samedi 20 avril 2013

Automatiser la production d'ebooks pour sortir de la période des e-incunables ?

Alors que j'ai actualisé hier ma liste de 127 professionnels francophones de l'édition numérique (à consulter en suivant ce lien...) je repense au keynote d'Archicol auquel j'avais assisté la veille au soir dans le cadre du Labo de l'Edition de la Ville de Paris.
Archicol est une start-up développant des solutions logicielles commerciales automatisées à destination de l'édition numérique.
Ses deux principaux services sont : Lines2ePub, pour la réalisation de fichiers ePubs cross-platerformes à partir de fichiers sources XML, et, Paper2ePub pour la réalisation de fichiers ePubs cross-plateformes à partir de fichiers sources PDF ou de documents imprimés.
Pour ma part je retiendrais surtout l'effort exprimé par leur solution baptisée A2F (Archicol Fix Flux) pour intégrer dans un standard ePub des mises en pages originales ou complexes de type multicolonnes, avec, par exemple, de nombreux encarts ou graphiques… A2F permet aux lecteurs de passer en un clic d’un mode "feuilletage" de la mise en page imprimée initiale, à un mode de "lecture écran", mieux adapté aux nouveaux dispositifs de lecture (illustration ci-dessous).
   
Photo presse Archicol
  
L'on voit bien, dans le passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, le besoin de préserver la lisibilité en reprenant ou en adaptant les codes typographiques. 
Pour information, Archicol a été créé et est animé par Serge Morisseau et Emilie Barreau (deux anciens d'Edilivre et d'i-Kiosque) et par David Dauvergne (ancien de La poule ou l'oeuf, logiciel libre d'édition numérique à partir d'une application web). Des professionnels au départ étrangers par leurs formations au monde du livre.
L'augmentation du nombre de start-up dans l'édition doit nous interroger.
 
Dans un post récent sur son blog, Frédéric Kaplan, qui occupe la chaire de Digital humanities et dirige le DHLAB (Digital Humanities Lab) à l'EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) montre les origines médiévales de l'hyperlien, des pointeurs et des smileys (à lire en suivant ce lien...).
Je prépare moi-même une démonstration inédite dans les semaines à venir sur mon incubateur web 3D immersive dédié à l'exploration de nouvelles formes de médiations autour du livre et de la lecture (MétaLectures) qui mettra elle  aussi en évidence le lien de continuité dans l'histoire du livre.
De telles réflexions peuvent nous permettre je pense de remettre en perspective les véritables enjeux et de questionner les pratiques de lecture afin d'utiliser au mieux les outils logiciels qui peuvent être mis à notre disposition par une nouvelle génération d'entreprises à l'image d'Archicol.
 

mercredi 17 avril 2013

LES 14 DROITS DES LECTEURS

Le 14 avril 2013 j’ai eu le plaisir d’intervenir, à l’invitation de Nathalie Bretzner, Vincent Demulière et de la Ville de Chenôve-en-Bourgogne, pour la conférence de clôture des premières Journées Le Futur du Livre.
Une vraiment bonne initiative à laquelle je suis heureux d’avoir participé et qui j’espère se pérennisera en rendez-vous annuels, ce dont ont véritablement besoin les différents acteurs du livre, pour échanger, tester, découvrir ensemble et renforcer la solidarité entre passionnés du livre et de la lecture. Un salon non-commercial aussi et ouvert au grand public, aux lecteurs pour leur information.
C’est notamment pour ces raisons que j’avais choisi ce thème des droits des lecteurs pour la conférence de clôture.
Droits des lecteurs, certes déjà défendus par quelques grandes figures auquel j’ai rendu hommage dans ma présentation (Michael Hart, Aaron Swartz, Richard Stallman), et par quelques blogueurs, au rang desquels parmi les francophones, Lionel Maurel ou Thierry Crouzet, entre autres.
C’est cependant, à ma connaissance, la première fois que le sujet était ainsi traité en public dans une tentative de lister l’ensemble de ces droits et dans une perspective de légitime revendication.
L’accueil fut bon et quelques contacts après ma conférence prometteurs.
L’avenir dira.
En ce qui me concerne je ne compte pas baisser les bras.
 
