lundi 30 août 2010

Retour d’Ouessant. Pandémie Apple. Démangeaisons de Tweets.

Dans le cadre des journées numér’ile 3, j’ai eu le plaisir de participer, modestement, comme simple animateur de deux échanges (d’abord, Ce qu’Internet change au récit du monde, le 20 août dernier, qui réunissait François Bon, Thierry Crouzet et Arash Derambarsh, puis, en off le 21, sur le thème : Edition numérique, mode d’emploi, avec diverses interventions spontanées) à la 12e édition du Salon international du livre insulaire à Ouessant.

Avant un petit débriefing tout personnel, je tiens à remercier tout particulièrement Isabelle Le Bal, présidente et organisatrice du Salon, et Jeanlou Bourgeon, organisateur et agitateur d’idées des 3e Rencontres numér’ile, nouveaux univers des médias et des éditions en réseaux.
Amicales pensées également pour : Lise Hascoët (dont un dessin illustre ce post), à Gwenn Cathala des éditions Numerik:)ivres, ainsi qu’à Sophie Le Douarin-Deniel de bookBéo, Clément Monjou et Alexis Jaillet du blog eBouquin.fr, et enfin, tout particulièrement, pour Isabelle et Thierry Crouzet, Sara MC Doke et Yal Ayerdhal, avec lesquels j’ai pu échanger plus longuement sur les problématiques de l’édition contemporaine et numérique.
Conclusion ? Je suis rentré satisfait, mais inquiet.
Inquiet pour le livre et pour la lecture.
François Bon (lequel à mon avis devrait donner en spectacles ses passionnantes et passionnées lectures de Rabelais), a, évidemment, apporté de bien intéressantes contributions (sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants), mais nous pouvons regretter cependant qu’il ait été le seul représentant d’une maison d’édition numérique francophone (Publie.net), alors qu’avec la BD numérique nous pouvons en dénombrer une petite trentaine. Numerik:)ivres n’a pas été présent en tant qu’éditeur et les éditions Leezam, inscrites au programme, absentes.
Je regrette aussi les passages bien trop rapides de Michèle Drechsler et de Bruno Rives que j’ai à peine eu le temps de saluer ; ainsi que d’Arash Derambarsh des éditions du Cherche-Midi, et du digiborigène David Queffélec qui nous ont fait l’amitié de participer à ces deux débats, que je n’avais au fond pas besoin d’animer, tant ils l’étaient spontanément, avec « Des égos parfois surdimensionnés [qui] s’entrechoquent, se frottent, se télescopent » (dixit avec justesse Thierry Crouzet), et tant et si bien que je me suis ainsi réellement retrouvé au fond dans ce rôle énigmatique de “Grand Témoin” auquel m’avait assigné l’organisation.

De quoi peut témoigner un grand témoin ?
En exergue de mes propos je souhaiterais ici cette déclaration d’Albert Camus, et je profiterais de l’occasion pour signaler que ce gros livre imprimé (Albert Camus, une vie, par Olivier Todd, Folio, 1999, 1190 pages, et à ma connaissance inexistant en version numérique) que l’on voit à côté d’une tablette Kindle sur la photographie prise par Alexis Jaillet, est le livre que je lisais alors. J’ai dit.

Et voici donc ces mots de Camus, en écho à nos quelques échanges avec Thierry Crouzet notamment : « Si l’homme veut être reconnu, il lui faut dire simplement qui il est. S’il se tait ou s’il ment, il meurt seul, et tout autour de lui est voué au malheur. S’il dit vrai au contraire, il mourra sans doute, mais après avoir aidé les autres et lui-même à vivre. » (Page 484).
Alors qu’ai-je à dire de vrai ici ?

De ces journées ouessantines, il ressort pour moi, mais peut-être ne serait-ce qu’une impression engendrée par une insularité énigmatique, que l’édition numérique relèverait davantage, dans les esprits de beaucoup,  du fantasme futuriste et communautaire, que des réalités économiques qui nous sont imposées par le marché et par les industries de l’électronique et du divertissemement.
Les effets mirages induits par le design d’une certaine marque notamment, et par les facilités que semblent apporter certaines nouvelles technologies, ou certains services qui leurs sont associés, leurrent, je pense, trompent, et nous font oublier les réalités humaines et socioéconomiques du passage de l’édition imprimée à une édition… numérique ?
Pour ma part l’édition numérique ne m’intéresse pas.
Ce qui m’intéresse c’est l’édition du 21e siècle, celle que nous laisserons en héritage à nos descendants du 22e siècle.

