Avant un petit débriefing tout personnel, je tiens à remercier tout particulièrement Isabelle Le Bal, présidente et organisatrice du Salon, et Jeanlou Bourgeon, organisateur et agitateur d’idées des 3e Rencontres numér’ile, nouveaux univers des médias et des éditions en réseaux.
Amicales pensées également pour : Lise Hascoët (dont un dessin illustre ce post), à Gwenn Cathala des éditions Numerik:)ivres, ainsi qu’à Sophie Le Douarin-Deniel de bookBéo, Clément Monjou et Alexis Jaillet du blog eBouquin.fr, et enfin, tout particulièrement, pour Isabelle et Thierry Crouzet, Sara MC Doke et Yal Ayerdhal, avec lesquels j’ai pu échanger plus longuement sur les problématiques de l’édition contemporaine et numérique.
Conclusion ? Je suis rentré satisfait, mais inquiet.
Inquiet pour le livre et pour la lecture.
François Bon (lequel à mon avis devrait donner en spectacles ses passionnantes et passionnées lectures de Rabelais), a, évidemment, apporté de bien intéressantes contributions (sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants), mais nous pouvons regretter cependant qu’il ait été le seul représentant d’une maison d’édition numérique francophone (Publie.net), alors qu’avec la BD numérique nous pouvons en dénombrer une petite trentaine. Numerik:)ivres n’a pas été présent en tant qu’éditeur et les éditions Leezam, inscrites au programme, absentes.
Je regrette aussi les passages bien trop rapides de Michèle Drechsler et de Bruno Rives que j’ai à peine eu le temps de saluer ; ainsi que d’Arash Derambarsh des éditions du Cherche-Midi, et du digiborigène David Queffélec qui nous ont fait l’amitié de participer à ces deux débats, que je n’avais au fond pas besoin d’animer, tant ils l’étaient spontanément, avec « Des égos parfois surdimensionnés [qui] s’entrechoquent, se frottent, se télescopent » (dixit avec justesse Thierry Crouzet), et tant et si bien que je me suis ainsi réellement retrouvé au fond dans ce rôle énigmatique de “Grand Témoin” auquel m’avait assigné l’organisation.
De quoi peut témoigner un grand témoin ?
En exergue de mes propos je souhaiterais ici cette déclaration d’Albert Camus, et je profiterais de l’occasion pour signaler que ce gros livre imprimé (Albert Camus, une vie, par Olivier Todd, Folio, 1999, 1190 pages, et à ma connaissance inexistant en version numérique) que l’on voit à côté d’une tablette Kindle sur la photographie prise par Alexis Jaillet, est le livre que je lisais alors. J’ai dit.
Et voici donc ces mots de Camus, en écho à nos quelques échanges avec Thierry Crouzet notamment : « Si l’homme veut être reconnu, il lui faut dire simplement qui il est. S’il se tait ou s’il ment, il meurt seul, et tout autour de lui est voué au malheur. S’il dit vrai au contraire, il mourra sans doute, mais après avoir aidé les autres et lui-même à vivre. » (Page 484).
Alors qu’ai-je à dire de vrai ici ?
De ces journées ouessantines, il ressort pour moi, mais peut-être ne serait-ce qu’une impression engendrée par une insularité énigmatique, que l’édition numérique relèverait davantage, dans les esprits de beaucoup, du fantasme futuriste et communautaire, que des réalités économiques qui nous sont imposées par le marché et par les industries de l’électronique et du divertissemement.
Les effets mirages induits par le design d’une certaine marque notamment, et par les facilités que semblent apporter certaines nouvelles technologies, ou certains services qui leurs sont associés, leurrent, je pense, trompent, et nous font oublier les réalités humaines et socioéconomiques du passage de l’édition imprimée à une édition… numérique ?
Pour ma part l’édition numérique ne m’intéresse pas.
Ce qui m’intéresse c’est l’édition du 21e siècle, celle que nous laisserons en héritage à nos descendants du 22e siècle.
Débriefing : explication de titre
Ainsi, j’observe que progressivement, mais assez paradoxalement à la fois lentement et rapidement, selon les repères que l’on se propose, dans le décor de tous les jours s’installent, davantage que des outils nouveaux, de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine.
Et alors que je me faisais une joie de passer déconnecté ces quelques journées ouessantines, fort éloigné de mon ordinateur et de tous types d’écrans, j’ai, pratiquement en permanence, été encerclé d’iPhone, d’iPad et de Mac, le tout dans un bourdonnement de tweets incessant.
Mon objectif n’est pas ici de revenir d’autorité et après coup sur les échanges publics qui ont pu avoir lieu durant ces cinq jours, intéressants et enrichissants (intellectuellement j’entends) à plus d’un titre.
Les contributions pertinentes de François Bon, à la discussion du 20 août : “Ce qu’Internet change au récit du monde” (avec cette question essentielle qu'il pose : « Comment avancer dans l’imprédictible, sachant que cet imprédictible emporte avec lui […] une part radicale de ce qui nous définit comme culture, avec le rêve, l’imaginaire, la pensée réflexive ? »), et à celle du 22, “De l’auteur comme écosystème”, sont intégralement en ligne.
J’espère que sera mise également rapidement en ligne celle, toute aussi pertinente, du dimanche 22 août (sur le thème : Livre numérique et droits des auteurs), de Henry Le Bal.
Ces interventions ont pour moi le grand mérite de ne pas s’illusionner et de s’inscrire dans une transhistoricité qui, comme vous le savez peut-être, est une des perspectives essentielles de la prospective du livre et de l’édition (voir Le livre et la lecture au 21e siècle : des enjeux d’universalité).
