mardi 10 octobre 2017

Le Lecteur Qui Manque

J'ai passé la Nuit Blanche 2017 du samedi 07 au dimanche 08 octobre, dans la salle du Conseil de Paris à l'Hôtel de Ville à suivre de 19H00 à 02H00 le procès mis en scène par l'équipe de la plateforme curatoriale Le peuple qui manque, de Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros. 
   
Une belle initiative que ce procès fictif de la frontière entre fait et fiction, fondé sur l'essai éponyme de Françoise Lavocat, (mais procès de la fiction en fait), au sujet duquel j'avais fait part ici même de mes impressions de lecture en juillet 2016, reconnaissant à la fois les grandes qualités de l'ouvrage et, selon moi, ses réels dangers, en le qualifiant alors de : "brillant essai [qui] arpente la frontière pour y ériger un mur", même si évidemment comme dans toute formule expéditive il y a là probablement un peu d'inexactitude de ma part.
 
Une nouvelle fois cependant, les quelques lignes qui suivent ne sauraient en aucun cas être interprétées, ni comme une chronique ni comme une critique, en l’occurrence de cette longue veille du 07 octobre 2017. 
L'on ne pourra y lire, me semble-t-il, que l'expression subjective, peut-être plus ou moins maladroite, de ma tristesse et de mes inquiétudes.
   

Le Lecteur qui manque...


Pas une seule fois il ne fut véritablement question de lecture(s), et encore moins des lectrices et des lecteurs et, prisonnier du jeu de rôles de ce procès fictif, à aucun moment le public n'a eu droit à la parole. 
Mon point de vue maintenant donc, très brièvement résumé en quatre points seulement : 
  
1 - Réfléchir la fiction dans un rapport d'opposition aux faits empêche de la penser. Aussi, comme cela était malheureusement à craindre, ce procès fictif se limita à ma définition de la réflexion : une partie de ping-pong entre deux miroirs, en l'espèce celui des faits et celui des fictions. 

2 - Notre objectif devrait être de dépasser cette trompeuse opposition binaire. En rester ou en revenir à Aristote (si, si, j'ai bien entendu invoquer son nom !) et à la logique aristotélicienne, qu'est-ce que cela prouve finalement sur l'évolution cognitive de notre espèce ? Une chose : que nous n'avons pas beaucoup évolué ! 
  
3 - Nous sommes des animaux fabulateurs. Parmi les nombreuses interventions, seule au bout de plus de cinq heures celle de Pascale Piolino, chercheuse en neuropsychologie et en neuro-imagerie fonctionnelle de la mémoire à l'université Paris Descartes, a ouvert une brèche dans la carapace du réel. (Pour être honnête Camille de Toledo avait lui aussi touché juste. De mémoire je crois bien que ce fut la seule intervention applaudie.) 
Pour Pascale Piolino et ses équipes, dans un contexte de projection de soi dans un contenu fictionnel, notre cerveau traiterait l'information comme s'il s'agissait de la réalité (Cf. enregistrement vidéo de la séance à 5:50:15). Intéressant non ? 
 
4 - La fiction n'est pas synonyme de mensonge ou de désinformation. La racine du mot, là par où il tire ses nutriments et la force de faire remonter sa sève jusqu'à nous, serait le latin fictio : l'action à la fois de façonner et de feindre.
La fiction est clairement ainsi de l'ordre de la création et de l'engendrement, et absolument pas de celui du mensonge et de la désinformation. 
Que se passerait-il si dans une perspective mythanalytique nous changions, en apparence très légèrement, le tout début d'un texte fondateur de notre pensée judéo-chrétienne, le Prologue de Jean, et si au lieu de Verbe ou de Parole, nous disions : 
 Au commencement était la fictio...

N.B. 1 : La vidéo intégrale des 07 heures de procès est en ligne, et librement accessible en suivant ce lien... 
N.B. 2 : La photographie libre de droits ne représente aucunement le luxe de l'Hôtel de Ville de Paris, mais illustre assez bien mon état mental durant ces sept heures de procès fictif. 

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