vendredi 29 novembre 2019

Postface au Manuscrit de Tchernobyl

Le Manuscrit de Tchernobyl - Nunzio d Annibale - Postface Lorenzo Soccavo
Je vous invite à découvrir ma postface au livre fort singulier de Nunzio d'Annibale, Le Manuscrit de Tchernobyl, qui parait chez Bozon2x Editions et est préfacé par David di Nota. 
Le Manuscrit de Tchernobyl éprouve - dans la double acception de "mettre à l'épreuve" et de "ressentir par expérience" - des niveaux de lecture qui nous restent souvent inconscients. La question que pour moi il pose à chacun.e de nous est la suivante : "D'où vient notre attirance pour le chas de l'aiguille par où passe le fil de notre histoire ?".

lundi 18 novembre 2019

Masters des Métiers du Livre et de l'Edition

Depuis toujours le marché du livre évolue entre tradition et innovation.
Ce contexte particulier doit nous rester lisible. 
 
A partir de mon expérience d’une vingtaine d’années de la veille stratégique dédiée à la prospective des dispositifs et des pratiques de lecture je suis armé pour sensibiliser les étudiant·e·s des masters de l’édition aux évolutions des métiers du livre et de son marché auxquelles ils seront demain confrontés. 

 
De quoi s’agit-il ?
    

"La prospective du livre est l'étude des changements des dispositifs et des pratiques de lecture afin de prévoir et d'orienter leurs différentes évolutions possibles."
   
Une Prospective Stratégique pour les Futur·e·s Professionnel·le·s des Métiers de l’Édition Imprimée et Numérique :
 
Je développe aujourd’hui une approche spécifique dédiée aux futurs·e·s professionnel·le·s des métiers de l’édition imprimée et numérique.
Cette offre dédiée se décline en trois phases :

    1 – Décrypter
Objectifs : intensifier son discernement critique pour voir au-delà des tendances lourdes et des effets de mode, organiser sa propre veille stratégique pour y distinguer les signaux faibles, évaluer leur espérance de vie et leur plasticité potentielle.

    2 – Anticiper
Objectifs : repérer et évaluer l’ensemble des acteurs de l’interprofession du livre au sens large, détecter les nouveaux entrants et le jeu des groupes de pression à l’œuvre.

    3 – Participer
Objectifs : trouver sa place et de futurs partenaires, distinguer les start-ups et leurs incubateurs explorant les nouvelles formes de médiation et de commercialisation des livres, de nouveaux formats de narration, et anticipant les évolutions à venir.

    = Deux formats
– Conférences
Panoramiques d’une heure ou détaillées de deux heures, ou bien conférences-ateliers d’une demi-journée avec conférence suivie d’échanges et de conseils adaptés aux profils et aux projets des participants.
– Enseignement (et formations à la prospective et à la veille)
Programme de cours établi sur mesure pour s’insérer dans le plan pédagogique de l’institution accueillante et des spécificités des masters concernés.

jeudi 7 novembre 2019

Veille sur les Futurs du Livre et de la Lecture

Le marché du livre et les pratiques de lecture(s) sont en constant mouvement. Le livre évolue entre tradition et mutations. Vous pouvez profiter de ma veille stratégique publique sur les principaux réseaux sociaux : 

Lorenzo Soccavo sur Twitter
 RDV SUR TWITTER cliquez ici...

Lorenzo Soccavo sur Facebook
RDV dans le groupe FACEBOOK : Futurologie de la Lecture...

mercredi 9 octobre 2019

La fiction change-t-elle le monde ? 1er Colloque de la SIRFF

Le colloque de fondation de la Société internationale de recherches sur la fiction et la fictionnalité (SIRFF), cofondée par Françoise Lavocat (Université Sorbonne nouvelle, France), Alison James (Université de Chicago, États-Unis) et Akihiro Kubo (Université de Kwansei Gakuin, Japon), aura lieu à Paris (EHESS, Maison de la Recherche de La Sorbonne Nouvelle, et Université de Chicago à Paris) les 28, 29 et 30 novembre 2019, sur le thème : La fiction change-t-elle le monde ? 


dimanche 22 septembre 2019

Le Futur des Bibliothèques et la transition bibliothécaire

Cet été ce fut l'occasion de mesurer les retours de l'enquête indépendante LE FUTUR DES BIBLIOTHEQUES VU PAR LES BIBLIOTHECAIRES conduite en début d'année. 
A ma grande joie les taux de satisfaction en sont particulièrement élevés :-)

