dimanche 15 avril 2012

Semaine 15/52 : L’obsolescence du livre

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 15/52. 
 
Cette semaine la société américaine Yahoo! Inc. fondée en 1995, au sujet de laquelle des rumeurs de rapprochements avec, ou de rachat par, Google, trainent sur le web depuis plusieurs mois, a déposé un brevet pour une méthode invasive d’introduction de publicités dans le parcours de lecture des livres numériques.
 

Transfiguration du lecteur

 
Ce qu’aujourd’hui encore nous appelons spontanément "livre", un ensemble de feuilles imprimées, pliées en cahiers reliés entre eux et protégés par une couverture, est un objet en soi parfait. Il remplit parfaitement sa mission.
Il peut encore se parfaire avec l’introduction de puces RFID ou de QR Codes pour se connecter au réseau planétaire de communication.
Cela dit il apparaît maintenant obsolète au regard des services apportés par les ordinateurs qui régissent notre quotidien. 
 
En physique une transformation génère une énergie. Cependant il ne s’agit pas là, dans ce que nous pouvons observer, d’une transformation de l’objet livre, mais, de l’apparition (l’invention ? l’imposition ?) d’autre chose.
 
La différence entre un livre et une tablette de lecture est aussi radicale que celle entre une tablette d’argile et un rouleau de papyrus. Et il peut être amusant de constater qu’une tablette de lecture du 21e siècle est plus proche d’une tablette mésopotamienne que d’un livre.
La question se pose donc de savoir dans quelle mesure nous pourrions bénéficier d’une quelconque énergie, évolutive, émancipatrice (comme le fut l’imprimerie au 15e siècle, par exemple), ou si, au contraire, nous ne devons pas craindre davantage d’asservissement au marché des divertissements de masse ?
Car il s’agit donc là, non plus de livres, mais, de dispositifs de lecture, que nous pouvons classifier en quatre familles : les ordinateurs, les tablettes multimédia, les smartphones, et, bien évidemment, les tablettes e-paper (maintenant couramment baptisées : "liseuses", terme lancé par Virginie Clayssen le 5 avril 2007 - alors que mon livre Gutenberg 2.0, le futur du livre, paru le 15 mars de la même année, avait lancé ce sujet : Mais comment les appeler ? Ainsi le 04 avril 2012 ce terme de liseuse a été officiellement homologué par la commission de terminologie et de néologie. Lire à ce sujet le post de Virginie Clayssen : La liseuse a fait son chemin). 
 
Sur les conseils d’un de mes lecteurs (qu’il en soit remercié) j’ai fait cette semaine l’acquisition d’un essai de 1956 de Günther Anders : L’Obsolescence de l’homme, dont j’ai ces derniers jours entrepris la lecture. J’y reviendrai plus amplement je pense dans quelques semaines.
 
Mais cette fréquentation nouvelle me suggère déjà quelques réflexions d’actualité. Ainsi, pour un lecteur formé aux livres sur papier imprimé, ces nouveaux dispositifs de lecture ne sont je pense que des fantômes de livres. (Je pense ici aux membres fantômes, et aux quelques réflexions que j’ai pu faire les semaines passées sur les techniques du corps, les postures de lecture et la gestuelle attachée à cette activité.) 
Ce qu’il faudrait bien comprendre c’est qu’un NDL (nouveau dispositif de lecture) n’est pas uniquement qu’un moyen de lire. Et c’est là que Günther Anders peut nous aider.
« Ces instruments, écrit-il dès son introduction [Anders pense aux machines en général, je pense moi ici à ces instruments que sont le Kindle d’Amazon ou l’iPad d’Apple, par exemple] ne sont pas des moyens mais des décisions prises à l’avance : ces décisions, précisément, qui sont prises avant même qu’on nous offre la possibilité de décider. Ou, plus exactement, ils sont la décision prise à l’avance. ».
 
Le dispositif de lecture, en effet, n’est plus comme l’était un livre relié, un tout en lui-même, qui se suffirait à lui-même pour que le lecteur accède à la lecture, mais, il n’est qu’une partie d’un système organisant (donc contrôlant) la lecture.
Et les lecteurs, au fond, n’en demandent pas tant !
En fait, tout simplement, l’offre ici précède la demande.
Et dans le laps entre offre et demande, les services marketing, aidés en cela par des internautes et des blogueurs inconscients du phénomène et seulement obnubilés du faux pouvoir qu’ils auraient à s’exprimer et de fait facilement manipulables, les services marketing donc, inventent la demande pour rendre l’achat nécessaire. 
Les premiers adoptants ou adopteurs précoces (early adopters) ne sont-ils pas seulement en fin de compte les plus moutonniers, ceux qui, les premiers, se plient aux nouveaux usages imposés par le marché. Et ce sont souvent eux qui sont considérés comme des leaders sur les réseaux sociaux ! 
 
Par leurs fonctions, les dispositifs de lecture - que les acteurs du milieu appellent devices [en français : appareils] prédéterminent leur utilisation et donc, en l’occurrence, le type de lecture que nous allons y pratiquer. Ils nous déterminent donc en tant que lecteurs.
 
S’arrête-t-on parfois de lire pour se poser la question : « Que suis-je en train de faire ? ». Sur imprimé non. Sur ces nouveaux supports électroniques, peut-être le devrions-nous.
 

Craindre un évanouissement de la lecture

 
En achetant un tel device, par ailleurs assez onéreux et marqueur social (je pense surtout aux iPad, iPhone et autres gadgets technologiques de cet acabit) le lecteur paye en réalité pour être asservi à un certain type de lecture (télé)guidée par les fonctionnalités savamment bridées et évolutives d’un appareil qu’il ne maitrise en général qu’incomplètement.
 
Avant, le livre était une marchandise. Mais la lecture je ne pense pas. Dans le contexte d’une économie de l’attention la lecture devient elle aussi une marchandise. 
 
