Le 14 avril 2013 j’ai eu le
plaisir d’intervenir, à l’invitation de Nathalie Bretzner, Vincent Demulière et
de la Ville de Chenôve-en-Bourgogne, pour la conférence de clôture des premières
Journées Le Futur du Livre.
Une vraiment bonne
initiative à laquelle je suis heureux d’avoir participé et qui j’espère se
pérennisera en rendez-vous annuels, ce dont ont véritablement besoin les
différents acteurs du livre, pour échanger, tester, découvrir ensemble et renforcer
la solidarité entre passionnés du livre et de la lecture. Un salon
non-commercial aussi et ouvert au grand public, aux lecteurs pour leur
information.
C’est notamment pour ces
raisons que j’avais choisi ce thème des droits des lecteurs pour la conférence
de clôture.
Droits des lecteurs, certes
déjà défendus par quelques grandes figures auquel j’ai rendu hommage dans ma
présentation (Michael Hart, Aaron Swartz, Richard Stallman), et par quelques
blogueurs, au rang desquels parmi les francophones, Lionel Maurel ou Thierry
Crouzet, entre autres.
C’est cependant, à ma
connaissance, la première fois que le sujet était ainsi traité en public dans
une tentative de lister l’ensemble de ces droits et dans une perspective de
légitime revendication.
L’accueil fut bon et
quelques contacts après ma conférence prometteurs.
L’avenir dira.
En ce qui me concerne je ne
compte pas baisser les bras.
Les 14 droits des lecteurs au 21e siècle
En
2013, les droits des lecteurs n’ont plus rien à voir avec ceux qui avaient été
définis en 1992 par Daniel Pennac dans son essai Comme un roman (Gallimard éd.). Nous vivons des temps plus durs.
Voici les 14 droits fondamentaux que je
propose de documenter et de défendre :
(Actualisation le 13 septembre 2014. Qu’en
pensez-vous ?)
1 - Le droit de ne pas être fiché ou profilé sur ses
lectures.
(vs les pratiques de
certains cybermarchands, les systèmes dits propriétaires…)
2 - Le droit d’accéder librement au domaine public.
3 - Le droit à des dispositifs et des interfaces de
lecture pérennes.
(vs obsolescence programmée.)
4 - Le droit d'avoir le choix de lire, soit en version imprimée, soit en version numérique, quels que soient le titre et l'auteur.
5 - Le droit d’être informé dans sa langue sur les mutations du
livre et de son marché.
(vs infobésité, blogs
perroquets, intox marketing, contenus anglo-saxons, “l'information"
partisane des lobbies et des corporations professionnelles...)
6 - Le droit d’être propriétaire des livres achetés
ou offerts et de pouvoir les partager librement.
(c-a-d droit à une
bibliothèque personnelle privée inviolable, droits de prêts, de dons, de
legs... Et bien sûr : pas de DRM contraignants.)
7 - Le droit à l’autonomie, par rapport notamment aux applications logicielles d’annotation et de lecture sociale…
7 - Le droit à l’autonomie, par rapport notamment aux applications logicielles d’annotation et de lecture sociale…
8 - Le droit à un juste prix.
(c-a-d un prix abordable au
plus grand nombre avec une juste répartition entre auteurs, éditeurs et
libraires indépendants, un juste différentiel de prix entre version numérique et version imprimée, et avec la possibilité de refuser la publicité dans les
livres numérisés ou numériques et/ou au niveau des dispositifs et des logiciels
de lecture.)
9 - Le droit d’égalité de traitement avec les
lecteurs des autres pays.
(c-a-d notamment en termes
d’offre (de traductions…) et pour une harmonisation entre les pays sur "le
mieux faisant" en matière de domaine public et d’accès aux œuvres…)
10 - Le droit à une médiation humaine.
(notamment en librairies et en bibliothèques, vs prescriptions
algorithmiques et fausses critiques achetées…)
11 - Le droit à la bibliodiversité.
(vs formatage,
best-sellarisation, world litterature, censure…)
12 - Le droit à une offre de qualité.
(c-a-d des textes corrigés et
convenablement mis en page, ayant été l’objet d’une validation éditoriale ou
d’un véritable soin dans le cas de textes autoédités ; le respect de
l’intégrité de l’oeuvre et l’interopérabilité des fichiers numériques…)
13 - Des bibliothèques physiques accessibles (ouvertes le soir et le week-end et des bibliothèques numériques avec une médiation humaine...)
14 - Les mêmes droits d'accès aux textes pour tous
(Le respect des treize droits précédents quel que soit son handicap éventuel, notamment visuel ou moteur, et sa situation sociale...)
Guy Debord – Günther Anders – Victor Hugo
Le spectacle,
écrivait Guy Debord en 1971 dans La
société du spectacle (éd. Champ Libre), « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à
l'occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la
marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l'on
voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature
extensivement et intensivement. Dans les lieux les moins industrialisés, son
règne est déjà présent avec quelques marchandises-vedettes et en tant que
domination impérialiste par les zones qui sont en tête dans le développement de
la productivité. Dans ces zones avancées, l'espace social est envahi par une
superposition continue de couches géologiques de marchandises. ».
Cette déclaration exprime
bien ce que je ressens régulièrement déjà depuis plusieurs années dans les
grandes surfaces, même dites culturelles, quand je me retrouve face à un mur de
livres, comme quand je me retrouve face à un mur de boites de sardines ou de
tubes de dentifrice.
Outre Guy Debord, ma
réflexion se nourrit également de la pensée de Günther Anders dans son essai de
1956, L'Obsolescence de l'homme.
