lundi 7 octobre 2013

La mémoire et l’archive face à la surabondance

J'ai eu le plaisir de contribuer au numéro spécial 2013 d'Intercdi, la revue des Centres de Documentation et d'Information, sur le thème : "Mémoire(s) et traces", avec un article titré : La mémoire et l'archive face à la surabondance.
En voici quelques extraits : 
  
« ... La surcharge informationnelle nous paralyse de plus en plus et nous nous interrogeons sur comment stocker et tirer profits des millions de nouveaux documents numériques qui chaque jour sollicitent notre attention. Si nous ne changeons pas de paradigme la mission est humainement impossible. 
 
Un été fatal
 
Depuis l’été 1971 la galaxie Gutenberg est envahie par un code actif, qui peut la dupliquer et se révèle lui-même capable de se répliquer à l’infini. Cette mutation génétique de l’information et de la documentation nous devons bien l’accueillir si nous voulons continuer l’épopée de notre espèce humaine au cours de ce millénaire.
Pour le texte écrit cette révolution a débuté en juillet 1971. Comme le premier livre imprimé fut la Bible à quarante-deux lignes de Gutenberg en 1455, le premier texte numérisé, l’eText #1 (The United States Declaration of Independence) le fut le 04 juillet 1971 à l’université de l’Illinois par un étudiant du nom de Michael Hart qui lança également le Projet Gutenberg, première bibliothèque planétaire et gratuite d’œuvres du domaine public.
[...] Nous pouvons en effet considérer que depuis cet été 1971 nous serions entrés dans la période des e-incunables, en référence aux incunables de 1450 à 1501, premiers textes imprimés qui reprenaient les codes des manuscrits.
En 2013 la force d’inertie que nous pouvons ressentir vient simplement des vitesses asynchrones entre, l’évolution de plus en plus rapide des technologies, notamment de l’information et de la communication, par rapport au temps d’appropriation dans les logiques d’usages préexistantes, au temps plus lent d’assimilation par le tissu entrepreneurial et à celui, plus lent encore, des actualisations politiques et législatives. Un phénomène naturel donc, auquel s’ajoute le rythme des changements générationnels. Quant aux effets des groupes de pression et des corporations professionnelles, ils sont je pense souvent surestimés et ont probablement peu d’impacts réels face à un phénomène d’une telle ampleur. En contrepartie il faudrait prendre en compte l’accélération provoquée par une nouvelle génération d’entreprises américaines qui impactent le marché du livre au détriment de maisons familiales. Ces groupes sont récents et éphémères. Google n’a été fondé qu’en 1998, Amazon en 1995, Apple en 1976. Dans le sens où par l’accumulation capitalistique de nos données ils visent avant tout une puissance économique ils ne seront que des instruments dans la mutation en cours.
 
Les mythes qui écrivent notre histoire
   
[...] il est évident que ce que nous vivons dépasse de beaucoup les enjeux et les effets au 16e siècle du passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée. Le passage de l’imprimé au numérique est probablement un épiphénomène d’un phénomène beaucoup plus global et plus proche dans ses enjeux et ses conséquences du passage des civilisations de l’oral aux civilisations de l’écrit.
L’histoire de la lecture peut nous permettre de saisir la continuité dans ce qui nous apparaît comme une rupture. Depuis l’acquisition de la bipédie nous sommes passés, au cours de millénaires et en renonçant au nomadisme pour la sédentarisation, d’une lecture immersive de la bibliographie naturelle, à une lecture intensive (peu de livres souvent relus par peu de lecteurs), à une lecture extensive (de plus en plus de livres lus une seule fois par des lecteurs plus nombreux), à aujourd’hui une lecture hyper-extensive (fragmentaire, connectée et sociale), produit de nouvelles pratiques de lectures initiées sur le web.
Mais à la sédentarité répond la sédimentation et nous ressentons bien intuitivement son incompatibilité avec le futur qui se dessine. Les internautes deviennent des mobinautes consultant des livres-applications sur des tablettes tactiles. Demain ils seront équipés de lunettes vidéo. Nous pouvons avoir ainsi l’impression, en revenant à une lecture immersive en mobilité, de suivre une spirale et de repasser, à un niveau technologique plus évolué, par une étape antérieure.
Sédentarisation et bibliothéconomie sont liées. [...]
Boite de Pandore pour certains, le web est aussi un Tonneau des Danaïdes, c’est un Protée, doté du pouvoir de se métamorphoser.
Que craignons-nous ? Ce que déjà Socrate craignait et que rapporte Platon dans Phèdre, que cette révolution ne produise : « dans les âmes […] que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode…. ». Car oui, c’est l’écriture que rejetait ainsi Socrate, et nous nourrissons les mêmes craintes. Nous éprouvons à voir des jeunes qui écrivent avec leur seul pouce sur une minuscule surface tactile, la surprise de Saint Augustin la première fois qu’il vit Ambroise de Milan lire en silence vers 380.
Aujourd’hui le web c’est beaucoup d’écrit, mais avec l’impulsivité de la langue parlée. [...]
  