Débriefing : explication de titre
Ainsi, j’observe que progressivement, mais assez paradoxalement à la fois lentement et rapidement, selon les repères que l’on se propose, dans le décor de tous les jours s’installent, davantage que des outils nouveaux, de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine.
Et alors que je me faisais une joie de passer déconnecté ces quelques journées ouessantines, fort éloigné de mon ordinateur et de tous types d’écrans, j’ai, pratiquement en permanence, été encerclé d’iPhone, d’iPad et de Mac, le tout dans un bourdonnement de tweets incessant.

Mon objectif n’est pas ici de revenir d’autorité et après coup sur les échanges publics qui ont pu avoir lieu durant ces cinq jours, intéressants et enrichissants (intellectuellement j’entends) à plus d’un titre.
Les contributions pertinentes de François Bon, à la discussion du 20 août : “Ce qu’Internet change au récit du monde” (avec cette question essentielle qu'il pose : « Comment avancer dans l’imprédictible, sachant que cet imprédictible emporte avec lui […] une part radicale de ce qui nous définit comme culture, avec le rêve, l’imaginaire, la pensée réflexive ? »), et à celle du 22, “De l’auteur comme écosystème”, sont intégralement en ligne.
J’espère que sera mise également rapidement en ligne celle, toute aussi pertinente, du dimanche 22 août (sur le thème : Livre numérique et droits des auteurs), de Henry Le Bal.
Ces interventions ont pour moi le grand mérite de ne pas s’illusionner et de s’inscrire dans une transhistoricité qui, comme vous le savez peut-être, est une des perspectives essentielles de la prospective du livre et de l’édition (voir Le livre et la lecture au 21e siècle : des enjeux d’universalité).
N.B. : un site dédié à ces 3e Rencontres numér’ile et reprenant l’intégralité vidéo des échanges devrait être prochainement mis en ligne.

Dans quel état j’erre se dit le livre ;-)
L’empilement des versions (la troisième pour le Kindle d’Amazon) et des mises à jour informatiques, ne serait-il pas une version technolâtre des empilements de pierres, des empilements de tablettes, puis de pages, qui donnèrent naissance à l’interface des codices ?
Comme une auditrice des échanges d’Ouessant le rappelait, les réseaux épistolaires datent de plusieurs siècles.
Et à peine rentré de Bretagne je découvre que les SMS datent eux (au moins) du 19e siècle (Des SMS du XIXème siècle).

J’ai souvent souligné pour ma part que vers l’an 400, des moines avaient inventé… le Web 2.0, avec un système de “blogs” manuscrits qui permettaient à chacun d’écrire et de diffuser ses propres textes, commentés ensuite par des lecteurs, dont les commentaires pouvaient à leur tour être commentés.
Une pratique collaborative, à vocation universelle avec l’emploi du latin, qui permettait déjà d’amender, de modifier, de compléter, d’enrichir un texte tout en gardant traces des différentes versions et de l’exemplaire original (comme sur Wikipédia).
Ces moines ont été plus loin que les scribes fonctionnaires de l’Antiquité. Ils ont inauguré une gestion participative des textes, non plus dans la conversation ou le dialogue, mais, par écrit. Ils ont développé une gestion communautaire au fil de laquelle : l’auctor rédigeait ses propres idées, le compilator intervenait comme agrégateur (RSS), ajoutait au texte initial des compléments d’informations provenant d’autres sources, d’autres auteurs ; le commentator commentait, et certains commentaient les commentaires et commentaient les commentaires des commentaires et cetera, comme sur les blogs exactement ; tandis que le scriptor, jouait le rôle de Wikipédia en retranscrivant tout ceci : les différentes versions successives d’un texte original en perpétuelle construction. Le Web 2.0 sans informatique ni électricité ! En tous cas l’idée était là.
Comme l’idée de l’hypertexte était présente dans Le Diverse et artificiose machine, paru à Paris en 1588, ouvrage dans lequel l’ingénieur italien Agostino Ramelli représentait un astucieux système de deux grandes roues parallèles, reliées entre elles par une douzaine de lutrins, sur lesquels reposaient des livres ouverts : La Roue à Livres. Il suffisait qu’un lecteur s’asseye devant, lise et fasse tourner la roue, pour passer aisément d’un livre à l’autre.
Même ce sentiment d’infobésité (surinformation ou information overload) que nous ressentons parfois fut déjà décelé et explicité dès 1621 par le dénommé Robert Burton.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’ont rien inventé d’essentiel.
Elles ont seulement facilité certaines choses (voir illustration).
Et la question doit se poser de ce que ces facilités apparentes et monnayables charrient en termes d’addiction et d’asservissement.
En quoi nous sont-elles réellement utiles et en quoi ne servent-elles que de cheval de Troie à des régies publicitaires ?

