mardi 19 février 2013

Autre côté de l'histoire, autre côté du miroir

Les outils de visualisation dont peuvent aujourd'hui disposer nos imaginaires pour projeter dans le monde leurs propres réalités sont de plus en plus performants et commencent à être utilisés par des créateurs de plus en plus nombreux, bien que les auteurs, au sens traditionnel d'auteurs de l'écrit, d'écrivains, restent en retrait.
 
Notre attention doit cependant être attirée je pense par une nouvelle récente publiée sur le site Avatarlife : Versu de Linden Lab, le livre dont vous êtes le héros à l'ère de l'IA [Intelligence Artificielle].
  
De quoi s'agit-il ?
"des histoires textuelles et conversationnelles dont le déroulement dépend des choix de votre personnage. Rien de bien révolutionnaire a priori, sauf qu’il s’agit d’un moteur social à peu près semblable à celui utilisé pour les Sim 3 qui vient au secours de notre bon vieux livre. [...] On pense immédiatement au fameux « livre dont vous êtes le héros » qui a éveillé certains d’entre nous, si ce n’est à la lecture, à l’interactivité. Dans le cas présent, vous choisissez de contrôler un personnage et c’est un moteur fictionnel intelligent qui va redéfinir l’ensemble des actes des autres protagonistes de l’histoire.".
De là à ce que ces "autres protagonistes de l'histoire" et le(s) lecteurs(s) mêmes soient avatarisés au sein de territoires numériques immersifs ou en réalité augmentée il n'y a qu'un pas, ou quelques pas que pourrait bien franchir Linden Lab dans les prochaines années (pour les néophytes, rappelons qu'il s'agit de la société créatrice du métavers Second Life, d'où découlent nombre de plateformes sous logiciel libre opensimulator).

Les temps et les espaces de la lecture
 
J'ai ainsi eu l'occasion dimanche soir de m'immerger dans une relecture pour adulte du célèbre conte Le petit chaperon rouge sur ce fameux Second Life.
Un parcours en web 3D immersive, que je pourrais qualifier d'installation ou de "parcours post-narratif sonorisé", créé par les artistes de Second Life, Cherry Manga, Alpha Auer, et Soror Nishi.
Ce type de performances s'inscrit dans les perspectives auxquelles nous réfléchissons au sein de mon incubateur web 3D MétaLectures et, entre autres, dans le cadre de son actuel programme à destination des éditeurs pure-players jeunesse.
 
La lecture que fait Daniel Tammet d'Alice au pays des merveilles va dans ce sens. "Le temps, remarque-t-il, ne s'écoule pas partout de la même façon" (à réécouter dans l'émission radio de Camille Juzeau, La bibliothèque scientifique idéale, sur France Inter).
Une fenêtre sur une possible lecture d'Alice au pays des merveilles, à transposer dans nos lectures quotidiennes.
Dans l'imaginaire, dans les rêves, dans nos lectures, le temps et l'espace ne se comportent pas comme dans la construction que notre cerveau et notre mental élaborent à partir des informations limitées de nos cinq sens physiques et du catalogue de nos apprentissages.
La lecture pourrait bien au cours du siècle évoluer sur ces sentiers là.
Les éditeurs devraient suivre certains personnages, comme Alice, comme le Petit Chaperon Rouge...
 
Un autre petit chaperon rouge de l'autre côté de sa propre histoire...
D.R. Illustrations de l'artiste Cherry Manga,
à l'occasion de la performance The other side of the story
Visite libre possible jusqu'au 15 avril 2013 sur la plateforme Second Life
 à l'adresse : The Companion =
N.B. : version pour adultes.
 


samedi 16 février 2013

Esquisse du livre

Je suis passé rue Boutebrie dans le quartier de la Sorbonne, là où dans les années 1370 Raoulet d'Orléans, copiste attitré de Charles V, tenait boutique.
Le garçon m'était connu, j'en avais entendu parler naguère, puis je l'avais oublié, et voilà qu'il m'est revenu à la mémoire avec un récent roman signé Michel Jullien aux éditions Verdier.
 