Socrate avait tort
Nous sommes forcés, face à la pression et à l’effondrement de nos repères, de redéfinir nos valeurs et de nous poser certaines questions essentielles. Par exemple : le patrimoine numérique peut-il être considéré sur le modèle des biens tangibles, s’inscrire dans la pérennité, la propriété et l’héritage ? 
La Charte sur la conservation du patrimoine numérique, adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 17 octobre 2003 stipule dans un article intitulé Pérennité de l'information numérique, que : « La pérennité du patrimoine numérique est fondamentale. [Et que] Pour le conserver, il faudra prendre des mesures pendant toute la durée de vie de l'information, du moment où elle est créée à celui où l'on y a accès. La conservation à long terme du patrimoine numérique commence avec la conception de procédures et de systèmes fiables qui produisent des objets numériques authentiques et stables. ».
Nous devons je pense nous interroger sur ce qui s’exprime là, à la fois d’anthropocentrisme, de quête de l’immortalité et d’angoisse de la mort. Nous craignons pour la solidité et la transmission d’un savoir humain que nous ne pouvons plus tenir entre nos mains ni embrasser d’un regard, alors que les mythes fondateurs de nos civilisations ont eux traversé le temps.
Notre attention doit se porter non pas sur la conservation mais sur la transmission. La parade à l’oubli et à la perte de données n’est pas dans le stockage, mais dans l’accès libre et le partage.
Il nous faut faire aujourd’hui le pari que les générations futures, natives du numérique, auront une approche différente de la nôtre. L’entassement, l’accumulation, sont des réponses archétypales liées à la sédentarisation de notre espèce. La forme même du codex, des pages empilées les unes sur les autres, en témoigne. Avec le numérique les ressources essaiment naturellement si nous ne cherchons pas à les monétiser.
Vouloir à tous prix archiver les données numériques comme nous archivions les données manuscrites et imprimées est insensé. Avec la porosité entre territoires physiques et territoires numériques, le développement de l’internet des objets, de la réalité augmentée, l’innovation dans la visualisation des contenus et le design d’information, se pose la question de la pertinence d’une mémoire collective institutionnelle, entre guillemets “officielle” et forcément fictive, validée par quelques personnes autorisées en fait à effectuer un tri sélectif.
 
Nous sommes tous des bibliothèques
 
Les supports d’archivage semblent aujourd’hui moins fiables et certains professionnels ressentent paradoxalement le besoin d’assurer en priorité la conservation des documents numériques les plus récents en priorité sur ceux imprimés ou manuscrits qui apparaissent finalement moins éphémères. [...] L’obsolescence des appareils et logiciels de lecture est en fait en grande partie programmée par les industriels. [...]
L'ingénierie du vivant et la bibliothéconomie se rapprochent l’une de l’autre. « En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. » disait Amadou Hampâté Bâ. La lecture, nous l’avons semble-t-il oublié, est l'activité première du vivant qui a besoin de lire, de déchiffrer et de documenter son environnement. Nous devons avoir davantage confiance en l’Homme et moins nous fier aux machines.
Il nous faut renoncer à vouloir tout archiver et rien oublier. Il nous faut passer à un nouveau paradigme, ne pas laisser le passé paralyser le présent et envahir l’avenir. »

dimanche 6 octobre 2013

De plus en plus l'opinion porte un regard prospectif sur le livre

Sincèrement je ne savais pas à quoi m'attendre en me rendant vendredi dernier à l'Hôtel Salomon de Rothschild pour assister, dans le cadre des 2èmes Journées européennes des lettres et manuscrits (co-organisées par la société Aristophil - lettres et manuscrits, la Fondation pour le patrimoine écrit et le Musées des lettres et manuscrits) à une table ronde sur le thème : "Peut-on se passer de l'écrit ?".
Modérée par la journaliste Natacha Polony, cette rencontre réunissait le pédiatre et essayiste Aldo Naouri ; Jean-François Colosimo, théologien essayiste et ancien président du CNL ; Malek Chebel, anthropologue des religions et philosophe ; et Olivier Weber, écrivain-voyageur, ambassadeur itinérant auprès des Nations unies.
Lancée sur le sujet de la suppression de l'apprentissage de l'écriture cursive dans la majorité des écoles américaines la discussion a heureusement vite pris de l'envergure. 
 