Les 14 droits des lecteurs au 21e siècle
  
En 2013, les droits des lecteurs n’ont plus rien à voir avec ceux qui avaient été définis en 1992 par Daniel Pennac dans son essai Comme un roman (Gallimard éd.). Nous vivons des temps plus durs.
  
Voici les 14 droits fondamentaux que je propose de documenter et de défendre :
(Actualisation le 13 septembre 2014. Qu’en pensez-vous ?)
  
1 - Le droit de ne pas être fiché ou profilé sur ses lectures.
(vs les pratiques de certains cybermarchands, les systèmes dits propriétaires…)
 
2 - Le droit d’accéder librement au domaine public.
 
3 - Le droit à des dispositifs et des interfaces de lecture pérennes.
(vs obsolescence programmée.)
 
4 - Le droit d'avoir le choix de lire, soit en version imprimée, soit en version numérique, quels que soient le titre et l'auteur.
 
5 - Le droit d’être informé dans sa langue sur les mutations du livre et de son marché.
(vs infobésité, blogs perroquets, intox marketing, contenus anglo-saxons, “l'information" partisane des lobbies et des corporations professionnelles...)
 
6 - Le droit d’être propriétaire des livres achetés ou offerts et de pouvoir les partager librement.
(c-a-d droit à une bibliothèque personnelle privée inviolable, droits de prêts, de dons, de legs... Et bien sûr : pas de DRM contraignants.)
 
7 - Le droit à l’autonomie, par rapport notamment aux applications logicielles d’annotation et de lecture sociale…
 
8 - Le droit à un juste prix.
(c-a-d un prix abordable au plus grand nombre avec une juste répartition entre auteurs, éditeurs et libraires indépendants, un juste différentiel de prix entre version numérique et version imprimée, et avec la possibilité de refuser la publicité dans les livres numérisés ou numériques et/ou au niveau des dispositifs et des logiciels de lecture.)
 
9 - Le droit d’égalité de traitement avec les lecteurs des autres pays.
(c-a-d notamment en termes d’offre (de traductions…) et pour une harmonisation entre les pays sur "le mieux faisant" en matière de domaine public et d’accès aux œuvres…)
 
10 - Le droit à une médiation humaine.     
(notamment en librairies et en bibliothèques, vs prescriptions algorithmiques et fausses critiques achetées…)
 
11 - Le droit à la bibliodiversité.
(vs formatage, best-sellarisation, world litterature, censure…)
 
12 - Le droit à une offre de qualité.
(c-a-d des textes corrigés et convenablement mis en page, ayant été l’objet d’une validation éditoriale ou d’un véritable soin dans le cas de textes autoédités ; le respect de l’intégrité de l’oeuvre et l’interopérabilité des fichiers numériques…) 

13 - Des bibliothèques physiques accessibles (ouvertes le soir et le week-end et des bibliothèques numériques avec une médiation humaine...)
 
14 - Les mêmes droits d'accès aux textes pour tous
(Le respect des treize droits précédents quel que soit son handicap éventuel, notamment visuel ou moteur, et sa situation sociale...)
   
Guy Debord – Günther Anders – Victor Hugo
  
Le spectacle, écrivait Guy Debord en 1971 dans La société du spectacle (éd. Champ Libre), « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l'on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. Dans les lieux les moins industrialisés, son règne est déjà présent avec quelques marchandises-vedettes et en tant que domination impérialiste par les zones qui sont en tête dans le développement de la productivité. Dans ces zones avancées, l'espace social est envahi par une superposition continue de couches géologiques de marchandises. ».
Cette déclaration exprime bien ce que je ressens régulièrement déjà depuis plusieurs années dans les grandes surfaces, même dites culturelles, quand je me retrouve face à un mur de livres, comme quand je me retrouve face à un mur de boites de sardines ou de tubes de dentifrice.
Outre Guy Debord, ma réflexion se nourrit également de la pensée de Günther Anders dans son essai de 1956, L'Obsolescence de l'homme.
Sa lecture peut je crois nous aider à penser les nouveaux dispositifs de lecture, dans le sens où Anders y désigne en fait les machines en général.
« Ces instruments, écrit-il, ne sont pas des moyens mais des décisions prises à l’avance : ces décisions, précisément, qui sont prises avant même qu’on nous offre la possibilité de décider. Ou, plus exactement, ils sont la décision prise à l’avance. ».
 