lundi 16 août 2010

Chronologies du livre et déclin des industries culturelles

En donnant une épaisseur chronologique à l’actualité du livre et de l’édition numériques, la prospective du livre et de l’édition interroge ce qui fait sens, justement, dans la logique du temps, des temps, évaluant les délais d’adaptation et d’assimilation, les rythmes d’aptitudes et d'acceptation aux changements, les éventuels cycles d’évolution.
Nos ancêtres ne sont pas passés en quelques années, ni même en quelques décennies, des rouleaux aux codices, d’une lecture orale à la lecture silencieuse, des manuscrits à l’imprimerie, etc. Et le livre numérisé date déjà de… 1971 (bientôt 40 ans, et songeons que l’époque des incunables s’écoule sur 50 ans, de 1450 à 1500, cinquante années dans lesquelles ne sont pas comprises les décennies de lente maturation qui rendirent possible “un jour”, entre guillemets, l’émergence de l’imprimerie).
Si l’histoire est un éternel recommencement, rien ne se répète exactement à l’identique. Nous l’observons tous au cours de nos propres vies. Aussi devrions-nous certainement être davantage vigilants, s’agissant d’une révolution culturelle qui serait encore, en grande partie, en gestation.
Nous devrions, alors que nous allons entrer dans la deuxième décennie du 21e siècle :
  • Savoir de quoi ces nouvelles pratiques émergentes, qui caractériseraient l’édition numérique du siècle, seraient, précisément, les héritières, et ce que sera leur descendance, de quoi ces filles, folles ou fofolles, pourraient, à leur tour, être un jour les porteuses…
  • Faire la part de ce qui s’invente de ce qui se redécouvre de ce qui se contrefait, de ce qui….
  • Différencier le numérique comme outil, comme support technique, comme service, comme standard de communication…
  • Penser (et anticiper) la fin des industries culturelles et des majors de l’entertainment…
  • Nous demander comment va évoluer la valeur que nous attribuons à l’expérience de la lecture…
  • Évaluer le temps que durera la lecture sur écrans… 
Conduire toutes ces interrogations, sur un chemin apparemment sans fin, sur un champ au périmètre incertain, cela pour penser le livre du 21e siècle dans toutes ses dimensions, n’est possible qu’en empruntant à la fois aux historiens et aux futurologues.
Plus que les contemporains, ce seront les générations qui viendront après le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique, qui pourront juger de la pertinence des perspectives que nous aurons tracées.
Nonobstant, les contemporains de ce passage de l’imprimé au numérique, pourraient être davantage attentifs, s’orienter dans notre sillage, passer le gué… avec celles et ceux qui de toutes façons le passeront.

mercredi 11 août 2010

Edition Numérique et Lecture Assistée

Alors que les groupes éditoriaux pourraient basculer dans les industries de l'entertainment, les éditeurs indépendants pourraient avoir une carte à jouer en expérimentant et en lançant des tendances nouvelles.
Dans cette optique, optimisés par les techniques d’oculométrie (eye tracking = ensemble de techniques permettant de suivre et d'enregistrer les mouvements oculaires des lecteurs), les nouveaux dispositifs de lecture, pourraient, plus que nous l’imaginons en 2010, véritablement révolutionner nos pratiques de lecture [Cf. Eye-Tracking Tablets and the Promise of Text 2.0].
Technologies de lecture et conception éditoriale devraient ainsi assez aisément pouvoir faire bon ménage pour développer des livres-applications d'apprentissage de la lecture, ou pour faciliter l'autonomisation des jeunes lecteurs.
Des programmes spécifiques pourraient être développés pour concevoir des livres numériques adaptés aux enfants dyslexiques ou en difficulté de lecture, livrels qui iraient forcément plus loin que la louable et en elle-même bonne collection “Les Mots à l’endroit”, lancée en 2006 par la maison d'édition Danger Public.

