Au mois de juin j’ai eu l’occasion dans le cadre de
mon activité de veille d’assister à plusieurs manifestations qui ont pu nourrir
ma réflexion.
Les principales étaient :
— Le Colloque Sciences&Fictions
à la Gaîté Lyrique, avec le soutien du Labex Arts H2H (Laboratoire d’excellence des Arts et Médiations humaines de l’Université Paris
8), avec comme participants Manuela de BARROS (Philosophe et théoricienne des
arts), Pierre CASSOU-NOGUES (Philosophe et agrégé de mathématiques), Stéphane
DEGOUTIN (Artiste et théoricien des médias), Ludovic DUCHATEAU (Artiste),
Jean-Noel LAFARGUE (Ecrivain et bloggeur, expert en technologies) et Gwenola
WAGON (Artiste et chercheuse), et dont l’objectif était d’explorer :
« les liens complexes
qu’entretiennent les sciences, en tant que créatrices de formes et de mondes,
avec la fiction, et les projections imaginaires qu’elles suscitent dans l’art
et la littérature, qui elles-mêmes font retour dans le monde scientifique »,
ce avec une extension sous la forme d’une exposition collective à la Galerie de Roussan (10, rue Jouye-Rouve à Paris).
— Les rencontres du Labo BnF, dont deux
s’intéressèrent aux robots, à la robotique et à l’intelligence artificielle, mais
durant lesquelles, étrangement et malheureusement, il ne fut guère question ni
de livres ni de lecture ( ?).
— Le vernissage à la SCAM (Société civile des auteurs
multimédias) de l’œuvre de l’artiste “plasticienne laborantine” Catherine Nyeki : Mimetika (Prix nouvelles écritures 2011).
— La soutenance d’habilitation à diriger des
recherches d’Alexandra Saemmer (enseignante-chercheur à l'Université Paris 8) sur
le thème : "Pour une rhétorique de la réception du texte
numérique".
— Le Forum Changer d’ère du 05 juin 2013 à la Cité
des Sciences et de l’Industrie (Paris) qui ambitionne de s’inscrire dans le
sillage du Groupe des Dix.
— Les journées Futur en Seine au CentQuatre…
— Enfin, le cycle « Histoire(s) de livre »
à la Bibliothèque de l’Arsenal.
La voie du
rêve…
Tout cela pourrait se résumer en une seule
phrase : il nous faut déglacer notre rapport à la lecture sans surévaluer
le numérique.
Et se décliner ainsi, sous la forme d’une liste de
pistes et d’interrogations aux carrefours :
— Quel devenir pour les mots, le langage
alphabétique, versus les codes numériques, la contamination
algorithmique ? Une ère post-alphabétique, logiquement probable, est-elle
imaginable pour nous ?
— Les livres communicants et intelligents, dotés potentiellement
d’une “couche” d’intelligence artificielle, pourront être des organes exogènes.
Pourront-ils être des satellites cérébraux ? Des moyens de transports au
sein des contrées non-matérielles de l’imaginaire, par exemple ?
De nouveaux dispositifs de lecture pourraient être
conçus comme des orthèses (appareils destinés à soutenir une fonction
déficiente) pour documenter nos environnements de plus en plus complexes.
— Si nous admettons l’hypothèse transhumaniste, des
lecteurs pourraient-ils coloniser des fictions ?
— Les nouveaux dispositifs de lecture qui pourraient
être mis au point au cours des prochaines décennies nécessiteront-ils une plus
grande coopération des lecteurs ? Je pense notamment à une “trêve
d’incrédulité” pour véritablement accepter de “vivre en fiction”, de vivre dans
une fiction (transmédia) comme s’il s’agissait d’une réalité (et si c’était
déjà plus ou moins le cas ?).
— Nous devrions éviter la conception de dispositifs
de lecture qui se défendraient des lecteurs et qui ne feraient que
s’entre-lire, s’actualiser et s’augmenter entre eux en évitant le rapport aux
scripteurs et aux lecteurs humains (problématique M2M)…
— Les brain-readers seront-ils les dispositifs de
lecture du troisième millénaire ? Lire les images mentales générées lors
de notre lecture (les processus hallucinogènes de la lecture immersive sont-ils
proches de ceux de l’activité onirique ?). Quelles passerelles entre les
images mentales et les images de synthèse ?
— Nous devrions aussi prendre garde aux dispositifs
qui lisent les lecteurs que nous sommes. (De qui, de quoi sommes-nous les
livres ?) (De plus en plus souvent j’entends parler de “lecteurs”, non
plus pour désigner des humains qui lisent, mais des machines à décoder ceci ou
cela !)
— Dans l’hypothèse d’une fin du monde terrestre des lecteurs
pourraient-ils émigrer dans un univers inter, ou trans, ou métafictionnel,
purement narratif ? Serait-ce alors la première fois ?
— Ne sommes-nous pas manipulés par, d’une part, le
fantôme du papier, d’autre part, le fantasme du numérique ? En quoi l’interface
du codex serait-elle indépassable ? Qu’allons-nous gagner et
qu’allons-nous perdre en articulant nos pratiques de lectures à de nouveaux
dispositifs ?
— Peut-on fonder la réflexion stratégique, la R&D
des nouveaux dispositifs de lecture sur la notion de page-écran ? Il sera
un jour aussi stupide de parler de l’une que de l’autre, tant ces interfaces
seront alors dépassées (question des brain-readers, des lunettes ou des
lentilles de réalité augmentée…).
— Quelle est déjà la part aujourd’hui dans nos pratiques
de lecture numérique de l’influence des lecteurs non-humains qui agissent sur
la diffusion des textes, leur circulation jusqu’à nous et leur
ordonnancement ?
— Les territoires numériques (digitaux, metaverse…)
sont-ils des “hors-soi”, ou, des “en-soi-écran” ?
— Passerons-nous simplement au cours du siècle de la
monotonie de l’imprimé à la saturation du numérique (big data) ?
— etc.
La fin du
rêve…
Il me revient d’abord en mémoire cette déclaration de
Geneviève Ferone au cours du Forum Changer d’ère : « Le premier qui bouge est dans une situation
sacrificielle. ».
Je constate ensuite que tant les recherches
littéraires au sens large, que les arts et notamment les arts numériques, sont
plus avancés que les productions éditoriales bridées par les objectifs et les
contraintes économiques.
L’interprofession du livre s’est au fil des siècles fortement
structurée autour du marché du livre, et non pas en système innovant au service
de l’étude de la lecture, son inscription et ses influences sur l’anthropocène.
Aujourd’hui la recherche et l’innovation au service
de la lecture viennent des neurobiologistes et des cogniticiens, des designers
et des artistes, de certains prospectivistes et de certains philosophes, de
pionniers des territoires digitaux, de certains auteurs et de certains
lecteurs. C’est pourquoi ma veille prend de plus en plus des chemins
buissonniers et fait un grand détour quand elle s’approche de
Saint-Germain-des-Prés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire