Ci-après le texte que j'ai lu à la suite de ma conférence ("L'avenir du livre et l'évolution des bibliothèques à l'ère du numérique") le 05 avril 2013 dans le cadre de la Journée des Bibliothèques de Côte-d'Or et des 8e Rencontres de la BD de Longvic :
" Communication sur les nouvelles médiations autour des
ressources numériques en bibliothèques
On m’a demandé
de m’exprimer, en introduction de cette Journée des Bibliothèques de Côte-d’Or et
de la présentation par M. Benoît VALLAURI de la Médiathèque Départementale
d'Ille-et-Vilaine, sur la question des nouvelles médiations autour des
ressources numériques en bibliothèques.
Je vais aborder
cette question en tant que chercheur en prospective du livre et de la lecture
et non pas en tant que bibliothécaire, ce que je ne suis pas.
Voici donc ce
que j’observe depuis quelques années avec l’intrusion du numérique dans
l’univers de l’imprimé, la fameuse Galaxie
Gutenberg : une métamorphose du livre en tant que contenant, ainsi
qu’une volatilité des livres en tant que contenus. Deux faits aujourd’hui
indéniables et qui peuvent être considérés je pense comme des marqueurs d’une
nouvelle période dans l’histoire du livre, période que nous pourrions qualifier
comme étant celle des "e-incunables", en référence aux incunables de
1450 à 1501, premiers ouvrages imprimés qui reprenaient les codes des œuvres
manuscrites.
Comme je l’ai
signalé dans ma conférence il faut également prendre en compte l’évolution des
pratiques, notamment de lecture et de recherche d’information, ainsi que les nouvelles
attentes d’usagers qui sont devenus des internautes, et sont même maintenant de
plus en plus souvent des mobinautes.
De l’extérieur
j’observe trois principales perspectives vers lesquelles les médiathèques semblent
évoluer au cours de ce 21e siècle.
D’abord, on
commence à l’observer aux États-Unis d’Amérique, en parallèle à la fermeture de
bibliothèques entre guillemets “classiques”, l’apparition de bibliothèques sans
livres, établissements surtout universitaires et offrant des documents
numériques et des postes informatiques pour accéder notamment à des fonds
numérisés.
Puis, d’Angleterre
et du nord de l’Europe nous voyons se développer des bibliothèques conçues
comme troisième lieu. Après le premier lieu du domicile et le deuxième lieu du cadre
professionnel, il s’agit d’aligner la bibliothèque comme troisième lieu, espace
public d’échanges sociaux et culturels, en concurrence avec le cinéma, le café,
la place du marché… ; et cela donne parfois lieu je trouve à des dérives.
Enfin, et
notamment en France, se développe le concept de bibliothèque inclusive,
c’est-à-dire allant à l’encontre des exclusions sociales et œuvrant en ce sens :
à l’accessibilité des lieux et des contenus aux usagers handicapés, à la mixité
et à la diversité sociale en accueillant et en fournissant des contenus adaptés
à des publics d’âges, de conditions sociales et de nationalités différentes, à l’accompagnement
social par des informations pratiques, par exemple sur l’emploi et la formation
professionnelle, voire l’alphabétisation, enfin en participant à la réduction
de la fracture numérique en proposant des équipements et des formations, par
exemple en recherche et en validation d’informations sur le web.
Nous observons donc
en fait deux mouvements contradictoires : d’une part, celui de vouloir faire
venir les usagers "à tous prix", d’autre part, celui de proposer des
services en ligne pour leur éviter de devoir venir.
Il faudrait je
pense rendre davantage complémentaires ces deux approches. Une bibliothèque
numérique devrait être un dispositif de médiation inscrit dans et participant
d'un écosystème territorial.
Aussi je vous propose
moi un modèle plus ambitieux, celui de la bibliothèque comme hyper-lieu.
J’emprunte cette
notion d’hyper-lieu à Patrick Bazin, directeur de la BPI (Bibliothèque publique
d'information du Centre Pompidou à Paris) s’exprimant ainsi en mai 2012 dans le
magazine professionnel Livres Hebdo :
« Mieux vaudrait, disait-il, parler d'hyperlieu, comme l'on parle d'un
hypertexte ou d'un hypermédia, c'est-à-dire d'une structure complexe,
multidimensionnelle. Les bibliothèques ont toujours été, dans une certaine
mesure, des hyper-lieux. ».
Malheureusement
cette excellente idée est restée au niveau du concept. L’émergence d’un web 3D,
qui rend pleinement possible le co-browsing,
reste méconnue des édiles. Le web 2D, enfant chimérique des magazines imprimés
et de la télévision et qui fondamentalement, à bien y regarder, ne va pas
tellement plus loin que le Minitel, ce web-là est frappé d’obsolescence. Il
faudrait en prendre acte.
Les lecteurs et
les usagers des bibliothèques ont le droit à une médiation humaine et à ne pas être
influencés par des algorithmes. Des effets de modes, comme la mise à
disposition de liseuses qui apportent facilement une caution de modernité aux
élus locaux, ne suffiront pas à générer un saut qualitatif de la bibliothéconomie.
Il faudrait être à la fois plus ambitieux, et surtout mieux informés des mouvements
de fond qui travaillent la société.
Comme le dit
Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et
d’innovation (IRI) du Centre Pompidou : « La seule façon de prévoir l’avenir, c’est de l’inventer »
(magazine du ministère de la Culture, N°208 de février 2013).
La médiation
culturelle va être, est déjà, profondément remodelée par la porosité de plus en
plus grande entre le monde dit “réel” et les nouveaux territoires numériques.
Les nouvelles interfaces de réalité augmentée (je pense aux lunettes vidéo
connectées, par exemple), l’internet des objets, les progrès dans le domaine de
l’intelligence artificielle…, vont renouveler les rapports de médiation et
d’expertise.
Alors inventons !
Inventez la bibliothèque du 21e siècle et ses nouvelles formes de médiations
autour des ressources numériques, certes, mais aussi autour de l’imprimé, car
comme tout le corpus manuscrit n’a pas été imprimé au 16e siècle, tout le corpus
imprimé ne sera pas numérisé.
Les nouvelles
formes de médiations que le numérique induit vous entrainent je pense à ne plus
considérer les usagers comme de simples usagers, mais comme des
"cherchants", voire parfois comme des chercheurs à part entière, et à
redevenir en ce qui vous concerne des “sachants”, des guides. En 2006 dans La Sagesse du Bibliothécaire, Michel
Melot écrivait : « Le
bibliothécaire aime les livres comme le marin aime la mer. Il n'est pas
nécessairement bon nageur mais il sait naviguer. », alors ne vous
jetez pas à l’eau, mais gardez le cap ! "
Vous pouvez lire également : La bibliothèque en 2042...
Je retiens l'idée d'hyperlieu. Nous en avons longuement parlé Lorenzo, et j'essaie d'orienter la librairie vers l'hyperlibrairie si je poursuis dans cette idée.
RépondreSupprimerHypermédia, je ne sais pas. Pour ma part, je préfère parler de transmédia comme dans ce groupe sur Linkedin, thinh tank sur la librairie de demain : http://www.linkedin.com/groups/librairie-interactive-connect%C3%A9e-transm%C3%A9dia-4929883?gid=4929883&trk=hb_side_g.
Mais je pense que nous aurons l'occasion d'en discuter au salon pour le Futur du livre ce week-end ;) : https://www.facebook.com/Le.futur.du.livre?ref=stream