Ainsi, ne serions-nous pas comme aveuglés face à un évanouissement de la lecture ? (Et évanouissement pourrait bien ici justement se comprendre comme une perte de connaissance.)

Je reconnais aujourd’hui humblement, ce 15 avril 2012, que moi qui me suis libéré il y a plus d’une vingtaine d’années des chaines de (la) télévision, je suis aujourd’hui assujetti à mon ordinateur.
En quoi alors, bien que non-salarié, pourrais-je me prétendre un homme et un esprit libres ?
Je suis simplement soumis à une autre aliénation. 
 
Je fais moi-même quotidiennement l’expérience que lorsqu’un lecteur est submergé de texte(s), il ne lit plus, ou qu’en tout cas il lit de plus en plus difficilement et certainement de plus en plus mal, avec une attention moins soutenue, avec des capacités de compréhension, d’analyse et de mémorisation amoindries.
  
Je me rappelle l’article de juin 2008 de Nicolas Carr : Est-ce que Google nous rend idiots ? et je suis bien forcé de constater mes propres difficultés croissantes à lire, à me concentrer sur ce que je lis, à m’immerger naturellement dans ce que je lis.
Avec le web n’avons-nous pas à notre insu commencé à désapprendre à lire ?
La question (cruelle) se pose à moi : n’ai-je pas commencé à désapprendre à lire ? Comme j’ai déjà pratiquement désappris l’écriture manuscrite à force de taper sur des claviers, comme avec les machines à calculer j’ai totalement désappris à "poser une division".

L’emploi de plus en plus courant du qualificatif "intelligent" appliqué à des machines traduit bien ce glissement que cherche à exprimer je pense le concept de la singularité technologique et que Günther Anders exprimait déjà dans L’Obsolescence de l’homme.

De fait, aujourd’hui nous admettons de plus en plus souvent sans réfléchir aux conséquences que des appareils soient plus "intelligents" que nous. 
  
La question essentielle pour moi serait donc de parvenir à déterminer si les nouveaux dispositifs de lecture entrainent ou nécessitent un sacrifice pour le lecteur, une perte au niveau de la lecture, et si oui de quel ordre (et les éventuels éléments de réponses se devraient d’être évidemment au-delà des argumentaires du marketing). 
 
La world literature, la littérature-monde, le phénomène planétaire de best-selarisation, en structurant les lectorats multiples en une audience unique, ont préparé le terrain du livre comme nouveau marché publicitaire.
L’actualité de la semaine écoulée atteste bien d’une volonté de délectoralisation, j’entends par ce néologisme : de déstructuration du lectorat.
 
Le fait de commercialiser des dispositifs éphémères et coûteux qui incitent à lire avec moins d’attention, voire à lire plus vite et/ou à lire moins, est révélateur de cette volonté de la part des industries du loisir.
 
Vous êtes-vous posé cette simple question : et si, en fin de compte (sic), dans ce passage de l’édition imprimée à l’édition numérique, il ne s’agissait pour certains qui sont aux commandes que de transformer le lectorat en audience pour lui montrer des publicités ? 
 
Certes, le futur du livre ne peut pas être son passé.
Le fait que ce que nous appelons "livre" va disparaître n’est pas grave en soi. Je ne regrette pas la disparition des rouleaux de papyrus. Mais ce sont les conditions de cette disparition et ce que l’on nous impose pour lire à la place des livres qui posent problèmes.
Un évanouissement de la lecture aurait quelles conséquences sur le devenir de l’espèce humaine ?
Comment en 2012 concevoir encore et vivre la lecture comme un acte de résistance, un libre choix, désincarcéré de l’industrie des loisirs ? 
  
Je pense que tout lecteur est, dans une certaine mesure, (animé par) ce qu’il lit.
Les moyens avec lesquels et la manière dont il lit influencent ce qu’il est, et en partie ce qu’il fait, ce qu’il pense et comment il se comporte dans la vie.
Le lecteur, pour qui la lecture est une activité essentielle, incorpore le livre quand il le lit. Il l’assimile à lui. Cela dépasse de beaucoup toutes les formes de bovarysme que nous pourrions imaginer. Ne dit-on pas parfois avoir "dévoré un livre" ? Cela se rattache à d’ancestrales pratiques de cannibalisme et de chamanisme, et participe je pense de la phylogenèse et du destin de l’humanité.
  
Nous sommes ce que nous lisons. C’est pourquoi il m’apparaît légitime et urgent que nous nous interrogions sérieusement sur les transformations actuelles imposées par des industriels américains à nos conditions de lecture.

mercredi 11 avril 2012

y aura-t-il encore des librairies en 2042 ?

Je me suis demandé cette nuit ce que j'aurais écrit il y a quelques jours si le texte que l'on m'avait demandé avait été, non pas : La bibliothèque en 2042, mais : La librairie en 2042.
Y aura-t-il encore des librairies en 2042 ?
Malheureusement je crains que non.
  
Et je ne comprends pas pourquoi les libraires se laissent conduire à l'abattoir comme des moutons.
A croire que, comme pour les autres secteurs économiques, les instances dites représentatives, syndicats et autres, n'ont pour fonction principale que de canaliser le mécontentement pour éviter qu'il se retourne contre les responsables.
 
Que se passe-t-il en fait ?
D'abord, qui est réellement à la cause des difficultés que connaissent depuis plusieurs années les libraires ? Est-ce vraiment le secteur du numérique ?
Ensuite, ce qui est cependant aujourd'hui indéniable, c'est bien le fait que des acteurs de l'industrie numérique des loisirs détournent le passage de l'édition manuscrite à l'édition numérique à leur profit, pour transformer les lectorats en audience, c'est-à-dire en un public passif.
Et pourquoi ?
Pour lui diffuser de la publicité tout simplement.
Ces acteurs ramènent le web à un nouveau média de masse encore plus puissant que la télévision qu'ils vont bientôt engloutir (avec la "télé connectée").

