samedi 9 juin 2018

Responsabilité des Métiers de la Narration

Avant-propos de Prospective Stratégique des Métiers de la Narration
" Le numérique a métamorphosé les interfaces, a redistribué certains pouvoirs, particulièrement au niveau de la prescription, de la médiation et de la diffusion. Les marchés du disque, de la photographie, de la vidéo, de la consommation télévisuelle en attestent. Le marché du livre, lui, a évité la transformation par un puissant lobbying, mais surtout parce que la lecture est une pratique culturelle singulière qui, bien au-delà des effets de la confrontation avec d'autres formes de divertissements, monopolise la psyché humaine. En effet, l'imaginaire, l'imagerie mentale des lectrices et des lecteurs tend à faire du reflet des textes dans leurs esprits des mondes à part entière.
Ces mondes ont de plus en plus tendance à être envisagés comme des territoires     potentiellement explorables, potentiellement habitables. Dans cette perspective surprenante la prospective stratégique ne prédit ni ne prophétise l'avenir. Simplement, au-delà des supports et des interfaces, elle prend acte des mutations de nos manières de faire récit et d'y croire, de l'évolution de notre relation aux faits et aux fictions.
Moi je n'ai rien à perdre à essayer de formuler cela, que je pense être essentiel.
Les lecteurs vont finir par manger le livre. 

Que préféreriez-vous à leur place ? 
Être lu, ou, devenir véritablement lecteur ? 
Et que voulez-vous, vous ? 
Être mangeur, ou être mangé ? 
Je vous le dis : accompagnons les lecteurs dans leur émancipation ! "

mercredi 6 juin 2018

La Prospective du Livre entre en Turbulences

A lire mon entretien de trois pages par Thibaud Zuppinger dans le numéro inaugural du nouveau bimestriel Turbulences - Le magazine des transformations, de Symbolon Consulting :

Turbulences_Interview_Lorenzo_Soccavo_juin_2018
Cliquez ici pour télécharger gratuitement le PDF du magazine...

lundi 4 juin 2018

Audiobooks et Réalité Virtuelle

Deux secteurs innovent dans le domaine du livre : l'audio, et, la réalité virtuelle. 
Aucun des deux pourtant n'est directement lié à la lecture. 
  
Le livre audio bénéficie d'un fort appui de l'interprofession du livre imprimé qui l'utilise peut-être comme contre-feu à l'édition numérique.   
Dans ce sens j'ai relevé récemment comme hautement symptomatique l'utilisation trompeuse de l'expression "livre lu" pour désigner le livre audio. Certes, il est effectivement lu, mais par un ou une, et il est pour le reste écouté. Comment des professionnels du livre pourraient-ils confondre lire, et, écouter lire, sinon à avoir des arrière-pensées ?
Ce qui me soucie moi là dedans, pour vous l'exprimer familièrement en toute franchise, c'est que, écouter, ou, lire, sont, nous le savons bien, deux activités différentes, et je ne pense pas qu'elles génèrent les mêmes processus d'appropriation (c'est-à-dire de projection, d'identification, de sentiment d'immersion...), ni d'imagerie mentale, chez les auditeurs, et, chez les lecteurs.
 
Pour ce qui est de la réalité virtuelle (VR), s'il s'agit souvent d'expériences narratives originales, il faut cependant bien remarquer que le vécu singulier, uniquement rendu possible par la seule action de LIRE DU TEXTE, est totalement absent de ces oeuvres, même quand elles se targuent d'un imaginaire littéraire. 
 
Dans le cadre de mes recherches j'ai entamé une réflexion et une veille technologique et stratégique pour envisager comment la réalité virtuelle, au lieu de se substituer à la lecture, pourrait en augmenter les effets
Une de mes hypothèses est que le lecteur pourrait se projeter dans le texte littéraire autrement que par un processus d'identification à des personnages et que ce phénomène pourrait s'apparenter à celui d'une avatarisation. 
 
Je pense que la lecture silencieuse de textes littéraires écrits est une activité esthétique aujourd'hui primordiale à l'exercice de notre liberté d'esprit. Nous pouvons y renoncer pour accéder à une nouvelle aventure de notre espèce animale dans sa relation aux signes, au langage, mais il nous faut alors accéder à la connaissance de cette mutation et en garder la maitrise, il nous faut pouvoir la lire. Qu'en pensez-vous ?

vendredi 1 juin 2018

Récit(s) dans la Revue du Cube !

