Résumé de ma contribution à la conférence internationale en sciences
humaines et sociales Mythanalyse de l'insularité, des 21 et 22 mai 2018 (organisateurs et informations) : Les fictions littéraires considérées comme des îles...
" Cette
réflexion prend la forme d'éclats, une succession de courts
paragraphes à considérer comme autant d’îlots formant un
archipel et donc ayant, au-delà des apparences, une certaine unité,
laquelle unité pouvant être annonciatrice d'un isthme, une langue
de terre qui s'avancerait dans l'océan du langage comme la
presqu’île d'un vaste continent inexploré qui serait celui de la
fiction littéraire.
Des
kabbalistes considèrent le monde comme étant un phénomène
linguistique. Marcel Proust lui-même n'est-il pas chaman lorsqu'il
écrit dans Le temps retrouvé, ultime étape de son intime
galaxie A la recherche du temps perdu : « Ce que
nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces
sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément »,
avouant avoir créé son œuvre : « comme un monde,
sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur
explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment est
ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. » ?
Lectrices
et lecteurs sont par nature des insulaires, mais ce sont aussi des
navigateurs, pris par le texte, tantôt poussés au large, tantôt
rejetés vers le rivage.
(L'imaginaire
des îles s'harmonise bien, me semble-t-il, à ce mouvement qui se
saisit du lecteur de fictions ballotté entre le monde du texte qu'il
lit, et, le contexte du monde dans lequel il lit, comme entre le
monde et la langue maternelle qui structure le monde, et
s'éclairerait des explorations psychanalytiques de Marie Bonaparte
sur Edgar Allan Poe – je pense notamment à l'île aux abîmes
et aux "gouffres
alphabétiques" –, et
des travaux de Bachelard sur L'eau et les rêves.)
Ce
balancement exprime subtilement le débat qui se croit contemporain
sur l'attention et la distraction. En 1905 Proust l'aborde dans un
texte qui n'était qu'une préface et est connu sous le titre Sur
la lecture dont l'incipit
a traversé le temps : « Il
n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si
pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre,
ceux que nous avons passés avec un livre préféré. ».
Aux
fondements de la lecture littéraire
niche
une
ambiguïté entre le
contexte
et le
texte.
Le
lecteur est dans cet
entre-deux, comme
entre deux îles,
il lit entre
texte et contexte et
se retrouve ainsi dans un inter-dit et
ce
que j'appellerais un
outre-autre : un au-delà qui
est autre,
cet inconnu vers lequel il est attiré
comme un navigateur l'est par
des îles.
Considérer
les îles comme des textes et le langage comme un océan, considérer
lectrices et lecteurs comme des insulaires navigateurs n'est-ce pas
approcher une vérité de l'être qui serait lettre, créature
anthropoglyphe : une lettre qui aurait une forme animale
humaine ? Qu'écriraient alors nos navigations ?
Passer
de la figure du fictionaute, que je définis comme la densification
de la part de soi qu'un lecteur de fictions littéraires projette
dans ce qu'il lit, à celle du navigateur, c'est passer d'Ulysse
navigateur à Ulysse voyageur interstellaire. En 1981 une série
télévisée d'animation franco-japonaise avec Ulysse 31
au… 31e siècle, proposait
cette lecture.
Pour
les îles les frontières sont ailleurs, dans les eaux territoriales,
aux confins des réalités et de l'imaginaire. Dans une perspective
mythanalytique les îles et les voyages d'une île à une autre
dessinent une graphie qui pourrait être la transcription d'une
méthode de lecture en écho à la double métaphore bien connue du
monde comme livre et du livre comme monde, qui deviendrait ainsi
l'île comme livre et le livre comme île.
Nos
références bibliographiques sont ici l'Odyssée
d'Homère, Mardi de Herman Melville, Les aventures
d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe, Flatland de Edwin
A. Abbott, La Tempête de Shakespeare.
Chaque
île, comme chaque livre, offre une lecture de soi et est remise en
question de son identité narrative. "
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