lundi 30 décembre 2013

Les articles les plus lus en 2013

Les "posts" les plus lus en 2013 sur le blog de la prospective du livre :
 
L'article qui, selon moi, aurait mérité davantage de lectures :
  
Le temps fort :
Ma tribune libre du mois d'octobre sur le site d'IDBOOX : Pourquoi les liseuses m'ont déçu !
  
Merci à toutes et tous pour vos lectures, vos commentaires et vos critiques :-)
 

lundi 2 décembre 2013

La médiation numérique en question sur le Hub Prospectiviste

A lire sur le Hub Prospectiviste : "Un tremplin pour la médiation numérique"...
" Le succès des réseaux sociaux et des smartphones prouve clairement le besoin d’échanges qui nous anime tous, même par le truchement d’un écran. Malgré leurs défauts évidents, la publicité, le profilage, l’addiction qu’ils entrainent, les réseaux sociaux nous attirent et nous retiennent. Pourquoi ? Parce que nous sommes d’une espèce grégaire.
C’est pour cette raison que dès son origine le web, si nous le considérons comme un outil de communication, n’a jamais été pleinement adapté aux besoins de notre espèce, et qu’il a engendré autant de contentements que de frustrations. C’est pourquoi il a assez rapidement évolué vers ce que nous avons appelé alors : le web 2.0, et c’est pourquoi ce qualificatif de 2.0 a fait florès et a été abondamment repris dans les stratégies marketing.
Vers le co-browsing
Le co-browsing, c’est-à-dire la navigation conjointe de plusieurs internautes sur une même page Web, a toujours été un challenge inabouti. Tchat-textes et vidéos ne parviennent pas à restituer les conditions émotionnelles d’un échange présentiel. Cela serait pourtant un véritable accélérateur, notamment pour les activités de formation en ligne et le shopping social ou collaboratif.
Pour stigmatiser cette insuffisance du web je prendrais pour exemple deux milieux que je connais bien : celui des bibliothèques et celui des librairies.
Je vous invite à réaliser une expérience simple. Allez dans une librairie, puis dans une bibliothèque, qui ont des sites web. Ensuite, une fois de retour chez vous, connectez-vous à leurs sites web. CQFD ! Le web appauvrit l’expérience, limite les possibilités d’exploration et de découvertes, et, surtout, rend quasiment impossibles les échanges entre personnes.
Il y a la 3D et la 3D… immersive
[...] La 3D, parce qu’elle correspond à notre modalité naturelle de perception du monde, se développe, du cinéma jusqu’aux imprimantes.
[...] L’absence de contacts humains diminue pourtant l’attrait de l’ensemble des ressources accessibles sur le web. A la motivation sur-sollicitée des internautes, qu’aucune interaction synchrone ne vient valoriser, s’ajoute une absence totale de médiation. Rien d’étonnant donc à ce que le temps que nous passons sur un site web se réduise de plus en plus. Déçus, frustrés, nous cliquons, nous zappons, toujours en quête de véritables interactions.
[....] "

samedi 30 novembre 2013

Deux nouveaux acteurs : le GLN et le Collectif Kenji

Je profite de l'occasion de la mise à jour de la liste des éditeurs "pure-players" francophones (155 acteurs en ce 30 novembre 2013) gratuitement accessible en suivant ce lien..., pour signaler et saluer la récente création de deux nouveaux regroupements professionnels : 
- Le GLN, Groupement pour le développement de la Lecture Numérique, qui "a pour objectif de fédérer l'ensemble des acteurs qui travaillent à la promotion et au développement de la lecture numérique", et,
- Le Collectif Kenji, collectif des éditeurs numériques jeunesse indépendants, qui se donne pour missions le développement et la promotion d'une édition numérique jeunesse de qualité, en partenariat avec les bibliothèques, les écoles et les institutions concernées...
Deux intéressantes initiatives à suivre...

dimanche 24 novembre 2013

Le projet Bibliosphère membre du Collectif i3Dim

Mon projet Bibliosphère est maintenant partenaire du Collectif l'i3Dim, l'incubateur 3D immersive d'expérimentation d'un modèle de fonctionnement pour l'utilisation mutualisée du logiciel libre OpenSimulator, à des fins d'applications innovantes dans les domaines de la culture, de la création, de l'éducation et de la formation.

Découvrez le blog et l'univers 3D du collectif...
Pour rappel, le projet Bibliosphère a pour ambition de recréer de la médiation humaine au coeur des bibliothèques numériques. Je suis à la disposition de toutes structures pour des informations, des conférences ou des formations sur la 3D immersive et ce qu'elle peut apporter au monde du livre.
 
Conférence en duplex,
Web 3D <=> Cantine numérique - Bibliothèque Les Champs Libres,
Rennes - 16 janvier 2013
 


dimanche 17 novembre 2013

La lecture numérique n'existe pas !

L'espèce de synecdoque "lecture numérique", par son inexactitude grossière, nous empêche de prendre la véritable mesure de ce qui est à l'oeuvre dans le paratexte de notre histoire d'animal-lecteur. Parlons-nous de "lecture imprimée" ? Non.
A proprement parler, à proprement penser, la lecture numérique n'existe pas réellement. Il y a seulement des lectures possibles sur des appareils informatiques. Des limites et des spécificités de ce type de lectures le Living Lab LUTIN (Laboratoire des Usages en Technologies d'Information Numérique, dirigé par Charles Tijus et Thierry Baccino) s'occupe.
  
Du paradoxal non-lieu du langage
  
Il n'y a pas non plus véritablement , pour moi, de lecture sur écran. Les mots ne sont pas sur les écrans. Ils ne sont pas imprimés dessus.
Sont-ils derrière l'écran ? Non plus. Ils sont dans un non-lieu hautement paradoxal : à la fois une utopie, un véritable "sans lieu", et, une décision de "laisser filer", de ne pas continuer les poursuites, ce qui "saute aux yeux" comme contradictoire avec la pratique hypertextuelle, mais désignerait ainsi peut-être son caractère illusoire et proprement labyrinthique.
Si l'on démonte une "machine à lire" il n'y a pas de mots à l'intérieur. Où sont les mots ?
Un microscope électronique pourrait-il nous renvoyer les images de traces des lettres inscrites sur quelques disques ? Probablement pas. Peut-être seulement un rayonnement, comme si nous atteignions là d'autres confins inconnaissables par l'homme. 
Ce que j'écris là n'est pas un plaidoyer pour l'imprimé. Au contraire. L'écriture et l'imprimerie ne sont-il pas des formes de taxidermie du langage (nous pourrions relire sous cet angle de vue le roman de Michel Jullien, Esquisse d'un pendu, sur le travail du copiste Raoulet d'Orléans).
Et puis tout ce que nous appelions "livre" jusqu'à ce jour était-ce toujours vraiment des livres, n'y avait-il pas des films écrits, des souvenirs figés ou des bases de données imprimées ? Des masses gelées par l'encre ? comme les paroles gelées dans le Quart-Livre de Rabelais, ou "Comment en haulte mer Pantagruel ouyt diverses parolles degelées", allégorie, peut-être, de l'expansion de l'imprimerie à l'époque de Rabelais précisément.
  
Relire sous La pluie d'été...
 
Ce que je dis moi, je ne dis rien, je délivre simplement ma lecture. Les dispositifs de lecture du 21e siècle seront, peut-être, des feuilles de graphène. Alors qualifier la lecture par ses dispositifs est vraiment regrettable.
Comment lisions-nous, lisons-nous, lirons-nous ? Je parle, moi, de la lecture naturelle et de la lecture littéraire.
Comment, par exemple, Ernesto, qui "était censé ne pas savoir encore lire à ce moment-là de sa vie", précise Marguerite Duras (La pluie d'été, 1990, P.O.L. Editeur), lisait-il ?
"Au début il disait qu'il avait essayé de la façon suivante : il avait donné à tel dessin de mot, tout à fait arbitrairement, un premier sens. Puis au deuxième mot qui avait suivi, il avait donné un autre sens, mais en raison du premier sens supposé au premier mot, et cela jusqu'à ce que la phrase tout entière veuille dire quelque chose de sensé. Ainsi avait-il compris que la lecture c'était une espèce de déroulement continu dans son propre corps d'une histoire par soi inventée." ; et ainsi Marguerite Duras peut-elle éclairer la voie de la prospective du livre et de la lecture, et ses méthodes parfois excentrées et excentriques par rapport aux autres champs de la prospective. Merci.
 

lundi 11 novembre 2013

Le séminaire cultures savoirs et techniques numériques

J'ai le plaisir de participer au Séminaire cultures savoirs et techniques numériques, co-organisé par Florian Forestier et Thibaud Zuppinger avec la revue Implications Philosophiques, et qui se déroule à raison d'une séance mensuelle dans le cadre de l'université Paris 8, d'octobre 2013 à mai 2014.
En filigrane sont abordées, tout au long du séminaire - et plus particulièrement au cours de sa deuxième séance de ce samedi 16 novembre, les problématiques du "livre numérique" ("Le livre numérique, entre contraintes économiques et poids des représentations. Symbole occidental du savoir, le livre est bien plus qu’un objet fonctionnel. Chargé d’un poids de représentations, le livre est un témoin particulièrement significatif des bouleversements opérés dans les mentalités par le numérique. En cherchant à cerner les points de frictions et les lieux de cristallisations du débat, nous nous efforcerons de comprendre les attachements, les représentations et les métaphores qui accompagnent les évolutions économiques et techniques du livre. Les mutations engendrées par les nouvelles technologies ont profondément touché les modèles de création, de diffusion et de vente du savoir, dont le circuit du livre était le principal représentant. Si le secteur économique du livre est en crise, proclamer sa mort est plus que prématuré. Au cours de cette séance il s'agira d'enquêter sur les ressources et les potentialités qu'offrent le livre numérique. Pris entre la problématique de son poids symbolique dans la société et les contraintes économiques de sa fabrication et de sa diffusion, face à des alternatives faisant le pari du gratuit, de gré ou de force (piratage) le livre numérique représente une réponse adaptative à un paysage particulièrement complexe.").
Vous pouvez suivre l'actualité de ce séminaire ou contacter ses organisateurs sur le portail d'Hypothèses.org.
 

samedi 9 novembre 2013

Nous passons à une ère nouvelle

Au commencement l’espèce humaine immergée dans un univers indéfini où rien n’avait de nom se comporta spontanément comme toutes formes de vie. Instinctivement, pour déchiffrer son environnement, elle adopta un point de vue concentrique : anthropocentrique, ethnocentrique, égocentrique.
Les êtres humains perçoivent naturellement le monde qui les entoure comme s’ils en étaient chacun le centre, mais aussi à leur échelle réduite et en fonction de leur équipement neurosensoriel les limitant à la perception d’une bande spectrale réduite. Les avancées récentes des neurosciences, notamment les neurosciences de l’esthétique, ou bien s’intéressant à la lecture (je pense aux travaux de Stanislas Dehaene) ouvrent aujourd’hui de nouvelles pistes à explorer. Mais prenons garde cependant que certaines sciences ne s’érigent en religions nouvelles.
Plus largement, affirmons, face aux idolâtres des technologies numériques, que dans le transhumanisme la transgression doit rester au service de l’humain. A l’origine du livre il y a le lecteur. (Or apparaissent maintenant des dispositifs de lecture qui peuvent lire les lecteurs, établir leur profil, “tracer” (sic) et baliser leurs parcours de lectures, anticiper leurs attentes et conditionner leurs choix de textes.)
 