Sa lecture peut je crois
nous aider à penser les nouveaux dispositifs de lecture, dans le sens où Anders
y désigne en fait les machines en général.
« Ces instruments, écrit-il, ne
sont pas des moyens mais des décisions prises à l’avance : ces décisions,
précisément, qui sont prises avant même qu’on nous offre la possibilité de
décider. Ou, plus exactement, ils sont la décision prise à l’avance. ».
Non seulement l’offre
précède la demande, mais une liseuse ou une tablette ne sont pas uniquement des
moyens de lire. Ces dispositifs de lecture ne sont pas des livres qui se
suffiraient à eux-mêmes. Ils ne sont en vérité que les parties d’un système
organisant et donc contrôlant nos lectures.
La plus grande vigilance
m’apparaît donc nécessaire et les réactions à chaud à ma conférence de Chenôve
m’ont renforcé dans cette intuition que j’avais.
Nous devons je pense nous interroger
sur la technophilie ambiante qui gagne l’écosystème de la lecture et n’est
peut-être, en partie tout au moins, qu'un effet du formatage imposé par les
stratégies marketing de majors américaines qui prônent tout en l’organisant un
contexte d’hyperconnectivité dans une économie de l’attention et du temps de
cerveau disponible, en démultipliant l’offre et la création sans cesse
renouvelée de besoins factices et addictifs.
Si nous n’informons pas les
lecteurs, si nous ne formons pas au numérique les professionnels du livre et de
la médiation littéraire, si nous ne renforçons pas le rôle et le statut des
indépendants (tant des auteurs que des éditeurs et des libraires) nous risquons
de tous devenir les otages d'une aliénation collective imposée par quelques marques.
Victor Hugo dans son Discours d’ouverture du Congrès littéraire
international de 1878 déclarait ceci : « Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre,
appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas
trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. ».
J’ai dit.
- Photo prise par Michèle Drechsler, 14 avril 2013, Chenôve-en-Bourgogne, alors que je me prépare à donner ma conférence devant un public attentif et curieux.
- Version espagnole : Los derechos de los lectores (Les droits des lecteurs), Trama & Texturas (Espagne), N° 24, septembre 2014.
- Version espagnole : Los derechos de los lectores (Les droits des lecteurs), Trama & Texturas (Espagne), N° 24, septembre 2014.
J'ajouterais si vous le permettez un droit qui m'est fondamental:
RépondreSupprimer"Le droit de ne pas lire sur papier mais en format numérique" quelque soit le titre et l'auteur.
Pour info : dans la prochaine version le point 4 deviendra :
Supprimer"Le droit d'avoir le choix de lire, soit en version numérique, soit en version imprimée, quels que soient le titre et l'auteur."
Bien vu, merci, c'est le juste pendant au :
RépondreSupprimer4 - Le droit de ne pas lire en numérique mais en version imprimée.
Ce sera ajouté dans la version plus définitive.
C'est là un work in progress !
Merci Lorenzo. Excellent d'avoir pu ainsi parler de ce sujet en public.
RépondreSupprimerD'ailleurs, à ce sujet, je me permet d'indiquer qu'actuellement, l'industrie du divertissement US fait le forcing auprès du W3C afin que le mécanisme DRM soit intégré nativement dans l'HTML 5, avec les conséquences qu'on imagine. Pour en savoir un peu plus, et aussi agir sur ce problème : http://www.longshupublishing.com/articles/action-hollywood-remet-ca
Merci Alexandre pour ce complément d'information :-)
SupprimerUne version en work in progress est accessible à partir de ma page Facebook :-)
RépondreSupprimerExcellemment résumé ce qui devrait tomber sous le sens mais ne parvient pas à émerger dans le tonitruant concert de la technophile généralisée. Eh oui, comme aurait dit Magritte: ceci n'est pas un livre! Je me permet d'inviter à vous lire sur mon blog si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
RépondreSupprimerBonjour, et pour commenter le point 4 : non, il n'y a pas à réclamer le droit de lire en numérique dans le sens où, en droit politique depuis 1789, les droits que l'on énonce sont ceux qui ne sont pas évidemment octroyés par la société ou l'Etat. Donc, en réalité, Chrisdesiles, vous aurez non seulement le droit de lire en numérique puisque c'est ce que les entreprises comme Google, Apple ou Amazon ont décidé pour l'ensemble de la société, mais vous en aurez quasiment le besoin dans la mesure où, justement, il sera de plus en plus difficile de procéder autrement. A mon sens, Lorenzo, il ne faut pas modifier le point 4. C'est comme si vous mettiez "tout le monde a le droit de regarder la télévision", alors que c'est un fait assuré chaque soir pour des milliards de gens sur la planète. Le droit a toujours servi à "défendre l'opprimé", et en l'occurrence, ici, ce qui est opprimé est ce qui est porteur d'une politique d'émancipation. Que ce soit sur papier ou en numérique, puisque, dans les deux cas, c'est ce que l'on cherche le plus à cacher. Enfin, voilà très brièvement exposé un argument...
RépondreSupprimer@ P.Favaro et Philippe Godard : merci pour vos avis et le partage :-)
RépondreSupprimerJ'ajouterais le droit à l'interopérabilité, la fin des DRM et quelques autres encore..
RépondreSupprimerLa question de l'interopérabilité est traitée implicitement dans le droit 11 entre autres, celle des DRM explicitement dans le droit 6. Il s'agit je pense de structurer la réflexion et les données sur le sujet en formalisant un nombre minimum de droits fondamentraux incluant les principaux aspects, mais surtout pas de produire une longue liste qui serait sans effet ;o)
SupprimerSuper titre, car on parle toujours des droits d'auteur, mais peu de l'accès à la culture.
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