Premières initiatives

Quelques premières initiatives, qu’illustrent les vidéos suivantes, vont plus ou moins dans ce sens :

Découvrir cette entreprise française So Ouat !
et ses applications éducatives sur leur site.


Signalons aussi ici les travaux de l’association
 Voix Haute.fr (Lecture & pédagogie du français)

Ces préoccupations ne sont pas nouvelles et datent en fait des débuts du livre numérique. Rappelons-nous que le Dynabook d’Alan Kay, en 1972, était déjà un projet d'ordinateur portable à usage créatif pour enfants, conduit au PARC de Xerox. Les programmes de l’OLPC sont également très intéressants dans cette veine et demandent à être suivis de près.
Pensons que celles et ceux qui apprennent aujourd’hui à lire seront les lecteurs du siècle ;-)

samedi 7 août 2010

9 questions réponses sur le devenir de l'édition

Considérant que cet entretien que j'avais donné en juin dernier, pour son mémoire de fin d'études (Enjeux et stratégies de la modernisation de la chaine du livre) à une étudiante de l'ESARTS (Ecole Supérieure de gestion et de médiation des Arts), abordait les  principales interrogations actuelles sur le devenir de l'édition, j'ai pensé à le publier ici, en cette calme période estivale.
Bonne lecture et n'hésitez pas à le commenter :
" 1 - Depuis notre dernière rencontre, l’iPad a été lancé en France. D’après ses premiers résultats, pensez-vous qu’il puisse être considéré comme un nouveau dispositif de lecture, au même titre que le Kindle par exemple, et qu’il pourrait être en mesure de favoriser la lecture numérique, ou bien qu’il fait tout simplement partie d’une nouvelle génération de tablettes numériques qui relèvent davantage de l’ordinateur multifonction ?

Réponse : Nous n’avons à ce jour [début juin 2010] qu’encore peu de recul sur les usages, et sur les probables influences de l’iPad sur les pratiques de lecture. Les premières enquêtes aux USA sont conformes à ce que nous pouvions prédire apparemment, à savoir : que l’utilisation de l’iPad, comme dispositif de lecture de livres numériques (ebooks) et/ou de presse magazine, arrive en quatrième ou cinquième position, après la navigation sur le Web, le visionnage de vidéos, les jeux, etc.
Objectivement, nous n’avons pas encore, en juin 2010, le recul suffisant pour déterminer comment les utilisateurs adopteront les multiples fonctions de l’appareil et lesquelles ils privilégieront. Beaucoup va aussi dépendre des applications qui leurs seront proposées.
De nombreux éditeurs, pas seulement anglo-saxons, mais également français, ont tenu à être présents sur l’iPad dès sa mise sur le marché. Les questions qui sont alors soulevées sont celles de la politique tarifaire d’Apple, d’une part, des éditeurs, d’autre part, mais il est certain qu’il faut voir au-delà et envisager les comportements des utilisateurs et la pertinence des offres éditoriales.
La technologie d’affichage e-ink/e-paper, utilisée notamment par Amazon pour son dispositif Kindle et par Sony pour ses différents readers, est sans conteste bien plus adaptée à la lecture. Comparés à l’iPad, ces dispositifs, moins volumineux, sont davantage nomades. Ils restent lisibles à l'extérieur, et notamment en plein soleil, contrairement à l’écran LCD de l’iPad (même doté du système IPS – In-Plane Switching, qui améliore le contraste). Ils sont également moins onéreux. En revanche, ils sont moins “sexy”, entre guillemets : ils ne sont pas multifonction et ils ne permettent que la lecture, et en noir et blanc ! Mais l’encre électronique couleur devrait être commercialisable prochainement et, tant Amazon que Sony, adoptent une politique de prix et de diffusion offensive pour rester concurrentiels face à Apple sur le créneau de la lecture numérique. D’un autre côté l’iPhone 4 devrait être mieux adapté à la lecture ( ?).
Tous ces différents facteurs conjugués peuvent certainement doper le marché de l’édition numérique (ce qui est en partie différent du fait de : « favoriser la lecture numérique »).
A terme ce seront les générations de lecteurs qui trancheront…

2 - Antoine Gallimard a été élu à la tête du S.N.E depuis le jeudi 24 juin : quels peuvent être les changements de la politique du livre face au livre numérique suite à cette élection ? Peut-elle favoriser la création d’une plateforme de téléchargement unique de livres en France ?

