mardi 18 septembre 2012

La gratuité du livre numérique vous faisait peur ?

 
Un signal faible auquel nous devrions je pense être attentif dans le contexte de crise économique que nous traversons, et qui est probablement appelée à durer encore quelques années, voire à sérieusement s'aggraver, est le développement de pratiques non-marchandes.
De plus en plus fréquemment j'en observe dans le domaine du livre.
 
Et, asseyez-vous, c'est par le livre imprimé en fait que le phénomène prend de l'ampleur.
Depuis déjà plusieurs années la pratique du bookcrossing ou passe-livres est internationalement répandue, et, en France, bien plus que nous pouvons le supposer.
Autre pratique similaire qui se développe internationalement et qui a eu davantage d'échos : celle des bibliothèques spontanées, issues du mouvement des Little free libraries qui serait parti en 2010 du Wisconsin, avant de gagner la planète entière.

D'autres initiatives se multiplient : par exemple, Circul'Livre, particulièrement actif à Paris, mais aussi dans d'autres villes françaises.
Ou encore, je peux en témoigner, les actions spontanées de lecteurs qui abandonnent volontairement des livres sur les bancs publics, dans le métro, sur les rebords des fenêtres...

La photographie illustrant ce post a été prise le 30 août 2012 par Cathy Legendre, boulevard Saint-Michel à Paris. Il s'agissait d'une petite bibliothèque libre. Émouvant, je vous le dis.
Vivant à Paris je pourrais aujourd'hui facilement lire plusieurs livres par semaine et ce sans débourser un centime ni mettre les pieds dans une bibliothèque publique, ni bien sûr une librairie. Vous le pourriez aussi peut-être.
 
Un seuil semble franchi avec l'organisation croissante de telles pratiques non-marchandes, comme le démontre très concrètement un site web tel que BigLib, qui se présente comme : un "site de consommation collaborative qui permet à chacun de donner les livres dont il n'a plus besoin et de recevoir ceux qu'il désire lire. Le site est entièrement gratuit et sans obligation : vous n'avez pas obligation de donner pour recevoir et vice-versa.".
De quoi ces différents mouvements sont-ils le symptôme ?
De la montée en puissance d'une consommation collaborative, mouvement déjà bien repéré et identifié, qui utilise les nouveaux moyens de communication et ne se développe pas seulement dans le domaine du livre ou des biens culturels.
 
Quand les lecteurs entrent en résistance
 
Tout semble se passer comme si les lecteurs, formés aux usages et à la philosophie, à l'esprit du web 2.0 et, soit par déception du caractère "virtuel" des échanges, soit, par enthousiasme et pour développer IRL (in real life) ces pratiques nouvelles, détournaient certains outils mais surtout certains usages pour les appliquer dans "la vraie vie".
Plusieurs causes peuvent également expliquer en partie le phénomène. Les livres numériques présentent le plus souvent un différentiel de prix, par rapport à leurs homologues imprimés, qui n'apparaît pas suffisamment significatif aux lecteurs, qui sont également des consommateurs, soumis à la crise et à des priorités budgétaires dans leurs foyers.
De plus, les nouveaux dispositifs de lecture restent chers pour beaucoup, avec une forte obsolescence programmée qui ne trompe plus personne et est, je pense, de plus en plus contre productive en termes d'image de marque pour les fabricants.
Des lecteurs craignent, avec les tablettes et les liseuses, de se faire piéger comme ils l'ont été avec la téléphonie mobile.
De plus des difficultés liées aux DRM et qui rappellent les débuts des CD de musique en détournent quelques-uns. Certains ouvrages numérisés présentent, il faut le reconnaitre, des défauts rédhibitoires de "mise en page".
Tous les lecteurs ne sont pas forcément à l'aise pour "faire sauter les DRM" d'un fichier ou en changer le format, tous ne sont pas forcément informés des "bonnes adresses en ligne" et des nombreuses ressources libres disponibles sur le web, peu sont réellement formés à la recherche sur internet...
Par ailleurs les lecteurs sont moins attachés à la propriété matérielle de leurs livres dans des logements où le manque de place est un handicap.
 
Parallèlement il ne faudrait pas négliger je pense la part, difficilement quantifiable mais probablement de plus en plus importante, des téléchargements de fichiers gratuits de livres numérisés, soit en toute légalité du domaine public, sur des sites de qualité comme, par exemple, e-books libres et gratuits, ou parfois en piratage, via la Team Alexandriz par exemple. 
 
Il n'y a pas que les technologies qui évoluent. Les hommes et les femmes aussi.
Les mentalités changent.
Les lecteurs considèrent de plus en plus les livres comme un bien commun.
Les professionnels, tant de l'édition imprimée que numérique, devraient en tenir compte pour mettre en place de nouveaux modèles économiques.
Ce développement d'échanges non-marchands des livres n'est peut-être que l'expression grandissante d'une vague de fond, celle des biens communs de la connaissance, en témoignent le lancement récent du Manifeste de SavoirsCom1 ou du Réseau francophone des biens communs.
 
Ainsi, c'est par le livre imprimé que la gratuité pourrait sérieusement impacter le marché du livre, et d'abord celui du livre de poche, mais pas seulement (la photo en illustration en témoigne).
Malgré le battage médiatique nous voyons bien ces dernières semaines que la fameuse "rentrée littéraire" prend de moins en moins dans la société. Bientôt pour vendre des livres, imprimés ou numériques, il faudra faire preuve d'une véritable originalité et d'un véritable talent ; l'adéquation avec les attentes des lecteurs et l'innovation seront de plus en plus le facteur déterminant pour déclencher l'acte d'achat, alors que des millions de livres, dont de véritables chefs-d'oeuvre parmi eux, seront disponibles partout gratuitement. 
 
[Illustration : photo DR Cathy Legendre]
 

2 commentaires:

  1. Oui, il est logique que certains diminuent leur budget livre comme on diminue son budget voiture ou restaurant ou cinéma.
    Se méfier des effets conjoncture et des tendances de fond.

    Oui, ma femme et moi, donnons ou laissons nos livres dans des endroits où ils ont une chance de trouver un lecteur. Voir le Fumoir, face à la colonnade du Louvre. Livres qui une fois lus, seraient un encombrement dans notre appartement parisien. Pas tous car il y en a, que, au moins pour une certaine période, nous tenons à garder sous la main ou en vitrine.
    Ce qui n'est pas possible avec les e-books. Donc leur coût par lecteur est nettement plus élevé. Ce qui devient énervant, en plus du risque technique. Le reader logiciel Kindle d'Amazon, installable sur tout device, et le stockage de vos droits d'accès dans le Cloud est une solution qui rassure un peu et aide à compenser le format fermé.

    Il faut un autre business model: le temps effectif de lecture par le lecteur, chaque lecteur, avec possibilité de passer le e-book avec un crédit de minutes.
    Sachant que l'intérêt de l'éditeur et de l'auteur est que l'on puisse, comme dans une librairie, explorer le livre qq minutes, avant de commencer à payer.
    Si le livre X n'attire pas M.Y c'est une information de valeur:-)
    Aux États-Unis avec les saute pubs télé, les publicitaires exploitent l'info de non visionage ou de saut au bout de 1% à moins de 100% de la pub ...
    Pour vendre plus de lecture (en Chiffre d'Affaires), alors qu'elle stagne, il faut augmenter la possibilité d'avoir envie.
    Je ne connais pas d'humain qu'un certain texte sur un certain sujet ne va pas accrocher.
    Harry Potter en a été une belle démo : des non lecteurs se sont mis à les dévorer ...

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