Le récit de pèlerinage, dans le sens d'une marche qui dans son contexte naturel initial portait son narrateur d'un endroit à un autre dans l'espace physique du monde, pourrait-il opérer dans son envers (en-vers) comme une métaphore kinesthésique, et ainsi trans-porter le lecteur dans le monde du texte ?
D'emblée nous pouvons percevoir la lecture en elle-même comme un déplacement dans, sur, un espace (celui d'une feuille ou d'un écran).
D'emblée nous pouvons percevoir la lecture en elle-même comme un déplacement dans, sur, un espace (celui d'une feuille ou d'un écran).
De fait, le regard de la lectrice ou du lecteur avance de syllabes en syllabes, de mots à mots, comme des pas, de lignes en lignes comme des sillons suivis, et, comme dans la nature, comme dans un environnement d'où un danger pourrait à tout instant surgir il saute constamment d'un point à un autre. Si nous pouvions nous-mêmes les scruter attentivement durant la lecture nous verrions que nos yeux sautent sans cesse sur la page d'un endroit à un autre (l'oculométrie en atteste bel et bien).
D'après les travaux en imagerie cérébrale du neuroscientifique psychologue cognitiviste Stanislas Dehaene, les zones cérébrales sollicitées par la lecture d'un texte sont les mêmes que celles qui s'activent pour les chasseurs.
Un parallèle serait aussi intéressant à faire ici avec les travaux de l'anthropologue Tim Ingold et notamment dans son essai Une brève histoire des lignes, et avec ceux relatifs aux pistes chantées des aborigènes australiens (lire par exemple Le chant des pistes, de Bruce Chatwin, Grasset éd. 1988).
Quoi qu'il en soit, il s'avèrerait bien que marcher et lire seraient des activités jumelles. Et ce faisant, lectrices et lecteurs progressent dans leurs lectures, ils avancent, et, à chaque page tournée, ils s'enfoncent dans l'épaisseur du volume lu.
D'après les travaux en imagerie cérébrale du neuroscientifique psychologue cognitiviste Stanislas Dehaene, les zones cérébrales sollicitées par la lecture d'un texte sont les mêmes que celles qui s'activent pour les chasseurs.
Un parallèle serait aussi intéressant à faire ici avec les travaux de l'anthropologue Tim Ingold et notamment dans son essai Une brève histoire des lignes, et avec ceux relatifs aux pistes chantées des aborigènes australiens (lire par exemple Le chant des pistes, de Bruce Chatwin, Grasset éd. 1988).
Quoi qu'il en soit, il s'avèrerait bien que marcher et lire seraient des activités jumelles. Et ce faisant, lectrices et lecteurs progressent dans leurs lectures, ils avancent, et, à chaque page tournée, ils s'enfoncent dans l'épaisseur du volume lu.
Exemplarité du Livre
A ce stade de notre réflexion nous pouvons nous demander en quoi une disparition des exemplaires, car, avec le numérique, ce ne sont pas fondamentalement les livres qui risquent de disparaitre (ils changent en apparence simplement de formes, le texte migre vers d'autres supports de lecture), mais, les exemplaires, en quoi leur disparition nous obligerait-elle à passer un nouveau cap dans le rapport de notre espèce au langage.
Cette disparition des exemplaires ne risquerait-elle pas d'entrainer la disparition d'une certaine exemplarité, c'est-à-dire de valeurs expérientielles qui seraient liées à la matérialité des livres imprimés et que les exemplaires, eux, renfermaient ? C'est une question.
Nous pouvons, raisonnablement je pense, postuler l'existence d'une instance du Livre dans l’inconscient, comme l'explicite le psychanalyste, psychiatre et écrivain Gérard Haddad.
Une présence insistante du livre en nous du simple fait de notre appartenance à la famille de primates des hominidés.
