mercredi 10 novembre 2010

Critique d’Impressions numériques de Jean Sarzana et Alain Pierrot chez Publie.net

Je me suis précipité le jour de sa mise en ligne pour faire l’acquisition de cet ebook sur le site Publie.net de François Bon. Le thème abordé, les auteurs, l’éditeur, tout m’incitait à le télécharger.
Avant que je ne partage ici avec vous, amis lecteurs, mes propres impressions sur ces impressions, je me permettrais quelques remarques liminaires sur cet acte d’achat, ces réflexions, toutes personnelles et n’engageant que moi, ayant à voir avec ce passage de l’édition imprimée à l’édition numérique, qui nous interpelle tous, voire nous inquiète pour certains.
Premier point : lorsque je vais acheter un livre chez un libraire ou même dans une grande surface, je ne suis aucunement obligé de décliner toute mon identité, de remplir "mon profil". Je comprends pertinemment l’obligation pour cette interface, comme pour les autres interfaces libraires, et notamment pour la sécurisation du paiement en ligne par carte bancaire, de pouvoir identifier les acheteurs. Nonobstant, nous savons tous, avec Amazon, Apple, Google, et cetera, qu’il est indéniable que nos comportements d’achats vont être de plus en plus fichés avec les pratiques liées ou dérivées du m-commerce (mobile commerce), appelé à se développer.
Deuxième point : le livre lui-même. Sur le livre en lui-même, deux éléments m’ont manqué d’emblée.
Le premier : la quatrième de couverture ! Je ne retracerai pas ici son histoire, nous savons bien tous qu’elle n’a pas toujours existé sous la forme à laquelle nous sommes aujourd’hui habitués. Il y aurait peut-être là matière à innover, simplement et intelligemment, par exemple, en plaçant un équivalent à cette quatrième sous forme d’un encadré en bas de couverture, ou en avant-couverture ( ?) des ebooks.
Le second : un sous-titre. Je pense qu’au-delà du trait d’esprit du titre, un sous-titre éloquent aurait été le bienvenu, même si, pour le microcosme cogitant en cet orbe, les noms des auteurs suffisent à se faire une idée, assez claire et engageante.
Enfin, la présence au début de pages blanches a attiré mon attention. Quel sens pour une publication destinée à être lue sur un écran ou une tablette de lecture ?
Et puis, évidemment, la dématérialisation joue ses tours. Sans perception visuelle du volume, difficile d’estimer a priori le nombre de pages et le temps moyen de lecture que j’allais y passer.
Pour le reste, je reconnais là un bon travail d’édition, sans plus de coquilles que dans la traditionnelle édition imprimée.
Mais venons-en à l’essentiel…

Continuité ou rupture ?

Bien évidemment, moi qui prône une dimension transhistorique aux approches prospectives du livre et de l’édition, découvrir, dès l’Entrée en matière, une mise en scène qui place d’un côté, ceux qui voient dans l’édition numérique un « prolongement du passé », et, d’un autre, ceux qui y voient une « rupture décisive dans l’histoire du livre imprimé », m’a plutôt séduit. J’espérai des réponses.
Mais en refermant le livre (sic, car c’était un ebook !) quelques heures plus tard, je n’avais que des interrogations supplémentaires.
Nonobstant, force est de constater objectivement je pense, que ce petit essai, ligne après ligne, aligne des réflexions dont la pertinence et le style sont cependant indéniables.
Je ne puis d’ailleurs résister au désir, au plaisir, d’en livrer ici un petit florilège :
« On a souvent le sentiment qu’une muraille de Chine sépare éditeurs et bibliothécaires. Ils gagneraient à la changer pour un paravent japonais. »
« En même temps qu’il restreint le champ du livre, le numérique étend celui de l’œuvre. »
« […] pour un certain temps encore, le futur du livre numérique et des nouvelles formes éditoriales reste caché par le développement du livre numérisé et la contraction du livre papier. »
« Une seule certitude : la librairie sera la plus touchée par une mutation profonde, qu’elle ne peut pas maîtriser seule. »
« Jusqu’alors, on achetait avant de lire. Peut-être certains vont-ils lire avant d’acheter. »
« En tout état de cause, la copie homothétique nous apparaît comme un stade transitoire, sans doute nécessaire, mais certainement insuffisant, et qui ne mérite guère qu’on s’y attarde. »
Et enfin :
« Le numérique est créateur non dans la copie qu’il permet, mais dans la communication qu’il ouvre. ». CQFD.
Mais, s’il ne devait y avoir qu’une et une seule raison de lire cet essai, ce serait certainement pour sa pertinente et éclairante analyse rétrospective de la stratégie Google (sa première partie : "Google et le syndrome numérique", avec "Les quatre âges « littéraires » de Google" : L’âge primaire : Google Print ; L’âge secondaire : Google Book Search ; L’âge tertiaire : le projet d’accord global ; L’âge quaternaire : Google Editions).

Un livre qui porte bien son titre !

Donc, soyons clairs : tout cela m’est apparu comme une réflexion, intéressante certes, mais, par exemple, bien moins structurante que celle de Marin Dacos et Pierre Mounier dans leur ouvrage, "L’édition électronique" (La Découverte éd., Collection Repères, mars 2010).
L’on ressent bien, tout au long de cet essai de Jean Sarzana et Alain Pierrot, leur véritable souci, ce qui les préoccupe tous deux, et c’est là précisément ce qui, au fond, fait tout l’intérêt de cette lecture peut-être, et, le titre d’ailleurs de leur dernier chapitre : "La part du livre papier", et ce qu’ils expriment au final ainsi : « Dans quel état le livre imprimé émerge-t-il de cet agglomérat de problématiques ? ».
Un état des lieux, une photo fin 2010, de l’édition imprimée face à la numérisation et avec le schmilblick du livre numérique qui les nargue. Et cet espoir qui revient sans cesse, que le livre numérique pourrait être finalement, ne pourrait être qu’un complément, et non un remplaçant, au livre imprimé. Est-ce crédible ? Est-ce possible ? Alors que de nouveaux dispositifs de lecture s’installent dans les grandes surfaces entre les dentifrices et les livres et que la génération des 04-06 ans commence (chez eux, à la maison, et pour certains seulement il est vrai) à apprendre à lire sur iPhone et iPad ?
Personnellement, je le voudrais bien, mais, sincèrement, je n’y crois pas.

Un enterrement de première classe ?

Peut-être les auteurs n’auraient-ils pas dû rester les deux pieds et la pensée dans le présent. Faire un pas en arrière, dans l’histoire du livre, pour faire deux pas en avant, ce que laissait espérer pourtant leur Entrée en matière.
Car, ne s’agirait-il pas là, en somme, en l’état, d’un enterrement de première classe du livre imprimé ?
Je ne sais que penser de ces hésitations (à commencer par les miennes !), ni comment les comprendre. Je ne parviens pas à distinguer la voix d’Alain Pierrot (que j’ai épisodiquement le plaisir de fréquenter), de celle de Jean Sarzana (dont je n’ai croisé la route qu’une seule fois, alors que nous intervenions tous deux à une table ronde, à Poitiers je crois).
Je me demande également ce qu’en pense François Bon, penseur et acteur de cette (r)évolution numérique du livre, et maintenant éditeur de cet ouvrage précis, de cet ouvrage en particulier, de ce qui m’apparaît finalement comme de bien énigmatiques impressions.
Et d’ailleurs, que répondraient-ils tous trois à la question : « Cela est-il un livre ? ».
D’évidence oui, et cependant ni imprimé, ni numérisé, ni numérique dans le sens d’enrichi, d’augmenté, en réseau et que sais-je encore.
J’ai bien lu un livre, même si j’aurais préféré le lire imprimé et relié, plutôt que sur une de ces tablettes par certains aspects frustrantes.
En tous cas c’est là, je pense, soit un livre qui, rétrospectivement, fera date dans la période d’incertitudes que nous traversons, soit, qui passera simplement, telle une bulle de savon dans un rayon de soleil. Comme pour tout le reste : l’avenir le dira.

vendredi 5 novembre 2010

Que la TV ne gagne pas le livre numérique, questions réponses sur Livrelle

Content de signaler la mise en ligne du petit jeu de questions-réponses, avec Isabelle Crouzet et Sara Doke, sur Livrelle, projet qui a vu le jour à l'occasion de la 12e édition du Salon international du livre insulaire à Ouessant, en août dernier.

