Comme l’écrivait Robert Darnton : « La lecture a une histoire », et Alberto Manguel, dans la partie introductive de sa passionnante Histoire de la lecture (Actes Sud éd.), parle avec justesse d’une communauté universelle de lecteurs, dans son livre qu’il illustre abondamment de reproductions de lectrices, de lecteurs et de scribes.
Aux moments historiques où se conjuguent, d’une part et pêle-mêle, des tendances fortes de globalisation, de mondialisation, d’intelligence collective, de transhumanisme, de nouvelles gouvernances et de flux, etc., et, d’autre part, celles d’e-réputation, de storytelling et de personal branding, etc., le média livre et ses usages nouveaux pourraient être le pivot de la sociabilité des siècles à venir.
Aussi, les représentations de lectrices, de lecteurs, les postures et les contextes de leurs lectures, produites au fil des siècles passés, dessinées, peintes, gravées ou sculptées, sur tous supports, que cela soit sur tissus ou sur vitraux, ces représentations font sens, elles témoignent historiquement, et des traditions liées aux livres, de la permanence d’invariants dont il nous faut, au minimum, garder la mémoire, et également, parfois, des valeurs symboliques liées à cette activité particulière et spécifiquement humaine : la lecture.
1300 électrons libres de feu la chaine du livre
Pour ces raisons, nous avons ouvert en ce mois d’août 2010 un nouvel album (Lectrices, Lecteurs et Lectures) sur ma page Facebook, rassemblant 1300 personnes, toutes plus ou moins proches de l’interprofession du livre.
Des échanges nombreux, parfois sibyllins, j’en conclus qu’il s’agit, dans cette communauté informelle, infime partie de cette communauté universelle de lecteurs qu’évoquait Alberto Manguel, et ce, même si certains et certaines sont salariés de l’édition classique, et d’autres, acteurs et actrices de l’édition numérique, j’en conclus que toutes et tous sont déjà davantage des électrons libres que des maillons humains d’une chaîne du livre.
De l’insularité de la lecture à l’universalité du livre
La lecture-écriture, activité insulaire, sera demain, notamment avec les nouveaux dispositifs de lecture qui émergent sous des formes encore primitives, le principal processus fabulateur de l’homo numericus, par le truchement de livres certainement davantage collaboratifs, plus proches de la sociabilité des manuscrits que de celle des imprimés.
Stratégies de crowdsourcing et de crowdfunding seraient-elles les mamelles de l’édition du 21e siècle ?
Nonobstant, étudier aujourd’hui les dispositifs de lecture des siècles précédents, voir, grâce aux artistes des siècles passés, comment les femmes et les hommes se les appropriaient, dans quels contextes ils en faisaient usages, mais aussi, ce que ces représentations, souvent posées, réfléchies, et donc préméditées, voulaient signifier, ce qu’elles voulaient ainsi véhiculer jusqu’à nous ; étudier aujourd’hui tout cela, c’est, dans le cadre d’une réflexion stratégique, se donner des moyens supplémentaires de comprendre et d’organiser à moyen terme les évolutions du marché du livre.
Des vertus de l’historisation en prospective
L’idée de cet album illustre ainsi parfaitement en somme la démarche d’historisation propre à la prospective du livre et de l’édition, telle que je l’ai conçue et que je la promeus.
J’essaie toujours de ne pas m’en tenir à la seule actualité et à l’observation des changements en cours que nous pouvons tous observer quotidiennement.
J’essaie aussi de ne pas me projeter directement dans l’avenir, en extrapolant sans garde-fou.
La prospective du livre et de l’édition relève autant de l’histoire que de la futurologie.
Je trouve plus sage d’avancer dans l’avenir, éclairé des lumières du passé :
1 - Détecter la situation nouvelle, l’élément perturbateur dans le présent…
2 - Se replonger dans le passé, dans l’histoire du livre et de son marché, dans l’histoire de la lecture, pour essayer de retrouver traces de contextes plus ou moins similaires et en tirer les enseignements…
3 - Se projeter dans l’avenir, à court puis à moyen termes, conjuguer présent et futur à la lumière des enseignements du passé, pour en tirer des conclusions pratiques et des orientations stratégiques concrètement opérationnelles pour les acteurs du livre et de l’édition d’aujourd’hui.
Ces trois étapes sont pour moi les piliers de la démarche prospective pour le livre et l’édition.
[Illustrations de haut en bas : La belle liseuse par Léon-François Comerre ; Jeune Fille lisant, par Franz Eybl ; Lectrice par Edward Hopper et Lectrice par Angeli Guerino.]
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