samedi 10 octobre 2009

« L’énormité du marché du livre religieux »

Avec les textes conciliaires de la Contre-réforme et les privilèges pontificaux, l’imprimerie-librairie va asseoir ses assises (sic ;-) tant commerciales, que sociales, par la production de textes liturgiques et bibliques. C’est ce qui ressort clairement des premières pages de la neuvième partie d’une Histoire de la lecture dans le monde occidental, traitant, sous la plume de Dominique Julia de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, du thème : Lectures et Contre-Réforme.

« A travers ces transformations, écrit Dominique Julia, se lit l’énormité du marché du livre religieux qu’ont ouvert les réformes conciliaires : celui-ci exige à la fois des compétences techniques de typographes expérimentés, une assise financière importante, un crédit constant des libraires auprès des pouvoirs politiques […] et religieux. » Nonobstant, il nous faut certainement relativiser, en partie tout au moins, “l’énormité” de ce marché, compte tenu que, sur presque deux siècles durant, la lecture de la Bible, obligatoirement en latin, était, de ce fait, pratiquement réservée aux seuls clercs.
Le développement de traductions françaises de la Bible va progressivement ouvrir aux imprimeurs le marché des laïcs, convoité en somme par tous, et notamment tant par l’Église catholique romaine, que par les jansénistes, qui font eux « de la lecture de l’Écriture non un droit mais un devoir d’État pour tout laïc chrétien. ».
L’élan pastoral ne peut se comprimer et : «A l’appui de ce travail pastoral s’élabore donc, au fur et à mesure de l’implantation des séminaires, toute une littérature religieuse […] massivement éditée à Paris et largement diffusée en province, grâce aux catalogues spécialisés que publient les libraires…»
Il est incontestable qu’entre le 16e et le 18e siècle occidental, « l’Église – et le Roi – ont opté délibérément pour une pastorale du livre… », comme le montre bien Dominique Julia dans sa partie. “Une pastorale du livre”, c’est-à-dire du livre imprimé et relié sous sa forme de codex.
Par ailleurs, les données historiques dont disposent aujourd’hui les historiens du livre (je pense notamment ici aux sources étudiées par Henri-Jean Martin) sont formelles sur l’importance de cette production religieuse de l’imprimé, et sur ses effets structurants sur la chaîne du livre de l’Ancien Régime.
Voilà sans doute ce qui explique, en partie, notre attachement à ce dispositif de lecture, chaque jour de plus en plus obsolète, face aux changements apportés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et face à l’évolution irréversible des pratiques de lecture. Vous ne pensez-pas ?
A suivre...

jeudi 8 octobre 2009

La Réforme, fille de Gutenberg ?

« A propos de l’ars chalcographica, je veux ajouter ici que c’est principalement pour cette raison que Dieu a inspiré il y a quelques années la découverte de cette invention [l’imprimerie] : pour qu’elle serve à diffuser la vérité à notre siècle. » Carrément ! Voilà ce qu’affirmait en 1526 François Lambert d’Avignon.
Jean-François Gilmont, de l’Université catholique de Louvain, est lui aujourd’hui plus mesuré, notamment dans la partie huitième d’une Histoire de la lecture dans le monde occidental (Réformes protestantes et lecture). Il relativise cette « affirmation [qui s’est, il faut le reconnaître, largement répandue depuis le 16e siècle, et qui pour lui] relève souvent du lieu commun plus que de l’analyse érudite. ».
Cette conviction, en partie donc erronée, de : « l’importance du livre imprimé dans la diffusion du protestantisme », trouverait sa source, d’après l’auteur, dans le raz de marée pamphlétaire qui se répandit à cette époque sur toute l’Europe, et allait engendrer un besoin grandissant d’ouvrages imprimés dans les différentes langues nationales. Cela accélérant donc le développement de l’imprimerie ;-)
De, La Réforme, fille de Gutenberg, nous passerions donc à, l’imprimerie dopée par La Réforme, qui, de fait, et ceci est historiquement prouvé, favorisa l’éclosion, puis le développement, des premiers centres typographiques.
« Imprimer des livres réformés […] représentait, nous rappelle Jean-François Gilmont, une source de fructueux profits. ». Aussi, après avoir insisté sur l’importance à l’époque des « enjeux politiques et sociaux de la lecture de la Bible », nous rappelle-t-il qu’ « Au XVIe siècle, la nouveauté du livre est sa multiplication dans un monde où l’essentiel des rapports est oral. ».
La société chrétienne oscille entre la Parole (Logos), et le Livre (Biblos) ; (Serait-ce encore vrai aujourd’hui en 2009 ?) ; posant ainsi la question qui demeure elle essentielle au fil des siècles : par quels canaux l’information circule-t-elle ?
(Et pourrions-nous dire qu'au 21e siècle, la nouveauté du livre est sa libre diffusion numérique (flux) dans un monde où l'essentiel de la culture est imprimé et payant ?)
C’est de l’appropriation des textes par les lecteurs, au point qu’eux-mêmes les diffusent (le lecteur qui « se fait le propagateur des idées qu’il y découvre [dans les livres] ») dont cela dépend. C’est le statut (la statue ;-) du lecteur comme médiateur, comme prescripteur du livre.
Nonobstant, hier comme aujourd’hui : « Un mensonge est aussi facile à imprimer que la vérité. ». Et encore plus facile à numériser, ajouterai-je ;-)
A suivre…

lundi 5 octobre 2009

Quel futur pour l'Edition et la Presse à l'heure des T.I.C. à l'UNESCO

J'aurai le plaisir de participer le 26 octobre prochain à l'Unesco à la table ronde : Quel futur pour l'Edition et la Presse à l'heure des T.I.C. ? organisée par le Club Perspectives de l'AAFU (Association des anciens fonctionnaires de l'UNESCO).
Programme
" - Modérateur : J.-M. Dethoor, Président du Club Perspectives.
- 1. L'imprimé et la lecture au 21e siècle : crise et perspectives, par Lorenzo Soccavo, Prospectiviste du livre et de l'édition (Consultant, P.L.E. Consulting).
- 2. Va-t-on vers une information riche pour les riches et pauvres pour les pauvres ? par Bernard Poulet, Rédacteur en chef à L'Expansion auteur de La fin des journaux et l'avenir de l'information.
- 3. Vers des lectures connectées, par Virginie Clayssen, Directeur adjoint du développement numérique chez Editis, Présidente de la Commission numérique du Syndicat National de l'Edition (France).
- 4. Les politiques nationales du livre : vers un nouveau modèle, par Mauro Rosi, Responsable de la plate-forme intersectorielle pour les langues et le multilinguisme, Unesco.
- Rapporteur : Mouna Samman
Ces exposés introductifs seront suivis d’un débat avec l’assistance. "
Date et horaires : le 26 octobre 2009 de 15 h 00 à 17 h 30 en salle XIII.
Adresse : 1 rue Miollis 75015 Paris.
N.B. : Entrée libre. Réservation obligatoire. "Les personnes dépourvues de badge d’accès sont priées de s’inscrire préalablement en précisant : nom, prénom, adresse et qualités auprès de : perspectives@afus.unesco.org ".

dimanche 4 octobre 2009

Médiathèque de Ganges, le débriefing ;-)

De retour, et fort satisfait, de mon passage à Ganges, aux portes des Cévennes, je tiens à remercier le directeur de la médiathèque Lucie Aubrac, Bruno Canard, ainsi que toute son équipe pour leur chaleureux accueil. Durant ce trop bref séjour j'ai eu le plaisir de recontrer "in real life" ;-) l'éditrice Hélène Ramdani-Solomonidis, Jeanlou Bourgeon (de "Numér'île, Le livre, Le Numérique, l'île", Salon International du Livre Insulaire d'Ouessant), l'écrivain Thierry Crouzet et son épouse Isabelle Polu Crouzet (coZop)...
Avant mon intervention : "D'autres civilisations possibles ? Qui liront comment ? Et sur quels dispositifs de lecture ?", la présentation par Sylvia Lorrain et Marc Boulay de leurs travaux de "techniques mixtes de modélisation organique et photo-réaliste 2D/3D, [leur permettant d'] aussi bien représenter le passé et le présent, qu’imaginer l’avenir [des espèces vivantes]..." (Hox Studio) a été une parfaite introduction à mon propos, le livre étant, comme le montre l'illustration de ce billet (extraite de mes slides de Ganges) lui aussi une espèce en voie d'évolution. (Quelles sont justement aujourd'hui les voies qui lui sont tracées ? ;-)))
Je remercie enfin la sympathique équipe de Radio Escapades chez lesquels nous avons pu poursuivre le débat. Et enfin, pour si vous passiez un jour dans le coin, je vous recommande l'hôtel restaurant Les Norias ;-)

jeudi 1 octobre 2009

La civilisation du livre interrogée dans les Cévennes ;-)