Six questions, auxquelles je ne donne ici que la sixième réponse (les autres à découvrir sur le site de Livrelle) :


Qu’attends-tu d’un livre ?  ...
Qu’est-ce que tu ne veux pas trouver dans un livre ? ...
Qu’est-ce que tu attends d’une île ? ...
Qu’est-ce que tu détestes dans une île ? ...
Qu’attends-tu d’un livre électronique ou d’une liseuse de livres électroniques ? ...
Qu’est-ce que tu ne veux pas trouver dans un livre électronique ?
L.S. : La télévision, pour moi assommoir du 20ème siècle.

Sixième réponse, plus pertinente qu'il ne parait : les conversations germanopratines bruissent en effet parfois d'étranges rumeurs que je sais fondées. Par exemple, que certaines agences de productions audiovisuelles s'intéressent de plus en plus au livre numérique, au livre augmenté, etc.
Le livre numérique des années 2020-2030 aura sans doute si peu à voir avec ce que nous appelons aujourd'hui "un livre", qu'il se pourrait même, peut-être, que les deux formes, livre imprimé, et, livre numérique, coexistent dans le temps (?). Qui sait ?

Dernière réflexion que m'inspire cette modeste participation au petit jeu d'Isabelle et de Sara : sur le bandeau figure une photographie d'Nzo Babenco, mon avatar sur Second Life.
Second Life aujourd'hui semble s'épuiser. Des rumeurs de rachat par Microsoft reviennent régulièrement. Reste que cela a été et pourrait redevenir un laboratoire du futur web 3D pour les professionnels du livre et de son marché, alors que l'édition numérique s'impose chaque jour davantage.
Via Nzo je reste présent sur Second Life et à l'écoute des acteurs de l'interprofession du livre.

mercredi 3 novembre 2010

Penser l'économie du livre numérique, interview sur ULNmag

J'ai eu le plaisir d'être interviewé par Guillaume Dumoulin pour le site Univers du Livre Numérique, sur le thème : Penser l'économie du livre numérique.

Extraits :
"En tant que spécialiste de l'industrie de l'édition et fin observateur du développement du livre numérique, je souhaiterais connaître votre analyse de la mutation du modèle économique de l'édition face à l'arrivée des NTIC. Comment l'industrie traditionnelle du livre papier peut-elle profiter du développement de l'usage du numérique dans la transmission des savoirs et des oeuvres de l'esprit ?

L.S. : Je ne me définirais pas vraiment comme un "spécialiste de l'industrie de l'édition". Mon activité consiste d'abord à observer et à réfléchir les évolutions du livre et de la lecture. J'interviens alors comme auteur sur ces questions, ou comme conférencier. Ensuite, je peux également faire profiter concrètement les différents acteurs de l'interprofession du livre des fruits de ce travail. Il s'agit alors simplement d'appliquer, en les adaptant aux spécificités du secteur du livre et de son marché, des méthodes de prospective. L'objectif étant justement de pouvoir mettre en place de nouvelles formes possibles d'organisations socio-économiques, de nouvelles chaines de valeur, afin de mettre en œuvre des stratégies de développement qui restent pertinentes à moyen terme, compte tenu de l'accélération que nous observons tous dans les technologies et dans les usages. [...]
 
Face à la multiplicité des offres de liseuses numériques, de formats pour les livres, de verrous numériques, comment un lecteur souhaitant découvrir la lecture numérique peut-il s'y retrouver? Et finalement quels gains peut-il en tirer ?
...  .... ...
 
