
Ce post est donc le 16/52.
En somme, malgré les presque 300 sources en ligne qui sont l’objet de ma veille stratégique quotidienne, que retenir de cette semaine écoulée, sinon cette sempiternelle rengaine d’actualités anglo-saxonnes et de propagande marketing, mêlées dans un même flux que je trouve pour ma part de plus en plus écœurant.
Oui, le constat est désolant : il n’y a pas en France, ni au niveau de la francophonie, une véritable ambition pour le devenir du livre et de la lecture au 21e siècle.
La peste ou le choléra ?
Sur le terrain, au niveau des "vrais gens", comme il était à la mode de dire il y a quelques mois, il n’est pas tant que cela juste que le livre et la lecture aillent mal.
Il y a toujours eu des lecteurs, et, par ailleurs, des personnes potentiellement tout aussi intéressantes et cultivées et parfois plus humaines et cependant moins attirées par la lecture.
De mes observations personnelles dans les transports en commun parisiens il ressort que le papier imprimé est encore le premier support de lecture des franciliens (étant entendu que ce ne sont pas toutes les couches socioprofessionnelles qui utilisent ces transports en commun, pas très propres, plutôt sales souvent, bondés à certaines heures et soumis à des perturbations de trafic…). De plus les jeunes générations d’une vingtaine d’années s’accrochent, d’après ce que je peux en percevoir, au livre imprimé comme à une bouée culturelle, scolaire et familiale, dans un monde qui donne peu de repères (et repaires) stables.
Dans le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique il faudrait faire la part des choses entre :
- Les véritables nécessités à changer de paradigme pour le livre et la lecture (je le redis : le futur du livre ne peut pas être son passé).
- Les nouveaux besoins artificiels engendrés par des industries anglo-saxonnes du divertissement de masse.
- Les relais d’opinion par des acteurs convertis, soit technophiles, soit commercialement intéressés par rapport à leurs activités professionnelles et qui, par ailleurs, ne sont pas (n’étaient pas) des lecteurs de livres imprimés (il doit y en avoir un certain nombre je pense parmi les blogueurs et les éditeurs pure-players).
- Le travail de désinformation et de manipulation des lobbies.
La lecture, comme pratique culturelle, et le marché du livre n’ont pas attendu le numérique pour être en crise. La multiplicité des loisirs invasifs, la marchandisation des critiques, des prix littéraires et de la politique du livre y ont largement contribué depuis plusieurs décennies. Les auteurs (le Baromètre des relations auteurs / éditeurs de la Scam (Société civile des auteurs multimédia) l’atteste année après année depuis quatre ans), les auteurs sont de plus en plus outrés par certaines pratiques des éditeurs, particulièrement concernant la promotion et la commercialisation de leurs livres et, tout particulièrement, les redditions des comptes. « 31% des auteurs estiment que leurs relations avec leurs éditeurs ne sont pas satisfaisantes et 8% d’entre eux qu’elles sont conflictuelles. » et le numérique n’y est pour rien.
Quant aux libraires, le coût prohibitif des loyers en centres villes et les conditions imposées par les diffuseurs suffisent à les étrangler ! La diffusion/distribution du livre imprimé est trustée par une poignée de sociétés qui appartiennent aux grands groupes éditoriaux, lesquels sont entre les mains d’un très petit nombre de personnes qui contrôlent tout le marché du livre imprimé et freinent aujourd’hui tant et autant qu’ils le peuvent le développement d’un marché du livre numérique qui sera sous le contrôle de sociétés étrangères, fiscalement domiciliées en Irlande ou au Luxembourg. (Cette semaine le Syndicat national de l’édition déclarait redouter « une reconfiguration monopolistique de ce secteur de l’économie culturelle, en laissant libre cours au dumping tarifaire pratiqué par les revendeurs les plus puissants ».)
Nous avons le choix entre la peste ou le choléra !
Le système actuel ou un pas meilleur pour les lecteurs, les auteurs et les libraires.
Mais que serions-nous en droit de revendiquer ?

Je vais aussi lister ici des idées pour certaines exprimées à leurs origines par d’autres que moi (histoire de faire risette à mes détracteurs de l’ombre, de l’ombre car ils ne s’expriment guère ici ni devant moi) :
- Les classiques de la littérature mondiale devraient relever du patrimoine universel de l’humanité, être protégés comme tels par l’Unesco, ils ne devraient faire l’objet d’aucune forme de commerce et devraient être librement et gratuitement accessibles à toutes celles et ceux qui souhaiteraient les lire et/ou en posséder un exemplaire (idée au départ évoquée par François Bon. Source).
