mercredi 4 novembre 2009

Borges en prospectiviste

Oui. Je reconnais Borges comme précurseur de la prospective du livre et de l’édition. Quoi de plus flagrant et en l’espèce de plus probant, que cette déclaration sereine en entrée de sa nouvelle Le livre de sable (dans le recueil éponyme) : « La ligne est composée d’un nombre infini de points ; le plan [la page] d’un nombre infini de lignes ; le volume, d’un nombre infini de plans [de pages] ; l’hypervolume, d’un nombre infini de volumes. ». Quoi de plus en écho avec ce que nous vivons en ce début de 21e siècle, ces nouveaux dispositifs de lecture qui envahissent le champ du livre imprimé, ces tablettes d’e-paper d’une seule et unique page réinscriptible, ou davantage parlant encore, ce Web sémantique qui émerge, comme un hypervolume infini.
Il est aujourd’hui incontestable que durant ce millénaire l’objet livre avec ses avatars multiples échappera au temps, passera, en effet, des hypertextes à l’hyperlivre. Unique ?
Dans le labyrinthe de son œuvre, qui s’étage en spirale autour de l’axe de la littérature, de la littérature fondée sur la production vive de signes écrits et conçue comme une mémoire collective partagée (« Les mots sont des symboles qui postulent une mémoire partagée. » écrit-il dans Le Congrès), Jorge Luis Borges (1899-1986), dans le labyrinthe de son œuvre donc, les livres y figurent comme autant de bibliothèques labyrinthiques.
Des livres dans les bibliothèques, nous accédons aux bibliothèques dans un Livre unique. Volume ou rouleau infini ? Flux ?
Le livre de sable (1975) est en effet, avec La bibliothèque de Babel (écrite en 1941 et éditée en 1944), le texte qui, à ma connaissance, a le plus de liens avec ce que nous allons vivre au cours de ce 21e siècle. Mais nous pouvons aussi y ajouter Le Congrès (précédemment cité et situé dans le recueil Le livre de sable), car il y est aussi question d‘une bibliothèque : de “La bibliothèque du Congrès du Monde”, laquelle n’est pas sans nous rappeler les ambitions de projets actuels, tels Europeana, ou encore, de la Bibliothèque numérique mondiale (BNM) de l’Unesco.
Depuis la bibliothèque d’Alexandrie, non, en vérité bien plus tôt, depuis la plus haute Antiquité (3500 avant J.-C.) ce rêve d’une bibliothèque universelle a hanté les esprits savants, semblant devenir de plus en plus irréalisable au fil des siècles où les savoirs s’accumulèrent et s’accumulèrent et s’accumulèrent ! Et tant la noble visée de Michael Hart, en 1971, avec son Projet Gutenberg (lui qui écrivit en 1998 : « Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes œuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués… ». Extrait entretien dans Technologies et livre pour tous, Marie Lebert, NEF, Université de Toronto, 2008), tant donc le Projet Gutenberg, que l’entreprise planétaire Google Books, se rattachent, tous deux, et les autres, à ce même rêve d’une bibliothèque universelle.
Pour les responsables du Congrès imaginé par Borges : « La bibliothèque du Congrès du Monde ne pouvait s’en tenir à des ouvrages de consultation et [que] les œuvres classiques de tous les pays et de toutes les langues constituaient un véritable témoignage que nous ne pouvions négliger sans danger. ».
Plus évocateur encore, La Bibliothèque de Babel (peut-être sa plus célèbre nouvelle au sein du recueil Fictions) n’est pas, aujourd’hui, sans nous rappeler les gigantesques data-centers, centres vitaux pour les géants de l’électronique mondiale et de l’entertainment réunis (Google et Apple notamment), et où chaque livre numérique est une infinie suite de 0 et de 1.
« L'univers (que d'autres appellent la Bibliothèque) se compose d'un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries [écrit Borges dans ce texte], avec au centre de vastes puits d'aération bordés par des balustrades très basses. De chacun de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galeries est invariable. […] Chacun des pans libres donne sur un couloir étroit, lequel débouche sur une autre galerie, identique à la première et à toutes. […] À proximité passe l'escalier en colimaçon, qui s'abîme et s'élève à perte de vue. Dans le couloir il y a une glace, qui double fidèlement les apparences. Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n'est pas infinie ; si elle l'était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ? Pour ma part, je préfère rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l'infini et pour le promettre... Des sortes de fruits sphériques appelés lampes assurent l'éclairage. Au nombre de deux par hexagone et placés transversalement, ces globes émettent une lumière insuffisante, incessante... » (Extrait de La Bibliothèque de Babel, 1941, in Fictions, trad. N. Ibarra revue par J.P. Bernés).