Non seulement l’offre précède la demande, mais une liseuse ou une tablette ne sont pas uniquement des moyens de lire. Ces dispositifs de lecture ne sont pas des livres qui se suffiraient à eux-mêmes. Ils ne sont en vérité que les parties d’un système organisant et donc contrôlant nos lectures.
La plus grande vigilance m’apparaît donc nécessaire et les réactions à chaud à ma conférence de Chenôve m’ont renforcé dans cette intuition que j’avais.
Nous devons je pense nous interroger sur la technophilie ambiante qui gagne l’écosystème de la lecture et n’est peut-être, en partie tout au moins, qu'un effet du formatage imposé par les stratégies marketing de majors américaines qui prônent tout en l’organisant un contexte d’hyperconnectivité dans une économie de l’attention et du temps de cerveau disponible, en démultipliant l’offre et la création sans cesse renouvelée de besoins factices et addictifs.
 
Si nous n’informons pas les lecteurs, si nous ne formons pas au numérique les professionnels du livre et de la médiation littéraire, si nous ne renforçons pas le rôle et le statut des indépendants (tant des auteurs que des éditeurs et des libraires) nous risquons de tous devenir les otages d'une aliénation collective imposée par quelques marques.
 
Victor Hugo dans son Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878 déclarait ceci : « Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. ». J’ai dit.
 
- Photo prise par Michèle Drechsler, 14 avril 2013, Chenôve-en-Bourgogne, alors que je me prépare à donner ma conférence devant un public attentif et curieux.
- Version espagnole : Los derechos de los lectores (Les droits des lecteurs), Trama & Texturas (Espagne), N° 24, septembre 2014.

samedi 6 avril 2013

Sur les nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques

Ci-après le texte que j'ai lu à la suite de ma conférence ("L'avenir du livre et l'évolution des bibliothèques à l'ère du numérique") le 05 avril 2013 dans le cadre de la Journée des Bibliothèques de Côte-d'Or et des 8e Rencontres de la BD de Longvic :  
 
" Communication sur les nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques
  
On m’a demandé de m’exprimer, en introduction de cette Journée des Bibliothèques de Côte-d’Or et de la présentation par M. Benoît VALLAURI de la Médiathèque Départementale d'Ille-et-Vilaine, sur la question des nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques.
Je vais aborder cette question en tant que chercheur en prospective du livre et de la lecture et non pas en tant que bibliothécaire, ce que je ne suis pas.
Voici donc ce que j’observe depuis quelques années avec l’intrusion du numérique dans l’univers de l’imprimé, la fameuse Galaxie Gutenberg : une métamorphose du livre en tant que contenant, ainsi qu’une volatilité des livres en tant que contenus. Deux faits aujourd’hui indéniables et qui peuvent être considérés je pense comme des marqueurs d’une nouvelle période dans l’histoire du livre, période que nous pourrions qualifier comme étant celle des "e-incunables", en référence aux incunables de 1450 à 1501, premiers ouvrages imprimés qui reprenaient les codes des œuvres manuscrites.
Comme je l’ai signalé dans ma conférence il faut également prendre en compte l’évolution des pratiques, notamment de lecture et de recherche d’information, ainsi que les nouvelles attentes d’usagers qui sont devenus des internautes, et sont même maintenant de plus en plus souvent des mobinautes.
 