Ce bon roman, plaisant à lire, a pour grand mérite de faire resurgir aujourd'hui, par-delà un livre industriel du 21e siècle, ce qu'étaient le codex et le marché du livre à l'époque de l'édition manuscrite.
Nous y prenons conscience de la filiation, du darwinisme qui prévaut dans la sélection des supports d'écriture et dans les pratiques de lecture qui leurs sont associées.
 
Que s'est-il passé depuis 1370 ? Nous sommes depuis, allés de la rareté à l'abondance, de quelques rares spécimens d'ouvrages, tous véritablement uniques, chaque copiste avait son écriture, son style reconnaissable entre tous, à la multiplication standardisée avec l'imprimerie, la reproduction en nombre et maintenant, avec le numérique, la copie instantanée d'un clic de "souris", l'overdose.
La contrefaçon, elle, et c'est justement l'un des sujets du roman historique de Michel Jullien, a toujours existé.
Nous sommes passés aussi de la matérialité du livre, matière naturelle travaillée par mains d'hommes, à un produit de plus en plus industriel et aseptisé, et aujourd'hui à des fichiers numériques.
Même soigneusement travaillé, un parchemin conservait quelques signes de son origine, quelques imperfections, quelques poils, et une odeur caractéristique. Un vélin n'avait pas seulement plus bel aspect, mais il sentait moins fort et plus élégamment qu'une peau de chevreau ou de jument. Les codices dans un coffre s'exprimaient alors comme des fromages sous cloche. Nous avons perdu tout cela, la rareté et certains liens à la nature, au monde réel.
 
Oui, que gagnons-nous et que perdons-nous dans cette vie du livre, à laquelle nous ne pouvons que consentir, comme si elle était finalement naturelle ?
Je me suis posé tout récemment la question tellement j'ai été agréablement surpris de me retrouver face à une belle typographie en ouvrant hier La vie éternelle, de Sholem Aleikhem.
 
Cadastre des époques, cadavre du livre
 
Le monde de l'écriture est de moins en moins manuel, notre rapport au livre de moins en moins physique. L'anthropologue Tim Ingold le soulignait à sa manière dans son passionnant essai Une brève histoire des lignes (2011, éditions Zones Sensibles) qui inspire actuellement une exposition au Centre Pompidou-Metz ("Manuscrite ou imprimée, l’écriture est toute entière constituée de lignes, jeux de pleins et de déliés, tout en étant elle-même, à l’échelle d’un texte, génératrice de lignes qui courent de part et d’autre de la page.").
 
Ce rapport aux lignes, nous en reprenons conscience aux explications et descriptions du travail de copiste données par Michel Jullien dans son roman, ce rapport aux lignes est essentiel.
"... les réglures, quinze mille pour une Bible, quinze mille raies traversières à tirer au pointeau."
"Geste cheminatoire" aurait dit l'historien Michel de Certeau.
 
Originellement liées aux sillons des champs labourés (l'écriture boustrophédon en atteste), méticuleusement tracées par les copistes, imprimées sur les cahiers et scrupuleusement suivies par les écoliers, les lignes elles aussi s'éthérisent, deviennent invisibles à nos yeux : des lignes de codes informatiques que les interfaces WYSIWYG nous masquent.
(Le code cependant reste une écriture, reste dans la logique de la ligne, il nie toute prétendue délinéarisation, et alors le souci serait peut-être simplement le suivant : comme à l'époque de Raoulet d'Orléans peu savaient lire et écrire, aujourd'hui peu savent coder ; l'ère post-alphabétique sera peut-être celle du code -- la lecture des chromosomes déplace de fait la bibliothéconomie au niveau de l'ingénierie du vivant.)
 
Peut-être est-ce ainsi, par le tissage des lignes (ce qui fait texte donc) que le cadastre des époques se projette sur leurs supports d'écriture et leurs surfaces de lecture.
Avec les outils logiciels nos parcours de lecture, ce post même en témoigne, génèrent plus facilement de l'écriture.
La fausse distance entre écriture et lecture tend à s'abolir dans l'exacerbation de son illusion même.
 
Comme l'écrivait Franck P. Jennings dans This is Reading : "La lecture est plus vieille que l’imprimerie, l’écriture ou encore le langage lui-même. La lecture débute avec l’examen du monde qui nous entoure. Elle commence avec la reconnaissance d’événements répétés comme le tonnerre, la foudre, la pluie. Elle commence avec les saisons et la croissance des choses. Elle commence avec cette douleur sourde qui disparaît avec de la nourriture et de l’eau. Elle survient quand le temps est enfin découvert. Lire commence avec la manipulation des signes.".
 
Serions-nous en train de vivre cela, l'effacement de la littérature au profit du monde réel, ou vice-versa ?
Plus de cinq millénaires que nous tentons d'écrire le monde non-écrit.
Alors que tout est écrit.
Le roman est consubstantiel à la réalité que nous conférons au monde.
Celui de Michel Jullien en est une preuve.
 
N.B. illustrations de haut en bas : page de Ptolémée, Quadripartitum, avec glose de Ali Ibn Ridwan, traduction en français par Guillaume Oresme et copie par Raoulet d'Orléans (source Europeana Regia), couverture Esquisse d'un pendu, de Michel Jullien aux éditions Verdier (2013 - lien et informations sur le livre),  page extraite de La vie éternelle, de Sholem Aleikhem, textes traduits du yiddish par Arthur Langerman et Ariel Sion (éditions Métropolis, Genève, 2011, informations sur le livre).
 

mercredi 13 février 2013

Extension du domaine de l'édition numérique francophone

Mon actualisation de ce 13 février 2013 recense 125 acteurs de l'édition numérique francophone, dont un en Afrique : Les éditions Légend’Afrique à Yaoundé. Bienvenue à elles dans cette liste consultable en suivant ce lien... 
Pour rappel : cette liste est purement informative. Issue de mon travail de veille, elle ne vise qu'à mettre gracieusement à la connaissance de chacun une liste d'éditeurs "pure-players", mais, en aucun cas, il ne s'agit d'une recommandation des entreprises listées, ni d'une liste destinée spécifiquement aux auteurs en recherche d'un éditeur.
 
 


samedi 9 février 2013

Portrait du lecteur en apiculteur, et deux trois autres intuitions...

L'activité lecturante - cette désignation pour bien marquer d'emblée la participation dans la présence de sa lecture du lecteur, place ce dernier dans la situation de celui récoltant le miel de ses imaginations.
La lecture c'est un peu l'équivalent pour l'imaginaire de l'influx nerveux dans un corps vivant.
Le passage du mode, du monde de l'imprimé à celui sur le seuil duquel nous chancelons - car il s'agit bien là, qui nous souffle au visage, de "la part d'éternel qui affleure dans le passage" ainsi que Baudelaire désignait le moderne, cela est une véritable sorcellerie ; j'entends par là : est de l'ordre de l'envoûtement et de la possession.
"Au commencement des temps, nous rappelait Freud, les mots et la magie étaient une seule et même chose".
La langue, comme sédimentarisée maintenant dans le texte imprimé y retrouve dans cette sorcellerie une part de la puissance évocatrice de l'abracadabra ; la pensée magique du lecteur y supplée à une lecture profonde et linéaire par les sillons figurés des lignes, des interlignes, des marges inviolées.
Des peintures magdaléniennes, se jouant des incidents naturels de la pierre et de l'incertitude des torches, aux tablettes tactiles connectées, c'est la même technologie de l'illusion qui est à l'oeuvre, celle au fond de l'Allégorie de la caverne de Platon, dont nous n'avons sans doute pas encore tiré tout l'enseignement.
Le numérique est le grand mythe du 21e siècle.
En conclusion provisoire : la construction simultanée du lecteur et de sa lecture s'opère peut-être ainsi tant par ce qu'il lit que par ce sur quoi il le lit.
 

mercredi 6 février 2013

De nouvelles perspectives pour les éditeurs jeunesse pure-players

Au cours des semaines à venir je vais contacter les éditeurs jeunesse pure-players pour les inviter à venir tester, en privé et gratuitement et sans aucun engagement de leur part, une plateforme de démonstration.
Nous avons en effet développé au sein de l'incubateur web 3D immersive MétaLectures une application innovante unique et peu coûteuse, pour permettre à vos jeunes lecteurs de véritablement s'immerger dans vos histoires... 
Au cas où vous ne recevriez pas d'invitation, ou bien si souhaitez devancer l'appel, n'hésitez pas à me contacter ici même en commentaires ou par mail privé.
 