J'aurai le plaisir de participer demain 02 octobre, dans le cadre des journées D'autres civilisations possibles, des 1er, 2 et 3 octobre 2009 à la Médiathèque Lucie AUBRAC de la ville de GANGES (Hérault) à la "Rencontre Investir" à 17H30, sur le thème : Révolution numérique et création : "le texte numérisé, l'ère du livre numérique et la transformation de notre rapport à l'écrit. Les créateurs investissent ces domaines et ouvrent leurs oeuvres à de nouvelles formes de récit."
N'hésitez pas à me faire signe si vous y passez :-)

mercredi 30 septembre 2009

Nous sommes une espèce fabulatrice...

Lors de la création de ce blog j'avais décidé de distinguer périodiquement un "Livre du mois" (colonne de droite). Il ne s'agira aucunement d'un livre forcément récent, ou traitant forcément de l'histoire ou de la prospective du livre, mais d'un ouvrage dont la lecture aura marqué de son empreinte mes réflexions de prospectiviste du livre et de l'édition.
Et L'espèce fabulatrice de Nancy Huston, paru aux éditions Actes Sud en 2008 est incontestablement de ceux-là :-)
La quatrième de couverture, que je cite ci-après, exprime parfaitement l'épopée narrative dans laquelle une espèce animale, la nôtre, l'espèce humaine, s'est lancée, pour se dépasser, pour dépasser ses propres limites, celles de son animalité d'abord, puis celles de son immortalité ensuite, puis, pourquoi pas, peut-être un jour celles de sa propre fiction...
" Ils disent, par exemple : Apollon. Ou : la Grande Tortue. Ou : Râ, le dieu Soleil. Ou : Notre Seigneur, dans Son infinie miséricorde. Ils disent toutes sortes de choses, racontent toutes sortes d'histoires, inventent toutes sortes de chimères.
C'est ainsi que nous, humains, voyons le monde : en l'interprétant, c'est-à-dire en l'inventant, car nous sommes fragiles, nettement plus fragiles que les autres grands primates.
Notre imagination supplée à notre fragilité. Sans elle - sans l'imagination qui confère au réel un Sens qu'il ne possède pas en lui-même - nous aurions déjà disparu, comme ont disparu les dinosaures. "
Dans ces lignes, puis dans ce livre tout entier, qui aborde les questions de la naissance du Sens, de l'Arché-texte ("Structure de base de tous les récits primitifs, depuis La guerre du feu jusqu'à La guerre des étoiles..."), du lien Persona, personnage, personne, et du pourquoi du roman..., c'est notre civilisation du livre qui est interrogée, et ces interrogations ne peuvent que nous mobiliser profondément à l'heure où, tant les dispositifs d'écriture et de lecture, que nos pratiques de lecture elles-mêmes, mutent, à l'heure où autofiction et autoédition entrent en collusion (sic ;-) et où il nous faut accompagner, aujourd'hui, tant les lecteurs que les professionnels du livre et de l'édition, dans cette migration qui est bien plus que simplement numérique.

("Née à Calgary (Canada), Nancy Huston, qui vit à Paris, a publié de nombreux romans et essais chez Actes Sud et chez Leméac, parmi lesquels Instruments des ténèbres (1996, prix Goncourt des lycéens et prix du livre Inter), L'empreinte de l'ange (1998, grand prix des lectrices de Elle) et Lignes de faille (2006, prix Femina)." Présentation Actes Sud.)

mardi 29 septembre 2009

Quel(s) support(s) pour le livre de demain ?

