vendredi 29 août 2014

De l'ancestralité du livre dans le langage

Ce que nous appelons du nom de "livre", fondamentalement, cet objet, pour magique qu'il soit, n'existe, n'est vivant que par l'écriture, laquelle a ceci de mystérieux "qu'elle parle" (comme disait Claudel), et laquelle écriture n'existe que parce qu'il y a langage, un langage consubstantiel à la pensée et qui anime notre conscience et notre conscience de notre propre conscience.  
La relégation du livre dans l'écosystème marchand et dans celui des vanités auxquels il est étroitement lié a largement désacralisé et prostitué ce que certaines et certains s'acharnent encore aujourd'hui à dépecer, à réduire à du contenu pour agrégateurs, diffuseurs et fournisseurs d'accès qui, moyennant un abonnement, un fichage des lectures et un profilage des lecteurs, le proposeront en streaming à des mobinautes.
Ce vocabulaire prédispose les déclencheurs des comportements de masse qui s'exécuteront demain. En cela la prospective est directement concernée, dans la mesure où elle parvient à s'extraire du marketing et du politique, reflets de l'écosystème marchand et de celui des vanités, précédemment évoqués. 
 
Dans Comment le langage est venu à l'homme, Jean-Marie Hombert et Gérard Lenclud synthétisent avec talent l'historique et l'état actuel des recherches sur l'origine ou les origines du langage humain. 
C'est à la page 399 que les auteurs reconnaissent cependant enfin que (je les cite) : "L'examen des archives paléontologiques et archéologiques disponibles à ce jour ne permet assurément pas de reconstituer l'histoire du langage.". Nous sommes donc, et cela est compréhensible, dans les hypothèses et les théories. Dommage alors que les explications mythologiques et religieuses ne soient pas invitées à tisser avec les scientifiques.
Les approches rationalistes ne sont-elles pas tout autant réductrices et dogmatiques ?
 
"Le langage est la maison de l'être" (Heidegger)
 
Le livre vient de loin. Son grand ancêtre serait peut-être à chercher dans la famille des artefacts symboliques que l'archéologie préhistorique nous incite à penser comme étant à la source du langage humain. L'intention signifiante portée à des objets décorés ou détournés de leur finalité ordinaire (par exemple placés dans une sépulture et laissant ainsi présager la pratique d'un rituel funéraire) signifierait l'exercice d'une pensée symbolique consubstantielle au langage. Faire signifier de cette manière le monde extérieur initierait la pratique fabulatoire d'où émergerait ensuite un jour le livre sous toutes ses formes, celles passées, celle que nous lui connaissons, et celles aussi de ses métamorphoses numériques.

 
"Je ne crois pas, a écrit Hermann Hesse, à notre science, ni à notre politique, ni à notre façon de penser, de croire, de nous divertir, je ne partage pas un seul des idéaux de notre temps. Mais je ne suis pas pour autant un homme sans foi. Je crois aux lois de l'humanité, vieilles de plusieurs millénaires, et je crois qu'elles survivront à tous les troubles de notre époque." (Hermann Hesse, Lettres) ; oui, elles survivront à tous les troubles de toutes les époques : elles sont ancestrales.
Je pense que la source du langage affleure de cette ancestralité.
Personne je crois ne suppose que l'empathie puisse être la source du langage (?).
Le grand intérêt que j'ai trouvé à lire Les deux raisons de la pensée chinoise du sinologue Léon Vandermeersch réside très précisément dans le fait qu'il y origine la langue graphique dans un système de notation d'équations divinatoires, et non pas de rapports marchands, comme dans la tradition occidentale.
Cette piste a-t-elle été envisagée pour la Mésopotamie également ?

Dans Aux sources de la parole, auto-organisation et évolution, le scientifique Pierre-Yves Oudeyer propose lui sur ces questions un rapprochement entre les quelques acquis de la linguistique et de la biologie, en essayant judicieusement de les enrichir des observations récentes fournies par la modélisation informatique et robotique.
Entre les lignes, et au-delà en mettant ces trois ouvrages en perspective, nous pourrions nous demander en  quoi il pourrait être pertinent d'imaginer (car il s'agit malgré tout de cela) l'épopée des langues orales et graphiques en terme d'auto-organisation, et s'il serait politiquement incorrect de postuler à l'origine de cette entreprise une intention autre que purement fonctionnelle et matérialiste ?  

vendredi 22 août 2014

Ray's Day 2014 - pourrons-nous encore lire demain ?

