Le 13 février 2016 j'ai eu le plaisir de présenter le texte ci-dessous dans le cadre de la reprise du séminaire Cultures Numériques, organisé par la Revue Implications Philosophiques à la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne.
Ai-je réussi à faire passer le message que je cherchais à transmettre, à savoir ce point précis, que ce serait je pense au niveau de la lecture que se jouent, depuis les origines jusqu'à nos interrogations contemporaines sur l'avenir, les mues successives de notre espèce ? N'hésitez pas à donner votre avis en commentaires...
"Ce texte n'est qu'une réflexion préparatoire qui vise à mettre en perspective l'histoire passée, les changements présents et les possibles évolutions à venir des dispositifs de lecture, avec comme postulat que ce que nous désignerions comme des mutations seraient en fait une succession de mues en interdépendance avec nos représentations du monde.
En si peu de temps un tel champ ne peut qu'être survolé et je vais surtout m'attacher à en pointer les principales lignes de tension, qui chacune pourraient faire l'objet d'une recherche approfondie.
Pour déterminer donc s'il y aurait de « grandes mutations de paradigmes » que nous pourrions repérer dans l'histoire des dispositifs d'écriture-lecture, et quelles seraient leurs influences sur nos représentations du monde, je vais progresser en sept parties très brèves, assénant quelques points que je pense essentiels, et mettant dans une perspective anthropologique et transhistorique les principales questions que nous devrions nous poser si nous voulions entreprendre sérieusement des recherches transdisciplinaires sur la lecture.
– 1 – Au commencement était la lecture
Tout organisme vivant est nécessairement une machine à lire, c'est-à-dire en soi un dispositif de lecture, un lecteur. La plus petite unité de vie, la cellule, doit décoder et documenter son environnement si elle veut remplir sa mission au monde (être). Or, décoder et documenter c'est lire.
Cela peut se résumer en deux points : -1- La vie capte l'attention (économie de l'attention : la lecture en est le premier vecteur) -2- Vivre c'est lire.
Pour l'humain, comme pour toutes les autres formes de vie, la première expression de la lecture fut probablement une lecture spontanée de la bibliographie naturelle du monde. De cette époque est ancrée en nous la double métaphore du monde comme livre et du livre comme monde. Faire signifier le monde extérieur c'est déjà initier la pratique fabulatrice d'où pourra quelques milliers d'années plus tard émerger un jour le livre sous toutes ses formes.
– 2 – L'émergence du langage articulé chez les hominidés
Nous ne disposons d'aucune archive pouvant documenter l'apparition et les premiers développements du langage au sein de notre espèce et seul peut-être notre anthropocentrisme naturel nous incite à toujours le distinguer des autres formes de communications végétales et animales. Le développement du langage articulé dans l'espèce humaine serait probablement lié à la faculté de vouloir, dans un premier temps, puis à force, de pouvoir un jour, évoquer des faits qui ne sont pas ou qui ne sont plus directement observables par ses interlocuteurs (accession au signal découplé par Homo erectus il y a environ 1,5 million d'années). De là, la description de scènes éloignées, la mise en récits d'événements passés, puis un jour l'irruption de la fiction, peut-être par le biais du mensonge.