samedi 28 octobre 2023

Une mystique du langage...

Trois livres dont les héros sont spécialistes des langues et du langage
Face à la mystification du langage qui altère notre perception du réel l’issue de secours serait-elle dans une échappée mystique ? Mythifier ce qui nous mystifie ou mystifier ce qui nous mythifie serait-il le chemin, la vérité et la vie ? Trois de mes lectures semblent nous ouvrir cette voie...

Les Noms, Don DeLillo
L’on commence à Athènes pour finalement mourir où ? Apparemment pour être mis à mort en un lieu auquel nous serions liés par un lien alphabétique discret.
Ce premier titre qui a pour nom : Les Noms, a fait émerger une drôle de question dans mon esprit : au terme du Procès de Kafka connaîtrions-nous l’initiale du lieu où K est tué : « "Comme un chien !" dit-il, et c’était comme si la honte dût lui survivre. » ? Et bien oui.
Kafka (lui-même d’initiale K) ne le dit pas explicitement à la fin de son plus célèbre roman, mais il précise bien que son personnage de K est exécuté dans : « Une petite carrière déserte et abandonnée », en allemand : une karriere, avec un K initial donc.
Langage et monde sont en corrélation et peuvent avoir ainsi partie liée dans notre destin. C’est cette vérité oubliée que des mystiques du langage, organisés en secte criminelle, font revivre dans ce roman énigmatique de Don DeLillo.

La Langue maternelle, Vassilis Alexakis
Dès son titre s’impose là une expression que je me garde quant à moi, me sauvegarde généralement d’employer, parlant plutôt en ce qui donc me concerne de langue natale, la langue maternelle étant pour moi celle de la maltraitance et de la disparition.
Mais justement il est bien question dans ce roman de Vassilis Alexakis d’une disparition, celle de la lettre E. Comme chez Georges Perec, oui.
On se souvient de La Disparition, tout un roman sans e, puis de W ou le Souvenir d’enfance dédicacé " pour E ".
Dans son film de 1992 : En remontant la rue Vilin, Robert Bober nous donne à voir, d’une part, la disparition du E comme étant prémonitoirement inscrite dans la transcription hébraïque du nom même de Perec, et, d’autre part, le fait étonnant que sur place, sur ce qui est aujourd’hui à Paris le Parc de Belleville, le tracé de la rue d’enfance de Perec, lui mort en 1982, elle, la rue, disparue en 1988 pour cause de réhabilitation urbaine, ce tracé dessine la lettre E en yiddish. Comme si le visible n’était que la manifestation de l’invisible.

Aussi dans le roman enquête de Vassilis Alexakis, tant la raison de la présence que celle de la disparition de l’epsilon – le E de l’alphabet grec, désignant étrangement par convention tacite une quantité négligeable précisément vouée à la disparition –, du fronton du temple d’Apollon à Delphes, là où la Pythie siégeait, tant sa présence que sa disparition demeure tout au long un mystère qu’avec le narrateur nous approchons sans toutefois parvenir à le déchiffrer.

Une étrange question se pose alors à moi : pourquoi à la fin de son roman Quatrevingt-treize (dans la graphie hugolienne), au moment de la disparition des héros de son livre, Victor Hugo apporte-t-il cette précision : « Les quatre mille hommes de la petite armée expéditionnaire étaient rangés en ordre de combat sur le plateau. Ils entouraient la guillotine de trois côtés, de façon à tracer autour d’elle, en plan géométral, la figure d’un E ; la batterie placée au centre de la plus grande ligne faisait le cran de l’E. », hasard ?

Épépé, Ferenc Karinthy
Celles et ceux qui ont lu ce kafkaïen roman de 1970 du hongrois Ferenc Karinthy, Épépé, y voient souvent un lien avec Un soir, un train, film d'André Delvaux de 1968, d'après la nouvelle du Flamand Johan Daisne, dont la traduction du titre original néerlandais serait Le train de l’inertie (ou de la lenteur).
Dans la nouvelle, insensiblement l’on franchit la limite entre la vie et la mort. La persistance des dernières pensées y engendre un temps d’une certaine durée dans un espace familier, mais dont nous ne comprenons plus la langue.
Dans le film, le réalisme magique opère par la grâce de l’image. L’incommunicabilité intergénérationnelle, intrafamiliale et au sein même du couple, la tension conflictuelle en Belgique où l’action se déroule, entre communautés française, flamande, et germanophone expriment savamment l’opacité foncière qui au quotidien nous met tous à l’épreuve, et qu’à son tour pour chacun l’épreuve de la mort questionne.

Dans le roman de Ferenc Karinthy nous nous retrouvons identifié à un homme qui par la suite d’une improbable erreur d’avion se retrouve lui à devoir vivre puis survivre dans une mégapole d’un aspect on ne peut plus banal, mondialisé, mais dont il ne comprend pas la langue et où personne ne le comprend, ni ne comprend aucune des langues, pourtant nombreuses, qu’il connaît.

Une nouvelle fois le dé-langage de l’extrême solitude auquel le protagoniste d’Épépé se confronte marque de fait, en-deça du mystère de la mort, je veux dire qu’il marque dans notre monde même de vivants, l’incommunicabilité foncière qui est notre lot commun, par défaut d’unité et d’abord d’unité avec soi-même.

Dans ces trois livres les héros malheureux sont des spécialistes des langues et du langage.
Les langues sont des inventions humaines. Le langage non.
J’ai l’impression que tout (la vie) (se) passe en fait comme si le langage en lui-même était la marque insistante du deuil d’un état antérieur : celui d’une humanité sans langage et que, dans nos langues, nous n’avons pas de mots pour exprimer sinon, peut-être, en inventant chacun pour soi sa propre mystique du langage.
 

lundi 25 septembre 2023

Les fruits de nos lectures...

30e numéro en ce mois de septembre 2023 de la Newsletter "Vie ? Ou fiction ?", sous-titrée "Interrogeons ensemble le lien entre fiction et réalité. Explorons la lecture immersive" sur LinkedIn, avec quelques recommandations de lectures.
Je travaille beaucoup ces derniers mois et maintenant encore et tout ce travail devrait porter des fruits que nous pourrons partager ensemble en 2024, et au-delà j'espère...  
En attendant vous pouvez toujours avoir un aperçu de mes recherches et de leur orientation en suivant mes publications sur l'espace blog Lire et Dé-lire que m'ont ouvert sur leur site web les éditions belges Bozon2x.
Vous pouvez aussi toujours me contacter pour tous projets de cours ou de conférences ("catalogue")...

dimanche 20 août 2023

Des Textes Gratuits qui interrogent la Lecture et les Fictions

Lorenzo Soccavo FuturHebdo
Découvrez de nouveaux textes en accès libre sur la lecture de fictions littéraires et ses enjeux pour le monde de demain.
D'abord, Dieu Chat et Souris... (sur les mystères du langage et de l'âme comme "espace narratif"...), dans le cadre du blog Lire et Dé-lire qui m'est ouvert depuis 2019 sur le site des éditions BOZON2X.
Puis, Corps de pixels et corps de lettres (sur le "corps lecteur" et le fantasme d’une fusion entre réalité et imaginaire...) dans le magazine de prospective FuturHebdo, texte de réflexions que j'avais écrit pour la saison 2 du Festival des Mondes Anticipés organisé à la Cité des Sciences et de l'Industrie de Paris en novembre 2022. 
   
Je suis à l'écoute de toutes et de tous pour débattre de ces sujets.
Vous pouvez accéder librement en suivant ce lien à une présentation de quelques exemples de mes conférences... Merci à vous...

vendredi 21 juillet 2023

Médiathèques & Metaverses

Depuis plusieurs années je travaille à anticiper les futures évolutions possibles des médiathèques et des bibliothèques dans le Métavers, à y expérimenter des solutions opensource francophones pour de nouvelles formes de médiation du livre et de la lecture dans des environnements numériques basés sur la mise en relation et le partage d'expériences entre internautes. Plus d'infos en suivant ce lien interne...

mardi 20 juin 2023

Fiction du réel et réalités des fictions...