    
 
J'ai commencé à parler du futur dans des conférences à des bibliothécaires en 2008. A l’époque je suis passé pour un fou ! 
Pour beaucoup, me présentant comme prospectiviste, j'étais d'emblée estampillé "monsieur numérique", et donc un peu comme "le méchant" qui au fond de lui souhaitait la disparition du livre sans avoir le courage de l'avouer. 
D'un autre côté, les jeunes médiateurs numériques (sic) et autres dans les bibliothèques avaient eux tendance à me snober. Pour eux je n'étais pas suffisamment pro-numérique, je n'exhibais pas un smartphone en prenant des airs. Je crois qu'ils cherchaient surtout à impressionner leurs collègues, et ce d'abord pour justifier leurs postes dont la nécessité était souvent incomprise. Il faut dire qu'en fait de lectures et de bibliothèques ils ne parlaient qu'applications et jeux vidéos. 
A cause de cette relation biaisée les réseaux de bibliothèques et de médiathèques ont moins fait appel à moi. Pourtant il me semble bien qu'elles négligent aujourd'hui bien moins qu'avant la réflexion prospective, comme les résultats de cette enquête en attestent d'ailleurs. De plus, il s'avère que les bibliothécaires, eux, sont de plus en plus conscients et concernés par leurs missions au service de la société, de la lecture publique, du couplage de la littératie et de la littératie numérique. 
Comme l'écrivait récemment Patrick Bazin : "Au-delà de la « transmission du patrimoine », la bibliothèque doit permettre « l’amélioration de la compréhension du monde » et « la contribution au bien-être planétaire », d'autant plus qu'il faudra lutter contre le repli sur soi, l'enfermement dans une tribu, et des régimes totalitaires." (Mutations : la transition bibliothécaire).

En effet, tant dans ce que j’observe sur les réseaux sociaux que dans les réactions et les réponses à ce questionnaire, ce qui ressort de plus fort c’est bien l’affirmation du rôle des bibliothèques comme véritables lieux de citoyenneté. Et cela m’apparaît juste et bien. 
Mais cela dit restons vigilants : d’une part, les bibliothèques ne sont pas des centres sociaux, et, d’autre part, le libre exercice de notre citoyenneté et le développement de notre esprit critique passent encore et toujours par le livre et la lecture quelles que soient leurs formes, par la fréquentation d’auteurs, mais aussi de lieux et de personnages fictifs. 
 
Ce dont il nous faut bien prendre conscience aujourd'hui c'est que c'est la lecture qui est en jeu, et avec elle notre autonomie de pensée, notre liberté d’esprit.
 
Malgré cela, comme dans toutes les corporations professionnelles, les bibliothécaires ont la tendance naturelle et légitime à débattre surtout entre eux. 
Alors, amis·es bibliothécaires, je vous le dis : si vous voulez un empêcheur de penser en rond vous savez depuis 2008 au moins à qui vous adresser !
  

lundi 26 août 2019

Jeffrey Epstein vs Van Veen, réalité vs fiction

Source - Jamie Keenan
[ La dernière actualisation de ce texte date du jour palindromique 02-02-2020, en le lisant vous comprendrez le sens de ce détail... La paréidolie de sa première illustration ci-contre nous invite à nous interroger sur ce que c'est que percevoir, sur ce que c'est que lire...]
  
Ce qui est appelé par les médias L'affaire Epstein pourrait nous apporter un éclairage intéressant sur les relations énigmatiques entre réalité(s) et fiction(s) si nous la mettions en résonance avec l'œuvre de Vladimir Nabokov.
Bien sûr là vous pensez aussitôt à Lolita !
Et vous avez tort. 
    
Certes, ce roman célébrissime, en partie parce que le scandale lui a été profitable à la fin des années 1950, a mailles à partir avec le contexte de cette affaire et ce qu'il s'y trame en filigrane. Le différend est entre les faits et les fantasmes.
Certes, Lolita aurait été inspiré à Nabokov par une "histoire vraie" (sic) - voilà d'ailleurs une expression sur laquelle il serait intéressant de réfléchir : une histoire vraie.
La "vraie Lolita" donc se serait appelée dans la réalité, ce que certain·e·s appellent la "vraie vie" des "vrais gens", Sally Horner (voir The real Lolita de Sarah Weinman, et Le fait divers qui inspira Lolita). Traduit par Isabelle Chapman le livre sort en français en octobre 2019 aux éditions du Seuil (Lolita la véritable histoire, sous-titré : "L'affaire qui a inspiré le chef-d’œuvre de Nabokov"). 
   
