lundi 17 mars 2025

Exploration des zones subliminaires de la lecture de fictions

Virginia Woolf
Nouvelle confirmation hier soir que les fleurs champêtres et les fictions littéraires apportent parfois de subtils témoignages relevant de métalepses narratives, de passages à l'intérieur du récit d'un monde à un autre.
Il y a quelques années déjà j'avais relevé un premier cas chez Virginia Woolf : « Voici un poème où il est question d’une haie. Je vais flâner le long de cette haie, et cueillir des fleurs : de vertes belles-de-jour, et des aubépines couleur de clair de lune, des églantines, et de sinueuses branches de lierre. Je vais les tenir ferme entre mes mains, et les déposer sur la surface luisante du pupitre. » (Les Vagues, traduit de l'anglais par Marguerite Yourcenar) ; je viens d'en découvrir un autre dans un roman de 2010 de la romancière russe Olga Slavnikova : « Mais l’événement le plus curieux du mariage, ce fut que pépé Valéra vint y assister. Il apparut doucement en se matérialisant comme une tache sombre d’humidité sur un tissu, dans la bande de lumière pâle qui entrait par la fenêtre, et alla se placer en toute discrétion dans le dos des témoins. Cette fois-ci, il portait son costume à rayures, le plus beau de sa vie, et un bouquet herbeux de campanules sauvages, qu’il avait cueillies on ne sait où en cette fin d’automne. Plus tard, au restaurant où ils allèrent festoyer, ces fleurs flétries et humides, qui se fanaient à toute vitesse dans l’air brutal de la réalité, se retrouvèrent parmi les bouquets que Lucie avait posés sur le rebord de la fenêtre, mais elle ne parvint jamais à se rappeler qui les lui avait offertes. » (La Tête légère, traduit du russe par Raphaëlle Pache). 
   
Plus proches de ce que nous pouvons vivre dans nos vies quotidiennes je trouve de tels exemples bien plus subtils pour nous sensibiliser aux zones subliminaires entre fictions et réalité que nombre d'ouvrages de SF.
Qu'en pensez-vous ? Avez-vous d'autres exemples que les deux que je cite ici ?
Je peux toujours, si vous le souhaitez, venir vous parler (conférences, séminaires, cours...) de l'exploration de ces zones (thème de mon essai Terres de fiction paru en 2024).

jeudi 13 février 2025

Intuitions...

Peinture de Paul Cézanne
Depuis quelques mois je cherchais à comprendre ce que l’anthropologue Barbara Glowczewski avait voulu dire dans son ouvrage Les Rêveurs du Désert, consacré au peuple Warlpiri d’Australie, lorsqu’elle y écrivait ceci : « Les mots sont en quelque sorte garants de ce que le réel est déjà dans l’image ». Elle précise dans la foulée : « les kangourous peuvent exister seulement parce que, en disant « kangourou », on perçoit des images correspondantes qui permettent de reconnaître les diverses formes et substances qui donnent sens à ce mot. Mais à l’inverse, sans un mouvement qui anime les images, les noms ne pourraient se matérialiser. »
 
Hier, à l’écoute de l’une des séances du séminaire de Georges Didi-Huberman au CEHTA (Centre d'Histoire et de Théorie des Arts), consacré au thème "L'ange de l'histoire", j’ai peut-être eu une réponse.
Georges Didi-Huberman y citait un extrait du Journal de Moscou de Walter Benjamin dans lequel ce dernier écrivit ceci : « devant un tableau extraordinairement beau de Cézanne je me suis rendu compte à quel point est faux le discours sur l’empathie. [c’est-à-dire, explicite Didi-Huberman, l’idée que l’on va en quelque sorte régler son émotion sur ce qu’il se passe dans le tableau] Il m’a semblé, dans la mesure où on saisit un tableau, qu’on ne pénètre absolument pas dans son espace ; c’est bien plutôt cet espace qui se porte en avant. D’abord à différents endroits bien précis, il s’ouvre à nous dans les angles et les coins où nous croyons pouvoir localiser des expériences très importantes du passé. Il y a quelque chose d’inexplicablement connu à ces endroits. »
J’ai trouvé sur le web une traduction un peu différente de ce passage originellement en allemand : « Devant un tableau extraordinairement beau de Cézanne, je me suis rendu compte à quel point est faux, déjà linguistiquement, le discours sur l’« intuition ». Il m’a semblé, dans la mesure où on saisit un tableau, qu’on ne pénètre absolument pas dans son espace ; bien plutôt cet espace se porte en avant [...] »

En fait, dans la lecture immersive d’une fiction littéraire, ce ne serait donc pas alors la lectrice ou le lecteur qui projetteraient dans le monde fictionnel du texte l’instance psychique (ou angélique) que j’ai nommée fictionaute, mais, de par le phénomène même de la lecture, qu’elle soit à haute voix ou silencieuse, comme une déferlante qui, de l’image propulsée par les mots, se porterait en avant et emporterait avec elle, ravirait, la part sensible de la lectrice ou du lecteur, son fictionaute, l’entraînant dans le monde imaginaire de la fiction lue.
Ainsi, nous ne réglerions pas notre émotion sur ce qu’il se passe dans l’histoire que nous lisons, mais ce seraient les images mentales contenues dans les mots que nous lisons qui nous fascineraient en ravivant en nous l’écho d’expériences vécues de notre passé. Nous avons l’impression de pouvoir retrouver en arrière-fond du texte « quelque chose d’inexplicablement connu ».