Il faudrait aujourd'hui (re)concevoir la lecture (et donc en partie le marché du livre, tant imprimé que numérisé, voire numérique) comme un acte de résistance, l'exercice revendiqué d'un libre choix désincarcéré de l'industrie des loisirs.

Que font les libraires ?

Pourquoi, par exemple, ne pas organiser une journée librairies closes avec une protestation vive et un sit-in carrefour de l'Odéon ?
Comment se fait-il que le texte de Richard Stallman : Les e-books et leurs dangers, ne soit pas déjà placardé dans toutes les librairies de France ?

"... Des technologies qui devraient nous conférer davantage de liberté sont au contraire utilisées pour nous entraver.
Le livre imprimé :
  • On peut l’acheter en espèces, de façon anonyme.
  • Après l’achat, il vous appartient.
  • On ne vous oblige pas à signer une licence qui limite vos droits d’utilisation.
  • Son format est connu, aucune technologie privatrice n’est nécessaire pour le lire.
  • On a le droit de donner, prêter ou revendre ce livre.
  • Il est possible, concrètement, de le scanner et de le photocopier, pratiques parfois légales sous le régime du copyright.
  • Nul n’a le pouvoir de détruire votre exemplaire.
  •  
Comparez ces éléments avec les livres électroniques d’Amazon (plus ou moins la norme) :
  • Amazon exige de l’utilisateur qu’il s’identifie afin d’acquérir un e-book.
  • Dans certains pays, et c’est le cas aux USA, Amazon déclare que l’utilisateur ne peut être propriétaire de son exemplaire.
  • Amazon demande à l’utilisateur d’accepter une licence qui restreint l’utilisation du livre.
  • Le format est secret, et seuls des logiciels privateurs restreignant les libertés de l’utilisateur permettent de le lire.
  • Un succédané de « prêt » est autorisé pour certains titres, et ce pour une période limitée, mais à la condition de désigner nominalement un autre utilisateur du même système. Don et revente sont interdits.
  • Un système de verrou numérique (DRM) empêche de copier l’ouvrage. La copie est en outre prohibée par la licence, pratique plus restrictive que le régime du copyright.
  • Amazon a le pouvoir d’effacer le livre à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell.
Un seul de ces abus fait des livres électroniques une régression par rapport aux livres imprimés. Nous devons rejeter les e-books qui portent atteinte à nos libertés." (Extraits).

Il ne s'agit pas de refuser ou de s'opposer au passage de l'édition manuscrite à l'édition numérique, MAIS, de s'opposer à ce qu'il soit détourné au seul profit de quelques industries américaines.

dimanche 8 avril 2012

Semaine 14/52 : La Grande Pâque à Singe-des-Prés

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 14/52.

Promis juré ! Dès la semaine prochaine je reprends le fil du devenir du livre et de la lecture dans le labyrinthe de cette première moitié du 21e siècle.
Vous me pardonnerez peut-être de rester pour cette semaine encore dans une veine un peu plus autobiographique. Il s’avère que ce dimanche est celui de Pâques et que depuis 1999 à toutes les Pâques je pense à… La grande Pâque.
La grande Pâque est une œuvre magistrale de l’artiste et compositeur Jacques Besse.
La grande Pâque est un court récit autobiographique de moins d’une centaine de pages : « Paris 1960, du vendredi au lundi de Pâques. Jacques Besse, sans logis, le ventre vide, déambule de Montparnasse aux Buttes Chaumont, d’Austerlitz à Sébastopol, passant et repassant par Singe-des-Prés, le cœur de la ville. » [Extrait quatrième de couverture, éditions La Chambre d’échos, 1999].
La grande Pâque est pour moi une œuvre majeure de notre littérature.
  
Immobile près de la rue Grégoire-de-Tours
 
Je n’avais que quelques mois et je vagissais sans fin rue Breguet, à quelques pas de la Bastille. Des pas que je ne pouvais pas faire. Jacques Besse lui déambulait.
Écoutez : « Je ne suis pas encore au carrefour de l’Odéon, et déjà je sens toute la circulation des piétons et des voitures enchaînée par l’accent d’une future création lyrique […] Je me suis à peine senti rue Monsieur-le-Prince […] Je reviens vers le boulevard Saint-Germain. Les bruits des moteurs et des freins, les pas des piétons serrent leur musicalité introductrice. Tout s’attend à quelque chose de concertant, capable de faire pâlir le plus génial des concerts de notre tradition. […] Et le seul corps du seul Jacques Besse, traversant le trottoir sud du carrefour de l’Odéon, aborde le boulevard vers Saint-Germain-des-Prés. Et juste au même moment, l’introduction frémissante […] Je m’arrête immobile près de la rue Grégoire-de-Tours. Je m’installe comme un célébrant au centre du tourbillon que ne mentent pas les gestes quotidiens, tant chaque mouvement de chaque parisien cède au rythme vainqueur» [pp. 72-75].

Il y a dans La grande Pâque, en plus resserré, en plus puissant, quelque chose de la force d’un livre comme En compagnie d’Antonin Artaud, le journal de Jacques Prevel, œuvre plus connue grâce au film de 1993 de Gérard Mordillat, avec notamment Sami Frey. 
 
Aujourd’hui il m’arrive souvent de voir Singe-des-Prés derrière Saint-Germain-des-Prés. J’aiguise mes sens carrefour de l’Odéon pour percevoir un écho de cette symphonie fantastique composée et dirigée par le grand Jacques Besse. 
Pour tout habitant de Saint-Germain-des-Prés ce livre devrait être une lecture obligatoire. Un devoir d’honnête homme.
A Saint-Germain-des-Prés un monument, une statue, devrait être élevée à la gloire de Jacques Besse. Ossip Zadkine aurait été à la hauteur je pense [Cf. illustration : Jardin du Luxembourg (Paris 6e) "L’Hommage à Paul Eluard", 1954, par Ossip Zadkine].
 