Le souffle d’un changement d’ère
 
Si la lecture est, je l’ai déjà dit souvent, l’activité première de tout organisme vivant qui doit décoder et documenter son milieu naturel pour y survivre, le livre est une invention humaine.
D’une part, puisant aux sources des mythes de la création il acquiert ainsi une sacralité universelle. Tabernacles du code actif de la langue, les livres renferment la puissance structurante et agissante du Verbe, alors que le firmament fut probablement la première écriture que nos ancêtres cherchèrent à déchiffrer. (C’est le rapport entre cet infini du roman universel et ce fini des livres, qui en condensent des récits fragmentaires, qui est aujourd’hui en tension, et il nous faudrait donc réfléchir l’au-delà bien au-delà des enjeux conjoncturels d’un simple passage de l’édition imprimée à une édition dite, simplement, “numérique”.)
Sur toute la surface de la Terre les premiers lecteurs furent apparemment des devins, tant en Mésopotamie (au minimum durant l’époque paléo-babylonienne), qu’en Chine (je pense ici aux travaux et au récent ouvrage du sinologue Léon Vandermeersch, Les deux raisons de la pensée chinoise). Pour les trois monothéismes abrahamiques les Livres, que sont respectivement la Torah, la Bible, et le Coran, sont des mémoriaux de notre transhumance, et tant en Méso-Amérique de civilisation précolombienne, qu’en Afrique de l’Ouest les chemins qui menèrent de la bibliographie naturelle aux écritures humaines semblent parallèles : la Parole ensemence, l’écrit cultive.
Par leur étymologie la page est un vignoble rectangulaire, la lecture s’apparente à une cueillette et le texte à un tissu. L’écrit et ses supports s’imposent ainsi à l’origine comme les principaux vecteurs d’élévation spirituelle de l’espèce humaine.
D’autre part, les dispositifs de lecture, dans leurs dimensions matérielles, ont été cependant logiquement conçus à notre (petite) échelle. Les premiers “manuels” (sic) d’architecture adoptèrent le corps humain comme référence pour les unités de mesures architecturales. Le Parthénon aurait été l’un des premiers édifices à illustrer ce rapport. La Pierre de Salamine, gravée de pieds, de bras et de mains est une table de conversion des différentes mesures en usage à l’époque pour que les ouvriers de cités différentes puissent œuvrer en commun sur un même chantier. Et aujourd’hui encore c’est en pouces que nous mesurons la taille des écrans. Au 1er siècle av. EC l’architecte romain Vitruve théorisa ce rapport, immortalisé en 1492 par Léonard de Vinci avec son dessin de l’homme vitruvien : un corps humain idéalisé inscrit, comme une étoile, dans un cercle et un carré. Les alphabets anthropomorphes de certains abécédaires, tel celui de l’italien Paulini au 16e siècle, expriment cette même résonance entre corps humain, architecture et écriture, liens dont les sources de témoignages abondent au fil des siècles (Traité des proportions du corps humain d’Albrecht Dürer en 1525, L’Art et science de la proportion des lettres, de Geoffroy Tory en 1529…).
Les tablettes sumériennes d’argile rouge, à l’articulation symbolique des versants spirituel et matériel du livre, étaient ainsi façonnées pour tenir dans la paume d’une main humaine ouverte. (Rien là que de naturel.) Il faut desserrer les poings, il faut laisser tomber l’arme ou l’outil, pour lire. (Je pense ici à l’essai de Simone Weil, L’Iliade ou le poème de la force, où la philosophe s’appuie en 1939 sur le langage comme levier pour décrire et décrier l’usage de la force.)
Les dispositifs de lecture s’expriment ainsi entre projections et externalisations du corps des lecteurs. Les bulles-enveloppes d’argile (vers 3200 av. EC) étaient des externalisations de notre cavité buccale renfermant les mots avant qu’ils ne deviennent paroles, tout comme les premières pièces de monnaie en forme d’amandes étaient des projections de l’œil (je me réfère pour ces deux exemples aux travaux de Clarisse Herrenschmidt de l’Institut d’anthropologie sociale du Collège de France, et plus particulièrement à son essai : Les trois écritures - Langue, nombre, code). L’argile et le parchemin sont clairement des substituts de notre peau. Pour Michel Serres les ordinateurs pourraient être considérés comme des externalisations de notre cerveau, les circuits intégrés comme des externalisations de notre mémoire, et les algorithmes externaliseraient nos fonctions mentales...
 
Entre ce « d’une part » les livres tabernacles du code actif, et ce « d’autre part » les livres à échelle humaine, se joue ce qui se joue à l’heure actuelle en termes de mutations des dispositifs et des pratiques de lecture.
Aujourd’hui les tablettes de plastique, de verre et de composants électroniques rebattent les cartes, mais les esprits libres et sensibles peuvent toujours (j’espère), dans cette métamorphose du livre comme miroir, percevoir le rayonnement fossile venu des âges mythologiques comme un continuum de conscience qui traverse l’ordre du vivant. Nous pouvons y voir de nouvelles fenêtres (des “fait naître”) à ouvrir. Même si le présent en ce domaine ne se ramènerait qu’à un seul acte : celui de dé-corréler les textes et les images de leurs supports d’affichage. (Car cela arriverait pour la première fois ?)
Le livre-codex nous apparaît comme une machine simple (comme la roue, la poulie, le levier…) mais est-il encore adapté aux textes et aux images qu’il doit maintenant nous donner à réfléchir ?
(Quoi qu’il en soit les réflexions ci-dessus doivent je pense nous inviter à envisager la lecture littéraire comme une pratique émancipatrice de notre condition humaine, et nous inciter à nous considérer davantage comme des transmetteurs que comme des novateurs.)
 
Conservation, conversion, conversation
 
Face à cet événement majeur : la nouvelle métamorphose des dispositifs et des pratiques d’écriture et de lecture, laquelle — et cela est bien compréhensible, nous éblouit tous et aveugle les professionnels qui font commerce du livre (imprimé ou numérique), comment expliquer que l’on cherche à localiser ailleurs le changement d’ère que nous serions de plus en plus nombreux à pressentir ?
 
Le terme d’anthropocène est aujourd’hui de plus en plus souvent celui qui s’impose pour marquer une nouvelle ère, qui aurait débutée avec la révolution industrielle, et ferait ainsi bien convenablement écho à la doxa d’une influence prédominante, et forcément négative, de l'homme sur les équilibres de l’écosystème terrestre, en particulier climatique.
J’ai, pour ma part, ceci à dire : un courant de pensée, parmi d’autres certainement, traverse depuis quelques années déjà les fourmilières et certaines fourmis pensent mordicus que leurs congénères sont responsables des déplacements des plaques tectoniques et de la fréquence des tremblements de terre. Certes ! Ces fourmis là ne sont pas sérieuses, elles sont simplement trop “myrmécocentriques”. Mais nous pouvons les comprendre car, parmi les hommes, certains pensent comme elles. Certains d’entre nous — même en sachant que de grandes civilisations du passé, qui ne disposaient pas de nos technologies et dont l’empreinte écologique ne pouvait être qu’insignifiante, ont nonobstant été balayées par des catastrophes naturelles, certains, comme mes amies les fourmis, restent cependant persuadés que l’homme contemporain serait à l’origine des changements climatiques.
En se crispant sur la conservation de l’ancien monde, au lieu d’œuvrer à sa conversion, certains limitent dangereusement les possibilités de conversation de l’espèce humaine avec le rayonnement fossile que j’évoquais plus haut, ce qui aujourd’hui encore dans la simple lecture littéraire d’un grand roman… nous éclaire malgré tout.
 
Vivons-nous la fin de « l’âge des pages de variétés » ?
  
Je pense que l’ère à laquelle nous passerions ne peut pas être ainsi baptisée d’anthropocène, car, plus surement, il s’agirait, je crois, du bibliocène.
A la lecture du roman d’Hermann Hesse, romancier allemand Nobel de littérature 1946, Le jeu des perles de verre, dont l’action se déroule après “l’âge des pages de variétés” (dont la description est celle de notre 20e siècle), nous ressentons je pense la portée de ma précédente proposition d’une possible conversation, par le biais de la lecture littéraire de grands romans, avec le rayonnement fossile qui remonterait à nous depuis les origines de l’écriture.
 