Je trouve ainsi naturellement chez Borges une dimension prophétique qui va au-delà de ce qu'Albert Robida écrivait en 1892 dans La vie électriqueCe que je pense de la destinée des livres, mes chers amis ? Si par livres vous entendez parler de nos innombrables cahiers de papier imprimé, ployé, cousu, broché sous une couverture annonçant le titre de l’ouvrage, je vous avouerai franchement que je ne crois point, et que les progrès de l’électricité et de la mécanique moderne m’interdisent de croire, que l’invention de Gutenberg puisse ne pas tomber plus ou moins prochainement en désuétude… », et qui connaitra une certaine validation avec l’éphémère théâtrophone, inventé par Clément Ader et consistant en un réseau téléphonique relié à l’Opéra de Paris et permettant d’écouter l’opéra en restant chez soi, ce qu’affectionnait notamment Proust, système qui connut quelques succès parisiens entre 1881 et 1932...) ; et qui va bien au-delà également, de ce que Maurice Escoffier pouvait écrire quelques années plus tard dans La Mort du Livre. Anticipations bibliophiliques (Revue Mensuelle de l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales, numéro spécial sur le livre de décembre 1932).
Borges a donc, à mes yeux, une dimension prophétique qui va au-delà.
Les progrès des neurosciences cognitives peuvent laisser espérer qu’il sera un jour possible d’optimiser les nouveaux dispositifs de lecture, qui apparaissent depuis la fin des années quatre-vingt dix, en fonction des capacités sensorielles des lecteurs, de leurs dispositions naturelles de vision et de décodage. La question se pose alors de savoir s’il serait un jour envisageable de contrôler l’activité neuronale mise en jeu lors de la lecture ? Serait-ce souhaitable ? Ce qui le serait, serait de parvenir à concevoir des dispositifs de lecture intelligents, capables de s’adapter à différents profils de lecteurs et d’enrichir leurs expériences de lecture. Dans le cadre d’une convergence entre canaux plurimédias (hypermédia), réalité augmentée, enrichie, et intelligence artificielle, le dispositif de lecture du 3e millénaire pourrait-il être un organisme exocéphale de décodage du monde ? Et se pourrait-il que cette évolution des dispositifs de lecture induise à terme des mutations de certaines fonctions cognitives chez les lecteurs ?
Umberto Eco, à ma connaissance admirateur de Borges, et qui s’en inspira notamment dans son célèbre roman Le nom de la rose, ferait bien de se pencher objectivement sur ces questions, au lieu de partir en croisade avec les défenseurs des industries graphiques. (Je suis toujours étonné que les admirateurs de Borges, je pense en ce moment également à Alberto Manguel, soient si méfiants et critiques vis-à-vis des évolutions du livre et de la lecture.)
Avec la miniaturisation et les avancées des bio-nanotechnologies, un lecteur, ou une lectrice bien évidemment, pourra peut-être un jour porter en lui cette bibliothèque universelle dont nous rêvons follement depuis que nous avons commencé à lire des signes tracés, rêve déraisonnable peut-être, qui n’est autre, au fond, que celui d’une omniscience divine.
Mais, rêveurs déraisonnables ou pas, ce qu’il nous faut tous retenir, c’est qu’il y a, entre les nouveaux dispositifs de lecture, dont nous commençons à disposer en ce début de 21e siècle, et ceux dont nous disposerons à la fin de ce même siècle, la même différence qu’entre un gramophone et un iPod. Qu’on se le dise ! Des machines à lire intelligentes et universelles seront, un jour prochain, possibles, qui nous offriront des expériences nouvelles de lectures immersives poly-sensorielles. Oui, qu’on se le dise !
Et, en vérité, dans ses contes et nouvelles oniriques, Borges prédisait simplement et raisonnablement, ce que les experts, aujourd’hui, prévoient, et c’est pourquoi je le reconnais comme précurseur de la prospective du livre et de l’édition :-)
P.S. Du coup je mets Le livre de sable en rubrique Le livre du mois, dans la colonne de droite ;-)