"Tout groupe humain, de quelque nature que ce soit, se fonde sur un texte, sur un livre. [...] Il est évidemment facile de soulever le problème des peuples primitifs ignorant l’écriture. En vérité, ces peuples possèdent aussi un Livre, sous la forme d’un corpus de mythes qui fonde chacun de ces groupes ethniques. [...] Quelle est donc, à partir de ces observations, la fonction essentielle du Livre ? C’est d’être l’opérateur qui effectue la fameuse coupure entre nature et culture, entre règne animal et humanité. Le Livre joue le rôle de ce que l’on appelle en psychanalyse la fonction du père symbolique, le transmetteur de la Loi qui nous fait humains. Le Livre incarne ce mystère d’animaux primates devenant humains..." (texte complet ici dans la revue Silène).
Marcher dans un texte...
Quelles lectures alors seraient les plus favorables à cette recherche d'une métaphore kinesthésique pour nous aider à conscientiser la part de nous qui se retrouverait comme embarquée dans les textes que nous lisons ?
A chacune, à chacun, de trouver les siennes.
D'après mon expérience personnelle de lecteur je recommanderais, par exemple, Le chemin des nuages blancs du Lama Anagarika Govinda.
Mais l'exercice le plus abordable me semble être ce long poème de Charles Péguy : Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres.
Je vous en conseillerais une lecture lente et à voix basse.
La succession des quatrains, le rythme des alexandrins avec effet de rimes croisées, induisent une cadence et font de ce texte un véritable itinéraire lyrique de Paris à la Cathédrale de Chartres.
Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.
Le travelling de la lecture
J'ai l'impression, certes très subjective, que lorsque nous disons "d'hier à demain", l'on s'imagine hier à gauche et demain à droite.
Cette sorte de sensation intérieure serait-elle liée au sens de notre écriture ?
L'instance du livre dans notre inconscient serait-elle ici en jeu ?
Je me rappelle d'un documentaire dans lequel Agnès Varda disait que l'effet intérieur ressenti par les spectatrices et spectateurs à la projection de son film Sans toit ni loi, venait du fait que ses nombreux travellings se déroulaient de droite à gauche, c'est-à-dire dans le sens inverse de celui dans lequel nous sommes habitués à lire dans notre monde occidental.
Et qu'est-ce lire, sinon aussi procéder à un long travelling transversal à la surface des pages, et ce au fil de notre avancée progressive dans l'épaisseur du volume?
Et ne serait-ce pas un mouvement de l'âme, généré par ce déplacement imaginaire, qui engendrerait notre sentiment d'immersion dans l'histoire lue ?
En prendre conscience pourrait-il contribuer à la conscientisation et à l'autonomisation de la part subjective de soi que lectrices et lecteurs projettent spontanément dans leurs lectures de fictions littéraires ?
Qu'en pensez-vous ?
Je vous en conseillerais une lecture lente et à voix basse.
La succession des quatrains, le rythme des alexandrins avec effet de rimes croisées, induisent une cadence et font de ce texte un véritable itinéraire lyrique de Paris à la Cathédrale de Chartres.
[...]
Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.
[...]
Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.
Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.
Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. [...]
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.
Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.
Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. [...]
Le travelling de la lecture
J'ai l'impression, certes très subjective, que lorsque nous disons "d'hier à demain", l'on s'imagine hier à gauche et demain à droite.
Cette sorte de sensation intérieure serait-elle liée au sens de notre écriture ?
L'instance du livre dans notre inconscient serait-elle ici en jeu ?
Je me rappelle d'un documentaire dans lequel Agnès Varda disait que l'effet intérieur ressenti par les spectatrices et spectateurs à la projection de son film Sans toit ni loi, venait du fait que ses nombreux travellings se déroulaient de droite à gauche, c'est-à-dire dans le sens inverse de celui dans lequel nous sommes habitués à lire dans notre monde occidental.
Et qu'est-ce lire, sinon aussi procéder à un long travelling transversal à la surface des pages, et ce au fil de notre avancée progressive dans l'épaisseur du volume?
Et ne serait-ce pas un mouvement de l'âme, généré par ce déplacement imaginaire, qui engendrerait notre sentiment d'immersion dans l'histoire lue ?
En prendre conscience pourrait-il contribuer à la conscientisation et à l'autonomisation de la part subjective de soi que lectrices et lecteurs projettent spontanément dans leurs lectures de fictions littéraires ?
Qu'en pensez-vous ?
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