Bien qu’il n’y ait à ma connaissance aucune preuve de l’appartenance d’Hermann Hesse à un quelconque mouvement maçonnique l’on pourrait percevoir dans ce Jeu des perles de verre des harmoniques avec l’Art royal. Pour ma part je pense qu’il s’agissait plutôt dans l’esprit de l’auteur de nous entretenir, par l’exemple, de l’Art du roman. Plusieurs indices m’incitent à cette interprétation. En particulier le fait que le premier Magister Ludi (Maître du Jeu), le personnage de Thomas de La Trave, ne serait autre que Thomas Mann, romancier allemand Nobel de littérature 1929. Cela pourrait en outre signifier, si nous considérons Le jeu des perles de verre comme un roman d’anticipation, que la constitution d’une telle fraternité idéalisée resterait à venir.
Le roman, dont le surgeon moderne est le Don Quichotte, roman de la négation du réel pour le philosophe Michel Onfray, mais je dirais pour ma part : roman des substitutions, le roman serait peut-être, et les nouveaux contextes et médiations numériques de la lecture littéraire nous en apporteront peut-être des preuves au cours des décennies à venir, l’Art des arts.
C’est ainsi que Pierre Ménard est pour moi tout autant que Cervantès l’auteur du Don Quichotte, en ce sens qu’il en a eu la ferme intention et que celle-ci le rend pour moi aussi réel que Cervantès (ou que Borges, car je fais évidemment référence ici à la nouvelle de Jorge Luis Borges : Pierre Ménard, auteur du Quichotte).
 
A la fois cathédrale et symphonie de lettres, architecture imaginaire dont les mots sont les pierres et la musique, le roman est une fabuleuse équation fractale qui se projette à tous les étages de la géométrie du vivant, sur tous les plans sensibles, impressionnables.
Comme le pensait Jorge Luis Borges, que je reconnais, humblement et respectueusement, comme précurseur de ma propre invention de la “prospective du livre et de la lecture” : « Personne ne peut savoir si le monde est fantastique ou réel, et non plus s'il existe une différence entre rêver et vivre. » (ou entre lire et vivre).
Bienvenue dans le bibliocène, scène universelle du Livre.
 

lundi 28 octobre 2013

Portraits en lecteur frustré par les "liseuses"





Auteur en 2007 de l'ouvrage Gutenberg 2.0, le futur du livre (M21 éd.) j'ai craqué et j'ai vidé mon sac à l'occasion d'une Tribune libre sur IDBOOX. Je dis pourquoi les "liseuses" me déçoivent, pourquoi, en tant que lecteur, je me sens fortement frustré par ces prétendues "machines à lire"...
 

dimanche 13 octobre 2013

Portrait du personnage de prospectiviste du livre en astrologue

L’engagement prospectif au cœur du contemporain unit la prospection, la recherche, l'exploration, au tracé de perspectives, de droites, c’est une démarche qui trace ses propres voies et doit pouvoir se retourner lorsqu’elle fait fausse route.
Les prospectivistes ont cependant des portulans et des compas. Ces outils de navigation ne doivent pas être utilisés par eux pour suivre les voies tracées, ni celles indiquées par les boussoles. Demain est terra incognita.
Pour s’orienter il leur faut repérer dans les cartes les signaux faibles, les tendances, les phénomènes, et surtout les distinguer les uns des autres.
Les signaux faibles sont des informations indécises mais significatives, fragmentaires ou éphémères, voire simplement déduites, supputées par le navigateur, car répétées ou bien convergentes avec d’autres, comme, par exemple, le glissement de sens d'un mot. Quand un mot glisse cela est rarement sans incidence.
Les signaux faibles peuvent parfois se transformer en mirages. (Je pense que la fusion livre-site web est peut-être un mirage, surtout si on la considère par rapport aux évolutions prévisibles du web…)
Les tendances sont, elles, clairement avérées. Elles ont une certaine probabilité de poursuivre leur développement et de s'imposer à plus ou moins court terme, comme, par exemple, un nouveau modèle économique qui pourrait pour un certain temps réguler le marché et faire l’affaire de ses principaux acteurs.
Les phénomènes conjoncturels sont eux massifs comme des icebergs, imposants, mais ils fondent comme neige au soleil. Ils ne sont liés qu’à des effets de mode passagers, à des stratégies industrielles ou marketing, au travail des lobbies et de l’ingénierie sociale. Ils sont souvent renforcés par des "prophéties autoréalisatrices" véhiculées par les médias de masse.
Dans l’univers de l’écriture et de la lecture un prospectiviste aventureux peut découvrir de nouveaux territoires à explorer à condition, je pense, d’introduire dans la géométrie de sa recherche deux dimensions supplémentaires : l’une transhistorique, l’autre intuitive.
Pour ma part voici les signaux faibles, les tendances et les phénomènes conjoncturels que je distingue, à ce jour du 13 octobre de l’an 2013 de l’ère commune, sur mon portulan :
 
Signaux faibles
— La formation d'un lectorat conscient de lui-même en tant que corps social et générant en son sein des stratégies d’accès et d’usages à ce qu’il souhaite lire et aux conditions de ces lectures…
— Le développement de nouvelles formes littéraires à la croisée des narrations participatives transmédias et des littératures numériques…
— Le développement des neurosciences de l'esthétique qui pourrait doper le développement de recherches sur les processus de lecture…
— L’évolution technologique du papier et des encres qui pourrait conduire au développement de nouvelles interfaces de lecture…
— Versant marché du livre : un retour de la publicité dans les livres par des chemins détournés…
 
Tendances émergentes
— La multiplication de nouvelles structures éditoriales (je dénombrais 30 éditeurs “pure-players” francophones en avril 2011, j’en dénombre 152 en octobre 2013), et l’émergence du design éditorial, bien qu’il s’agisse peut-être là d’un mirage (il s’agit peut-être d’un effet “d’e-incunabilité”, l’expression d’un effort d’adaptation pour accommoder les recettes typographiques de l’imprimé aux “liseuses”, mais qui disparaitra avec la disparition de ces dispositifs de lecture et l’émergence de nouvelles formes d’œuvres littéraires)…
— La disparition de librairies (depuis un an pas une semaine sans que j’apprenne la fermeture de librairies !)…
— Des formes d’hybridation papier/numérique (on en observe de plus en plus utilisant les QR Codes, la “réalité augmentée”, la 3D)…
— Versant marché du livre : un développement des modèles basés sur le streaming (lecture connectée sans téléchargement)…
 
Phénomènes conjoncturels
— Les "liseuses" et tablettes dont l’imperfection marque le caractère transitoire…
— Les livres applicatifs (applications), auxquels je prédis le destin des livres sur Cdroms…
 
Si vous appliquez vos portulans sur le mien, qu’est-ce que cela donne, dites-moi ?

lundi 7 octobre 2013

La mémoire et l’archive face à la surabondance

J'ai eu le plaisir de contribuer au numéro spécial 2013 d'Intercdi, la revue des Centres de Documentation et d'Information, sur le thème : "Mémoire(s) et traces", avec un article titré : La mémoire et l'archive face à la surabondance.
En voici quelques extraits : 
  
« ... La surcharge informationnelle nous paralyse de plus en plus et nous nous interrogeons sur comment stocker et tirer profits des millions de nouveaux documents numériques qui chaque jour sollicitent notre attention. Si nous ne changeons pas de paradigme la mission est humainement impossible. 
 
Un été fatal
 
Depuis l’été 1971 la galaxie Gutenberg est envahie par un code actif, qui peut la dupliquer et se révèle lui-même capable de se répliquer à l’infini. Cette mutation génétique de l’information et de la documentation nous devons bien l’accueillir si nous voulons continuer l’épopée de notre espèce humaine au cours de ce millénaire.
Pour le texte écrit cette révolution a débuté en juillet 1971. Comme le premier livre imprimé fut la Bible à quarante-deux lignes de Gutenberg en 1455, le premier texte numérisé, l’eText #1 (The United States Declaration of Independence) le fut le 04 juillet 1971 à l’université de l’Illinois par un étudiant du nom de Michael Hart qui lança également le Projet Gutenberg, première bibliothèque planétaire et gratuite d’œuvres du domaine public.
[...] Nous pouvons en effet considérer que depuis cet été 1971 nous serions entrés dans la période des e-incunables, en référence aux incunables de 1450 à 1501, premiers textes imprimés qui reprenaient les codes des manuscrits.
En 2013 la force d’inertie que nous pouvons ressentir vient simplement des vitesses asynchrones entre, l’évolution de plus en plus rapide des technologies, notamment de l’information et de la communication, par rapport au temps d’appropriation dans les logiques d’usages préexistantes, au temps plus lent d’assimilation par le tissu entrepreneurial et à celui, plus lent encore, des actualisations politiques et législatives. Un phénomène naturel donc, auquel s’ajoute le rythme des changements générationnels. Quant aux effets des groupes de pression et des corporations professionnelles, ils sont je pense souvent surestimés et ont probablement peu d’impacts réels face à un phénomène d’une telle ampleur. En contrepartie il faudrait prendre en compte l’accélération provoquée par une nouvelle génération d’entreprises américaines qui impactent le marché du livre au détriment de maisons familiales. Ces groupes sont récents et éphémères. Google n’a été fondé qu’en 1998, Amazon en 1995, Apple en 1976. Dans le sens où par l’accumulation capitalistique de nos données ils visent avant tout une puissance économique ils ne seront que des instruments dans la mutation en cours.
 
Les mythes qui écrivent notre histoire
   
[...] il est évident que ce que nous vivons dépasse de beaucoup les enjeux et les effets au 16e siècle du passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée. Le passage de l’imprimé au numérique est probablement un épiphénomène d’un phénomène beaucoup plus global et plus proche dans ses enjeux et ses conséquences du passage des civilisations de l’oral aux civilisations de l’écrit.
L’histoire de la lecture peut nous permettre de saisir la continuité dans ce qui nous apparaît comme une rupture. Depuis l’acquisition de la bipédie nous sommes passés, au cours de millénaires et en renonçant au nomadisme pour la sédentarisation, d’une lecture immersive de la bibliographie naturelle, à une lecture intensive (peu de livres souvent relus par peu de lecteurs), à une lecture extensive (de plus en plus de livres lus une seule fois par des lecteurs plus nombreux), à aujourd’hui une lecture hyper-extensive (fragmentaire, connectée et sociale), produit de nouvelles pratiques de lectures initiées sur le web.
Mais à la sédentarité répond la sédimentation et nous ressentons bien intuitivement son incompatibilité avec le futur qui se dessine. Les internautes deviennent des mobinautes consultant des livres-applications sur des tablettes tactiles. Demain ils seront équipés de lunettes vidéo. Nous pouvons avoir ainsi l’impression, en revenant à une lecture immersive en mobilité, de suivre une spirale et de repasser, à un niveau technologique plus évolué, par une étape antérieure.
Sédentarisation et bibliothéconomie sont liées. [...]
Boite de Pandore pour certains, le web est aussi un Tonneau des Danaïdes, c’est un Protée, doté du pouvoir de se métamorphoser.
Que craignons-nous ? Ce que déjà Socrate craignait et que rapporte Platon dans Phèdre, que cette révolution ne produise : « dans les âmes […] que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode…. ». Car oui, c’est l’écriture que rejetait ainsi Socrate, et nous nourrissons les mêmes craintes. Nous éprouvons à voir des jeunes qui écrivent avec leur seul pouce sur une minuscule surface tactile, la surprise de Saint Augustin la première fois qu’il vit Ambroise de Milan lire en silence vers 380.
Aujourd’hui le web c’est beaucoup d’écrit, mais avec l’impulsivité de la langue parlée. [...]
  
Socrate avait tort
Nous sommes forcés, face à la pression et à l’effondrement de nos repères, de redéfinir nos valeurs et de nous poser certaines questions essentielles. Par exemple : le patrimoine numérique peut-il être considéré sur le modèle des biens tangibles, s’inscrire dans la pérennité, la propriété et l’héritage ? 
La Charte sur la conservation du patrimoine numérique, adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 17 octobre 2003 stipule dans un article intitulé Pérennité de l'information numérique, que : « La pérennité du patrimoine numérique est fondamentale. [Et que] Pour le conserver, il faudra prendre des mesures pendant toute la durée de vie de l'information, du moment où elle est créée à celui où l'on y a accès. La conservation à long terme du patrimoine numérique commence avec la conception de procédures et de systèmes fiables qui produisent des objets numériques authentiques et stables. ».
Nous devons je pense nous interroger sur ce qui s’exprime là, à la fois d’anthropocentrisme, de quête de l’immortalité et d’angoisse de la mort. Nous craignons pour la solidité et la transmission d’un savoir humain que nous ne pouvons plus tenir entre nos mains ni embrasser d’un regard, alors que les mythes fondateurs de nos civilisations ont eux traversé le temps.
Notre attention doit se porter non pas sur la conservation mais sur la transmission. La parade à l’oubli et à la perte de données n’est pas dans le stockage, mais dans l’accès libre et le partage.
Il nous faut faire aujourd’hui le pari que les générations futures, natives du numérique, auront une approche différente de la nôtre. L’entassement, l’accumulation, sont des réponses archétypales liées à la sédentarisation de notre espèce. La forme même du codex, des pages empilées les unes sur les autres, en témoigne. Avec le numérique les ressources essaiment naturellement si nous ne cherchons pas à les monétiser.
Vouloir à tous prix archiver les données numériques comme nous archivions les données manuscrites et imprimées est insensé. Avec la porosité entre territoires physiques et territoires numériques, le développement de l’internet des objets, de la réalité augmentée, l’innovation dans la visualisation des contenus et le design d’information, se pose la question de la pertinence d’une mémoire collective institutionnelle, entre guillemets “officielle” et forcément fictive, validée par quelques personnes autorisées en fait à effectuer un tri sélectif.
 