Briser le cercle de l'écrit
 
Ravi par les échanges d'idées qui en suivirent je ne prétends aucunement ici restituer un compte-rendu fidèle de cette table ronde. Juste en renvoyer les quelques échos qui restent encore présents en ma mémoire après quelques jours passés...
Jean-François Colosimo interroge, nous invite à nous questionner sur "à quelles expériences de lecture renvoie la mutation de l'écrit". Relier dans ses réflexions l'écrit et l'histoire lui apparaît important. Un point de vue que je partage. Tout comme la vigilance sur ce qui pourrait participer, par ces mutations de l'écriture et de la lecture, d'une construction ou d'une déconstruction du sujet social.
Quand tout (texte) semble disponible désirons-nous encore lire ? (De plus en plus je me surprends à me poser pour moi-même cette question à laquelle je n'aurais jamais pensé il y a quelques mois seulement...)
Malek Chebel nous a lui rappelé que le premier mot du Coran était : "Lis !". Pour lui nous irions vers un nouveau modèle de transmission, une nouvelle forme de relation fondée sur un vocabulaire de l'érotisme, dans le sens où ce qui s'exprimerait de plus en plus dans l'espèce humaine serait l'expression du désir profond  de vivre avec ses semblables. Peut-être est-ce là ce que nous percevrions parfois, au-delà des technologies de l'information et de la communication, comme : une renaissance de la conversation (?).
Provocateur pour faire réfléchir, l'orateur va jusqu'à se demander si l'écriture, finalement, ne pourrait pas être devenue un frein au développement de l'intelligence  humaine.
Je ne connais pas suffisamment Aldo Naouri pour savoir à quel degré interpréter ses provocations. Etait-il sérieux lorsqu'il prédisait avec force que l'on implanterait dans le cerveau de nos descendants les contenus livresques et autres sans qu'ils n'aient plus besoin de les lire ?
 
Changement d'ère
 
De tout cela et d'autres propos que je ne rapporte guère ici, il résulte bel et bien que la conviction est partagée par tous que nous changeons d'ère, et que l'écrit (et donc la lecture) est le principal vecteur de ce changement.
Ces impressions ressenties à l'Hôtel Salomon de Rothschild renforcent mon intuition que depuis quelques mois de profonds changements sont à l'oeuvre dans les différents lectorats.
Impossible de le nier et impossible d'ores et déjà de revenir en arrière.
Aldo Naouri le résume ainsi : "Est-ce que l'on peut reprendre l'hypothèse que la terre est plate ?".
J'ai été, je le reconnais, un peu surpris de cette prise de conscience générale, qui s'étendait jusqu'au public nombreux, et de l'expression à propos de l'écrit : "d'exercice de prospective", qui est spontanément revenue me semble-t-il plusieurs fois. Il faut dire que le public avait, en quelque sorte, été précédemment préparé par un entretien avec Michel Serres, suivi d'une lecture d'extraits de ses textes par Jacques Weber.
 
C'est ainsi que ces étoiles d'un vendredi soir rejoignent ma constellation. Les codes informatiques restent de l'écrit (les écritures sont d'ailleurs des codes). Mais si nous passons du cercle de l'écrit à une sphère, peut-être proche de celle pressentie par Pierre Teilhard de Chardin dans Le phénomène humain, il nous faut rester fidèle à notre odyssée. Si nous nous désintéressons de notre passé nous risquons de perdre le fil. C'est la même histoire, celle de notre espèce fabulatrice (Nancy Huston) qui s'écrit sous nos yeux de lecteurs, de lectrices. 
Nous tournons une page (peut-être celle du livre, peut-être même celle de l'écriture ?), mais un nouveau chapitre s'ouvre...
   