Mais je suis une grenouille !
  
Dans cette Grande Pâque de Jacques Besse nous sommes loin du Saint-Germain-des-Prés et de l’amusant restaurant que René Barjavel nous présente en 1943 dans son roman de science-fiction (ou d’anticipation ?) : Ravage, dont l’action se situe en 2052. Un livre que je vous recommande aussi.
Dans le train le jeune héros, François, lit sur une tablette que nous appellerions aujourd’hui "liseuse". Il va de Marseille à Paris. Quelques chapitres plus loin crash total : plus d’électricité.
Réfléchissez deux secondes s’il vous plait : que feriez-vous, que ferions-nous demain si nous n’avions plus du tout d’électricité ? Pas pour quelques heures, quelques jours, ou quelques mois, mais plus jamais. Comment ferions-nous ? (Notamment pour lire des ebooks !).
Bon je reviens au restaurant…
 
« Le boulevard Saint-Germain était un fleuve de feu. Interdit aux autos, il offrait aux promeneurs la tentation de mille boutiques illuminées. […] François, nous raconte Barjavel, poussa la porte de la Brasserie 13 […] Il était de tradition, dans cet établissement, de manger le bifteck-frites, et tout client s’en voyait automatiquement servi une généreuse portion. ».
  
En parlant steak, d’entrecôtes et de déambulation dans Saint-Germain des Prés… Je déambule moi-même souvent à Saint-Germain-des-Prés. Une fois à la sortie de la station de métro Mabillon, pratiquement à l’angle de la rue du Four (vous savez… Tu viens me dire bonjour // Au coin d’la rue du Four // Tu viens me visiter // A Saint-Germain-des-Prés… Guy Béart …), et une fois donc j’y suis tombé nez à nez avec un bœuf.
  
Je suppose en effet que ce petit monsieur est un bœuf puisqu’il se complait à mon sujet à citer la fable de Jean de La Fontaine, La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf, en me mettant bien évidemment dans la position de la grenouille. Grand bien lui fasse ! Pour moi un bœuf n’est jamais rien d’autre qu’un taureau émasculé au destin d’entrecôtes. « Saignante ! S’il vous plait garçon… ». Et bonnes fêtes de Pâques !
 
 

vendredi 6 avril 2012

La bibliothèque en 2042

J'ai eu le plaisir hier de donner une conférence dans le cadre de la journée Bibdoc 2012 à Tours sur le thème : Les impacts des livres numériques sur les bibliothèques. Devant un auditoire de 250 professionnels attentifs j'ai ensuite eu l'opportunité d'exposer mes vues sur... la bibliothèque en 2042. Pour ce faire, point de technologies, j'avais les semaines précédentes travaillé un texte qui tente de réfléchir cette perspective dans toutes ses dimensions. J'ai lu ce texte. Je n'aurais jamais pensé que je ressentirais autant d'émotion à le lire ! Ce texte, le voici : 
  
" L’on m’a demandé de m’exprimer sur le thème de : La bibliothèque en 2042.
Nous sommes aujourd’hui en 2012.
Objectivement 2042 sera donc dans une trentaine d’années seulement.
Commençons, si vous le voulez bien, par réfléchir à ce que cela pourrait signifier.

Trente ans c’est, en moyenne, une génération et demie. Une génération couvre la durée de la naissance d’un parent à celle d’un enfant. Une génération humaine correspond ainsi au cycle de renouvellement d’une population adulte apte à se reproduire, soit environ 20 ans.

Cette perspective générationnelle nous interpelle d’abord sur l’évolution professionnelle des bibliothécaires durant ces trente prochaines années, la formation continue dont ils devraient bénéficier, mais aussi sur la formation des futurs bibliothécaires.

Un jeune qui deviendra bibliothécaire en 2042 à l’âge de 22 ans a aujourd’hui… moins 8 ans. C’est-à-dire qu’il naîtra dans huit ans. C’est-à-dire qu’il aura ses premiers contacts avec l’écrit et fera ses apprentissages en lecture et en écriture sur des supports tactiles connectés multimédias. C’est-à-dire que spontanément il ne se tournera pas vers l’imprimé. C’est-à-dire qu’une fois adulte, et donc à 22 ans quand il deviendra bibliothécaire, il lui semblera peut-être aussi aberrant, voire difficile, de lire sur un livre imprimé relié, que cela nous serait difficile à nous autres aujourd’hui de lire un rouleau de papyrus.

Par ailleurs, la perspective s’élargit si nous admettons que nous vivons actuellement une période que nous pourrions qualifier des e-incunables, en référence à la période des incunables, celle des premiers textes imprimés et que la communauté des historiens du livre s’entend aujourd’hui pour dater de 1450 à 1501 : soit une durée de 51 ans.

Je fais débuter, et je n’ai à ce jour reçu aucune contradiction sur ce point, je fais débuter la période des e-incunables à partir de l’été 1971.
Durant cet été 1971 j’avais en tête le collège de banlieue parisienne auquel j’allais accéder à la prochaine rentrée scolaire. Mais pendant ce temps, le 04 juillet 1971 précisément, un étudiant du nom de Michael Hart à l’université de l’Illinois numérisait lui un premier texte : l’e-Text #1, la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, et concevait le Projet Gutenberg, projet international de mise à disposition des livres du domaine public, projet titanesque qu’il allait mettre en œuvre inlassablement jusqu’à sa mort, le 06 septembre 2011. Avec le projet Gutenberg, Michael Hart fut le premier à créer une bibliothèque numérique.
Toujours durant cet été 1971, le 15 août, le président Richard Nixon annonçait au monde la suspension de la convertibilité en or du dollar américain. Les autres pays allaient suivre. Pour Clarisse Herrenschmidt, membre de l’Institut d’anthropologie sociale du Collège de France, il se passa alors la chose suivante, et je pense comme elle : « Le langage non artificiel écrit des nombres et des calculs cessa d’avoir un référent matériel, prit son envol comme arbitraire, forme symbolique pure et advenue… ».
C’est ainsi qu’à son insu, durant cet été 1971, l’humanité est bel et bien entrée dans une période de transition de l’imprimé au digital.

