
 
L'ouvrage d'Erik Orsenna, Sur la route du papier (j'en parlais ici) permet un point intéressant sur cette matière dont quelques-uns craignent la disparition tandis que d'autres déjà l'ignoreraient de plus en plus dans leurs activités quotidiennes.
Si nous regardons le procédé de fabrication du papyrus et celui du papier nous trouvons facilement des similitudes, ce qui n'est pas le cas avec la fabrication du parchemin. Et l'hypothèse que l'emploi de parchemins aurait retardé l'émergence de l'édition imprimée pourrait se défendre.
Le récent roman historique de Michel Jullien, Esquisse d'un pendu (j'en parlais récemment ici) ouvre la réflexion sur ces siècles d'édition manuscrite.
La lecture du mémoire de Marie Alix Desboeufs, Papyrus et parchemin dans l'antiquité gréco-romaine peut remettre quelques pendules à l'heure.
 
Il ne faudrait pas que l'e-paper nous masque les évolutions du papier, tout comme il ne faudrait pas que les hybridations électroniques du papier nous masquent les évolutions des écrans.
L'histoire et la futurologie, les deux jambes peut-être de la prospective du livre et de la lecture, pourraient seules nous permettre d'anticiper ce que seront les dispositifs de lecture et sur quelles surfaces écriront et liront nos descendants.
Même si je disais récemment qu'il nous fallait, pour avancer, penser "l'après Google", il est certain que l'opération Google Glass montre bien, à la fois, les perspectives qui s'ouvre pour des développement multimodaux de la lecture, et, l'ingénierie humaine à l'oeuvre pour maîtriser le facteur humain et contrôler les comportements individuels.
 
C'est pour anticiper que la prospective du livre est nécessaire. Surgeon de l'anthropologie prospective, davantage peut-être que des sciences de l'information et de la communication, en s'intéressant aux lecteurs elle pourrait contribuer à l'orientation de la condition humaine.
   

mardi 19 février 2013

Autre côté de l'histoire, autre côté du miroir

Les outils de visualisation dont peuvent aujourd'hui disposer nos imaginaires pour projeter dans le monde leurs propres réalités sont de plus en plus performants et commencent à être utilisés par des créateurs de plus en plus nombreux, bien que les auteurs, au sens traditionnel d'auteurs de l'écrit, d'écrivains, restent en retrait.
 
Notre attention doit cependant être attirée je pense par une nouvelle récente publiée sur le site Avatarlife : Versu de Linden Lab, le livre dont vous êtes le héros à l'ère de l'IA [Intelligence Artificielle].
  
De quoi s'agit-il ?
"des histoires textuelles et conversationnelles dont le déroulement dépend des choix de votre personnage. Rien de bien révolutionnaire a priori, sauf qu’il s’agit d’un moteur social à peu près semblable à celui utilisé pour les Sim 3 qui vient au secours de notre bon vieux livre. [...] On pense immédiatement au fameux « livre dont vous êtes le héros » qui a éveillé certains d’entre nous, si ce n’est à la lecture, à l’interactivité. Dans le cas présent, vous choisissez de contrôler un personnage et c’est un moteur fictionnel intelligent qui va redéfinir l’ensemble des actes des autres protagonistes de l’histoire.".
De là à ce que ces "autres protagonistes de l'histoire" et le(s) lecteurs(s) mêmes soient avatarisés au sein de territoires numériques immersifs ou en réalité augmentée il n'y a qu'un pas, ou quelques pas que pourrait bien franchir Linden Lab dans les prochaines années (pour les néophytes, rappelons qu'il s'agit de la société créatrice du métavers Second Life, d'où découlent nombre de plateformes sous logiciel libre opensimulator).

Les temps et les espaces de la lecture
 
J'ai ainsi eu l'occasion dimanche soir de m'immerger dans une relecture pour adulte du célèbre conte Le petit chaperon rouge sur ce fameux Second Life.
Un parcours en web 3D immersive, que je pourrais qualifier d'installation ou de "parcours post-narratif sonorisé", créé par les artistes de Second Life, Cherry Manga, Alpha Auer, et Soror Nishi.
Ce type de performances s'inscrit dans les perspectives auxquelles nous réfléchissons au sein de mon incubateur web 3D MétaLectures et, entre autres, dans le cadre de son actuel programme à destination des éditeurs pure-players jeunesse.
 
La lecture que fait Daniel Tammet d'Alice au pays des merveilles va dans ce sens. "Le temps, remarque-t-il, ne s'écoule pas partout de la même façon" (à réécouter dans l'émission radio de Camille Juzeau, La bibliothèque scientifique idéale, sur France Inter).
Une fenêtre sur une possible lecture d'Alice au pays des merveilles, à transposer dans nos lectures quotidiennes.
Dans l'imaginaire, dans les rêves, dans nos lectures, le temps et l'espace ne se comportent pas comme dans la construction que notre cerveau et notre mental élaborent à partir des informations limitées de nos cinq sens physiques et du catalogue de nos apprentissages.
La lecture pourrait bien au cours du siècle évoluer sur ces sentiers là.
Les éditeurs devraient suivre certains personnages, comme Alice, comme le Petit Chaperon Rouge...
 
Un autre petit chaperon rouge de l'autre côté de sa propre histoire...
D.R. Illustrations de l'artiste Cherry Manga,
à l'occasion de la performance The other side of the story
Visite libre possible jusqu'au 15 avril 2013 sur la plateforme Second Life
 à l'adresse : The Companion =
N.B. : version pour adultes.
 


samedi 16 février 2013

Esquisse du livre

Je suis passé rue Boutebrie dans le quartier de la Sorbonne, là où dans les années 1370 Raoulet d'Orléans, copiste attitré de Charles V, tenait boutique.
Le garçon m'était connu, j'en avais entendu parler naguère, puis je l'avais oublié, et voilà qu'il m'est revenu à la mémoire avec un récent roman signé Michel Jullien aux éditions Verdier.
 