- Abolition de la TVA pour le livre imprimé, numérisé et numérique (Déjà en Grande-Bretagne le livre imprimé n’est pas soumis à la TVA. De notoriété publique Antoine Gallimard serait pour cette abolition de la TVA sur le livre, imprimé en tout cas).
- Dans le contexte d’un passage de l’édition imprimée à une édition dite numérique, il faudrait réactiver la Déclaration d’indépendance du cyberespace, proclamée en 1996 (idée trouvée chez Olivier Ertzscheid sur Affordance. Source).
- Enfin, instituer les bibliothèques zones franches, espaces géographiques bâtis bénéficiant d'avantages tels que l'exonération de charges fiscales et de règlementations sociales avantageuses, et qui seraient consacrés à la sanctuarisation des livres (cette idée de sanctuariser les bibliothèques sous la forme de zones franches m’est venue de ma récente intervention sur le thème de La bibliothèque en 2042 et de l’urgence qui m’est apparue face à la dérive d’institutions essentielles à l’épopée de l’espèce depuis -288 av. J.-C (date supposée de la fondation de la Bibliothèque d’Alexandrie) et même depuis la Bibliothèque royale d'Assurbanipal (7e siècle avant J.-C.). Faut-il prendre pour modèles les pays d’Europe du Nord ? Quelles dérives le concept de "tiers lieu" peut-il engendrer ? - Lire à ce sujet Le concept de tiers lieu : retour aux sources par Marie D. Martel. Quand le dispositif de lecture devient une bibliothèque où est le bibliothécaire ?).
(En parallèle il faudrait élargir les compétences et le périmètre d’intervention de l’Enssib (École nationale des sciences de l'information et des bibliothèques) et donner un véritable élan aux Learning Centres notamment en leur assurant une ubiquité totale sur les territoires digitaux du métavers, les rendant aptes au télétravail collaboratif immersif et à l’apprentissage à distance tout au long de la vie. Passer rapidement des tiers lieux gadgets aux tiers lieux augmentés…)
Car vouloir arrêter aujourd’hui l’évolution du livre à sa forme codex serait le condamner.
Une vision transhistorique nous révèle qu’au cours de quelques millénaires les supports d’écriture et les dispositifs de lecture seront passés de la pierre au pixel.
Ils ne savaient ni lire ni écrire et aujourd’hui ils surfent sur le web. Voilà les hommes !
En 2012 que peut en effet « un système fini [le codex], face à une demande infinie [les internautes] » (détournement non autorisé d’une citation de Michel Foucault, dans Dits et écrits, tome IV, 1980-1988, Gallimard). Et pourtant une liseuse n’aura certainement jamais le charme d’un livre que l’on ouvre et qui vous ouvre ses bras. Mais c’est ainsi. C’est participer d’une histoire de l’espèce de l’âge de pierre à celui… du flux (?), avancer à contre-courant de la minéralisation car sans cela, dans le contre-sens, la planète finirait par chuter dans l’abîme de l’inanimé, les divinités y jetteraient juste un dernier regard dans lesquels je lirais un brin de déception et leur chef, pointant la Terre de son index dirait juste ces mots simples : « Gros caillou. », alors, ils détourneront leurs regards et recommenceront à banqueter.
En 2012 que peut en effet « un système fini [le codex], face à une demande infinie [les internautes] » (détournement non autorisé d’une citation de Michel Foucault, dans Dits et écrits, tome IV, 1980-1988, Gallimard). Et pourtant une liseuse n’aura certainement jamais le charme d’un livre que l’on ouvre et qui vous ouvre ses bras. Mais c’est ainsi. C’est participer d’une histoire de l’espèce de l’âge de pierre à celui… du flux (?), avancer à contre-courant de la minéralisation car sans cela, dans le contre-sens, la planète finirait par chuter dans l’abîme de l’inanimé, les divinités y jetteraient juste un dernier regard dans lesquels je lirais un brin de déception et leur chef, pointant la Terre de son index dirait juste ces mots simples : « Gros caillou. », alors, ils détourneront leurs regards et recommenceront à banqueter.