Réponse : Pour ce qui est de la constitution d’une plateforme interopérable, la réponse est : oui. La profession n’a heureusement pas attendu l’assemblée générale du SNE et le système est déjà opérationnel depuis quelques jours. Il s’agit plus précisément d’une offre commune entre les différentes plateformes : Eden Livres, ePagine, ePlateforme et Numilog.
Pour le reste, il ne faut pas surestimer le rôle et l’influence du SNE. D’autres acteurs majeurs influencent également la politique du livre. Le travail des lobbies, que ce soit des professionnels de la filière graphique, d’une part, ou, d’autre part, des opérateurs de téléphonie mobile notamment, est également très actif.
Le SNE fédère 575 éditeurs, soit certainement moins de 50% des éditeurs français. Cela dit, ses 575 éditeurs représenteraient 75% du chiffre d’affaires du secteur, car les plus grands groupes, et notamment les numéros un et deux : Hachette Livre et Editis Planeta, y sont partie prenante.
Cela dit, l’édition numérique est incontestablement LE dossier prioritaire pour le nouveau Bureau du SNE qui définit ainsi ses missions : "Définir les conditions d'émergence d'une offre légale numérique attractive", "garantir l'interopérabilité de nos plateformes numériques", "défendre la propriété intellectuelle", "contrecarrer les ambitions inquiétantes de Google Livres", ainsi que le dossier "de la TVA à taux réduit applicable au livre numérique".

3 - Google annonce prochainement le lancement de Google Edition. Quels sont les intérêts du moteur de recherche à lancer sa librairie en ligne ? Comment les libraires et les éditeurs français peuvent-ils se rendre efficaces face à ce géant ?

Réponse : Les intérêts de Google sont naturellement financiers. Il s’agit pour Google de syndiquer autour de sa propre plateforme de livres numériques des partenariats et donc des liens commerciaux. Plus de 90% des revenus de Google sont publicitaires.
La réponse des libraires et des éditeurs français est de développer leurs propres plateformes et de les rendre interopérables entre elles. Mais, d’une part, il faudra voir vers où les utilisateurs lecteurs se tourneront, et, d’autre part, il faut avoir conscience, qu’à terme, des solutions franco-françaises ont peu de chances de perdurer, dans un marché du livre qui s’internationalise de plus en plus et est de plus en plus accaparé par les majors du divertissement (entertainment).
A mon avis, l’interprofession française du livre néglige de jouer la carte de la francophonie (notamment avec le Québec) et c’est un tort !
Google travaille sur des systèmes ouverts et également sur un projet de dispositif de lecture couplé à des solutions de cloud computing (“informatique dans les nuages”, c’est-à-dire en résumé que le livre numérique ne sera pas stocké dans le dispositif de lecture, mais, sur des serveurs extérieurs, auxquels le lecteur via son dispositif de lecture se connectera).
Alors qu’il apparaît difficile de trouver un modèle économique rentable pour le livre numérique, contaminé par le syndrome de la gratuité qui a gagné le web, on peut penser que Google prémédite de proposer un jour aux éditeurs de placer de la publicité dans leurs ebooks.

4 - En termes de contenus numériques, pensez-vous que l’enrichissement des textes est une possibilité à l’avenir ? A qui revient ce rôle ? Pensez-vous que créer des départements spécialisés dans l’enrichissement des textes numériques au sein des maisons d’édition soit une solution pour que l’édition française se maintienne en France ?

Réponse : L’enrichissement des textes existant en versions nativement imprimées, et notamment le patrimoine littéraire, pose de multiples problèmes, relevant de l’intégrité des œuvres et du respect du droit moral de leurs auteurs.

lundi 2 août 2010

Le livre et la lecture au 21e siècle : des enjeux d’universalité

Comme l’écrivait Robert Darnton : « La lecture a une histoire », et Alberto Manguel, dans la partie introductive de sa passionnante Histoire de la lecture (Actes Sud éd.), parle avec justesse d’une communauté universelle de lecteurs, dans son livre qu’il illustre abondamment de reproductions de lectrices, de lecteurs et de scribes.
Aux moments historiques où se conjuguent, d’une part et pêle-mêle, des tendances fortes de globalisation, de mondialisation, d’intelligence collective, de transhumanisme, de nouvelles gouvernances et de flux, etc., et, d’autre part, celles d’e-réputation, de storytelling et de personal branding, etc., le média livre et ses usages nouveaux pourraient être le pivot de la sociabilité des siècles à venir.
Aussi, les représentations de lectrices, de lecteurs, les postures et les contextes de leurs lectures, produites au fil des siècles passés, dessinées, peintes, gravées ou sculptées, sur tous supports, que cela soit sur tissus ou sur vitraux, ces représentations font sens, elles témoignent historiquement, et des traditions liées aux livres, de la permanence d’invariants dont il nous faut, au minimum, garder la mémoire, et également, parfois, des valeurs symboliques liées à cette activité particulière et spécifiquement humaine : la lecture.

1300 électrons libres de feu la chaine du livre

Pour ces raisons, nous avons ouvert en ce mois d’août 2010 un nouvel album  (Lectrices, Lecteurs et Lectures) sur ma page Facebook, rassemblant 1300 personnes, toutes plus ou moins proches de l’interprofession du livre.
Des échanges nombreux, parfois sibyllins, j’en conclus qu’il s’agit, dans cette communauté informelle, infime partie de cette communauté universelle de lecteurs qu’évoquait Alberto Manguel, et ce, même si certains et certaines sont salariés de l’édition classique, et d’autres, acteurs et actrices de l’édition numérique, j’en conclus que toutes et tous sont déjà davantage des électrons libres que des maillons humains d’une chaîne du livre.

De l’insularité de la lecture à l’universalité du livre

La lecture-écriture, activité insulaire, sera demain, notamment avec les nouveaux dispositifs de lecture qui émergent sous des formes encore primitives, le principal processus fabulateur de l’homo numericus, par le truchement de livres certainement davantage collaboratifs, plus proches de la sociabilité des manuscrits que de celle des imprimés.
Stratégies de crowdsourcing et de crowdfunding seraient-elles les mamelles de l’édition du 21e siècle ?
Nonobstant, étudier aujourd’hui les dispositifs de lecture des siècles précédents, voir, grâce aux artistes des siècles passés, comment les femmes et les hommes se les appropriaient, dans quels contextes ils en faisaient usages, mais aussi, ce que ces représentations, souvent posées, réfléchies, et donc préméditées, voulaient signifier, ce qu’elles voulaient ainsi véhiculer jusqu’à nous ; étudier aujourd’hui tout cela, c’est, dans le cadre d’une réflexion stratégique, se donner des moyens supplémentaires de comprendre et d’organiser à moyen terme les évolutions du marché du livre.

Des vertus de l’historisation en prospective

L’idée de cet album illustre ainsi parfaitement en somme la démarche d’historisation propre à la prospective du livre et de l’édition, telle que je l’ai conçue et que je la promeus.
J’essaie toujours de ne pas m’en tenir à la seule actualité et à l’observation des changements en cours que nous pouvons tous observer quotidiennement.
J’essaie aussi de ne pas me projeter directement dans l’avenir, en extrapolant sans garde-fou.
La prospective du livre et de l’édition relève autant de l’histoire que de la futurologie.
Je trouve plus sage d’avancer dans l’avenir, éclairé des lumières du passé :
1 - Détecter la situation nouvelle, l’élément perturbateur dans le présent…
2 - Se replonger dans le passé, dans l’histoire du livre et de son marché, dans l’histoire de la lecture, pour essayer de retrouver traces de contextes plus ou moins similaires et en tirer les enseignements…
3 - Se projeter dans l’avenir, à court puis à moyen termes, conjuguer présent et futur à la lumière des enseignements du passé, pour en tirer des conclusions pratiques et des orientations stratégiques concrètement opérationnelles pour les acteurs du livre et de l’édition d’aujourd’hui.
Ces trois étapes sont pour moi les piliers de la démarche prospective pour le livre et l’édition.

[Illustrations de haut en bas : La belle liseuse par Léon-François Comerre ; Jeune Fille lisant, par Franz Eybl ; Lectrice par Edward Hopper et Lectrice par Angeli Guerino.]