Vous parliez de "mettre en place de nouvelles formes possibles d'organisations socio-économiques, de nouvelles chaines de valeur", quelles sont ces nouvelles formes d'organisations, ces nouvelles chaînes de valeur ? Quelle place pour les acteurs du livre papier, quelle place pour les "pure players" ?
... ... ...
 
Il s'agit donc d'innover, tant dans les formes éditoriales que dans le service proposé au lecteur. Quelles sont les propositions qui vous semblent le plus satisfaire à cette nécessité ? Avez-vous des exemples de mise en oeuvre en France et dans le Monde ?
... ... ...
 
La Fnac vient d'annoncer la sortie du FnacBook au mois de novembre, Orange lance avec Samsung et la GalaxyTab un service de ventes de périodiques et de livres numériques, Read&Go, pensez-vous que ces initiatives vont permettre de faire décoller un marché aujourd'hui encore très confidentiel ? La tendance de grands groupes a vouloir investir dans des offres globales vous paraît-elle servir la nouvelle chaîne du livre ou bien représente-t-elle une menace pour une économie culturelle en recherche d'un modèle adapté à la pluralité des acteurs ?
... ... ...
 
Le Sénat vient d'adopter la proposition de loi sur le prix uniqe du livre numérique, cette loi porte uniquement sur les livres dits homothétiques, pensez-vous que le législateur peut réellement intervenir sur un marché qui devient global ? Dans le marché du livre papier, les libraires indépendants ont pu rester concurrentiels grâce à la Loi Lang du prix unique du livre. A quoi cette loi peut-elle servir dans un contexte de marché naissant, qui cherche-t-on à protéger ? Ne pensez-vous pas qu'un travail législatif visant à harmoniser le taux de TVA réduite du livre papier au livre numérique serait plus profitable au secteur ?
... ... ...."
 

mardi 2 novembre 2010

IDBOOX Cinq questions sur le devenir du livre

Elizabeth Sutton m'a fait l'amitié de m'interviewer dans le cadre du lancement de son portail IDBOOX : "Le portail qui vous tient informé au plus près de l’actualité du livre numérique en France et à l’étranger".
J'ai, avec plaisir, joué le jeu des "trois principaux messages", "trois erreurs", etc., et j'espère avoir formulé quelques idées intéressantes sur IDBOOX ;-)

Extraits :

" E.S. : Vous vous positionnez depuis plusieurs années dans la Prospective concernant l’industrie du livre. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

L.S. : Je pense simplement que l’on peut mieux construire l’avenir en connaissant l’histoire. Comme je le dis souvent : C’est avec les lumières du passé qu’on se dirige dans l’avenir. Il s’agit concrètement d’utiliser pour le monde du livre, qui a une histoire ancienne et culturellement très prégnante, certains des outils de la prospective, notamment la veille stratégique, mais, en les utilisant dans une perspective transhistorique.
Je distingue la prospective du livre, et, la prospective de l’édition.
La prospective du livre est l’étude des évolutions et des mutations des livres, conçus en tant que dispositifs de lecture, c’est-à-dire comme des interfaces lecteurs/livres.
La prospective de l’édition est la discipline qui s’applique à expliciter et à représenter les transformations et les nouvelles formes possibles d’organisations socio-économiques dans le secteur du livre et de son marché, afin d’y mettre en œuvre des stratégies de développement. Au-delà la théorie, les applications pratiques sont nombreuses.

Quels sont les 3 principaux messages que vous voudriez faire passer aux acteurs de la chaine du livre ?
… … …
Quelles sont les 3 erreurs à ne pas commettre quand un éditeur décide de passer au livre numérique ?
… … …
Concernant les auteurs, les éditeurs, les libraires, quel est l’enjeu majeur d’ici à 3 ans concernant le livre numérique ?
… … …

E.S. : Vous êtes l’auteur de Gutenberg 2.0 : Le futur du livre, avez-vous d’autres projets d’ouvrages en préparation ?