Nous sommes tous des bibliothèques
 
Les supports d’archivage semblent aujourd’hui moins fiables et certains professionnels ressentent paradoxalement le besoin d’assurer en priorité la conservation des documents numériques les plus récents en priorité sur ceux imprimés ou manuscrits qui apparaissent finalement moins éphémères. [...] L’obsolescence des appareils et logiciels de lecture est en fait en grande partie programmée par les industriels. [...]
L'ingénierie du vivant et la bibliothéconomie se rapprochent l’une de l’autre. « En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. » disait Amadou Hampâté Bâ. La lecture, nous l’avons semble-t-il oublié, est l'activité première du vivant qui a besoin de lire, de déchiffrer et de documenter son environnement. Nous devons avoir davantage confiance en l’Homme et moins nous fier aux machines.
Il nous faut renoncer à vouloir tout archiver et rien oublier. Il nous faut passer à un nouveau paradigme, ne pas laisser le passé paralyser le présent et envahir l’avenir. »

dimanche 6 octobre 2013

De plus en plus l'opinion porte un regard prospectif sur le livre

Sincèrement je ne savais pas à quoi m'attendre en me rendant vendredi dernier à l'Hôtel Salomon de Rothschild pour assister, dans le cadre des 2èmes Journées européennes des lettres et manuscrits (co-organisées par la société Aristophil - lettres et manuscrits, la Fondation pour le patrimoine écrit et le Musées des lettres et manuscrits) à une table ronde sur le thème : "Peut-on se passer de l'écrit ?".
Modérée par la journaliste Natacha Polony, cette rencontre réunissait le pédiatre et essayiste Aldo Naouri ; Jean-François Colosimo, théologien essayiste et ancien président du CNL ; Malek Chebel, anthropologue des religions et philosophe ; et Olivier Weber, écrivain-voyageur, ambassadeur itinérant auprès des Nations unies.
Lancée sur le sujet de la suppression de l'apprentissage de l'écriture cursive dans la majorité des écoles américaines la discussion a heureusement vite pris de l'envergure. 
 
Briser le cercle de l'écrit
 
Ravi par les échanges d'idées qui en suivirent je ne prétends aucunement ici restituer un compte-rendu fidèle de cette table ronde. Juste en renvoyer les quelques échos qui restent encore présents en ma mémoire après quelques jours passés...
Jean-François Colosimo interroge, nous invite à nous questionner sur "à quelles expériences de lecture renvoie la mutation de l'écrit". Relier dans ses réflexions l'écrit et l'histoire lui apparaît important. Un point de vue que je partage. Tout comme la vigilance sur ce qui pourrait participer, par ces mutations de l'écriture et de la lecture, d'une construction ou d'une déconstruction du sujet social.
Quand tout (texte) semble disponible désirons-nous encore lire ? (De plus en plus je me surprends à me poser pour moi-même cette question à laquelle je n'aurais jamais pensé il y a quelques mois seulement...)
Malek Chebel nous a lui rappelé que le premier mot du Coran était : "Lis !". Pour lui nous irions vers un nouveau modèle de transmission, une nouvelle forme de relation fondée sur un vocabulaire de l'érotisme, dans le sens où ce qui s'exprimerait de plus en plus dans l'espèce humaine serait l'expression du désir profond  de vivre avec ses semblables. Peut-être est-ce là ce que nous percevrions parfois, au-delà des technologies de l'information et de la communication, comme : une renaissance de la conversation (?).
Provocateur pour faire réfléchir, l'orateur va jusqu'à se demander si l'écriture, finalement, ne pourrait pas être devenue un frein au développement de l'intelligence  humaine.
Je ne connais pas suffisamment Aldo Naouri pour savoir à quel degré interpréter ses provocations. Etait-il sérieux lorsqu'il prédisait avec force que l'on implanterait dans le cerveau de nos descendants les contenus livresques et autres sans qu'ils n'aient plus besoin de les lire ?
 
Changement d'ère
 
De tout cela et d'autres propos que je ne rapporte guère ici, il résulte bel et bien que la conviction est partagée par tous que nous changeons d'ère, et que l'écrit (et donc la lecture) est le principal vecteur de ce changement.
Ces impressions ressenties à l'Hôtel Salomon de Rothschild renforcent mon intuition que depuis quelques mois de profonds changements sont à l'oeuvre dans les différents lectorats.
Impossible de le nier et impossible d'ores et déjà de revenir en arrière.
Aldo Naouri le résume ainsi : "Est-ce que l'on peut reprendre l'hypothèse que la terre est plate ?".
J'ai été, je le reconnais, un peu surpris de cette prise de conscience générale, qui s'étendait jusqu'au public nombreux, et de l'expression à propos de l'écrit : "d'exercice de prospective", qui est spontanément revenue me semble-t-il plusieurs fois. Il faut dire que le public avait, en quelque sorte, été précédemment préparé par un entretien avec Michel Serres, suivi d'une lecture d'extraits de ses textes par Jacques Weber.
 