A l'aimable invitation d'Elisabeth Chainet, j'ai eu le plaisir le 04 mars 2009 de participer à une table ronde sur ce thème  : Quel(s) support(s) pour le livre de demain ? (c'est moi qui ajoute les "s" ;-) organisée à la Maison de la chimie (Paris), dans le cadre du Salon Demain le livre, des 04 et 05 mars dernier, cette année en avant-première de la fameuse Nuit du livre.
Pour information voici la synthèse de ma réponse d'alors :
" Je vais m’attacher à répondre à la question en tant que prospectiviste du livre et de l’édition. La prospective du livre et de l’édition c’est quoi ? Ce pourrait, dans le cadre de l’histoire du livre, être une discipline nouvelle, dont l’idée a germé en moi en 2006 au cours de la rédaction de la première édition de Gutenberg 2.0, le futur du livre.
Nous pouvons distinguer deux grandes époques dans l’histoire du livre. Avant 1958, c’est une histoire des techniques liées aux métiers du livre. A partir de 1958 et la parution aux éditions Albin Michel de l’ouvrage de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L’apparition du livre, l’histoire du livre devient davantage sociologique et humaine. C’est une histoire de l’influence du livre sur les hommes et les sociétés, et, également, des influences de l’histoire et de ses événements sur le livre et sa diffusion.
Aujourd’hui et dans cette perspective, la prospective du livre et de l’édition pourrait, je pense, en cette période de mutation qui peut rappeler celle du 15e siècle, apporter des éclairages intéressants sur l’avenir du livre et de la lecture.
Je proposerais donc comme définition de la prospective de l'édition : la discipline qui s’applique à définir et à représenter les mutations et les nouvelles formes possibles d'organisations socio-économiques, dans le secteur du livre et de l'édition, afin d'y mettre en œuvre des stratégies de développement.
Dans cette perspective je relève une ambigüité dans le thème de cette table ronde : Quel(S) support(S) pour le livre de demain ? Faut-il l’entendre au singulier, comme cela est écrit, ou, plutôt, au pluriel ?
De même ne devrions-nous pas parler “des livres de demain”, plutôt que “du livre de demain” ?
Précisons bien en effet de quoi nous parlons. Distinguons, le support, c’est-à-dire le papier, du dispositif de lecture, le livre, c’est-à-dire des cahiers de feuilles reliés entre eux.
On passe là de la prospective de l’édition à celle du livre, que nous pourrions définir à son tour ainsi : la prospective du livre s’applique à définir et à représenter les évolutions et les mutations des livres, conçus comme dispositifs de lecture, et en les considérant comme des interfaces I2L (ou ILL), c’est-à-dire interfaces lecteurs / livres. Sur le modèle des IHM, des interfaces hommes/machines. Une interface est ce qui assure la communication entre deux systèmes, un homme et une machine (par exemple en informatique, les souris, claviers, etc.). Un rouleau de papyrus est une interface spécifique. Les manuscrits, comme les livres imprimés, ont la même interface, celle de la forme codex. Au 15e siècle les hommes inventèrent des interfaces assez évoluées, comme, par exemple, les Roues à livres, qui préfiguraient la navigation hypertexte d’un livre à l’autre.
Le codex s’impose vers l’an 400. Le livre imprimé vers 1450. Mais ce qui a évolué c’est le support (passage du parchemin au papier, couverture…) et la typographie (passage de la copie manuscrite au procédé d’impression mécanique avec caractères mobiles…), plus que le dispositif de lecture (des cahiers de feuilles reliés). Le passage du rouleau au codex signifie l’apparition de la page (feuilletage possible, recherche dans le texte, lecture plus rapide, indexation, etc.).
Aujourd’hui, avec le passage du livre relié aux tablettes e-paper, c’est le passage de cahiers de feuilles reliés à une seule et unique page réinscriptible. Mais l’on reste encore pour l’instant dans la logique de la page. Or, l’ensemble des lectorats, et pas seulement les digital natives, se sont habitués à de nouvelles formes de lectures avec le Web 2.0 (hypertexte, multifenêtrage, personnalisation de l’affichage, etc.).
Si nous considérons qu’il n’y a pas LE livre en général mais DES livres, pas UN lectorat mais DES lecteurs, et de multiples usages et situations de lecture, nous pouvons penser que nous allons vers une pluralité de supports, que nous pourrions appeler des terminaux de lecture (et non plus vers un support unique comme aujourd’hui) : des tablettes (puis rouleaux un jour) d’e-paper, Smartphones (iPhone, etc.), GPS, tables multitouch de restaurant… Avec peut-être pour chaque terminal une technologie d’affichage différente (OLED, LCD, électromouillage, e-ink, i-surface, etc.). Il y a, ne l'oublions pas, des situations où le rétroéclairage peut être un plus.
En conclusion, à la question : Quel support pour le livre de demain ? Je répondrai que personne ne peut savoir aujourd’hui avec certitude ni sur quoi ni comment nous lirons d’ici quelques décennies, mais que :
- Le livre, en tant que contenant, va probablement progressivement être remplacé, au profit de plusieurs supports basés sur le principe de la page réinscriptible, et chacun adaptés aux différents usages et contextes de lectures.
- Le livre, en tant que contenu (textes, illustrations), se commercialisera dans une logique de diffusion multicanal multisupport, sur la base de nouveaux modèles économiques qui sont en train de se mettre en place. "