L.S.: Oui, plusieurs. Gutenberg 2.0, réédité en 2008, est aujourd’hui en partie obsolète. Il est consultable sur Google Books. J’ai publié aussi en 2009 un Livre blanc sur la Prospective du Livre et de l’Edition, qui est téléchargeable gratuitement à la bibliothèque numérique de l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib).
Avec les mutations que traverse actuellement l’interprofession, des auteurs aux lecteurs, tous auraient besoin d’informations et d’analyses claires. Mais il semble malheureusement que l’édition rechigne à éditer des livres dont elle serait l’objet ! J’ai également des projets d’émissions radio et de documentaires pour la télévision. Il est important d’informer sur le devenir du livre et de la lecture ! "

mercredi 20 octobre 2010

Editeurs pure players

Le billet "Un annuaire de l'édition numérique et innovante francophone" du 08 juillet 2010, a été amendé et actualisé.
Pour le consulter et le commenter cliquer ici...

mardi 19 octobre 2010

Le potentiel pédagogique des Nouveaux Dispositifs de Lecture au Cned-Eifad

J’ai eu le plaisir d’intervenir hier, 18 octobre 2010, pour la Direction de l’innovation du Centre national de l’éducation à distance, dans les locaux de l’Ecole d’ingénierie de la formation à distance, pour une conférence sur le thème : Le potentiel pédagogique des nouveaux dispositifs de lecture, dans le cadre des séminaires de Cned-Éifad.
J’ai pu y développer le sommaire suivant, illustré d’une vidéo et de photos, devant un auditoire attentif :
I . . . . . . . Introduction
-Technologies d’affichage des nouveaux dispositifs de lecture.
- Nouveaux dispositifs de lecture et d'apprentissage.
II . . . . . . . Panorama
- Des premiers livres-applications pour l’acquisition de la lecture, ou pour faciliter l'autonomisation des jeunes lecteurs, et des premiers livres numériques adaptés aux enfants dyslexiques, malentendants, ou en difficulté de lecture.
- Des premiers livres augmentés et du potentiel de l’e-learning.
- Des manuels scolaires numériques et de leur potentiel pour l’enseignement à distance.
III . . . . . . . Conclusions et recommandations

Dans mes conclusions, j’ai insisté sur la convergence entre, d’une part, les nouveaux dispositifs de lecture et d’apprentissage dont il avait été question durant ma présentation, et, d’autre part, les nouvelles pratiques de lecture issues du Web 2.0, et, les nouveaux usages des lecteurs et des apprenants, nouveaux usages fondés sur la connectivité, les téléchargements et la mobilité.
Dans mes recommandations, j’ai principalement insisté sur la nécessité de concevoir et de créer de nouveaux contenus augmentés, dans une logique nouvelle de diffusion multicanal multisupport, renouvelant le rapport enseignant/apprenant et intégrant l'évolution des pratiques d'apprentissage (interactives, collaboratives, mobiles...).
J’ai lancé un appel à l’innovation, car de leurs côtés les entreprises privées et les entreprises étrangères innovent et développent des solutions d'enseignement à distance qui répondent aux attentes nouvelles des apprenants du 21e siècle. J’espère avoir été entendu.

jeudi 16 septembre 2010

La plasticité du numérique au service de la poésie

Nous sommes loin de pouvoir cerner, fin 2010, les conséquences qu’auront les nouveaux outils d’écriture assistée par ordinateurs, sur la littérature et ses expressions diverses et variées, notamment le roman et la fiction au sens large, le théâtre et l’écriture scénaristique (avec les machinima, et aussi les scénarios de jeux vidéos qui renouvelleraient en partie les schémas narratifs), la poésie aussi, par essence expérience d’écriture en appelant à la polysensorialité, comme en écho souvent au vers de Baudelaire : "Les parfums, les couleurs et les sons se répondent." (Les Fleurs du Mal, 1857, Correspondances), un décloisonnement de l'écriture et de la lecture, tant souhaité par Marc-André Fournier.
Même si l’iPad ne rentre pas dans le cadre d’un dispositif de lecture, tel que nous pouvons le concevoir à la lumière des siècles précédents, de premières adaptations, de contes pour enfants par exemple, laissent entrevoir certaines promesses. Mais seront-elles tenues ?
Le fait est que nous prenons encore le plus souvent (trop souvent, mais aussi, logiquement, il faut l’admettre également) le livre imprimé, comme modèle référentiel.
Essayons donc ici un nouveau pas de côté (après celui, récent, ouessantin, mal ou sur interprété, volontairement ou involontairement, par certains).