Quand je m'en tiens à la réalité c'est la réalité qui me tient. Fort de ce constat, que je n'ai pu formuler ainsi que récemment, j'ai depuis des décennies, d'abord à mon insu puis de plus en plus consciemment, élaboré une stratégie de survie faisant le pari d'une perméabilité entre réalités et fictions, une porosité potentiellement génératrice de zones intermédiaires entre réalités insupportables et fictions impossibles à vivre.
 
Mon texte récent : Nous n’aurons pas connu le réel..., publié sur le site des éditions belges Bozon2X explore ces formes de "magie-cités" qui pourraient faire enclaves dans le réel, notamment par les biais de Michelangelo Antonioni, Julio Cortázar et Jean Baudrillard. Qu'en pensez-vous ?

mercredi 24 mai 2023

La réalité sur le fil...

Sur Lire et dé-lire, l'espace blog qu'ils m'ont ouvert sur leur site, les éditions belges BOZON2X ont tout récemment mis en ligne deux de mes textes de réflexion.
D'abord, Impressions à la lecture de Pierre Michon sur ma lecture de Les deux Beune ("Je m’attendais à partir sur une terre de fiction. Pas une terre de fictions au pluriel, d’histoires, ni une terre fictionnelle, fictive. Non. Mais la réinvention linguistique d’un territoire. Ce fut le cas...") que je mets en lien avec Malaparte, puis, Céline, Krogold et Moravagine… sur les récentes éditions des inédits de Céline que je mets elles en lien avec Moravagine de Cendrars ("Probablement que l’un des phénomènes les plus puissants qui puissent arriver à un auteur ou à un lecteur est que l’invisible passage entre réalité et fiction lui devienne visible en laissant passer dans l’un de ces espaces ce qui est du domaine de l’autre...").
  
Ces deux textes sont des prolongements aux perspectives qui s'ouvrent actuellement dans mes recherches sur les rapports entre les mondes fictionnels et ce que nous appelons couramment et peut-être trop facilement "la réalité".
 
P.S. Le titre de ce post est inspiré de Le Monde sur le fil, téléfilm allemand réalisé par Rainer Werner Fassbinder et adapté du roman SF Simulacron 3 de Daniel F. Galouye.

jeudi 18 mai 2023

Fiction, Anticipation, Prédiction et Prévision

Le langage, en substituant par ses stratégies narratives ses fictions au monde que nous sommes en capacité de percevoir sensoriellement et d'appréhender cognitivement, peut presque littéralement "tuer le temps".
Nous constatons régulièrement, à chaque catastrophe ou presque, qu'elle avait déjà été annoncée dans un roman.
Alors : la littérature peut-elle être prédictive, ou bien d'où nous vient cette impression qu'elle le serait ? 
  
Et si c'était Prévert qui avait raison lorsqu’il disait : « A force d'écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver. » ?
Certes, les dystopies nous permettent de penser l’impensable, mais si elles nous préparaient aussi à supporter l’insupportable ? Elles sont paradoxalement bienfaisantes et dangereuses. Mais s’il y a pléthore de récits catastrophistes c’est bien aussi parce que nous aimons en lire. Les mauvaises nouvelles retiennent davantage notre attention, tout comme nous mémorisons plus facilement les fausses que leurs rectificatifs. Mais pourquoi ?
En mettant à jour, à travers des exemples nombreux et précis, les mécanismes des effets de réel et de pensée qui entrent en jeu dans les fictions que nous lisons nous pouvons mieux comprendre comment déjouer les pouvoirs de l'écrit et aussi comment nous pourrions mieux utiliser la fiction pour prévoir et anticiper.
Si cette approche vous intéresse pour une raison ou une autre parlons-en pour l'adapter à votre contexte et à vos objectifs. Je suis à votre écoute...