Entrer véritablement dans l'histoire... 
 
La technologie, dont vous pourrez voir des réalisations et évaluer les possibles apports pour vos projets d’éditions numériques, est open source. Elle fonctionne sur tous les systèmes d’exploitation (Windows, Mac et Linux) et sur les terminaux mobiles Androïd.
Elle peut être fournie aux éditeurs sur des plateformes propriétaires sous licence libre et avec un accès facile, sur le web ou par exemple via clés USB pour les lecteurs.
Nous pensons que vos jeunes lecteurs veulent s'immerger véritablement dans des histoires vraiment interactives, proches de l'univers des jeux vidéos qu'ils pratiquent. 
Nous vous proposons la seule technologie 3D qui permet de vraiment partager des expériences de lectures collectives synchrones.
Au cours de votre visite vous pourrez échanger avec Jenny Bihouise, la conceptrice de ces projets pour MétaLectures.
Nous vous attendons... 
 
N.B. : illustrations originales MétaLectures - D.R. Jenny Bihouise. L'image sur la page du livre de la seconde illustration est adaptée de Stairway to heaven du peintre Jim Warren, célèbre adaptation du mythe de l'échelle de Jacob.
 

vendredi 1 février 2013

Perspectives transhumanistes, ou la lecture et le syndrome de la lettre volée

J'ai assisté hier soir au sein de l'École Polytechnique (Palaiseau) à une "Conférence Transhumanisme" réunissant Rémi Sussan sur le thème : Mythes et légendes du transhumanisme, Laurent Alexandre sur la question : L'homme qui vivra 1000 ans est-il déjà né ?  et Olivier Nérot sur le sujet : Émotions et machines.
Passionnant.
Nonobstant je suis atterré de constater, une fois de plus, le placard dans lequel est remisée la prospective du livre.
Ce n'était pas le sujet ? Si. Il suffit de connaître un minimum les travaux de Clarisse Herrenschmidt, membre de l'Institut d'anthropologie sociale du Collège de France et d'avoir lu son essai Les trois écritures : langue, nombre, code (Gallimard éd.), de mettre cela en perspective avec les travaux de Tim Ingold (professeur d'anthropologie sociale à l'université d'Aberdeen : "Une brève histoire des lignes", éd. Zones sensibles) et, par exemple, avec Le laboratoire des cas de conscience (Alma éd.) dans lequel Frédérique Leichter-Flack présente la littérature comme "le laboratoire des cas de conscience", avec L'espèce fabulatrice de Nancy Huston (Actes Sud), pour que cette lecture des perspectives transhumanistes s'impose.
Je le redis : la lecture est l'activité, sinon première, en tous cas naturelle du vivant, qui a besoin de lire, de déchiffrer et de documenter son environnement.
Malheureusement la lecture est tellement intrinsèque à l'expression du vivant que nous oublions de la considérer, lire la lecture relève d'une introspection globale, au niveau de l'espèce, puis du vivant, dans leur historicité, laquelle englobe les avenirs les plus lointains.
   
La lecture du vivant
 
Il a été question hier soir, notamment dans l'intervention de Laurent Alexandre (neurobiologiste de formation) de lecture du vivant. Mais qu'est-ce que la lecture des chromosomes, de l'ADN, sinon du code ?
L'ingénierie du vivant relève en fait de la bibliothéconomie.
L'ignorer peut nous induire en erreur.
Le problème principal auquel je me heurte en tant qu'initiateur de la prospective du livre et de la lecture est ce syndrome de "la lettre volée" (paradoxal s'agissant de la lecture ! mais les divinités s'amusent sans doute comme elles peuvent...) : nous nous focalisons benoîtement sur un hypothétique passage de l'édition imprimée à l'édition numérique (alors que j'ai ailleurs déjà émis deux hypothèses sur la non-existence de l'édition numérique) et la très grande majorité des acteurs ne s'intéresse en fait qu'au marché du livre, à l'objet livre (imprimé, numérisé ou numérique) et à son commerce, les sous, les petits sous toujours.  
 