C'est ainsi que ces étoiles d'un vendredi soir rejoignent ma constellation. Les codes informatiques restent de l'écrit (les écritures sont d'ailleurs des codes). Mais si nous passons du cercle de l'écrit à une sphère, peut-être proche de celle pressentie par Pierre Teilhard de Chardin dans Le phénomène humain, il nous faut rester fidèle à notre odyssée. Si nous nous désintéressons de notre passé nous risquons de perdre le fil. C'est la même histoire, celle de notre espèce fabulatrice (Nancy Huston) qui s'écrit sous nos yeux de lecteurs, de lectrices. 
Nous tournons une page (peut-être celle du livre, peut-être même celle de l'écriture ?), mais un nouveau chapitre s'ouvre...
   

lundi 30 septembre 2013

Edition numérique, une tendance qui s'affirme

L'actualisation de la liste d'éditeurs numériques francophones fait aujourd'hui mention de presque 150 acteurs concernés.
La liste complète est consultable en suivant ce lien...
Je remarque aussi une cristallisation de la notion et des pratiques de design éditorial, dans certaines maisons, les enseignements de l'ESTEN, les récentes initiatives de Jiminy Panoz... 
A suivre...

dimanche 29 septembre 2013

Pistes de réflexions et perspectives fuyantes pour la prospective du livre – opus 2

Récemment j’ai eu l’occasion dans le cadre de mon activité de veille d’assister à plusieurs manifestations qui ont pu nourrir ma réflexion.
Les principales étaient :
 La journée d’étude : Le rôle stratégique des bibliothèques dans l’appropriation du numérique par les citoyens en France et en Europe, qui s’est déroulée le 10 septembre 2013 à la Bibliothèque Publique d’Information (BPI, Centre Georges Pompidou, Paris), organisée par le pôle Culture du CNFPT Institut national spécialisé d’études territoriales (INSET de Nancy) et la BPI.
— Une partie des rencontres du Colloque international et festival dédié à la littérature numérique à la BnF, Chercher le texte, organisé par le Laboratoire d’excellence Arts-H2H et l’Electronic Literature Organization, à Paris du 23 au 28 septembre 2013.
— La présentation de l’ouvrage collectif : La grande aventure du livre, une coédition Bnf éditions Hatier, sous la direction d’Anne Zali, à la BnF le 25 septembre.
— La Journée Neurosciences, Esthétique et Complexité du 28 septembre 2013, organisée par le groupement de recherche (GDR) Esthétique Arts et Sciences (ESARS) du CNRS et de l’Université Paris Descartes.
— Manifestations auxquelles nous pourrions ajouter ma participation à distance le 25 septembre aux Conversaciones liquidas entre editores y bibliotecas organisées par la Fundación Germán Sánchez Ruipérez à Salamanca (Espagne), avec mon texte de réflexion : "Inventer ensemble les nouvelles médiations du livre" (Inventar juntos las nuevas mediaciones del libro). 
 
La voie du rêve…

Tout cela pourrait une nouvelle fois se résumer en une seule phrase : il nous faut déglacer notre rapport à la lecture, sans surévaluer pour autant le numérique.
Et se décliner ainsi, sous la forme d’une liste de pistes, avec interrogations multiples aux nombreux carrefours :

— J’observe de plus en plus des glissements de sens significatifs de plusieurs mots (livre, lecteur, par exemple…), mais celui de bibliothèque semble demeurer stable (le terme de médiathèque n’ayant jamais réellement pris dans les usages, fait intéressant à noter…).
— Les bibliothèques pourraient-elles accéder au plan d’hyper-lieux (c’est-à-dire des non-lieux, de véritables utopies) de la lecture publique et émancipatrice ?
— La forme de narration dominante du 21e siècle émergera peut-être de la convergence jeux vidéo – transmédia – réalité augmentée et internet des objets (des formes élaborées de fictions interactives, ou jeux d’aventures textuelles…), tandis qu’une nouvelle forme de littérature (hyperfictions ?) pourrait émerger d’une hybridation avec les arts numériques et le filon d’une littérature numérique dont les premières œuvres peuvent en fait être datées des années 1950.
— Il y a nécessité à explorer la totalité de la matière textuelle et à sublimer le potentiel narratif des hyperliens au-delà des imperfections des nouveaux dispositifs (transitoires) de lecture.
 Conjointement à ces influences des arts et du numérique sur le livre, nous percevons une plus grande intégration du livre dans l’histoire (et son enseignement), et dans l’histoire des arts visuels sur une échelle, un temps que je qualifierais d’anthropologique.
— C’est le lecteur qui reçoit, constitue et crée le livre comme Livre (c’est-à-dire ce qu’il lit). Il passe au travers et cela passe au travers de lui.
— A l’espace bidimensionnel circonscrit de la page répond celui, multidimensionnel et ouvert, de la lecture (forme de géométrie projective ?). Nous percevons bien dans la littérature numérique l’ambition de rivaliser avec le texte et de sortir le lecteur de l’espace tridimensionnel qu’il perçoit ordinairement.
L’expérience performative de la lecture est ici questionnée (mais insuffisamment).
Nous sommes biologiquement programmés pour ne percevoir et concevoir (imaginer ?) qu’un éventail (très ?) limité des possibles.
Les neurosciences de l’esthétique ne sont pas encore suffisamment appliquées à l’affectivité, ni à la lecture.
— Pourrait-on envisager l’expérience de lecture à la lumière d’une éclipse de la conscience, laquelle éclipse rendrait possible une dissociation de l’immersion dans la scène théâtrale du roman (narrativité), d’avec le ressenti sensoriel du milieu naturel de lecture (de ses conditions et de son support) ?
— Considérer le livre-codex comme un vestibule replié sur soi (?). Et la lecture comme un système vestibulaire (?).
 
En cette période “d’e-incunabilité”, la métamorphose du livre et de la lecture pourrait s’ouvrir sur des champs (chants ?) libérateurs (fédérateurs ?) du langage de l’espèce. A suivre…

En complément dans le même registre vous pouvez lire : Pistes de réflexions et perspectives fuyantes pour la prospective du livre – opus 1
 

dimanche 22 septembre 2013

Albert Camus en penserait quoi ?

Cet automne 2013 va être marqué par une salve commerciale de reparutions, rééditions, parutions et éditions d'Albert Camus, et de livres sur son oeuvre.
Né le 07 novembre 1913 Albert Camus aurait eu en effet 100 ans ce 07 novembre 2013.
Mort dans un accident de voiture le 04 janvier 1960, il a donc disparu depuis plus de 53 ans.
En France, les reparutions de ses oeuvres vont être payantes (illustration 1). Mais dans de nombreux pays, dont le Canada, elles sont depuis plus de trois ans gratuites en toute légalité (illustration 2, issue du site francophone http://www.ebooksgratuits.com/).
Qu'en aurait pensé Albert Camus ?
 
illustration 1

illustration 2
Il aurait certainement été pour une harmonisation internationale du droit d'auteur, une extension et une sanctuarisation du domaine public, la liberté de choix pour les auteurs de libérer leurs oeuvres, notamment après leur mort, le développement des vertus liées aux biens communs, au partage et à la libre diffusion du patrimoine culturel de l'humanité... 
Le respect du droit d'auteur, certes, mais aussi le respect des droits des lecteurs...  
Dans le système français actuel l'accès aux livres n'est pas régulé depuis Saint-Germain-des-Prés au bénéfice des auteurs et des lecteurs, mais pour l'accroissement des profits des héritiers de l'édition.
Cela me fait penser que s'il n'y avait qu'un seul livre à lire pour lui rendre aujourd'hui hommage ce serait alors, à mon goût, la biographie libertaire que lui a consacrée Michel Onfray en 2012 :
 

 


samedi 21 septembre 2013

Une rentrée littéraire sur les livres

Dans cette sempiternelle rentrée littéraire trois titres sur les livres méritent je pense de retenir notre attention.
 
