Dans le cadre de mes recherches en prospective du livre et de l'édition il y a plusieurs pistes sur lesquelles j'avance. Mais il y en a trois, trois perspectives qui m'apparaissent essentielles, prometteuses d'horizons nouveaux, et sur lesquelles j'ai besoin d'expertises extérieures pour progresser.
Ces trois axes de recherche, que je définis ci-après, sont, je pense, des pistes qu'il nous faut explorer, plus exactement sur lesquelles nous devons nous lancer en éclaireurs pour entrevoir et orienter le destin du livre au cours de ce 21e siècle.
Qui veut faire partie d'une de ces expéditions ? Qui veut m'accompagner dans ces voyages à la découverte du futur, du futur du livre, du futur de la lecture et des lecteurs, des lecteurs du futur dans un monde qui ne sera plus le notre et dans lequel, pour la plupart d'entre nous, nous ne serons plus (raison de plus pour s'y projeter de notre vivant).
Trois pistes. Trois chantiers. Trois chantiers avec des pierres éparses et des plans du passé pour une construction de l'avenir. Qui veut apporter sa pierre, remuer ses méninges avec les miennes ;-)
Chantier 1 : les mots et les définitions
Dans les différentes histoires du livre et de la lecture nous trouvons aisément quelques informations sur comment les générations passées nommaient leurs dispositifs de lecture et l'exercice même de lire. Nous avons quelques lumières sur le pourquoi et le comment : sur comment le choix des noms qui désignaient les dispositifs, sur comment le choix des mots pour qualifier différentes pratiques de lecture(s), influèrent sur ces pratiques mêmes et, souvent, sur l'histoire et l'évolution des sociétés.
J'ai lu et étudié beaucoup de ces ouvrages, mais, nonobstant, il demeure essentiel à mes yeux de pouvoir synthétiser et mettre en perspective ces enseignements, et surtout de pouvoir en utiliser les lumières pour éclairer les mutations actuelles des dispositifs et des pratiques de lecture.
Les définitions du passé peuvent emprisonner notre réflexion. Mais nous devons les connaître et les comprendre pour les dépasser et pour pouvoir oser re-définir (la lecture, par exemple), pour définir les nouveaux dispositifs qui envahissent notre quotidien (les "tablettes" et autres "liseuses").
J'ai, à plusieurs reprises, déjà eu l'occasion d'exprimer ma méfiance vis-à-vis de ce terme de "liseuse".
Aujourd'hui, ne pas disposer des mots pour exprimer la révolution du livre et de la lecture que nous vivons et qui nous traverse, ne pas avoir les termes pour désigner les différentes pratiques de lectures, appeler un dispositif de lecture "un Kindle" ou "un iPad", croire peut-être ainsi, s'en persuader même, qu'il s'agirait bien de dispositifs de lecture, porte atteinte à notre liberté d'esprit et est, j'en suis intimement persuadé, nocif.
Notre vocabulaire n'est plus adapté et cette inadaptation est comme une trappe ouverte sous nos pieds.
Linguistes, étymologistes, lexicologues, se penchent-ils sur ces questions ?
Chantier 2 : les postures et les gestes
Nous serions tous bien embarrassés si nous devions lire sur un rouleau de papyrus !
Et sommes-nous tous si à l'aise que cela avec nos smartphones et tablettes internet tactiles ? Pas certain.
Nos postures d'écriture et de lecture changent, pratiquement à notre insu. Rien ne dit que ces changements sont ou resteront sans influences dans nos rapports à la chose écrite, et même à la bibliographie naturelle dont je prévois un regain dans les territoires digitaux.
Dans son étude de 1934, Les techniques du corps, l'ethnologue et anthropologue Marcel Mauss illustre par de nombreux exemples comment l'usage du corps est modelé par l'époque, les cultures et les générations. "J'entends, écrit-il, par ce mot les façons dont les hommes, société par société, d'une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps.".
En résumé : "La thèse principale de Mauss, c’est qu’il n’existe jamais une façon « naturelle » de se servir de son corps. Mauss entend par "les techniques du corps" « les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps ». Il illustre cette idée en partant des actes quotidiens : la marche, la course et la nage [entre autres]. Dans ces exemples, il démontre qu’il s’agit des différentes techniques de l’usage du corps à travers les cultures et à travers les générations." (Source)
J'y pense souvent quand dans les transports en commun parisiens je vois des jeunes écrire à toute allure sur des écrans minuscules et avec l'aide de leur seul pouce !
L'Ensci (Ecole nationale supérieure de création industrielle) a abordé un peu
la question durant l'année 2010-2011, via un "cours d'initiation aux méthodes
ethnographiques pour designers", mais il s'agit surtout d'une étude sur la
mobilité, et sans mise en perspective historique (Source).
Chantier 3 : le genre et ses lectures
J'ai l'intuition qu'à chaque dispositif de lecture un genre littéraire serait prédestiné. Par exemple, nombre de genres poétiques parmi les plus anciens auraient découlé de la forme/support du volumen (qui imposait une lecture séquentielle). Puis le développement des genres narratifs aurait été lié à l'émergence de la forme codex (lecture linéaire). Cette hypothèse, à ma connaissance, n'est pas suffisamment étayée.
Elle pose surtout deux questions cruciales pour moi :
1 - le roman et les genres narratifs que nous connaissons pourraient-ils s'éteindre avec l'extinction des livres imprimés ?
2 - quel(s) nouveaux genres littéraires, pour quelles lectures et pour quels lecteurs, pourraient alors émerger des nouveaux dispositifs et des nouvelles pratiques de lectures, fragmentaires, multimédias, partagées et connectées ?
Je me demande si nous pourrions déjà aujourd'hui entrevoir un nouveau genre littéraire dans les expérimentations transmédias de lectures immersives, ou bien, s'il s'agira radicalement d'autre chose que de lecture... A moins... A moins que...
A moins que...
Qui veut alors m'accompagner à la découverte de cette bibliosphère, du futur du livre, du futur de la lecture et des lecteurs. Qui veut apporter sa pierre, remuer ses méninges avec les miennes ;-)