Nous sommes loin de pouvoir cerner, fin 2010, les conséquences qu’auront les nouveaux outils d’écriture assistée par ordinateurs, sur la littérature et ses expressions diverses et variées, notamment le roman et la fiction au sens large, le théâtre et l’écriture scénaristique (avec les machinima, et aussi les scénarios de jeux vidéos qui renouvelleraient en partie les schémas narratifs), la poésie aussi, par essence expérience d’écriture en appelant à la polysensorialité, comme en écho souvent au vers de Baudelaire : "Les parfums, les couleurs et les sons se répondent." (Les Fleurs du Mal, 1857, Correspondances), un décloisonnement de l'écriture et de la lecture, tant souhaité par Marc-André Fournier.
Même si l’iPad ne rentre pas dans le cadre d’un dispositif de lecture, tel que nous pouvons le concevoir à la lumière des siècles précédents, de premières adaptations, de contes pour enfants par exemple, laissent entrevoir certaines promesses. Mais seront-elles tenues ?
Le fait est que nous prenons encore le plus souvent (trop souvent, mais aussi, logiquement, il faut l’admettre également) le livre imprimé, comme modèle référentiel.
Essayons donc ici un nouveau pas de côté (après celui, récent, ouessantin, mal ou sur interprété, volontairement ou involontairement, par certains).
Un système fini face à une demande infinie
Ce détournement que je propose, d’une réflexion de Michel Foucault (Dits et écrits, tome IV, 1980-1988, NRF, Gallimard) : Que peut « un système fini [le codex], face à une demande infinie [les internautes] » ? pose assez bien je trouve le contexte dans lequel, nous et le texte, nous nous retrouvons en 2010.
Evoquer la plasticité du numérique c’est, à mon sens, évoquer (invoquer) cette polysensorialité (vers des possibilités de lecture immersive ?), la liberté que peuvent apporter les outils informatiques aux créateurs, par rapport aux voies qui leurs sont tracées, par les styles et les canons, l’époque et les modes, les contingences économiques et cetera, avec les atouts qu’apporte une telle liberté, mais aussi le prix à payer, les risques, mais, aussi, les droits également, de se perdre, de s’égarer, de faire fausse route, mais y-a-t-il de fausses routes ?
C’est, en partie, aller au-delà, dans une phase créatrice, par rapport à ce qui est défini plus sobrement ainsi : « Le concept de plasticité désigne, en informatique et particulièrement dans le domaine des interfaces homme-machines, "la capacité d'une interface à s'adapter aux contraintes matérielles et environnementales dans le respect de son utilisabilité"… » (Source).
De l’aube à l’aube
Empruntée aux paroles d’une chanson d’Alain Bashung, l’expression “de l’aube à l’aube” pourrait-elle symboliser l’écriture poétique au seuil d’un nouveau millénaire ?
L'aube aussi, rappelons-le, est une forme littéraire du moyen âge, poésie lyrique sur la séparation amoureuse au point du jour.
Deux vidéos pourraient, peut-être, contribuer à illustrer, et, cette plasticité du numérique au service de la poésie, et, ces aubes, dont il est question ici.
La première vidéo, ci-dessus, reprend quelques éléments d’une conférence et de deux performances de Jacques Donguy, auxquelles j’avais eu le plaisir d’assister le 14 juin 2009, au Cube (Centre de création numérique d’Issy-les-Moulinaux et sur Second Life).
Une « rétroprojection de fragments verbi-visuels fonctionnant sémantiquement comme des mots ». Un aspect expérimental, sans doute, dans l’approche, mais nonobstant une forte référence aux mots et à l’écrit.
Cette poésie numérique se concevrait comme le chant du cygne de la poésie visuelle dont la première note aurait été jetée par le coup de dé mallarméen.
La seconde vidéo, ci-dessous, présente le travail de Laure Morali, en résidence d'écriture au sémaphore de Créac'h sur l'île d'Ouessant. Il s’agit d'un carnet de bord sonore et visuel, réalisé en partenariat avec la société bookBeo.
Une approche apparemment plus traditionnelle du langage poétique, mais nonobstant un apparent effacement des mots et de l’écrit derrière les images. Il serait intéressant de voir ce que cette expérience d’écriture pourrait donner, si un accès au texte, aux mots écrits était donné aux lecteurs, par exemple, par le truchement d’une édition imprimée enrichie des codes 2D bookBeo.
En quoi, le rapprochement de ces deux aubes, la “donguyenne” et la “moralienne”, pourrait-il porter témoignage de la plasticité du numérique au service de la poésie, du besoin de dépassement du cadre limité de la page imprimée, face à la demande fantasmatique des voyeurs ? Car peut-on parler encore de lecteurs dans ces conditions ?
En quoi, la tentation déjà bien ancienne et l’effort soutenu, pour : “Arracher le poème de la page”, notamment exprimés par le poète sonore français, Bernard Heidsieck, pourraient-ils ouvrir des portes à la littérature numérique, voire participer d’une architecture novatrice pour l’édition numérique ?