Découvrez mon entretien avec Nils Aziosmanoff dans le numéro 14 de la Revue du Cube - Centre de Création Numérique, et profitez-en pour découvrir aussi les autres points de vue et fictions sur le thème crucial de : Récit(s)
 
Interview_Lorenzo_Soccavo_Revue_Le_Cube_Juin_2018


samedi 19 mai 2018

Quels lieux de discussions et d'information pour les droits des lecteurs ?

Dès 2013 j'ai commencé à essayer de formuler quels devraient être les principaux droits des lectrices et des lecteurs par rapport à la nouvelle donne de l'édition numérique. 
Aujourd'hui, après quelques conférences, beaucoup de veille et de réflexion sur le sujet, je propose une nouvelle version des droits des lecteurs recentrés en réaction aux dérives que nous pouvons constater.
Volontairement, ce n'est là qu'une plateforme de départ pour amorcer une prise de conscience collective, susciter les échanges et générer des initiatives.  
Je pense que ce sont les bibliothèques et les médiathèques qui sont les lieux les plus propices pour en débattre, informer les lectrices et les lecteurs, et travailler de concert avec eux à de multiples manifestations pour la connaissance et la défense de ces droits. 
Je suis à la disposition de tous pour venir en débattre.


#LesLecteursOntDesDroits
1 - Le droit de ne pas être profilés et fichés à partir de nos lectures.

2 - Le droit d’accéder librement et gratuitement au téléchargement des oeuvres littéraires du domaine public.

3 - Le droit à des dispositifs et des interfaces de lecture numérique pérennes respectant des normes d'interopérabilité et non soumis à une obsolescence programmée.

4 - Le droit d'avoir dans sa langue une information indépendante sur les évolutions de l'édition numérique et de son marché.

5 - Le droit d’être pleinement propriétaire des livres numériques achetés ou reçus en cadeaux et de pouvoir les partager librement dans un cadre privé non commercial.

6 - Le droit à l’autonomie et à la confidentialité dans le choix et l'utilisation d'applications logicielles d’annotation et de lecture partagée.

7 - Le droit à un juste prix et à un juste différentiel de prix entre version numérique et version imprimée d'un même livre.

8 - Le droit d’égalité de traitement avec les lecteurs des autres pays, notamment en termes d’offre et de traductions.

9 - Le droit à une médiation humaine notamment en librairies et en bibliothèques numériques.

10 - Le droit à la bibliodiversité et à l'excellence, sans censure marchande ou politique et dans la filiation de la tradition littéraire de la République des Lettres.

11 - Le droit à une offre de qualité convenablement numérisée et corrigée et en tous points conforme aux textes des oeuvres originales.

12 - Les mêmes droits d'accès aux oeuvres littéraires pour tous, avec le respect des droits précédents quel que soit son handicap éventuel, notamment visuel ou moteur, et sa situation sociale.

samedi 12 mai 2018

Le livre, moyen de locomotion intelligent

Quel devenir pour le livre et la lecture dans la troisième décennie du 21e siècle qui sera bientôt notre présent ? 
 
Je n'imagine pas le livre du futur comme un simple dispositif de lecture, mais plutôt comme une forme nouvelle d'interface intelligente (c'est-à-dire peut-être dotée d'intelligence artificielle ?) et en tout cas qui faciliterait l'expression de :

"la puissance démiurgique de l'imagination humaine quand elle consent à l'immersion fictionnelle
: il faut et il suffit de croire pour donner vie à un monde..."
(Anne Besson, Constellations - Des mondes fictionnels dans l'imaginaire contemporain, p. 174, CNRS éd., 2015). 