Ce phénomène de mutation de l’écrit s’exprime aujourd’hui par les effets cumulés, d’une part, de la métamorphose des livres et autres supports de textes, en tant que contenants, et, d’autre part, de la volatilité des livres et des textes en général, en tant que contenus.
1971 + 51 ans = 2022.

En 2042 donc, nous serions alors sortis de la période des e-incunables depuis déjà 20 ans. Soit une génération.
En 1521, soit donc 20 ans après la période des incunables, l’imprimerie était déjà un formidable média de diffusion d’idées nouvelles et combattues par les pouvoirs en place. En 1521 on aurait déjà fait 500 000 impressions des 81 livrets dans lesquels le réformateur religieux Luther exposait les fondements du protestantisme.

Enfin, il nous faut aussi je pense prendre en considération la théorie de la singularité technologique. Cette théorie postule qu’à partir d'un certain point de son évolution technologique, la civilisation humaine connaîtra une croissance technologique d’un ordre supérieur, appelé "singularité", et tel que nous ne pouvons, nous autres, hommes et femmes d’avant la Singularité, l’imaginer.

Si nous représentons graphiquement les évolutions technologiques de l’humanité l’accélération est indéniable. C’est sur cette observation et ses projections dans le temps que se fondent les théoriciens du transhumanisme pour annoncer une ère nouvelle.
Pour certains futurologues le point de bascule dans la "singularité" adviendrait durant la troisième décennie du 21e siècle, soit entre les années 2030 et 2039.
Il se pourrait donc qu’en 2042 nous ayons déjà basculé dans cet autre monde.

Quid alors de la bibliothèque dans ce nouveau monde des post-e-incunables, voire de la singularité ?
 
Le plus souvent, et cela est hautement symptomatique, la science-fiction et les scénarios de jeux vidéo présentent régulièrement des bibliothèques, mais avec des personnalités caricaturales de bibliothécaires venues jusqu’à nous par les mauvais souvenirs de plusieurs générations d’écoliers des siècles précédents. Ces bibliothécaires sont de pâles fonctionnaires ou des vieilles filles, et dans les deux cas ils ne sont guère aimables.

Si les bibliothécaires veulent survivre au 21e siècle, ils doivent viser l’objectif d’apparaître un jour dans les jeux vidéos et les films de science-fiction, comme des magiciens ou des aventuriers du savoir, les gardiens de la Tradition, des détenteurs de secrets…
Devenir des créatures intelligentes et parfois hybrides, des cyber-créatures augmentées et armées intellectuellement pour maîtriser les guérillas d’une vie ultra-technicisée au sein de laquelle la survie nécessitera de disposer de la bonne information juste au bon moment.
Vous avez disons… 18 ans, le temps d’atteindre l’an 2030 et la bascule dans l’ère de la Singularité, 18 ans, le temps que nous donnons chez nous à l'individu pour passer du stade de nourrisson à celui d’adulte, vous avez 18 ans pour devenir ces guerriers, ces guerrières du savoir. Après ce sera trop tard.

Comme l’école et l’université, les bibliothèques vont de plus en plus voir débouler une génération bardée de dispositifs de communication que, pour la plupart d’entre nous, nous avons déjà du mal à maîtriser.

Lorsqu’en 2008, suite à la sortie de la deuxième édition de mon livre Gutenberg 2.0, le futur du livre j’annonçai dans des conférences à certains de vos collègues en France, en Belgique, en Suisse Romande, l’apparition prochaine de bibliothèques sans livres, comprenons sans livres imprimés, ils me regardèrent comme si j’étais un fou.
En août 2010 la bibliothèque universitaire d'ingénierie de Stanford, en septembre 2010 la bibliothèque de l’UTSA - Université du Texas San Antonio, en janvier 2012 la bibliothèque du Wellington College de Berkshire, en Angleterre, ont ouvert leurs portes. Ce sont des bibliothèques sans livres imprimés.
Et durant l’été 2011 la nouvelle bibliothèque de Birmingham a d’abord ouvert ses portes sur l’univers digital de Second Life [cf. illustrations], plusieurs années avant d’ouvrir dans la réalité. Il s’agit pour les personnels de pouvoir tester sur le web 3D leur futur environnement, mais nous savons bien par ailleurs qu’il existe maintenant de plus en plus de bibliothèques en ligne qui n’ont pas d’existence matérielle sur le territoire.

Alors que vais-je vous annoncer aujourd’hui pour 2042, qui se réalisera ?
Dans trente ans nous serons en 2042, mais il y a trente ans nous étions en 1982.
 
1982, vous vous souvenez ? Nous n’avions chez nous ni ordinateur, ni smartphone dans nos poches, ni tablette tactile multimédia, ni GPS dans la voiture, etc. Nous ne pensions pas que nos ancêtres de l’Antiquité avaient dû un jour abandonner les rouleaux pour passer aux livres reliés et nous ne nous posions même pas la question d’un après le livre imprimé. Aucune des deux grandes entreprises planétaires qui aujourd’hui impactent le livre et sa diffusion n’existaient en 1982 : Amazon a été créée en 1994, Google en 1998. Apple, créée en 1976, existait donc depuis juste 6 ans, mais qui parmi nous aurait imaginé alors avoir aujourd’hui un iPhone dans sa poche et pour certains un iPad dans leur sacoche. Voyez comme en seulement trente ans les choses changent !