lundi 30 septembre 2013

Edition numérique, une tendance qui s'affirme

L'actualisation de la liste d'éditeurs numériques francophones fait aujourd'hui mention de presque 150 acteurs concernés.
La liste complète est consultable en suivant ce lien...
Je remarque aussi une cristallisation de la notion et des pratiques de design éditorial, dans certaines maisons, les enseignements de l'ESTEN, les récentes initiatives de Jiminy Panoz... 
A suivre...

dimanche 29 septembre 2013

Pistes de réflexions et perspectives fuyantes pour la prospective du livre – opus 2

Récemment j’ai eu l’occasion dans le cadre de mon activité de veille d’assister à plusieurs manifestations qui ont pu nourrir ma réflexion.
Les principales étaient :
 La journée d’étude : Le rôle stratégique des bibliothèques dans l’appropriation du numérique par les citoyens en France et en Europe, qui s’est déroulée le 10 septembre 2013 à la Bibliothèque Publique d’Information (BPI, Centre Georges Pompidou, Paris), organisée par le pôle Culture du CNFPT Institut national spécialisé d’études territoriales (INSET de Nancy) et la BPI.
— Une partie des rencontres du Colloque international et festival dédié à la littérature numérique à la BnF, Chercher le texte, organisé par le Laboratoire d’excellence Arts-H2H et l’Electronic Literature Organization, à Paris du 23 au 28 septembre 2013.
— La présentation de l’ouvrage collectif : La grande aventure du livre, une coédition Bnf éditions Hatier, sous la direction d’Anne Zali, à la BnF le 25 septembre.
— La Journée Neurosciences, Esthétique et Complexité du 28 septembre 2013, organisée par le groupement de recherche (GDR) Esthétique Arts et Sciences (ESARS) du CNRS et de l’Université Paris Descartes.
— Manifestations auxquelles nous pourrions ajouter ma participation à distance le 25 septembre aux Conversaciones liquidas entre editores y bibliotecas organisées par la Fundación Germán Sánchez Ruipérez à Salamanca (Espagne), avec mon texte de réflexion : "Inventer ensemble les nouvelles médiations du livre" (Inventar juntos las nuevas mediaciones del libro). 
 
La voie du rêve…

Tout cela pourrait une nouvelle fois se résumer en une seule phrase : il nous faut déglacer notre rapport à la lecture, sans surévaluer pour autant le numérique.
Et se décliner ainsi, sous la forme d’une liste de pistes, avec interrogations multiples aux nombreux carrefours :

— J’observe de plus en plus des glissements de sens significatifs de plusieurs mots (livre, lecteur, par exemple…), mais celui de bibliothèque semble demeurer stable (le terme de médiathèque n’ayant jamais réellement pris dans les usages, fait intéressant à noter…).
— Les bibliothèques pourraient-elles accéder au plan d’hyper-lieux (c’est-à-dire des non-lieux, de véritables utopies) de la lecture publique et émancipatrice ?
— La forme de narration dominante du 21e siècle émergera peut-être de la convergence jeux vidéo – transmédia – réalité augmentée et internet des objets (des formes élaborées de fictions interactives, ou jeux d’aventures textuelles…), tandis qu’une nouvelle forme de littérature (hyperfictions ?) pourrait émerger d’une hybridation avec les arts numériques et le filon d’une littérature numérique dont les premières œuvres peuvent en fait être datées des années 1950.
— Il y a nécessité à explorer la totalité de la matière textuelle et à sublimer le potentiel narratif des hyperliens au-delà des imperfections des nouveaux dispositifs (transitoires) de lecture.
 Conjointement à ces influences des arts et du numérique sur le livre, nous percevons une plus grande intégration du livre dans l’histoire (et son enseignement), et dans l’histoire des arts visuels sur une échelle, un temps que je qualifierais d’anthropologique.
— C’est le lecteur qui reçoit, constitue et crée le livre comme Livre (c’est-à-dire ce qu’il lit). Il passe au travers et cela passe au travers de lui.
— A l’espace bidimensionnel circonscrit de la page répond celui, multidimensionnel et ouvert, de la lecture (forme de géométrie projective ?). Nous percevons bien dans la littérature numérique l’ambition de rivaliser avec le texte et de sortir le lecteur de l’espace tridimensionnel qu’il perçoit ordinairement.
L’expérience performative de la lecture est ici questionnée (mais insuffisamment).
Nous sommes biologiquement programmés pour ne percevoir et concevoir (imaginer ?) qu’un éventail (très ?) limité des possibles.
Les neurosciences de l’esthétique ne sont pas encore suffisamment appliquées à l’affectivité, ni à la lecture.
— Pourrait-on envisager l’expérience de lecture à la lumière d’une éclipse de la conscience, laquelle éclipse rendrait possible une dissociation de l’immersion dans la scène théâtrale du roman (narrativité), d’avec le ressenti sensoriel du milieu naturel de lecture (de ses conditions et de son support) ?
— Considérer le livre-codex comme un vestibule replié sur soi (?). Et la lecture comme un système vestibulaire (?).
 