Certes, le mot même de Lolita est devenu un nom courant dans la vie de tous les jours. Absent de la plupart des dictionnaires "traditionnels", il figure au Wiktionnaire avec comme étymologie : "Antonomase de Lolita héroïne du roman homonyme de Vladimir Nabokov paru en 1955 " (une antonomase étant en rhétorique : une "Figure qui consiste à mettre un nom commun ou une périphrase à la place d’un nom propre ou un nom propre à la place d’un nom commun. Par antonomase, on appelle Paris « la Ville lumière »." pour le Dictionnaire de l'Académie française), comme définition, je cite : "Adolescente ou jeune femme qui plait de par son extrême jeunesse" (Wiktionnaire), et comme synonyme : nymphette, dont la définition ("Pré-adolescente sexualisée par le regard d’un homme mûr, le nympholepte.") et les sens apparentés sont davantage en rapport avec la réalité de... la fiction, et du coup de la réalité tout court. 
   
Ce glissement et cette contamination seraient-ils le signe d'une forme subtile de métalepse, un débordement de la fiction dans notre vie quotidienne ? C'est depuis le début des années soixante que nous voyons des lolitas dans les rues.
Certes enfin, il y a la parution récente du Journal de L. 1947-1952, de Christophe Tison aux éditions Goutte d’Or. Journal fictif tenu par Dolores Haze, en fait le nom de la véritable héroïne aux multiples surnoms (Lo, Lola, Dolly) du roman de 1955, Lolita étant le surnom qui lui est donné par le personnage fictif d'Humbert Humbert, et donc indirectement pouvons-nous penser par l'auteur Nabokov lui-même. 
C'est là un cas de transfictionnalité parmi d'autres, comme le Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud (2013 aux éditions Barzakh en Algérie et 2014 chez Actes Sud en France) ou pour rester dans notre sujet la transfictionnalité en filigrane de Serge Gainsbourg dans son album-concept de 1971 Melody Nelson ("Sa lecture, quelques années plus tôt, du Lolita de Nabokov l'a profondément marqué, moins pour la nymphette que le récit met en scène que pour l'homme d'âge mûr qui s'en éprend." Source) . 
   
Alors que se passe-t-il ? 
  
Dans la réalité la puissance fantasmatique de Lolita brouille la réception de l'ensemble de l’œuvre, plus complète et plus complexe, de Nabokov. 
Ce qu'il se passe c'est qu'en général, tant la réception des œuvres que celle des actualités (comme l'on disait naguère) est parasitée par la nature humaine sur laquelle la force d'attraction du vice est souvent supérieure à celle de la vertu. Force est de le reconnaitre. (Que voyez-vous dans l'illustration de tête de ce post, cette couverture de Lolita ?) 
   
Déjà, dans l’œuvre de Nabokov, La défense Loujine (1930) mettait en scène le mariage d'une jeune fille avec un vieux pervers narcissique joueur international d'échecs.
Mais les racines du Lolita de 1955 se trouvent en fait dans un autre roman de Nabokov, L'Enchanteur, écrit en 1939 (sa "première palpitation" aurait dit l'auteur), mais édité à titre posthume en 1986 seulement (en France traduit par Gilles Barbedette pour les éditions Rivages). 

Nabokov en personne s'est clairement exprimé sur le contre-sens des lecteurs et des médias sur le personnage de Lolita : "Lolita n'est pas une jeune fille perverse. C'est une pauvre enfant que l'on débauche et dont les sens ne s'éveillent jamais sous les caresses de l'immonde monsieur Humbert, à qui elle demande : "Est-ce qu'on va toujours vivre comme ça en faisant toutes sortes de choses dégoutantes dans des lits d'auberges ? " ..." [1975 Video INA]. 
  
Dans son livre témoignage, Le Consentement (Grasset, janvier 2020) qui a lancé l'affaire Matzneff, Vanessa Springora écrit à ce propos : "Dans Lolita, le roman de Nabokov, que j’ai lu et relu après ma rencontre avec G., on assiste au contraire à des aveux confondants. Humbert Humbert écrit sa confession du fin fond de l’hôpital psychiatrique où il ne tardera pas à mourir, peu avant son procès. Et il est loin d’être tendre avec lui-même.
Quelle chance pour Lolita d’obtenir au moins cette réparation [...] J’entends souvent dire, par ces temps de prétendu « retour au puritanisme », qu’un ouvrage comme celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement à la censure. Pourtant, il me semble que Lolita est tout sauf une apologie de la pédophilie [...] J’ai toujours douté d’ailleurs que Nabokov ait pu avoir été pédophile. Évidemment, cet intérêt persistant pour un sujet aussi subversif [...] a de quoi éveiller les soupçons. Que Nabokov ait lutté contre certains penchants, peut-être. Je n’en sais rien. Pourtant, malgré toute la perversité inconsciente de Lolita, malgré ses jeux de séduction et ses minauderies de starlette, jamais Nabokov n’essaie de faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur, et encore moins pour un type bien. Le récit qu’il fait de la passion de son personnage pour les nymphettes, passion irrépressible et maladive qui le torture tout au long de son existence, est au contraire d’une lucidité implacable." (partie V. L'empreinte). 
[ A lire en complément ma Tribune dans Livres Hebdo : Fiction littéraire et principe de réalité, ce que révèle "l'affaire Matzneff". Le Consentement est aussi une "réponse" au journal de Gabriel Matzneff, La prunelle de mes yeux ]
  
En réalité le roman de l'affaire Epstein c'est Ada, ou l'Ardeur (1969). 
Selon notre connaissance de l’œuvre de Nabokov nous pouvons certes facilement être trompé car (certainement là encore influence de Lolita) c'est le prénom féminin de l'un des principaux personnages, Ada, qui est mis en avant dans le titre (nous le voyons, les couvertures du livre jouent également souvent sur cette ambiguïté - ici en illustration celle avec le tableau Kizette au balcon (1927) peinte par sa mère Tamara de Lempicka, qui aurait très bien pu être un personnage de Nabokov -, ainsi que le sous-titre (Une chronique familiale) et les présentations qui insistent généralement sur le thème de l'inceste entre frère et soeur), mais en fait le personnage principal du roman est Van Veen : un milliardaire américain qui pour satisfaire ses appétits sexuels à l'ombre de son père a organisé un réseau international d'exploitation de jeunes filles mineures.  
Les biographies du personnage de Van Veen et de la personne de Jeffrey Epstein sont différentes, mais pour quiconque a lu Ada, ou l'Ardeur il me semble impossible de ne pas confronter ces deux mondes, celui de la fiction et celui de la réalité. 
D'autant plus que la vie d'Ada, nom palindromique, s'écrit sur Antiterra, comme sur un reflet en fait de notre monde ; illusion qui peut parfois tromper des milliardaires (?).
 
Mon objectif n'est pas ici de suggérer l'existence d'une dimension prophétique chez certains auteurs, ou bien d'une fonction autoréalisatrice de certaines fictions littéraires (je pense à l'essai de 2016 de Pierre Bayard, Le Titanic fera naufrage aux éditions de Minuit), non, je pense simplement qu'il y aurait entre les faits et les fictions une consanguinité, un métissage que nous devrions regarder en face.
De fait, nous voyons bien avec cet exemple (Affaire Epstein / Ada, ou l'Ardeur) qu'il y a une certaine porosité naturelle entre fiction et réalité, même si le risque est grand de réduire le monde en puissance de la littérature à la littéralité du monde réel à partir duquel nous entrons virtuellement dans les textes que nous lisons.
Cela ne signifie pas non plus forcément que la fiction influence la réalité, ou bien que l'une serait cause et l'autre conséquence, mais, selon l'étendue de nos lectures et le point de vue adopté, fictions et réalités (au pluriel) peuvent s'entremêler dans la société, voire constituer un corps métisse, un sang-mêlé. 
 
La réalité dépasse souvent la fiction, dit-on, et ce sera peut-être un jour l'enseignement de l'affaire Epstein.
Ce n'est pas parce qu'il y a porosité entre la réalité et la fiction qu'il y a nécessairement confusion.
Rappelons que Nabokov lui-même aurait dit lors de l'une de ses conférences : « La littérature est invention. La fiction est fiction. Appeler une histoire “histoire vraie”, c’est faire injure à la fois à l’art et à la vérité. ». La vieille polémique du Contre Sainte-Beuve de Marcel Proust, et mon étonnement que nombre de proustiens ne semblent finalement pas donner raison à Proust, se dressent ici devant nous.
  
La réalité est comme une nappe d'huile qui flotte sur le lac de la fiction (à moins que ce ne soit l'inverse ?). 
Mais sans le lac, que deviendrait l'huile ?