A l'occasion du Ray's Day 2014 le livre « Peut-on encore lire ? » que j’ai co-écrit en 2013 avec Marc-André Fournier est téléchargeable gratuitement sur iTunes. Ce petit essai aborde les enjeux du livre numérique au-delà de la simple question des supports. Deux points de vue sont proposés et appellent au débat. Celui de M.-A. Fournier dévoile les voies explorées par un auteur hypermédia pour aborder de nouveaux continents. Le mien se veut réflexif et pose la question du devenir de la lecture au regard des expériences menées aujourd’hui et par rapport au patrimoine littéraire existant.

En ce jour je conseillerais aussi la lecture d'une brève nouvelle SF : 
Le droit de lire, de Richard Stallman. SF ou anticipation ?
  
Je me rappelle un rêve que j’avais fait en 2012... et qui peut résonner comme un écho à un passage des Chroniques martiennes de Ray Bradbury : « … on pouvait voir Mrs. K dans sa pièce personnelle, en train de lire un livre de métal aux hiéroglyphes en relief qu'il effleurait de la main, comme on joue de la harpe. Et du livre, sous la caresse de ses doigts, s'élevait une voix chantante, une douce voix ancienne qui racontait des histoires du temps où la mer n'était que vapeur rouge sur son rivage et où les ancêtres avaient jeté des nuées d'insectes métalliques et d'araignées électriques dans la bataille. » (Chroniques martiennes, Ray Bradbury, 1946, traduction de l'américain par Jacques Chambon et Henri Robillot).
A ceux qui lisent le langage écrit de la musique, le solfège, des portées muettes aux autres se déploient des cathédrales de sons, tout comme de multiples univers surgissent de certains écrits magnifiques de la fiction et de la philosophie, et qui jouent eux aussi comme des partitions, et qui répartissent d’un côté du monde les non-lecteurs et de l'autre les lecteurs, et parmi ceux-là les répartissent encore en fonction de leurs appétences singulières et de leur degré de compétence sur l’échelle de la littératie. Certes, des personnalités de grands formats peuvent très bien ne pas aimer lire, mais je suis toujours très étonné de trouver si peu de lectrices et de lecteurs chez celles et ceux qui vivent du commerce du livre (au sens le plus vaste, je ne parle pas des libraires).

vendredi 8 août 2014

Le faisan(t) du texte, ou un statut piégé sur Facebook

 
En publiant il y a quelques jours comme statut Facebook : "Le lecteur comme chasseur du faisan(t) du texte" que voulais-je signifier ?
D'abord et malicieusement que l'individu qui allait imprudemment lire cela devrait, s'il voulait véritablement en être le lecteur, se mettre dans cette position indiquée de chasseur du faisan(t) du texte.
Ensuite, que cela valait, je le crois, pour tous les textes.
C'est pas à pas qu'il faut dé-lire pour lire. Détisser comme Pénélope (car que tissait-elle et pourquoi ?). C'est là décoder. Déchiffrer. Lire.
Premier pas donc : "comme chasseur". Un chasseur, à la lisière du sens, est celui qui traque quelque chose avec ardeur. Qu'est-ce que chasser ? C'est "guetter et poursuivre une proie pour la capturer" (dictionnaire Larousse tout simplement).
Deuxième pas : "du faisan(t)". Qu'est-ce que cela ? Bien sûr l'on pense spontanément à ce qui fait texte, et ce n'est certes pas faux, mais ce T (instrument de dessinateur ou pièce de raccordement selon le dictionnaire), ce T-là, entre parenthèses, décage un volatile (qui donc s'évapore facilement) faisant (sic) sens. Un faisan justement ! Un faisan est "un individu qui vit d'affaires louches", qu'il faut lire entre les lignes, comprendre à demi-mots. 
Troisième pas : "du texte". Qu'est-ce qu'un texte ? Là est bien la question la plus complexe. Au-delà l'étymologie, "textus", qui origine aussi "tissu" et "textile", l'assurance de ce troisième pas est portée par les deux qui l'ont précédé : un texte est une étoffe qui recouvre malignement ce que nous traquons avec ardeur, notre propre nature.
C'est en partie tout cela que j'avais essayé d'enfermer dans cette phrase, comme des faisans que j'aurais mis en cage et qui s'agiteraient en criaillant. 
Et vous, quand vous lisez, entendez-vous parfois comme moi le faisan(t) du texte ?