Ce bon roman, plaisant à lire, a pour grand mérite de faire resurgir aujourd'hui, par-delà un livre industriel du 21e siècle, ce qu'étaient le codex et le marché du livre à l'époque de l'édition manuscrite.
Nous y prenons conscience de la filiation, du darwinisme qui prévaut dans la sélection des supports d'écriture et dans les pratiques de lecture qui leurs sont associées.
 
Que s'est-il passé depuis 1370 ? Nous sommes depuis, allés de la rareté à l'abondance, de quelques rares spécimens d'ouvrages, tous véritablement uniques, chaque copiste avait son écriture, son style reconnaissable entre tous, à la multiplication standardisée avec l'imprimerie, la reproduction en nombre et maintenant, avec le numérique, la copie instantanée d'un clic de "souris", l'overdose.
La contrefaçon, elle, et c'est justement l'un des sujets du roman historique de Michel Jullien, a toujours existé.
Nous sommes passés aussi de la matérialité du livre, matière naturelle travaillée par mains d'hommes, à un produit de plus en plus industriel et aseptisé, et aujourd'hui à des fichiers numériques.
Même soigneusement travaillé, un parchemin conservait quelques signes de son origine, quelques imperfections, quelques poils, et une odeur caractéristique. Un vélin n'avait pas seulement plus bel aspect, mais il sentait moins fort et plus élégamment qu'une peau de chevreau ou de jument. Les codices dans un coffre s'exprimaient alors comme des fromages sous cloche. Nous avons perdu tout cela, la rareté et certains liens à la nature, au monde réel.
 
Oui, que gagnons-nous et que perdons-nous dans cette vie du livre, à laquelle nous ne pouvons que consentir, comme si elle était finalement naturelle ?
Je me suis posé tout récemment la question tellement j'ai été agréablement surpris de me retrouver face à une belle typographie en ouvrant hier La vie éternelle, de Sholem Aleikhem.
 
Cadastre des époques, cadavre du livre
 
Le monde de l'écriture est de moins en moins manuel, notre rapport au livre de moins en moins physique. L'anthropologue Tim Ingold le soulignait à sa manière dans son passionnant essai Une brève histoire des lignes (2011, éditions Zones Sensibles) qui inspire actuellement une exposition au Centre Pompidou-Metz ("Manuscrite ou imprimée, l’écriture est toute entière constituée de lignes, jeux de pleins et de déliés, tout en étant elle-même, à l’échelle d’un texte, génératrice de lignes qui courent de part et d’autre de la page.").
 
Ce rapport aux lignes, nous en reprenons conscience aux explications et descriptions du travail de copiste données par Michel Jullien dans son roman, ce rapport aux lignes est essentiel.
"... les réglures, quinze mille pour une Bible, quinze mille raies traversières à tirer au pointeau."
"Geste cheminatoire" aurait dit l'historien Michel de Certeau.
 
Originellement liées aux sillons des champs labourés (l'écriture boustrophédon en atteste), méticuleusement tracées par les copistes, imprimées sur les cahiers et scrupuleusement suivies par les écoliers, les lignes elles aussi s'éthérisent, deviennent invisibles à nos yeux : des lignes de codes informatiques que les interfaces WYSIWYG nous masquent.
(Le code cependant reste une écriture, reste dans la logique de la ligne, il nie toute prétendue délinéarisation, et alors le souci serait peut-être simplement le suivant : comme à l'époque de Raoulet d'Orléans peu savaient lire et écrire, aujourd'hui peu savent coder ; l'ère post-alphabétique sera peut-être celle du code -- la lecture des chromosomes déplace de fait la bibliothéconomie au niveau de l'ingénierie du vivant.)
 
Peut-être est-ce ainsi, par le tissage des lignes (ce qui fait texte donc) que le cadastre des époques se projette sur leurs supports d'écriture et leurs surfaces de lecture.
Avec les outils logiciels nos parcours de lecture, ce post même en témoigne, génèrent plus facilement de l'écriture.
La fausse distance entre écriture et lecture tend à s'abolir dans l'exacerbation de son illusion même.
 
Comme l'écrivait Franck P. Jennings dans This is Reading : "La lecture est plus vieille que l’imprimerie, l’écriture ou encore le langage lui-même. La lecture débute avec l’examen du monde qui nous entoure. Elle commence avec la reconnaissance d’événements répétés comme le tonnerre, la foudre, la pluie. Elle commence avec les saisons et la croissance des choses. Elle commence avec cette douleur sourde qui disparaît avec de la nourriture et de l’eau. Elle survient quand le temps est enfin découvert. Lire commence avec la manipulation des signes.".
 
Serions-nous en train de vivre cela, l'effacement de la littérature au profit du monde réel, ou vice-versa ?
Plus de cinq millénaires que nous tentons d'écrire le monde non-écrit.
Alors que tout est écrit.
Le roman est consubstantiel à la réalité que nous conférons au monde.
Celui de Michel Jullien en est une preuve.
 
N.B. illustrations de haut en bas : page de Ptolémée, Quadripartitum, avec glose de Ali Ibn Ridwan, traduction en français par Guillaume Oresme et copie par Raoulet d'Orléans (source Europeana Regia), couverture Esquisse d'un pendu, de Michel Jullien aux éditions Verdier (2013 - lien et informations sur le livre),  page extraite de La vie éternelle, de Sholem Aleikhem, textes traduits du yiddish par Arthur Langerman et Ariel Sion (éditions Métropolis, Genève, 2011, informations sur le livre).