 
Le challenge pour les acteurs de l'interprofession du livre et des métiers de la narration devient alors celui de pouvoir singulariser et accompagner chaque lecteur, indépendamment de la masse anonyme du lectorat

Nous pouvons ici penser au roman de science-fiction postcyberpunk de Neal Stephenson L'Age de diamant, dans lequel un dispositif de lecture intelligent instruit, accompagne, guide et conseille ses lecteurs de l'acquisition de la lecture à leur parcours de vie. Un livre-bibliothèque à la fois précepteur et compagnon.
Mais pour l'heure ce rôle semblerait devoir être préempté par les enceintes connectées (lire par exemple : L'enceinte qui parlait à l'oreille des enfants sur Usbek & Rica). 
Est-ce une bonne chose que cette démission du livre ? 
Je ne pense pas. Prochainement l'intelligence artificielle devrait rendre possible le développement de Livres-Mentors (une tentative de ce que cela pourrait donner avait été ébauchée en 2014). 
Cela peut déjà se penser et s'expérimenter. 
Cela ne se pourra que dans une transdisciplinarité qui aux impératifs économiques pourrait conjuguer une vraie intention pédagogique et émancipatrice à l'égard des lecteurs destinataires. Dans l'absolu, un lecteur n'est, ni un simple acheteur de livres ou d'ebooks, ni un spectateur passif face à un spectacle. Lire c'est autre chose. Lire c'est autre chose que de seulement recevoir des contenus immersifs et addictifs. C'est davantage interpréter et imaginer que s’assujettir à simplement accepter, et c'est bien pourquoi la lecture de textes écrits est essentielle pour sauvegarder et développer la liberté d'esprit de notre espèce animale.
 

Si livre du futur il doit y avoir un jour, il sera la conséquence d'une révolution du lectorat. Sans cela il n'y aura pas de futur du livre. Le livre du futur ne sera d'ailleurs pas un livre, mais un moyen de locomotion. Un dispositif de mise en marche de l'esprit pour l'aider à se mouvoir dans le monde physique et entre les mondes fictionnels, et lui permettre de se déplacer dans les mondes fictionnels comme dans le monde physique, plutôt qu'un simple moyen de transport, portant l'imaginaire du lecteur d'un lieu, celui matériel dans lequel il lit, à un autre lieu, celui fictif de ce qu'il est en train de lire.
 
En l’occurrence un moyen de transport n'est pas forcément un moyen de locomotion.
 

Après presque vingt ans de veille quotidienne sur ces questions, je pense aujourd'hui que le futur du livre n'est pas strictement numérique. L'écoute de contes et de légendes immémoriaux, la lecture de romans imprimés, nous font toujours passer de l'autre côté du miroir plus efficacement que tous les gadgets électroniques actuels.  

 
Dans un environnement numérique, pour que le livre ait un futur, il faut le concevoir d'emblée lui-même comme une fiction, pas seulement comme un produit, c'est ce à quoi s'essayent timidement de nouvelles écritures narratives et le transmédia.  
Nous attendons du livre qu'il devienne un catalyseur, qu'il accélère la réaction à la lecture dans l'espace mental du lecteur, qu'il permette le jaillissement des lecteurs dans l'histoire, bien davantage que le surgissement factice et gadgétisé de l'histoire dans l'environnement quotidien de ses lecteurs. 
Les véritables lecteurs de fictions littéraires attendent des technologies du 21e siècle qu'elles les fassent passer de l'autre côté du miroir, qu'elles leur donnent accès à la puissance des fictions comme laboratoires de pensée
 
Aujourd'hui s'intéresser vraiment au futur du livre, c'est envisager comment les technologies émergentes, notamment la Grande convergence NBIC et l'intelligence artificielle pourraient, non pas nous instrumentaliser davantage, mais nous équiper pour que nous devenions de véritables lecteurs-fictionautes pratiquant la métalepse narrative comme méthode de lecture, que nous prenions conscience de ce qui est à l'œuvre derrière le code du langage.

 
Ne pas s'accrocher coûte que coûte au réel comme si nous risquions de tomber dedans, mais prendre en compte cette puissance démiurgique de l'imagination humaine que j'évoquais en introduction. 
 
Les futurs livres ne devront plus être des écrans, mais des miroirs. En 2018, si l'on veut penser le futur du livre, il faut oser rêver le livre du futur et travailler à l'émancipation des lectrices et des lecteurs ! 

 
Collaborer à l'émancipation des lectrices et des lecteurs de fictions littéraires est je pense la voie royale des acteurs de l'interprofession du livre, pour pouvoir participer demain à la Nouvelle République des Lettres qui s'invente aujourd'hui.