  
De Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques, d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles (en librairie le 25 septembre, Armand Colin, Coll. U) :
« Aujourd’hui, où nous sommes plongés dans la «troisième révolution du livre», la révolution des nouveaux médias, la question des bibliothèques se pose dans des conditions largement nouvelles. Pourtant, les bibliothèques et les collections de livres n’intéressent pas seulement le présent, et leur histoire est intrinsèquement liée à l’histoire même de la pensée et de la civilisation occidentales.
De l’Antiquité classique, avec le modèle toujours pris en référence du Musée d’Alexandrie, aux bibliothèques des grands monastères carolingiens, puis à la bibliothèque des rois de France, à celle de Mathias Corvin, à la Bibliothèque vaticane et aux monumentales collections italiennes, allemandes, etc., cette histoire met en jeu des perspectives d’ordre intellectuel et scientifique, mais aussi d’ordre politique et social : la bibliothèque est signe de distinction pour un prince qui sera autant le prince des muses que le prince des armes. L’histoire des bibliothèques, profondément renouvelée par la Réforme, prendra une signification encore élargie à partir du XVIIIe et au XIXe siècle avec la « deuxième révolution du livre » : le livre, c’est le savoir et la civilisation, de sorte que l’accès au livre et à l’écrit devient un enjeu politique important.
En définitive, l’histoire des bibliothèques ne désigne donc pas seulement un domaine très particulier de l’histoire générale, mais est directement articulée avec l’histoire de la pensée, des idées, de la politique, de l’information, voire de l’architecture et de l’urbanisme. En adoptant un cadre chronologique large et en insistant systématiquement sur la perspective comparatiste, l’auteur envisage cette thématique très importante (mais paradoxalement négligée) en fonction des transformations du système général des médias au cours des siècles. La question des bibliothèques, comme plus largement celle de l’information, s’impose l’une des interrogations de civilisation essentielles posées en notre début de IIIe millénaire. » (Quatrième de couverture).
     
La grande aventure du livre, de la tablette d'argile à la tablette numérique, BnF et Hatier éd., collectif sous la direction d'Anne Zali, que j’avais eu le plaisir d’écouter attentivement lors d’une passionnante conférence sur “Les très riches heures du codex” le 13 juin dernier à la Bibliothèque de l’Arsenal.
  
« Ce manuel abondamment illustré, qui donne à voir certains des plus beaux trésors conservés à la Bibliothèque nationale de France, retrace les temps forts de l’histoire du livre. Les enseignants de collège et de lycée y trouveront des repères pédagogiques, des documents commentés et des focus qui leur permettront de faire découvrir aux élèves les nombreux acteurs – imprimeur, libraire, éditeur, relieur, typographe, graphiste, etc. – qui ont contribué à faire du livre un art à part entière.
Une structure en 3 parties : le livre comme objet ; le texte ; le livre et ses usages : lectures, postures, rituels. De multiples entrées pour les enseignants de lettres et d’histoire-géographie au collège et au lycée. Des reproductions commentées et des focus pour étudier des documents patrimoniaux de l’écrit en lien avec les programmes : en français, les grands auteurs (Balzac, Hugo, Rousseau, Mallarmé…), en histoire, les grandes périodes (la naissance de l’écriture, la découverte de l’imprimerie, les Lumières…). Et notamment, plus particulièrement en lycée : un ouvrage de référence pour les deux premiers thèmes proposés dans l’enseignement « Littérature et société » ; un ouvrage précieux pour les élèves dans le cadre de leurs activités de recherche de documentation (TPE, exposés…). »
(Présentation sur le site des éditions de la Bibliothèque nationale de France).
Présentation sur le site des éditions Hatier...
   
 Et enfin, une dystopie sous la plume de Cécile Coulon : Le rire du grand blessé, aux éditions Viviane Hamy.
  
« Dans un pays sans nom dirigé par Le Grand, les « Manifestations À Haut Risque » – lectures publiques hebdomadaires et payantes ayant lieu dans les stades – sont la garantie de l’ordre social. En retirant son caractère privé à la lecture, les élus ont transformé un certain type de livres en outil de parfaite manipulation.
Dans l’arène, des Liseurs « surjouent » des histoires préécrites – et destinées à rester inédites – devant un public captif, haletant, qui absorbe ce qu’il croit ne jamais pouvoir posséder.
Et le spectacle commence dans les rangées des consommateurs : dûment encadrées par les Gardes, les passions et les émotions, la rage et le désespoir, l’hystérie collective ont droit de cité pendant une heure, le temps, pour chaque citoyen, d’atteindre un semblant d’assouvissement. Jusqu’à la prochaine Manifestation.
1075, né dans les campagnes abandonnées en périphérie de la ville, est, lui, parfaitement analphabète. Pour exister, la Société ne lui propose qu’une issue : intégrer l’élite des Gardes au service du système. Formés dans des conditions extrêmes, ces jeunes gens ont pour unique et simple règle de ne jamais apprendre à lire.
1075 devient le meilleur des Agents.
Sa vie bascule, pourtant, le jour où, mordu par un molosse, il découvre qu’un animal féroce est bien plus efficace et rentable qu’un Garde. À l’hôpital, où il s’ennuie, il s’en veut de ne pas avoir été à la hauteur de sa tâche, à la hauteur de ce que l’on attendait de lui. Jusqu’à ce qu’un hasard facétieux lui permette d’assister à la curieuse leçon d’alphabet qu’une jeune femme donne à l’étage où sont parqués les enfants.
Le désir comme le besoin de comprendre sont des pièges délectables...
On se repaît de cette fable grinçante, jubilatoire et déstabilisante, qui tape à bras raccourcis sur une société qui muselle la conscience par le divertissement et désigne l’imagination comme l’ennemi public n°1.
Le Rire du grand blessé est un hommage vibrant rendu à la pensée et à l’imaginaire qui ouvrent à la littérature, quelles que soient les dénominations dans lesquelles on l’enferme : française, étrangère, classique, moderne, contemporaine, d’anticipation… »
(Présentation sur le site de l’éditeur).
  
Bonnes lectures !