Le philosophe, par André Marin de Barros |
Intéressante expérience hier samedi 11 juin, où j'ai eu l'occasion d'intervenir sur le thème : "Les évolutions du livre et de la lecture au 21e siècle. Enjeux et perspectives...", pour une conférence publique devant les usagers du réseau de médiathèques de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Liberté d'esprit et contrat de lecture
Un auditoire peu nombreux (sans doute en partie à cause du week-end de la Pentecôte), mais très partagé, concerné et réactif.
Des adeptes déjà convaincus des tablettes e-paper, d'autres plus méfiants, d'autres plus crédules, mais tous soucieux de l'avenir du livre et de la lecture, et en demande d'informations.
Le point le plus important à mon avis, qui ressort de cette rencontre, est qu'il faudrait absolument, partout en France (et partout ailleurs), multiplier de tels débats avec le "grand public" des lectrices et des lecteurs.
Autant que les personnels, les usagers des bibliothèques et des médiathèques sont déboussolés face au passage de l'édition imprimée à l'édition numérique et sont en demande, d'informations soit, mais aussi et surtout d'échanges, de discussions, de débats dans lesquels ils puissent s'exprimer et faire valoir leurs expériences et leurs souhaits. Et cela est légitime !
Que peut-il ressortir sinon de cette enrichissante rencontre, à la limite parfois de la confrontation, et qui a eu le grand mérite de brasser les interrogations et les points de vue ?
Le point essentiel, selon moi, et que j'ai très fortement ressenti, est que lectrices et lecteurs sont très conscients et très soucieux, d'une part, de leur liberté d'esprit, d'autre part, des risques, avec l'édition numérique, de rupture du contrat de lecture (ce contrat implicite entre les professionnels du livre et les lecteurs et sur lequel se fonde le rapport singulier que nous entretenons tous, plus ou moins, avec les livres).
Ils sont bien conscients de l'obsolescence programmée des nouveaux dispositifs de lecture et de leur faible affordance.
De la liberté des lectrices et des lecteurs
L'Homme Livre, par Arcimboldo |
Même s'il n'en a pas été directement question hier, et même si beaucoup devaient ignorer ces deux textes, je pense que toutes et tous adhéraient spontanément et sans réserves, tant à la récente mise au point de Richard Stallman : The Danger of E-books, qu'au texte : "Les [dix] droits imprescriptibles du lecteur", droits formulés en 1992 par Daniel Pennac dans son essai "Comme un roman", paru aux éditions Gallimard.
Par ailleurs consommateurs de plus en plus avertis, et par nécessité de plus en plus vigilants sur leurs dépenses culturelles ou de loisirs, les lecteurs ne sont pas dupes des stratégies commerciales d'Amazon avec son Kindle, ou d'Apple avec son iPad.
Par manque d'information sans doute, ils "jettent le bébé avec l'eau du bain", repoussant les ebooks au lieu de s'opposer aux DRM.
Légitimement, l'idée de fichiers chronodégradables passe mal.
Alors que la lecture est une activité solitaire et qui isole, beaucoup de lecteurs semblent craindre davantage cet isolement avec les livres numériques, et ainsi ne semblent pas sensibles aux dimensions sociales de la lecture que les technologies de la communication rendraient possibles. Ils sont persuadés que Facebook et Twitter peuvent faciliter des révolutions (comment ont-ils fait en 1789 ?), ou engendrer des apéritifs géants, mais pas faire se rencontrer des lecteurs !
Des publics comme celui d'hier n'ont pas encore eu la possibilité de connaitre mes travaux, considérant que j'ai encore peu publié, et que les médias traditionnels ne s'intéressent pas encore à la prospective du livre et de l'édition.
Nonobstant, de telles rencontres confirment bien mon intuition à partir de laquelle s'élance la perspective transhistorique de cette nouvelle discipline, à savoir : la nécessité d'une approche humaniste du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique ; nécessité d'une réflexion collective au niveau, non pas des problématiques et des enjeux technologiques et marchands, mais, au niveau des femmes et des hommes, des auteurs, des lecteurs, de tous les professionnels du livre et de l'édition, tous, que ces derniers (livre et édition) soient imprimés ou numériques. Une réflexion au niveau des usages et des pratiques et pas seulement des comportements d'achat.
Considérant, d'une part, le travail de désinformation des différents lobbies de part et d'autre et le manque d'information des lecteurs, et, d'autre part, le carcan paralysant des contraintes législatives et économiques à des niveaux transnationaux, il se pourrait bien que la période des e-incunables (1971-20??) soit (bien) plus longue que celle des incunables (1450-1501), d'autant plus que nous ne changeons pas seulement de procédé de reproduction, mais, aussi, de supports et d'interfaces de lecture.
Le plus grand danger serait, je pense, de considérer les défis et les enjeux du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique comme un champ clos, en n'y voyant qu'une possible redistribution des cartes et que de possibles perspectives financières.
Il nous faut aujourd'hui concevoir la quatrième révolution du livre par rapport au bruit de fond d'une nouvelle société en gestation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire