En janvier dernier, François Bon a publié dans sa propre maison, Publie.net, un livre numérique ayant pour titre : APRES LE LIVRE, et accompagné dans sa présentation de la question : "qu'est-ce que l'écriture numérique change au destin du livre et aux enjeux de la littérature ?".
Tout cela est crucial, en effet, nous serions à un carrefour, peut-être, à moins que nous n'ayons tout simplement pas le choix ?
Ce que je cherche à dire ici c'est que, personnellement (je dis bien : personnellement, car je pense, et ceci m'apparait assez clairement à la lecture du livre dont il est question ici, que François Bon est plus familier et plus confiant que moi dans les outils de l'informatique qu'il fréquente depuis... : "Mon premier contact avec les ordinateurs remonte à l’Ensam, écrit-il, Bordeaux en 1972 : grosse installation avec cartes perforées et langage Fortran"), ce que je cherche à exprimer donc, c'est que, en ce qui me concerne, je ne souhaite pas tant que cela, pas particulièrement, ce passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, que nous vivons depuis au moins 1971 et le lancement du Projet Gutenberg par Michael Hart (François ferait lui remonter cela bien antérieurement je crois, et moi aussi parfois lorsque je me mets à réfléchir la lecture prise dans un vaste sentiment océanique de la langue : Babel plus que la Bibliothèque d'Alexandrie, les glossolalies, et cetera).
Ce passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, je ne le souhaite donc pas particulièrement en tant que lecteur individuel. (Ce qui a pu me valoir une certaine forme d'ostracisation d'une île bien éloignée de celles qu'aborda Ulysse... Retour d’Ouessant. Pandémie Apple. Démangeaisons de Tweets).
Je ne le souhaite pas particulièrement, mais il est certainement inévitable, simplement parce que le monde est en évolution constante et, surtout, que force est aujourd'hui, en 2011, de constater que les pratiques de lecture(s) changent elles aussi.
Le livre d'un pionnier chercheur d'or
Les pratiques de lecture changent et mon propos n'est pas ici de faire une critique académique de cet essai (à la vérité agrégation de "posts", de billets, "36 incises"...) de François Bon, mais seulement de souligner deux points :
- Premier point : je suis choqué par le peu d'échos, tant en on line qu'en off line, de ce livre, paru il y a déjà un mois,
- Second point : j'en recommande la lecture de toute urgence, tant je suis pour ma part persuadé qu'il est aussi important aujourd'hui de lire Après le livre, de François Bon, que de lire Apologie du livre, de Robert Darnton.
Cela dit...
Les nouveaux territoires digitaux ne sont certainement pas un Eldorado. Je n'y crois pas. L'histoire nous a appris ce que ces contrées mythiques supposées regorger d'or avaient charrié comme flots de désillusions et de sang.
Mais ce sont peut-être un nouvel ouest, un nouveau Far-West, à l'heure où nos sociétés matérialistes déclinent.
Mais, à nouveau Far-West, nouveau western, comme j'écrivais récemment à destination des bibliothécaires dans "De la bibliothèque à la bibliosphère".
La collection de noms de domaines comme autant de concessions (dans le sens d'étendues de terre cédées à des colons pour les exploiter) en témoigne. (François n'est pas le seul à s'y adonner, loin de là!) Il y a là, dans cet appétit gargantuesque, quelque chose de vorace, on se retrouve à la grande curée qui traverse de part en part "Pétrole!" d'Upton Sinclair (éditions Gutenberg 2008).
Certes, comme François Bon l'écrit : "nous considérons que même l’expression « livre enrichi » est superfétatoire, et que c’est l’expérience de lire qu’il nous faut remplacer par un univers neuf.".
Mais ne nous faudrait-il pas d'abord tous travailler, mieux et davantage, et tous ensemble, à cet univers neuf ?
Des lecteurs peuvent-ils travailler à un univers neuf de la lecture ?
Un flux laisse moins de sédiments
Nous tous là, écrivons-nous vraiment l'avenir du livre, de la lecture, ou bien le lisons-nous simplement, le déchiffrons-nous, le découvrons-nous au fur et à mesure qu'il s'écrit, orienté qu'il est déjà, dicté en grande partie, par les lobbies et les industries culturelles internationales.
Il me reste moins, de tous ces textes qui s'écrivent sur le web, ou sont ensuite agrégés dans des livres numériques qui pourraient être imprimés, bien moins que de mes lectures de romans, "La montagne magique" de Thomas Mann bien évidemment pour celles et ceux qui me connaissent, et, tout récemment : "2017", fabuleux roman de l'auteur russe Olga Slavnikova.
Les flux laissent moins de sédiments que les bons romans.
Le sentiment océanique de la langue va prochainement rattraper et submerger le flux numérique.
Ce n'est pas une question de supports, c'est une question de rapports.
Je ne pense pas que nous soyons après le livre.
Nous allons entrer dans Le Livre. (Un jour.)
(Relire L'espèce fabulatrice, de Nancy Huston.)
Nous sommes pour l'heure encore dans une illusion (entretenue par le numérique, peut-être davantage perceptible dans un précédent essai édité par François Bon déjà, chez Publie.net toujours : Impressions numériques, signé Jean Sarzana et Alain Pierrot, bien que j'ignore absolument si ses auteurs partagent mon point de vue, mes impressions plutôt...).
merci du relais, Lorenzo. Me rejoins alors que suis depuis ce matin tôt, comme hier matin tôt, à reprendre ce texte. Magie du numérique qu'on peut avancer à atelier découvert.
RépondreSupprimerMais je maintiens mon titre !