De l’extérieur j’observe trois principales perspectives vers lesquelles les médiathèques semblent évoluer au cours de ce 21e siècle.
D’abord, on commence à l’observer aux États-Unis d’Amérique, en parallèle à la fermeture de bibliothèques entre guillemets “classiques”, l’apparition de bibliothèques sans livres, établissements surtout universitaires et offrant des documents numériques et des postes informatiques pour accéder notamment à des fonds numérisés.
Puis, d’Angleterre et du nord de l’Europe nous voyons se développer des bibliothèques conçues comme troisième lieu. Après le premier lieu du domicile et le deuxième lieu du cadre professionnel, il s’agit d’aligner la bibliothèque comme troisième lieu, espace public d’échanges sociaux et culturels, en concurrence avec le cinéma, le café, la place du marché… ; et cela donne parfois lieu je trouve à des dérives.
Enfin, et notamment en France, se développe le concept de bibliothèque inclusive, c’est-à-dire allant à l’encontre des exclusions sociales et œuvrant en ce sens : à l’accessibilité des lieux et des contenus aux usagers handicapés, à la mixité et à la diversité sociale en accueillant et en fournissant des contenus adaptés à des publics d’âges, de conditions sociales et de nationalités différentes, à l’accompagnement social par des informations pratiques, par exemple sur l’emploi et la formation professionnelle, voire l’alphabétisation, enfin en participant à la réduction de la fracture numérique en proposant des équipements et des formations, par exemple en recherche et en validation d’informations sur le web.
 
Nous observons donc en fait deux mouvements contradictoires : d’une part, celui de vouloir faire venir les usagers "à tous prix", d’autre part, celui de proposer des services en ligne pour leur éviter de devoir venir.
Il faudrait je pense rendre davantage complémentaires ces deux approches. Une bibliothèque numérique devrait être un dispositif de médiation inscrit dans et participant d'un écosystème territorial.
Aussi je vous propose moi un modèle plus ambitieux, celui de la bibliothèque comme hyper-lieu.
J’emprunte cette notion d’hyper-lieu à Patrick Bazin, directeur de la BPI (Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris) s’exprimant ainsi en mai 2012 dans le magazine professionnel Livres Hebdo : « Mieux vaudrait, disait-il, parler d'hyperlieu, comme l'on parle d'un hypertexte ou d'un hypermédia, c'est-à-dire d'une structure complexe, multidimensionnelle. Les bibliothèques ont toujours été, dans une certaine mesure, des hyper-lieux. ».
Malheureusement cette excellente idée est restée au niveau du concept. L’émergence d’un web 3D, qui rend pleinement possible le co-browsing, reste méconnue des édiles. Le web 2D, enfant chimérique des magazines imprimés et de la télévision et qui fondamentalement, à bien y regarder, ne va pas tellement plus loin que le Minitel, ce web-là est frappé d’obsolescence. Il faudrait en prendre acte.
Les lecteurs et les usagers des bibliothèques ont le droit à une médiation humaine et à ne pas être influencés par des algorithmes. Des effets de modes, comme la mise à disposition de liseuses qui apportent facilement une caution de modernité aux élus locaux, ne suffiront pas à générer un saut qualitatif de la bibliothéconomie. Il faudrait être à la fois plus ambitieux, et surtout mieux informés des mouvements de fond qui travaillent la société.
Comme le dit Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) du Centre Pompidou : « La seule façon de prévoir l’avenir, c’est de l’inventer » (magazine du ministère de la Culture, N°208 de février 2013).
La médiation culturelle va être, est déjà, profondément remodelée par la porosité de plus en plus grande entre le monde dit “réel” et les nouveaux territoires numériques. Les nouvelles interfaces de réalité augmentée (je pense aux lunettes vidéo connectées, par exemple), l’internet des objets, les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle…, vont renouveler les rapports de médiation et d’expertise.
Alors inventons ! Inventez la bibliothèque du 21e siècle et ses nouvelles formes de médiations autour des ressources numériques, certes, mais aussi autour de l’imprimé, car comme tout le corpus manuscrit n’a pas été imprimé au 16e siècle, tout le corpus imprimé ne sera pas numérisé.
Les nouvelles formes de médiations que le numérique induit vous entrainent je pense à ne plus considérer les usagers comme de simples usagers, mais comme des "cherchants", voire parfois comme des chercheurs à part entière, et à redevenir en ce qui vous concerne des “sachants”, des guides. En 2006 dans La Sagesse du Bibliothécaire, Michel Melot écrivait : « Le bibliothécaire aime les livres comme le marin aime la mer. Il n'est pas nécessairement bon nageur mais il sait naviguer. », alors ne vous jetez pas à l’eau, mais gardez le cap ! "
 
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