C'est sur un autre plan que celui des héritiers et des actionnaires de l'édition que la partie se joue.
Nous ne sommes pas seulement des lecteurs de livres pour quelques-uns d'entre nous, mais nous sommes tous par nécessité des lecteurs de la vie ; et nous ne sommes pas seulement des lecteurs, mais nous sommes également du lu, chacun d'entre nous est une bibliothèque, un livre, un texte, un mot et une lettre.
Et nous refusons de voir cela en face.
C'est pataud. Vraiment.
 

dimanche 27 janvier 2013

Le livre et la 3D - Retour sur la conférence du 16 janvier 2013

 
Le soir du 16 janvier 2013 courant j'ai eu le plaisir d'intervenir pour la première fois sur le thème suivant : Le livre et la lecture dans le web 3D de demain, et de réaliser cette conférence en duplex, à la fois dans les locaux de La Cantine numérique rennaise, à Rennes donc comme son nom l'indique, et, dans l'auditorium de MétaLectures sur la plateforme de web 3D immersive Francogrid.
Au total pratiquement 80 personnes à Rennes et une trentaine sur MétaLectures.
La photographie ci-dessus de Jean-Baptiste Le Clec'h montre bien la mise en abîme du dispositif et la mise en relation des deux plans, physique et numérique.
Comme prévu ma conférence a été suivie d'échanges en direct depuis Francogrid avec quelques-uns des professionnels qui travaillent comme moi au déploiement des ressources culturelles et éducatives de ce type d'environnement numérique (en l'occurrence l'artiste Anne Astier ; Jenny Bihouise -consultante en ingénierie de formation et des mondes immersifs ; Caroline Brousse -bibliothécaire et cofondatrice de Bibliossimo ; Sylviane Diop du collectif d'artistes GawLab de Dakkar, et Yann Minh qui nous a fait visiter quelques espaces du futur FestivalSF, avec des réalisations de l'artiste Cherry Manga et une sonification topologique de la sound designeuse Christine Webster).
Ces échanges ont (je l'espère) contribué à faire prendre conscience à mon auditoire rennais de la réalité et des potentialités de ces territoires numériques, de la qualité de celles et ceux qui y oeuvrent déjà.  
 
L'obsolescence du web
   
En 2007 j'avais donné sur Second Life, grâce à l'équipe de la Bibliothèque francophone du métavers, la première conférence en français (en voice chat) à l'occasion de la sortie de mon livre Gutenberg 2.0, le futur du livre.

Aujourd'hui la 3D s'impose de plus en plus. Parallèlement les internautes deviennent des mobinautes, et avec l'internet des objets et la réalité augmentée la porosité entre monde physique et monde numérique est de plus en plus importante. Qu'on le veuille ou non les deux sont de plus en plus interconnectés.
 
Le message que j'ai voulu faire passer le 16 janvier 2013 est le suivant : le web 2.0 véhicule de l'information mais il ne reproduit aucunement notre environnement naturel, lequel est en trois dimensions et, surtout, nous met les uns les autres en contact que nous le voulions ou non.
Même avec le développement des réseaux sociaux et l'utilisation de webcams, le web nous propose généralement des expériences solitaires face à l'univers plat des écrans.
C'est du Minitel augmenté, mais sans plus.
Le co-browsing, la navigation interactive à plusieurs sur un même site web, n'a pas encore été rendu possible.     
La technologie OpenSimulator (open source) que je cherche à promouvoir et que je teste depuis un an sur l'incubateur MétaLectures permet de transférer sur un territoire numérique une grande partie des activités de notre vie quotidienne.   
Quand nous nous connectons au site web d'une bibliothèque, quand nous nous connectons au site web d'une librairie, qu'elle vende du livre imprimé ou du livre numérisé en téléchargement, l'expérience que nous avons est extrêmement pauvre par rapport à celle que nous vivons lorsque nous entrons effectivement dans une bibliothèque ou dans une librairie. Qui oserait me dire le contraire ?
 