Ce que nous appelons lecture serait cette espèce d’émulation, de rivalité au sein même du langage entre les mots et les images (« les mots surgissant pour dire ce qui ne peut être montré et les images apparaissant pour donner forme à ce qui ne peut être dit », comme l’exprimait Annie Le Brun dans un entretien de 2024 pour Le Matricule des Anges).
Lire serait une façon de rêver le réel à partir de mots, comme rêver serait une façon de le lire à partir d’images.
 
[Illustration : Le pont de l'île Machefer à Saint-Maur-des-Fossés, par Paul Cézanne, dont il serait question dans le texte de Benjamin...] 
N.B. je suis à votre écoute si mes travaux sur le concept opérationnel de fictionaute vous intéressent.
 

dimanche 2 février 2025

L'Ange de la Lecture

Angelus novus
Angelus novus
L’Ange était là avant, bien avant que je prenne conscience de sa présence. Plusieurs décennies de lecture et des centaines de romans dévorés, plusieurs années à réfléchir à ce qu’il se passait quand j’avais l’impression de passer dans le monde imaginaire d’un livre, pour que je prenne enfin conscience de la part angélique de mon fictionaute, ce que chacune et chacun de nous projette dans les fictions, et pour qu’il se révèle ange de la lecture.
 
Le célèbre Angelus novus, le Nouvel Ange, porté au monde en 1920 par Paul Klee, puis en 1940 transporté par la pensée de Walter Benjamin en ange de l’histoire (« Il existe, écrit Benjamin, un tableau de Klee qui s'intitule Angelus novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s'éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'ange de l'histoire. Il a le visage tourné vers le passé. »), m’a révélé la dimension angélique qui passe de moi au livre quand je lis un livre.
 
Cet ange-là, l’Ange de la Lecture, est invisible. Mais à force de le fréquenter je suis parvenu à le connaître un peu, à reconnaître quelques signes par lesquels il se révèle. Et aujourd’hui je suis désireux de partager ces connaissances que j’ai acquises.
Je suis à votre écoute si vous voulez entrer en contact avec cet Ange de la Lecture. Je suis dans l’attente de votre attention. En vérité, à force d’être dans l’attente, j’ai l’impression de faire continuellement du camping, d’être psychiquement dans la vacance d’un domicile fixe d’un livre à l’autre, d’une rive à l’autre. Heureusement qu’il y a l’ange...

vendredi 31 janvier 2025

MÉTAFICTION : UNE EXPÉRIENCE DE PENSÉE SUR LA LECTURE IMMERSIVE !

En 2022 je me suis projeté dans un roman emblématique du XXe siècle : La Montagne magique de Thomas Mann.
Comment ai-je procédé pour cette expérience de pensée de projection de mon fictionaute* ?

A raison d’un texte par semaine, alternant fiction pure, où je devenais le narrateur du roman que je relisais, et, making-of où j’exprimais mes doutes, mes interrogations et mes difficultés, je me suis lancé dans une sorte de "réécriture" décalée de certains chapitres du roman de Thomas Mann en m’y projetant comme un personnage supplémentaire.
Je me suis imaginé arrivant la veille de l’arrivée du personnage principal. Comme un joueur de jeu vidéo je me suis inséré dans le scénario, essayant de m’imposer dans l’histoire en tant que résident à part entière du sanatorium où l’action se déroule.
Durant l’été 2024 j’ai entièrement revu et corrigé le journal de bord de cette expérience. 
Contactez-moi si cela vous intéresse !
 
*  Fictionaute (nom masculin ou féminin) mot hybride : du latin fictio, invention fabuleuse, et du grec nautês, navigateur. Voyageur, explorateur dans des fictions.
[Illustration : film Solaris de 1972 d'Andreï Tarkovsky]

dimanche 8 septembre 2024

Rendez-vous avec votre Fictionaute !

Nous avons RDV à la Bibliothèque Mohammed Arkoun de la Ville de Paris, le 20 septembre 2024 (74 rue Mouffetard - Paris 5e - Gratuit sur inscription à : bibliotheque.mohammed-arkoun@paris.fr

mercredi 28 février 2024

Parution de Terres de Fiction

Lorenzo Soccavo in Viabooks
Mon essai "Terres de fiction : de quel côté du miroir sommes-nous ?" est paru le 08 février dernier aux éditions Bozon2X (Diffusion CEDIF - Distribution POLLEN).
Vous pouvez en avoir une présentation rapide ainsi que le sommaire sur le site de la recherche en littérature Fabula ; et sous un autre angle : « Nous sommes les jardiniers des textes que nous lisons » sur Viabooks -Le Meilleur des Livres et des Auteurs...
N'hésitez pas à me contacter directement si vous souhaitez que je vienne vous le présenter et / ou en lire des extraits...

lundi 15 janvier 2024

Bientôt des Terres de Fiction...

Terres de fiction par Lorenzo Soccavo

Le 08 février 2024 paraîtra aux éditions belges Bozon2X mon premier essai sur mes recherches en littérature comparée et lecture de fictions littéraires. Titré : Terres de fiction, et sous-titré : De quel côté du miroir sommes-nous? il devrait être le premier volume d'une trilogie.
L'entretien que j'ai donné pour son lancement vous éclairera sur ces points (Six questions à Lorenzo Soccavo...)
A partir de sa parution le blog Lire et Dé-lire sera son blog-compagnon.
Ci-après le dossier de presse :

A bientôt alors ? Je suis à votre écoute...