Je me demande parfois s’il n’est pas un peu ridicule de comparer la prétendue révolution du livre, que nous traverserions toutes voiles au vent, certains, à celle du passage des rouleaux aux codices, d’autres, à celle du passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée. Ne serait-ce pas plus complexe ?
Vivons-nous seulement une nouvelle révolution du livre ?
Ou bien n’assisterions-nous pas, inconscients et impuissants, au naufrage de la lecture et du roman européen dans le storytelling et l’entertainment ?
Nous savons qu’historiquement les précédentes mutations du livre et de la lecture, telles celles, justement, du passage du rouleau au codex, ou bien, du passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée, ont à leurs époques profondément modifié la société, et qu’elles ont eu des répercussions culturelles, mais aussi sociopolitiques, indéniables.
Mais nous savons également qu’aujourd’hui, il est courant et juste de constater que le numérique impacte le livre, après (je souligne) avoir reconfiguré les marchés du disque, de la photo et de la vidéo (pour ne parler que des biens culturels).
Aussi ne serait-il pas légitime de se poser également la question en ces termes : cette prétendue évolution du livre fait-elle aujourd’hui réellement révolution, ou bien, ne serait-elle qu’une infime partie d’une révolution plus globale ?
Les mutations que nous ressentons dans la chaine du livre ne seraient-elles pas que les effets des coups de butoirs des industries de l’électronique et du divertissement, et non des facteurs agissants sur la société et engendrant de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine ? (Ce sont les réseaux sociaux qui engendrent aujourd’hui de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine, et non plus, comme jadis, des réseaux épistolaires d’auteurs et de lecteurs.)
Si cependant nous optons pour l’optimisme (ou l’inconscience ?) la révolution du livre que nous traverserions pourrait peut-être, de façon moins simpliste que d’illusoires parallèles historiques, se concevoir de manière, c’est le cas de le dire ;-) plus réfléchie, sous la forme d’une évolution dans un miroir.
L’illustration (encore imparfaite certes) ci-dessous tente de l’illustrer. En haut, les grandes mutations du passé, en bas, les mutations que nous observons actuellement, au centre, la flèche bleue du temps qui s’écoule et ferait miroir, et les liens, comme inversés chronologiquement, entre mutations passées et évolutions actuelles. Je ne sais si cela est pertinent ?
Evolution spéculaire du livre |
Dans cette réflexion, la notion d’imprédictibilité, fort discrètement mais fort judicieusement introduite par François Bon, dans le cadre des 3e Rencontres numér’ile d’Ouessant : « Comment avancer dans l’imprédictible, sachant que cet imprédictible emporte avec lui […] une part radicale de ce qui nous définit comme culture, avec le rêve, l’imaginaire, la pensée réflexive ? » (Texte du 20 août 2010), la notion d’imprédictibilité trouverait peut-être son image.
Si, en fin de compte, cette prétendue évolution du livre n’était qu’une infime partie d’une révolution numérique globale, alors ce pavé, que serait cette révolution numérique globale, pourrait venir briser le miroir.
Que lirions-nous alors dans les bris et les éclats de verre ?
Qu’y ou qui, y-aura-t-il de l’autre côté ?
Passerions-nous, comme Alice, de l’autre côté du miroir ?
Quelques-uns parlent d’un ancien et d’un nouveau monde. Un nouveau monde dans lequel ces quelques-uns auraient déjà un pied.
Nous avons peine aujourd’hui à concevoir ce que sera l’édition à la fin du 21e siècle.
Raison de plus pour soutenir, accompagner et guider celles et ceux, équipages de l’édition imprimée et équipages de l’édition numérique, qui sont embarqués dans cette folle aventure.
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