Un système fini face à une demande infinie

Ce détournement que je propose, d’une réflexion de Michel Foucault (Dits et écrits, tome IV, 1980-1988, NRF, Gallimard) : Que peut « un système fini [le codex], face à une demande infinie [les internautes] » ? pose assez bien je trouve le contexte dans lequel, nous et le texte, nous nous retrouvons en 2010.
Evoquer la plasticité du numérique c’est, à mon sens, évoquer (invoquer) cette polysensorialité (vers des possibilités de lecture immersive ?), la liberté que peuvent apporter les outils informatiques aux créateurs, par rapport aux voies qui leurs sont tracées, par les styles et les canons, l’époque et les modes, les contingences économiques et cetera, avec les atouts qu’apporte une telle liberté, mais aussi le prix à payer, les risques, mais, aussi, les droits également, de se perdre, de s’égarer, de faire fausse route, mais y-a-t-il de fausses routes ?
C’est, en partie, aller au-delà, dans une phase créatrice, par rapport à ce qui est défini plus sobrement ainsi : « Le concept de plasticité désigne, en informatique et particulièrement dans le domaine des interfaces homme-machines, "la capacité d'une interface à s'adapter aux contraintes matérielles et environnementales dans le respect de son utilisabilité"… » (Source).

De l’aube à l’aube

Empruntée aux paroles d’une chanson d’Alain Bashung, l’expression “de l’aube à l’aube” pourrait-elle symboliser l’écriture poétique au seuil d’un nouveau millénaire ?
L'aube aussi, rappelons-le, est une forme littéraire du moyen âge, poésie lyrique sur la séparation amoureuse au point du jour.
Deux vidéos pourraient, peut-être, contribuer à illustrer, et, cette plasticité du numérique au service de la poésie, et, ces aubes, dont il est question ici.


La première vidéo, ci-dessus, reprend quelques éléments d’une conférence et de deux performances de Jacques Donguy, auxquelles j’avais eu le plaisir d’assister le 14 juin 2009, au Cube (Centre de création numérique d’Issy-les-Moulinaux et sur Second Life).
Une « rétroprojection de fragments verbi-visuels fonctionnant sémantiquement comme des mots ». Un aspect expérimental, sans doute, dans l’approche, mais nonobstant une forte référence aux mots et à l’écrit.
Cette poésie numérique se concevrait comme le chant du cygne de la poésie visuelle dont la première note aurait été jetée par le coup de dé mallarméen.

La seconde vidéo, ci-dessous, présente le travail de Laure Morali, en résidence d'écriture au sémaphore de Créac'h sur l'île d'Ouessant. Il s’agit d'un carnet de bord sonore et visuel, réalisé en partenariat avec la société bookBeo.
Une approche apparemment plus traditionnelle du langage poétique, mais nonobstant un apparent effacement des mots et de l’écrit derrière les images. Il serait intéressant de voir ce que cette expérience d’écriture pourrait donner, si un accès au texte, aux mots écrits était donné aux lecteurs, par exemple, par le truchement d’une édition imprimée enrichie des codes 2D bookBeo.


En quoi, le rapprochement de ces deux aubes, la “donguyenne” et la “moralienne”, pourrait-il porter témoignage de la plasticité du numérique au service de la poésie, du besoin de dépassement du cadre limité de la page imprimée, face à la demande fantasmatique des voyeurs ? Car peut-on parler encore de lecteurs dans ces conditions ?
En quoi, la tentation déjà bien ancienne et l’effort soutenu, pour : “Arracher le poème de la page”, notamment exprimés par le poète sonore français, Bernard Heidsieck, pourraient-ils ouvrir des portes à la littérature numérique, voire participer d’une architecture novatrice pour l’édition numérique ?