lundi 2 novembre 2009

Goncourt 2009 Marie NDiaye en livre numérique

Signe des temps : qui l'aurait cru il y a deux trois ans ? Peu. Quelques-uns et quelques-unes, certes, mais peu. Et voilà : le jour même de la proclamation du Prix Goncourt, l'heureuse élue est disponible en formats numériques (ePub et PDF précisément) pour eReaders, liseuses et compagnie.
Le sait-elle et en est-elle heureuse ? Ou contrariée, ou indifférente ?
15,20 € en PDF et 16,50 € en ePub chez Immatériel.fr et ePagine.fr, avec, dans les deux cas, la possibilité de feuilleter gratuitement des extraits en ligne (et notamment sur Eden Livres), et ce pour une version papier à... 19,00 € sur le site de Gallimard. No comment. Le débat est en cours et l'avenir devant nous (forcément ;-)

N.B. Info dénichée sur eBouquin. Commentaires sibyllins et mise en perspective personnels ;-)

jeudi 29 octobre 2009

Quand les étudiants élaborent des projets d'édition dématérialisée :-)

J'ai eu le plaisir de rencontrer hier les étudiants de Master 2 de l'Institut supérieur de communication et publicité (ISCOM-Paris), comme expert conseil, intervenant dans le cadre de leur "jeu d'entreprises", sur le thème de la création d'une : "Communauté Internet de référence de l'édition dématérialisée".
Une intéressante occasion pour moi de découvrir la vitalité de cette école et l'intérêt de ses étudiantes et de ses étudiants pour les évolutions actuelles du livre et de son marché vers une édition dématérialisée :-)

mardi 27 octobre 2009

Imprimé et lecture au 21e siècle, présentation au Club Perspectives de l'Unesco

Des échanges intéressants hier après-midi à l'Unesco, dans le cadre du Club Perspectives de l'AAFU (Association des anciens fonctionnaires de l'UNESCO) où j'ai eu le plaisir d'intervenir, en compagnie de Virginie Clayssen (Directrice adjointe du développement numérique chez Editis et Présidente de la Commission numérique du Syndicat national de l'édition - SNE), et de Mauro Rosi (Responsable de la plateforme intersectorielle pour les langues et le multilinguisme, Unesco).
Je remercie Jean-Marc Dethoor, Président du Club Perspectives, pour son invitation, ainsi que les quelques amies et amis de Facebook et Viadeo qui étaient venus m'écouter ;-)
Ci-dessous, pour celles et ceux qui n'ont pas pu venir, le diaporama de ma présentation d'hier, sur le thème : L'imprimé et la lecture au 21e siècle : crise et perspectives.

vendredi 23 octobre 2009

Un Appel aux bibliothécaires sur Facebook

J'ai lancé sur Facebook un Appel aux bibliothécaires, dont les fruits, je l'espère, feront l'objet d'une “jolie salade” (sic) dans un futur billet du présent blog. L'occasion pour vous, si vous n'en êtes pas encore membre, de rejoindre sur Facebook le groupe : Prospective du livre et de l'édition.

Voici en attendant copie de cet appel :
"Alors que je déambulais cette nuit dans Saint-Germain-des-Prés, à la recherche du fantôme de Jacques Besse (La grande Pâque. Déambulation, La Chambre d’échos éd. 1999), et de quelques autres, une idée m’a traversé la tête. Eh oui.
Dans mes plus de 820 amis sur Facebook, les quelques 300 membres du groupe Prospective du livre et de l’édition, les 40 membres du groupe Littéraires et technophiles, il y a de nombreuses et de nombreux bibliothécaires et documentalistes.
Et si je leur posais la question de la bibliothèque au 3e millénaire ?
Alors voici la question…

« En tant que prospectiviste du livre et de l'édition, j'ai quelques bonnes raisons de penser que les bibliothèques vont évoluer au cours de ce 21e siècle sur le modèle suivant : d'une part, la bibliothèque-médiathèque physique, "brick and mortar", laquelle sera en permanence couplée par des systèmes de réalité augmentée au réseau des autres bibliothèques sur toute la surface de la Terre, et, d'autre part, sera également couplée en temps réel à son propre double "pure player", dans le futur Web 3D immersif qui se prépare (en gros une symbiose de Google street view et de Second Life, se reporter à l’illustration). Les deux, la bibliothèque physique et la bibliothèque, entre guillemets, "virtuelle", seront interfacées par ce que nous appelons aujourd'hui la "bibliothèque numérique", c'est-à-dire les fonds numérisés. Qu'en pensez-vous ? »

