Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque
semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente,
dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du
livre et de l’édition.
Ce post est donc le 44/52.
Comme j’ai dans cette chronique même et à plusieurs reprises
noté les connotations liquides des métaphores qui s’attachent à traduire
l’extension pervasive
du numérique, sur ce que nous pensions limité (notre environnement matériel,
physique), je dirais qu’il s’agit aujourd’hui d’une chronique à marée basse.
C’est la première fois depuis quarante quatre semaines, la
première fois depuis le début de cette année 2012, que l’océan des mots se
retire.
Qu’ai-je à dire d’important ?
Je me redécouvre simplement lecteur.
Des lecteurs dé-livrés ?
Un récent commentaire sur mon blog se finissait ainsi :
« Documentaliste en lycée, j'assiste à des stratégies d'évitement des
lectures qui me laissent songeuse... ».
Quelles stratégies d’évitement suis-je à mon insu en train
d’exécuter dans cet opus ?
Il nous faudrait je pense faire la part des choses entre les
nouveaux dispositifs et les nouvelles interfaces de lecture qui permettent de
contourner et d'annihiler en partie ces stratégies d'évitement de la lecture,
et celles et ceux qui n’en sont que des avatars technicisés.
Les jeunes sont-ils des « déclencheurs d’usage »,
comme je l’ai entendu affirmer cette semaine au cours des « Rencontres
Médiation et numérique dans les équipements culturels » organisées par le ministère de la culture et de la communication, ou bien les
passeurs insoupçonnés de certaines valeurs autour desquels leur jeunesse s’est
cristallisée ?
Je ne pense pas que l’on puisse réduire des milliers de
personnalités individuelles à une catégorie sociale uniforme.
Nous ne sommes pas des adresses IP, nous ne sommes pas des
numéros. Suis-je programmé ?
Ce que j’observe à mon niveau personnel, auprès des
étudiants avec lesquels je suis en contact, dans les quelques cours que je donne, dans les transports en commun, les
jardins publics, les rues et les cafés, c’est une jeunesse attachée au livre
imprimé.
Il y a là sans doute une difficulté d’ordre générationnel et
qui fausse ma perception, brouille ma compréhension, mon interprétation
forcément subjective de ce qu’ils me disent et de ce qu’ils ne me disent pas.
Ce qu’il faudrait pouvoir faire serait de repérer les nouvelles médiations
culturelles qui apparaissent au sein des populations jeunes, la formation et le
cycle de vie des nouveaux leviers de transmission qui agissent sur elles, comme
jadis l’imprimerie naissante agit sur des générations de lecteurs.
De nouvelles tactiques de lecture se déploient dans
l’hypermédia.
Malgré mon expérience de plusieurs années dans le Métavers
je reste étranger aux mondes spécifiques des jeux massivement multijoueurs en
ligne, dont certains sont certainement les équivalents modernes de grands
romans russes au cœur desquels les lecteurs ont cette chance miraculeuse de
pouvoir devenir des personnages à part entière.
De plus en plus de membres de notre tribu s’érigent comme lecteurs
dé-livrés des livres. En se déliant ainsi je crois bien qu’ils se rattachent fondamentalement à l’aventure
de l’espèce humaine.
Le nouveau rapport au texte qui s’instaure induit un nouveau
système de pensée.
Les pouvoirs de l’écrit se fissurent.
Les pouvoirs de l’écrit se fissurent.
L’eau s’infiltre.
L’image des vastes palais, des civilisations englouties,
resurgit en nous.
Son reflet danse autant dans les vraies que dans les fausses
photographies de l'ouragan Sandy.
Un destin d’Atlantide.
Les plus grands empires ont une fin.
La nôtre approche.
En cette période d’e-incunables, en plus de la prise de
conscience de la part d’imprédictible sur l’avenir et de notre part d’ignorance
vis-à-vis du passé, deux nécessités que je pointais ici même récemment, et
comme j’en appelais également à une prise de conscience renouvelée du caractère
intemporel du livre, il serait de notre devoir de démasquer sous leurs
multiples facettes les stratégies d’évitement qui nous animent.
Qu’est-ce qui m’anime ici même depuis des mois dans ces
confessions déguisées ?
Le simple mystère de devenir sans cesse lecteur ?
Le simple mystère de devenir sans cesse lecteur ?
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