En cette période “d’e-incunabilité”, la métamorphose du livre et de la lecture pourrait s’ouvrir sur des champs (chants ?) libérateurs (fédérateurs ?) du langage de l’espèce. A suivre…

En complément dans le même registre vous pouvez lire : Pistes de réflexions et perspectives fuyantes pour la prospective du livre – opus 1
 

dimanche 22 septembre 2013

Albert Camus en penserait quoi ?

Cet automne 2013 va être marqué par une salve commerciale de reparutions, rééditions, parutions et éditions d'Albert Camus, et de livres sur son oeuvre.
Né le 07 novembre 1913 Albert Camus aurait eu en effet 100 ans ce 07 novembre 2013.
Mort dans un accident de voiture le 04 janvier 1960, il a donc disparu depuis plus de 53 ans.
En France, les reparutions de ses oeuvres vont être payantes (illustration 1). Mais dans de nombreux pays, dont le Canada, elles sont depuis plus de trois ans gratuites en toute légalité (illustration 2, issue du site francophone http://www.ebooksgratuits.com/).
Qu'en aurait pensé Albert Camus ?
 
illustration 1

illustration 2
Il aurait certainement été pour une harmonisation internationale du droit d'auteur, une extension et une sanctuarisation du domaine public, la liberté de choix pour les auteurs de libérer leurs oeuvres, notamment après leur mort, le développement des vertus liées aux biens communs, au partage et à la libre diffusion du patrimoine culturel de l'humanité... 
Le respect du droit d'auteur, certes, mais aussi le respect des droits des lecteurs...  
Dans le système français actuel l'accès aux livres n'est pas régulé depuis Saint-Germain-des-Prés au bénéfice des auteurs et des lecteurs, mais pour l'accroissement des profits des héritiers de l'édition.
Cela me fait penser que s'il n'y avait qu'un seul livre à lire pour lui rendre aujourd'hui hommage ce serait alors, à mon goût, la biographie libertaire que lui a consacrée Michel Onfray en 2012 :
 

 


samedi 21 septembre 2013

Une rentrée littéraire sur les livres

Dans cette sempiternelle rentrée littéraire trois titres sur les livres méritent je pense de retenir notre attention.
 
  
De Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques, d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles (en librairie le 25 septembre, Armand Colin, Coll. U) :
« Aujourd’hui, où nous sommes plongés dans la «troisième révolution du livre», la révolution des nouveaux médias, la question des bibliothèques se pose dans des conditions largement nouvelles. Pourtant, les bibliothèques et les collections de livres n’intéressent pas seulement le présent, et leur histoire est intrinsèquement liée à l’histoire même de la pensée et de la civilisation occidentales.
De l’Antiquité classique, avec le modèle toujours pris en référence du Musée d’Alexandrie, aux bibliothèques des grands monastères carolingiens, puis à la bibliothèque des rois de France, à celle de Mathias Corvin, à la Bibliothèque vaticane et aux monumentales collections italiennes, allemandes, etc., cette histoire met en jeu des perspectives d’ordre intellectuel et scientifique, mais aussi d’ordre politique et social : la bibliothèque est signe de distinction pour un prince qui sera autant le prince des muses que le prince des armes. L’histoire des bibliothèques, profondément renouvelée par la Réforme, prendra une signification encore élargie à partir du XVIIIe et au XIXe siècle avec la « deuxième révolution du livre » : le livre, c’est le savoir et la civilisation, de sorte que l’accès au livre et à l’écrit devient un enjeu politique important.
En définitive, l’histoire des bibliothèques ne désigne donc pas seulement un domaine très particulier de l’histoire générale, mais est directement articulée avec l’histoire de la pensée, des idées, de la politique, de l’information, voire de l’architecture et de l’urbanisme. En adoptant un cadre chronologique large et en insistant systématiquement sur la perspective comparatiste, l’auteur envisage cette thématique très importante (mais paradoxalement négligée) en fonction des transformations du système général des médias au cours des siècles. La question des bibliothèques, comme plus largement celle de l’information, s’impose l’une des interrogations de civilisation essentielles posées en notre début de IIIe millénaire. » (Quatrième de couverture).
     