J’aurais pu intituler cet appel : La Bibliothèque, à l’aurore, en référence au très bel ouvrage d’Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit (Actes Sud éd., 2006), seulement vous auriez peut-être été moins nombreux à cliquer sur le petit lien hypertexte pour accéder à la lecture de ces quelques lignes ;-)
Bien évidemment, se profilent dans cette aurore, le mythe d’une bibliothèque universelle, le grand rêve d’Alexandrie et le drame de la Tour de Babel, mais aussi les développements actuels, et pas uniquement du projet Google Books, mais aussi d’Europeana, ou de la Bibliothèque numérique mondiale de l’Unesco.
A l’heure où la Bibliothèque nationale de France se prépare à ouvrir (pour février 2010 normalement) un Labo BnF (espace permanent sur les futures technologies de lecture : « lieu expérimental de présentation des nouvelles technologies d’écriture et de lecture. Papier électronique communicant, consoles de poches, dispositifs de réalité augmentée […] aussi lieu de réflexion sur la mutation des métiers du livre, les médias numériques… » BnF), ma question de la bibliothèque au 3e millénaire se pose, et d’ailleurs : je la pose, je vous la pose.
(Éventuellement, potentiellement, de la substantifique moelle de vos réponses, un papier (sic) s’écrira sur mon blog P.L.E. Prospective du Livre et de l’Edition).
Merci et @ Bientôt alors,
Lorenzo "

mardi 20 octobre 2009

Une entreprise de séduction

Les nouveaux lecteurs au XIXe siècle (Femmes, enfants, ouvriers) est le sujet abordé par Martyn Lyons (de l’Université de Nouvelle Galles du Sud, à Sydney) dans la pénultième partie d’une Histoire de la lecture dans le monde occidental.

Le 19e siècle : « C’est l’ “âge d’or du livre” en Occident : la première génération à accéder à l’alphabétisation de masse aura été la dernière chez qui l’imprimé n’avait aucun rival comme moyen de communication, avant que la radio et les médias électroniques ne fassent leur apparition au XXe siècle. », et c’est alors seulement, à noter, que les éditeurs accèdent « au statut de professionnels spécialisés » d’une… vaste entreprise de séduction, (expression que j’emprunte avec plaisir à l’auteur, qualifiant ainsi le roman : « Le roman est, par lui-même, implicitement, une entreprise de séduction »), s’appuyant avant tout sur la féminisation massive du lectorat de romans, jusqu’à cette intéressante conclusion : « La lectrice [du 19e] est peut-être même quelque chose de plus : une pionnière des notions modernes de vie privée, d’intimité. ».
Martyn Lyons poursuit son essai avec le nouveau lectorat des enfants, scolarisés en France par les lois de Jules Ferry dans les années 1880, qui allaient, en créant le marché des manuels scolaires, assurer et développer les assises capitalistiques des éditeurs : « La naissance d’une prospère industrie de la littérature pour enfants, remarque Martyn Lyons, s’inscrivait dans ce que Philippe Ariès a appelé “l’invention de l’enfance” ; la définition de l’enfance et de l’adolescence comme deux phases particulières de la vie avec leurs difficultés et leurs besoins propres. ».
Quant aux lecteurs populaires des classes laborieuses, ils eurent les bibliothèques de prêt (dont certaines, en Allemagne tout au moins, bibliothèques d’usines : « Patrons et réformistes espéraient qu’en donnant aux ouvriers une littérature de bonne tenue et en encourageant la lecture, on pourrait atténuer les tensions sociales. »).
Pour nombre d’entre eux la lecture en autodidacte s’inscrivait alors pleinement dans une véritable « éthique du progrès individuel », alors que « dans la Russie tsariste, nous rappelle l’auteur, les affamés de littérature romanesque couraient le risque d’attirer l’attention de la police » ! A suivre…
(Illustration : La lecture abandonnée, par Félix Vallotton, 1924 ;-)

lundi 19 octobre 2009

Pandémie de lecture vs Grippe A H1N1

Reinhard Wittmann pose la question d’ “Une révolution de la lecture à la fin du XVIIIe siècle ?” (dans Histoire de la lecture dans le monde occidental, partie 11). Une question à laquelle il répondra par l’affirmative.