Comparée à la 3D immersive sur et avec laquelle nous travaillons sur MétaLectures, la 3D subjective est un trompe-l'oeil, genre pictural qui plonge ses racines dans l'art pariétal.
La visite virtuelle proposée par la BPI Pompidou de Paris sur son site web, par exemple, ne rend compte en rien de la "réalité-vraie" du lieu et de sa vitalité. Plus grave, elle renvoie une image aseptisée et déshumanisée d'un lieu de vie et d'échanges autour des livres et de la multiplicité des pratiques culturelles.
  
Les recherches sur la datavisualisation des données et le design d'information ne sont pour moi que des symptômes d'un besoin d'humanisation des technologies de l'information et de la communication, et la ludification une simple recherche d'ersatz.
  
Une nouvelle dimension pour le marché du livre
 
Le web 2D ne permet pas de donner une visibilité aux catalogues numérisés des bibliothèques ni à l'offre "en ligne" (sic) des librairies.
Il nous faut réinventer la façon de représenter et de présenter le livre dans le monde numérique, et cela pour y renouveler le "phénomène livre", tout en prenant en compte les nouvelles pratiques de lecture et les mutations de ses interfaces.
 
Il ne s'agit pas tant de lire dans ces territoires numériques que de les explorer et d'y inventer de nouvelles formes de médiation autour du livre en exploitant les possibilités que la 3D immersive peut apporter par rapport au traditionnel et obsolète web 2D.
Il s'agit de renouveler la sociabilité autour des enjeux du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique. 
 
Depuis les cavernes notre sociabilité repose sur le partage physique d'un même territoire.
Or les réseaux sociaux du web 2D sont incapables de restituer ce niveau d'expérience. 
En représentant l'environnement d'une bibliothèque ou d'une librairie dans lesquels  nous activerions les ressorts émotionnels, affectifs, qui nous permettent de vivre en société, nous réactiverions du même coup une part des impressions, des sentiments que nous éprouvons lorsque nous sommes physiquement dans de tels lieux. Balayer l'espace du regard, flâner entre les rayons, pouvoir découvrir d'autres livres que celui que nous venions chercher, se laisser aller à un achat d'impulsion... Mais surtout, j'y reviendrai en conclusion, pouvoir échanger avec de "vrais gens".
J'écris bien "en représentant l'environnement d'une bibliothèque ou d'une librairie", et non pas "en reproduisant".
La 3D de copie, telle que nous pouvons l'expérimenter avec Google Street View ou Google Earth par exemple, si elle peut avoir son utilité en réalité augmentée, génère je pense une certaine inquiétude engendrée justement par une ressemblance inquiétante avec la réalité. Nous sommes là encore dans le trompe-l'oeil.
Tandis que dans la 3D immersive, la représentation graphique crée la distance nécessaire à une appropriation du lieu. Nous ne sommes plus dans la ressemblance factice, mais, dans un sentiment de familiarité, une reconnaissance du lieu.
La 3D immersive rend ainsi possible un certain sentiment de la présence d'autrui avec ce que cela implique.
 
Bien sûr de grands groupes pensent déjà à exploiter ces ressources en termes de "shopping social". Je resterai discret sur ces initiatives n'ayant aucune raison de les promouvoir. Et bien sûr comme toujours l'interprofession du livre s'en contrefiche. Mais tant que les librairies et autres plateformes sur le web ne pourront pas reproduire les usages sociaux des lecteurs dans une véritable librairie, tant que les bibliothèques numériques ne pourront pas y créer de véritables tiers lieux (qu'elles recherchent pour l'heure en dénaturant la vocation de leurs sites), le livre restera un vieux parent pauvre de plus en plus relégué vers les siècles passés.
 
Enfin, je veux dire pour conclure la chose suivante : à savoir que des algorithmes ne peuvent pas (ne devraient pas pouvoir) remplacer des libraires et des bibliothécaires. C'est cependant le cas. De plus en plus souvent. C'est ce à quoi nous sommes contraints de nous habituer malgré nous. Et l'interprofession du livre s'y soumet. Pourquoi ?
 
Je revendique comme un droit inaliénable des lecteurs celui d'avoir droit à une médiation humaine.  
  
N.B. illustrations : photographie Rennes, D.R. La Cantine numérique rennaise, photogtaphies auditorium de MétaLectures par l'artiste Anne Astier et Jenny Bihouise.