Ainsi, dans trente ans, en 2042, aurons-nous poursuivi sur l’actuel paradigme dominant de l’information et d’une économie de l’attention, ou bien serons-nous passés à une autre étape de l’évolution de l’humanité ?
Ce qui est certain, aujourd’hui, face à la technologisation croissante des processus de communication, de fabrication et d’accès à l’information et aux savoirs, c’est que la bibliothèque, comme espace, doit inscrire son destin dans une perspective évolutionniste.

En 2042 vous ne pourrez plus considérer les usagers comme des usagers, mais comme des "cherchants", voire comme des chercheurs à part entière.
Le bibliothécaire devra être ce sachant un peu magicien qu’il était peut-être dans l’Antiquité.

Alors que seront les bibliothèques en 2042 ?
Je ferais deux hypothèses.
Une hypothèse basse : les bibliothèques seront enfin véritablement des médiathèques, au sens le plus plein, le plus téméraire du terme.
Une hypothèse plus ambitieuse : les bibliothèques seront des espaces privilégiés pour l’auto-formation et l’information de tous à l’exercice d’une gouvernance citoyenne totale et éclairée, des zones franches pour l’accès libre aux savoirs de l’humanité.
 
En 2042 j’aurai 82 ans.
J’espère pouvoir relire alors ce texte dont je viens de vous donner lecture.
Ce sera, je n’en doute pas, une belle leçon de vie.
Je fréquenterai toujours les bibliothèques et peut-être même, voyez-vous, serais-je alors bibliothécaire.
Alors, si vous le voulez bien : revoyons-nous en 2042."

Illustrations : Nouvelle bibliothèque de Birmingham (Angleterre) dans Second Life.

dimanche 1 avril 2012

Semaine 13/52 : Troubles à l’ordre public Bd St-Germain

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 13/52.

Quand le 19ème revient hanter mes nuits
  
L’événement marquant de cette semaine, je m’en excuse, est un rêve. Un rêve qui m’a réveillé dans la nuit de mercredi à jeudi.
Difficile de raconter un rêve.
La trame nous échappe, les images s‘estompent, le sens, lui, a déjà disparu. Il ne reste que l’impression - intéressant ici ce terme "impression", n’est-ce pas ?
Une impression sur la surface la plus sensible peut-être de notre conscience, puisque nous dormions, puisque je dormais.
Si je tente aujourd’hui de traduire l’impression laissée par ce rêve, je parlerais d’un sentiment de foule.
Je suis dans une foule. Je ne vois que des dos, des épaules, des nuques. Entre, au-delà, d’autres nuques, d’autres épaules. Il y a un lent mouvement de tangage. Une poussée, faible mais continue. Tout cela comme au ralenti. Un peu étouffant. A posteriori je ne me souviens pas d’un avant cette scène et je la vois en noir et blanc, un peu saccadée peut-être, comme une scène d’un vieux film. Il y a là quelque chose de vaguement révolutionnaire, d’insurrectionnel. Sans doute en écho aux pulsations de mon propre cœur on frappe des coups sourds. Oui devant moi la foule frappe des coups sur une porte close. Ce doit être, j’imagine, une solide porte en bois et verrouillée. Je ne le vois pas directement, mais j’ai la nette impression que cette foule frappe des poings contre cette porte. Et là, vous allez rire, j’ai l’impression de réaliser que nous sommes Boulevard Saint-Germain et que la porte est celle du syndicat national de l’édition. Stupide !
 
Nous avons je pense tous vécu parfois cette expérience d’une certaine distanciation dans nos rêves, l’étrange impression d’être à la fois endormis en train de rêver, et, en même temps, d’avoir une certaine distance, de garder un regard, un esprit critique.
 
C’est ce qui m’arriva. Dans l’éclair d’une milliseconde peut-être, je m’amusai tant du ridicule de cette scène, que je faillis me réveiller, mais c’est alors qu’une voix grave dans mon dos prononça ces mots étranges : CERCLE DE LA LIBRAIRIE. Oui, comme cela, mais tel que j’eus l’impression qu’une personne réelle les avait prononcés juste derrière moi dans la pièce dans laquelle je dormais.
Je me réveillai aussitôt en sursaut, oppressé, au bord de la panique. 
 
Ce rêve étrange a sans doute été dicté à mon inconscient par les tensions et les frustrations qui agitent de plus en plus ouvertement le petit monde du livre et de son marché.
Le livre n’est plus le ferment qu’il était, sonné depuis des décennies par l’assommoir de la télévision et maintenant face à la technologisation massive des moyens de communication, d’information et de loisirs - quand les trois ne sont pas confondus, et qui se retrouve enchainée dans une économie de l’attention où l’internaute aujourd’hui, le lecteur bientôt, sont des marchandises humaines (Quand vous ne voyez [payez] pas le service, c’est que vous êtes le produit ! ).
 
Si ce rêve étrange ne présentait pas les éléments d’un cauchemar, il m’en a laissé le goût au réveil subit qu’il provoqua, au cœur de la nuit dans un clapier d’une banlieue pauvre. Et plus loin dans la nuit, lorsqu’enfin je m’étais rendormi, la voix dans mon dos a encore parlé, mais plus doucement : « Mais qui sont ces gens ? », m’a-t-elle demandé.