En effet, à partir du milieu du 18e siècle l’on aurait constaté dans l’Europe de l’Ouest, en Angleterre, en France, puis en Allemagne, une véritable « révolution culturelle », que les historiens désignent carrément sous le nom de « rage de lire », allant même jusqu’à parler d’une « épidémie collective de lecture ». Eh oui !
Reinhard Wittmann nous en rapporte plusieurs témoignages d’époque, qui nous feraient désespérer de n’avoir rien trouvé de mieux, nous autres du 21e siècle, que la grippe A H1N1 ;-(
Aujourd’hui ces historiens du livre et de la lecture expliquent simplement « ce changement séculier comme le passage révolutionnaire de la lecture “intensive” à la lecture “extensive”… » (J’avais déjà abordé cette question dans deux précédents billets : De la lecture extensive à une lecture intensive, et, Lecture extensive vs lecture intensive).
« La culture de l’écrit et la littérature devinrent, écrit Reinhard Wittmann, les champs d’expérimentation de l’auto-interprétation et de la réflexion. Le livre et la lecture prirent aussi une nouvelle place dans la conscience publique. » (La culture du Web 2.0 et l’édition numérique joueront-ils ce rôle d’émancipation intellectuelle ? L’apprentissage aux outils et aux logiques du numérique n’est pas sans rappeler les nécessaires apprentissages de l’alphabétisation…).
Les années 1745-1775 virent donc l’éclosion d’une « lecture moderne » dont nous vivons aujourd’hui le déclin, ou le rebond ;-)
La récente étude d’Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique - Éléments de synthèse 1997-2008 (publiée par les éditions de La Découverte et le Ministère de la culture et de la communication, et accessible en ligne ici…), à mon avis, ne répond pas à cette question : déclin ou rebond de la lecture ? Et ce, malgré ce que nous pouvons entendre et lire dans les médias. La conclusion, consensuellement véhiculée dans une belle harmonie, est que : les français lisent moins. Cela dit, l’étude met en évidence : « la montée en puissance de la culture d’écran », avant de déclarer : « la lecture de presse et de livres toujours en recul », mais, sans relier les deux constatations. Le principal biais, selon moi (outre que l’on reste toujours en droit de douter de la représentativité nationale d’un échantillon quel qu’il soit), est que, les postulats étant ce qu’ils sont et les sondés répondant aux questions posées, seules les pratiques, entre guillemets “traditionnelles” de lecture de livres et de presse ont été prises en compte. Les nouvelles pratiques de lecture (notamment sur écrans) sont ignorées. Or, lire en 2009, c’est de moins en moins souvent lire un imprimé. Nonobstant c’est malgré tout : LIRE. Cette étude est à mon sens, en tant que prospectiviste, principalement intéressante par son approche générationnelle. De fait, la génération des moins de 30 ans, au sujet de laquelle Olivier Donnat conclut : « elle est la génération d’un troisième âge médiatique encore en devenir », accélérera inévitablement les mutations en cours dans la galaxie Gutenberg, dès qu’elle accédera aux commandes, ou le jour où les commandes seront plus facilement accessibles par d’autres voies.
Pour en revenir à notre sujet, dans sa partie, Reinhard Wittmann (de Munich) explore la population des lecteurs et leurs pratiques de lecture (une lecture de divertissement, une lecture cursive didactique, et une lecture utilitaire), principalement sur l’espace linguistique allemand, avant d’en revenir à cette fameuse « fureur de lire », « …“narcotique” (comme l’appelle le philosophe J.G. Fichte) et souvent destinée à fuir le réel… ».
Mais nonobstant, ce qu’il est intéressant alors de souligner d’après moi, c’est que ces nouveaux lecteurs : « expérimentaient de nouvelles approches du texte littéraire, de nouveaux modes et rites de lecture. », avec pour incidence de faire du livre une marchandise culturelle et pour corolaire de mettre en œuvre des solutions pour « lire sans acheter » ;-) (Cabinets littéraires, bibliothèques de prêt, sociétés de lecture…), et qu’ils favorisèrent ainsi l’émergence de la lecture, comme une « technique culturelle considérée comme une forme de communication originale. ».
Oui. Vous avez bien lu : une technique culturelle considérée comme une forme de communication originale. A quoi d’autre que la stricte lecture d’imprimés cela pourrait-il nous faire penser aujourd’hui ? ;-)
A suivre…