L'espèce de synecdoque "lecture numérique", par son inexactitude grossière, nous empêche de prendre la véritable mesure de ce qui est à l'oeuvre dans le paratexte de notre histoire d'animal-lecteur. Parlons-nous de "lecture imprimée" ? Non.
A proprement parler, à proprement penser, la lecture numérique n'existe pas réellement. Il y a seulement des lectures possibles sur des appareils informatiques. Des limites et des spécificités de ce type de lectures le Living Lab LUTIN (Laboratoire des Usages en Technologies d'Information Numérique, dirigé par Charles Tijus et Thierry Baccino) s'occupe.
Du paradoxal non-lieu du langage
Il n'y a pas non plus véritablement , pour moi, de lecture sur écran. Les mots ne sont pas sur les écrans. Ils ne sont pas imprimés dessus.
Sont-ils derrière l'écran ? Non plus. Ils sont dans un non-lieu hautement paradoxal : à la fois une utopie, un véritable "sans lieu", et, une décision de "laisser filer", de ne pas continuer les poursuites, ce qui "saute aux yeux" comme contradictoire avec la pratique hypertextuelle, mais désignerait ainsi peut-être son caractère illusoire et proprement labyrinthique.
Si l'on démonte une "machine à lire" il n'y a pas de mots à l'intérieur. Où sont les mots ?
Un microscope électronique pourrait-il nous renvoyer les images de traces des lettres inscrites sur quelques disques ? Probablement pas. Peut-être seulement un rayonnement, comme si nous atteignions là d'autres confins inconnaissables par l'homme.
Ce que j'écris là n'est pas un plaidoyer pour l'imprimé. Au contraire. L'écriture et l'imprimerie ne sont-il pas des formes de taxidermie du langage (nous pourrions relire sous cet angle de vue le roman de Michel Jullien, Esquisse d'un pendu, sur le travail du copiste Raoulet d'Orléans).
Et puis tout ce que nous appelions "livre" jusqu'à ce jour était-ce toujours vraiment des livres, n'y avait-il pas des films écrits, des souvenirs figés ou des bases de données imprimées ? Des masses gelées par l'encre ? comme les paroles gelées dans le Quart-Livre de Rabelais, ou "Comment en haulte mer Pantagruel ouyt diverses parolles degelées", allégorie, peut-être, de l'expansion de l'imprimerie à l'époque de Rabelais précisément.
Relire sous La pluie d'été...
Ce que je dis moi, je ne dis rien, je délivre simplement ma lecture. Les dispositifs de lecture du 21e siècle seront, peut-être, des feuilles de graphène. Alors qualifier la lecture par ses dispositifs est vraiment regrettable.
Comment lisions-nous, lisons-nous, lirons-nous ? Je parle, moi, de la lecture naturelle et de la lecture littéraire.
Comment, par exemple, Ernesto, qui "était censé ne pas savoir encore lire à ce moment-là de sa vie", précise Marguerite Duras (La pluie d'été, 1990, P.O.L. Editeur), lisait-il ?
"Au début il disait qu'il avait essayé de la façon suivante : il avait donné à tel dessin de mot, tout à fait arbitrairement, un premier sens. Puis au deuxième mot qui avait suivi, il avait donné un autre sens, mais en raison du premier sens supposé au premier mot, et cela jusqu'à ce que la phrase tout entière veuille dire quelque chose de sensé. Ainsi avait-il compris que la lecture c'était une espèce de déroulement continu dans son propre corps d'une histoire par soi inventée." ; et ainsi Marguerite Duras peut-elle éclairer la voie de la prospective du livre et de la lecture, et ses méthodes parfois excentrées et excentriques par rapport aux autres champs de la prospective. Merci.
Est-ce que Marguerite Duras aurait procédé de la même manière dans un apprentissage précoce ?
RépondreSupprimerCette idée est géniale, et montre comment un écrivain peut exprimer de façon limpide ce que les théoriciens ne peuvent transmettre qu'à un public restreint.