Ceux qui font tourner les manèges

Qui sont ces gens ? Le Cercle de la librairie, fondé au 19e siècle, est une instance peu connue des auteurs et des lecteurs et elle joue cependant un rôle, sinon LE rôle, crucial dans le marché du livre. A l’origine syndicat patronal français des industries du livre et longtemps au 117 boulevard Saint-Germain, l’organisation a engendré directement ou indirectement un véritable maillage d’associations et de syndicats professionnels et interprofessionnels. Présidé depuis 2003 par Denis Mollat Le Cercle de la librairie a deux filiales : une Société immobilière Grégoire-de-Tours qui gère ses actifs immobiliers, et Électre SA, qui contrôle la base de données bibliographiques Électre, le magazine professionnel hebdomadaire en position de monopole Livres Hebdo, et les éditions professionnelles : les Éditions du Cercle de la librairie.
Le Syndicat national de l’édition (SNE), 115 boulevard Saint-Germain, et qui contrôle notamment l’Asfored (centre de formation et d’expertise pour les métiers de l’édition, de la presse et de la communication) et l’organisation du Salon du livre de Paris, fut quant à lui présidé pendant presque vingt ans (de 1991 à 2010), soit une génération entière, par Serge Eyrolles, PDG du Groupe Eyrolles au 61 boulevard Saint-Germain.
Pas de commentaires. Cela dit tout de la gouvernance de cette organisation et rend indéniable la responsabilité de ce monsieur sur la préparation des éditeurs français à s’adapter au 21e siècle.

Durant ces dernières décennies l’interprofession française du livre imprimé n’a pas été préparée à cette guerre de l’ombre : « la guerre des éditeurs contre Amazon [entre autres !] dont nous parlait cette semaine Pierre Assouline. Au Salon [du livre 2012], l’écho renvoyait leur doute existentiel. Ils n’ont guère de visibilité et se sentent chroniquement mal aimés, mais leur souci est cette fois justifié. La plus grande librairie en ligne du monde tenait boutique pour la première fois. Mais si elle suscite et effroi et consternation dans les rangs des éditeurs français rencontrés dans les travées, à commencer par les plus importants, si elle n’est pas seulement dénoncée comme l’ennemi public No1 mais bien comme le diable évidemment, c’est parce qu’Amazon s’apprête à devenir elle-même éditeur. Un grand parmi les grands. Qui se fiche bien de se voir reprocher d’être dès lors en concurrence avec ses fournisseurs et qui agira, comme Google et Apple, avec les méthodes toutes de cynisme et de pragmatisme qu’on leur connaît. Inutile de préciser qu’à leurs yeux la notion même d’exception culturelle est une vue de l’esprit. Un machin typiquement français inventé par des socialistes à seule fin de freiner la libre concurrence. » (Lire le post Une histoire de pliants, du 30 mars de Pierre Assouline sur son blog La république des livres). 
Siècle après siècle sommes-nous condamnés à revivre éternellement les Illusions perdues de Balzac ? 
  
« Personne sur le boulevard Saint-Germain ; rue Danton personne. », écrivit Jean-Paul Sartre dans La mort dans l’âme. Comme cette phrase sonne juste. « Personne sur le boulevard Saint-Germain ; rue Danton personne. Les rideaux de fer n’étaient même pas baissés, les vitrines étincelaient : simplement ils avaient ôté le loquet de la porte en s’en allant. C’était dimanche. Depuis trois jours c’était dimanche… »
Si un jour je me donne la mort ce sera à Saint-Germain-des-Prés.
Mais face au plus de monde possible et de façon spectaculaire.
   
Illustrations : photos Association Artegraf, Salon du livre Paris 2007, mon ouvrage "Gutenberg 2.0, le futur du livre" sur la tablette Iliad de feu l’entreprise iRex Technologies, et sur la presse de Balzac elle-même adaptée du modèle de celle de Gutenberg.
Grâce à l’éditeur Malo Girod de l’Ain mon livre fut en 2007 le premier ouvrage à traiter de la technologie de l’encre électronique et le premier livre français à être porté sur une tablette de lecture e-paper. C’était il y a cinq ans déjà.

jeudi 29 mars 2012

La route du papier et le déclin de l'imprimerie

J'ai eu l'occasion hier soir à l'invitation de Culture Papier d'entendre à l'École des Gobelins Erik Orsenna présenter son troisième "Petit précis de mondialisation" : Sur la route du papier.
    
La veille au soir j'avais achevé sa lecture, une lecture qui avait été agréable, le style aide beaucoup, l'élégance du ton fait passer bien des choses.
  

Nonobstant, en filigrane de ces pages, la question se pose malgré tout : ne s'agit-il pas là au fond d'un enterrement de première classe pour le papier dit "graphique" (imprimé), pour le papier comme support de lecture, par celui qui fut il n'y a pas si longtemps un pionnier français de la lecture sur support électronique (avec Cytale...).
  
Quoi qu'il en soit en réalité ce n'est pas là ce que je regrette pour ma part de ne pas avoir trouvé sur cette route du papier.
J'aurais aimé pouvoir y emprunter quelques sentiers, quelques chemins de traverse dans l'histoire du livre et de la lecture.
Le papyrus par exemple? Ce n'est pas véritablement du papier, mais par son processus de fabrication qu'explique clairement Erik Orsenna l'appartenance ou la non-appartenance à la lignée du/des papier(s) n'est pas si claire que cela. Si l'imbrication par martelage des fibres des tiges de papyrus abondamment humidifiées ne donne pas véritablement une pâte à papier, nous n'en sommes pas très éloignés et la parenté avec le papier me semble plus proche que celle du parchemin.
Et c'est sur le parchemin précisément, en tant qu'erreur industrielle qui aurait retardé de plusieurs siècles l'émergence de l'imprimerie en Europe, qu'il faudrait je pense s'interroger davantage aujourd'hui, notamment afin de déterminer dans quelle mesure, parallèlement à l'évolution des technologies d'affichage sur écrans (je pense par exemple aux tablettes tactiles multimédia), le papier dit électronique (e-paper ou papiel) ne serait pas, malgré la différence de process industriel, une voie adjacente au papier graphique pour accompagner les nouvelles pratiques de lecture ? 
L'appropriation du papiel par des artistes témoigne je pense de sa parenté, d'une certaine parenté, avec le papier (voir les illustrations ci-dessous).  
  