La grande aventure du livre, de la tablette d'argile à la tablette numérique, BnF et Hatier éd., collectif sous la direction d'Anne Zali, que j’avais eu le plaisir d’écouter attentivement lors d’une passionnante conférence sur “Les très riches heures du codex” le 13 juin dernier à la Bibliothèque de l’Arsenal.
  
« Ce manuel abondamment illustré, qui donne à voir certains des plus beaux trésors conservés à la Bibliothèque nationale de France, retrace les temps forts de l’histoire du livre. Les enseignants de collège et de lycée y trouveront des repères pédagogiques, des documents commentés et des focus qui leur permettront de faire découvrir aux élèves les nombreux acteurs – imprimeur, libraire, éditeur, relieur, typographe, graphiste, etc. – qui ont contribué à faire du livre un art à part entière.
Une structure en 3 parties : le livre comme objet ; le texte ; le livre et ses usages : lectures, postures, rituels. De multiples entrées pour les enseignants de lettres et d’histoire-géographie au collège et au lycée. Des reproductions commentées et des focus pour étudier des documents patrimoniaux de l’écrit en lien avec les programmes : en français, les grands auteurs (Balzac, Hugo, Rousseau, Mallarmé…), en histoire, les grandes périodes (la naissance de l’écriture, la découverte de l’imprimerie, les Lumières…). Et notamment, plus particulièrement en lycée : un ouvrage de référence pour les deux premiers thèmes proposés dans l’enseignement « Littérature et société » ; un ouvrage précieux pour les élèves dans le cadre de leurs activités de recherche de documentation (TPE, exposés…). »
(Présentation sur le site des éditions de la Bibliothèque nationale de France).
Présentation sur le site des éditions Hatier...
   
 Et enfin, une dystopie sous la plume de Cécile Coulon : Le rire du grand blessé, aux éditions Viviane Hamy.
  
« Dans un pays sans nom dirigé par Le Grand, les « Manifestations À Haut Risque » – lectures publiques hebdomadaires et payantes ayant lieu dans les stades – sont la garantie de l’ordre social. En retirant son caractère privé à la lecture, les élus ont transformé un certain type de livres en outil de parfaite manipulation.
Dans l’arène, des Liseurs « surjouent » des histoires préécrites – et destinées à rester inédites – devant un public captif, haletant, qui absorbe ce qu’il croit ne jamais pouvoir posséder.
Et le spectacle commence dans les rangées des consommateurs : dûment encadrées par les Gardes, les passions et les émotions, la rage et le désespoir, l’hystérie collective ont droit de cité pendant une heure, le temps, pour chaque citoyen, d’atteindre un semblant d’assouvissement. Jusqu’à la prochaine Manifestation.
1075, né dans les campagnes abandonnées en périphérie de la ville, est, lui, parfaitement analphabète. Pour exister, la Société ne lui propose qu’une issue : intégrer l’élite des Gardes au service du système. Formés dans des conditions extrêmes, ces jeunes gens ont pour unique et simple règle de ne jamais apprendre à lire.
1075 devient le meilleur des Agents.
Sa vie bascule, pourtant, le jour où, mordu par un molosse, il découvre qu’un animal féroce est bien plus efficace et rentable qu’un Garde. À l’hôpital, où il s’ennuie, il s’en veut de ne pas avoir été à la hauteur de sa tâche, à la hauteur de ce que l’on attendait de lui. Jusqu’à ce qu’un hasard facétieux lui permette d’assister à la curieuse leçon d’alphabet qu’une jeune femme donne à l’étage où sont parqués les enfants.
Le désir comme le besoin de comprendre sont des pièges délectables...
On se repaît de cette fable grinçante, jubilatoire et déstabilisante, qui tape à bras raccourcis sur une société qui muselle la conscience par le divertissement et désigne l’imagination comme l’ennemi public n°1.
Le Rire du grand blessé est un hommage vibrant rendu à la pensée et à l’imaginaire qui ouvrent à la littérature, quelles que soient les dénominations dans lesquelles on l’enferme : française, étrangère, classique, moderne, contemporaine, d’anticipation… »
(Présentation sur le site de l’éditeur).
  
Bonnes lectures !