Le déclin de l'imprimerie
    
Il ressort incontestablement du livre d'Erik Orsenna que le papier, en tant que matière première, est encore dans sa phase de croissance. Je partage pleinement cet avis. Le papier va poursuivre sa route, et le livre la sienne.
Mais si je conseille la lecture de ce "Petit précis de mondialisation", je conseillerais de l'augmenter de quelques points de vue, tout aussi récents et parfois un peu moins policés, comme par exemple : Comment ralentir le déclin de l'imprimerie ? ("Chaque industrie connaît un modèle de cycle de vie qui commence par une phase d’émergence, suivie d’une phase de croissance puis de maturité avant de finir ou de « mourir » après une phase de déclin plus ou moins longue. L’industrie graphique n’échappe pas à ce modèle.") par Yves de Ternay, et, Le numérique tue les usines à papier (enfin) par François Bon ("Qui d’entre nous pour nier que les arbres repoussent, et non point les iPad ? Qui d’entre nous pour ne pas réfléchir en permanence à ce fait grave d’une consommation effrénée des ressources les plus précieuses, et ce qu’on en inclut dans nos micro-processeurs et nos écrans de plastique ?").
N'hésitez pas à signaler en commentaires les autres points de vue ou apports qui vous sembleraient (im)pertinents.
     
Illustrations de gauche à droite : oeuvres sur papiel des artistes Nora Boudjemaï et Gilles Guias.
  
Lire aussi sur ce sujet : Encre électronique à Drawing Now Paris ("Marie Denis, artiste plasticienne passionnée par le papier, ne s'y est pas trompée. Elle propose de visiter ce nouveau support étonnant, avec une œuvre expérimentale à base d'encre électronique, présentée pour la première fois à Drawing Now Paris par la Galerie Alberta Pane, du 29 mars au 1er avril au Carrousel du Louvre.").
  

lundi 26 mars 2012

C'est quoi MétaLectures ?

J'ai eu le plaisir de pouvoir répondre assez précisément à cette question à l'occasion d'un entretien pour le blog de La Cantine numérique rennaise.
    
" Qu’est-ce que MétaLectures et que va t-elle proposer ?
MétaLectures est une île virtuelle sur le web 3D, facilement accessible depuis n’importe quel ordinateur connecté. Il s’agit d’une initiative qui a pour vocation de faire connaitre ce type d’environnement aux acteurs de l’interprofession du livre, au sens large (les enseignants et les professeurs documentalistes, des auteurs peuvent également être concernés), et d’évaluer ainsi leurs réactions et leurs attentes.
Pour l’instant MétaLectures a surtout proposé des conférences sur des thèmes et avec des intervenants apportant un éclairage original aux problématiques liées aux rapports entre la lecture et l’imaginaire. Nous avons par exemple accueilli Anne Astier, Yann Minh, Vincent Mignerot, et prochainement sans doute Karen Guillorel et Patrick Moya…
[...] Avec MétaLectures je ne viens pas avec des idées toutes faites et des solutions clés en main. C’est une sorte d’incubateur pour réfléchir tous ensemble à l’évolution du web et à l’évolution de la lecture. Les deux sont sans doute liées…
  
Pourquoi avoir créé cette plateforme dans les mondes virtuels ?
Justement parce que le web va passer à la 3D dans les années à venir et que ce type de plateforme, [...] pourrait un jour prendre la relève des réseaux sociaux 2D, tels Facebook ou Twitter pour ne citer que les plus connus, et qui ne permettent pas la même profondeur d’échanges entre internautes.
De plus, le monde du livre et de la lecture est en train de basculer de l’imprimé au numérique. C’est sur quoi je travaille depuis plusieurs années en tant que prospectiviste.
[...] Proposer aujourd’hui en 2012 cette plateforme sur un monde virtuel open source c’est, d’une part, inviter les internautes intéressés par l’évolution du livre et de la lecture à découvrir et à expérimenter ces nouveaux territoires digitaux, d’autre part, c’est explorer de nouvelles pistes pour le livre du 21e siècle. Avec la réalité augmentée, la géolocalisation, les jeux sérieux et les jeux en réalités alternées, de nouvelles expériences narratives vont prendre forme. Les supports de lecture ont toujours influencé les contenus. Le roman est né aussi grâce au dispositif du codex [...]. Avec de nouvelles interfaces de lecture connectée la fiction immersive pourrait être demain un nouveau genre littéraire.
  
Qu’est-ce que les mondes virtuels peuvent apporter de plus et/ou de nouveau au livre et à la lecture numérique ?
Il faut entendre par “virtuel” : qui “existe en puissance”, potentiellement. [...] C’est “un autre lieu” de rencontres et d’échanges, c’est au fond autre chose que le web.
Pour le livre et la lecture, [...] nous pouvons imaginer la conception de nouveaux environnements de lecture. Un exemple ? Jenny Bihouise, qui développe par ailleurs sur Francogrid le programme Ma Mairie en 3D a conçu pour MétaLectures un premier prototype : votre avatar est devant un album illustré, il le feuillette et si vous cliquez sur une scène du livre il se retrouve téléporté dans la scène en 3D. Il n’est plus devant l’image il est dedans, peut s’y déplacer etc. Pour l’heure ce n’est qu’un prototype volontairement limité pour la démonstration mais cela peut ouvrir des perspectives, non ?
  
Je souhaite assister à un évènement proposé par MétaLectures, comment faire ?
C’est simple. Créer un compte gratuit sur le site de
Francogrid puis télécharger un logiciel, gratuit lui aussi, pour pouvoir visionner le monde 3D, vous y déplacer via un avatar personnalisé et échanger avec les autres. Pour se connecter spécifiquement à MétaLectures la procédure est détaillée sur le blog dédié. Cela donne également et librement accès à l’ensemble des projets culturels soutenus par l’association Francogrid et permet de pouvoir découvrir des dizaines d’autres environnements 3D depuis son ordinateur."