N.B. : un site dédié à ces 3e Rencontres numér’ile et reprenant l’intégralité vidéo des échanges devrait être prochainement mis en ligne.
Dans quel état j’erre se dit le livre ;-)
L’empilement des versions (la troisième pour le Kindle d’Amazon) et des mises à jour informatiques, ne serait-il pas une version technolâtre des empilements de pierres, des empilements de tablettes, puis de pages, qui donnèrent naissance à l’interface des codices ?
Comme une auditrice des échanges d’Ouessant le rappelait, les réseaux épistolaires datent de plusieurs siècles.
Et à peine rentré de Bretagne je découvre que les SMS datent eux (au moins) du 19e siècle (Des SMS du XIXème siècle).
J’ai souvent souligné pour ma part que vers l’an 400, des moines avaient inventé… le Web 2.0, avec un système de “blogs” manuscrits qui permettaient à chacun d’écrire et de diffuser ses propres textes, commentés ensuite par des lecteurs, dont les commentaires pouvaient à leur tour être commentés.
Une pratique collaborative, à vocation universelle avec l’emploi du latin, qui permettait déjà d’amender, de modifier, de compléter, d’enrichir un texte tout en gardant traces des différentes versions et de l’exemplaire original (comme sur Wikipédia).
Ces moines ont été plus loin que les scribes fonctionnaires de l’Antiquité. Ils ont inauguré une gestion participative des textes, non plus dans la conversation ou le dialogue, mais, par écrit. Ils ont développé une gestion communautaire au fil de laquelle : l’auctor rédigeait ses propres idées, le compilator intervenait comme agrégateur (RSS), ajoutait au texte initial des compléments d’informations provenant d’autres sources, d’autres auteurs ; le commentator commentait, et certains commentaient les commentaires et commentaient les commentaires des commentaires et cetera, comme sur les blogs exactement ; tandis que le scriptor, jouait le rôle de Wikipédia en retranscrivant tout ceci : les différentes versions successives d’un texte original en perpétuelle construction. Le Web 2.0 sans informatique ni électricité ! En tous cas l’idée était là.
Comme l’idée de l’hypertexte était présente dans Le Diverse et artificiose machine, paru à Paris en 1588, ouvrage dans lequel l’ingénieur italien Agostino Ramelli représentait un astucieux système de deux grandes roues parallèles, reliées entre elles par une douzaine de lutrins, sur lesquels reposaient des livres ouverts : La Roue à Livres. Il suffisait qu’un lecteur s’asseye devant, lise et fasse tourner la roue, pour passer aisément d’un livre à l’autre.
Même ce sentiment d’infobésité (surinformation ou information overload) que nous ressentons parfois fut déjà décelé et explicité dès 1621 par le dénommé Robert Burton.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’ont rien inventé d’essentiel.
Elles ont seulement facilité certaines choses (voir illustration).
Et la question doit se poser de ce que ces facilités apparentes et monnayables charrient en termes d’addiction et d’asservissement.
En quoi nous sont-elles réellement utiles et en quoi ne servent-elles que de cheval de Troie à des régies publicitaires ?
Alors qu’ai-je à dire de vrai ici ?
Les effets mirages induits par le design d’une certaine marque notamment, et par les facilités que semblent apporter certaines nouvelles technologies, ou certains services qui leurs sont associés, leurrent, je pense, trompent, et nous font oublier les réalités humaines et socioéconomiques du passage de l’édition imprimée à une édition… numérique ?
Pour ma part l’édition numérique ne m’intéresse pas.
Ce qui m’intéresse c’est l’édition du 21e siècle, celle que nous laisserons en héritage à nos descendants du 22e siècle.
Ainsi, j’observe que progressivement, mais assez paradoxalement à la fois lentement et rapidement, selon les repères que l’on se propose, dans le décor de tous les jours s’installent, davantage que des outils nouveaux, de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine.
Et alors que je me faisais une joie de passer déconnecté ces quelques journées ouessantines, fort éloigné de mon ordinateur et de tous types d’écrans, j’ai, pratiquement en permanence, été encerclé d’iPhone, d’iPad et de Mac, le tout dans un bourdonnement de tweets incessant.
Les contributions pertinentes de François Bon, à la discussion du 20 août : “Ce qu’Internet change au récit du monde” (avec cette question essentielle qu'il pose : « Comment avancer dans l’imprédictible, sachant que cet imprédictible emporte avec lui […] une part radicale de ce qui nous définit comme culture, avec le rêve, l’imaginaire, la pensée réflexive ? »), et à celle du 22, “De l’auteur comme écosystème”, sont intégralement en ligne.
J’espère que sera mise également rapidement en ligne celle, toute aussi pertinente, du dimanche 22 août (sur le thème : Livre numérique et droits des auteurs), de Henry Le Bal.
Ces interventions ont pour moi le grand mérite de ne pas s’illusionner et de s’inscrire dans une transhistoricité qui, comme vous le savez peut-être, est une des perspectives essentielles de la prospective du livre et de l’édition (voir Le livre et la lecture au 21e siècle : des enjeux d’universalité).
N.B. : un site dédié à ces 3e Rencontres numér’ile et reprenant l’intégralité vidéo des échanges devrait être prochainement mis en ligne.
L’empilement des versions (la troisième pour le Kindle d’Amazon) et des mises à jour informatiques, ne serait-il pas une version technolâtre des empilements de pierres, des empilements de tablettes, puis de pages, qui donnèrent naissance à l’interface des codices ?
Comme une auditrice des échanges d’Ouessant le rappelait, les réseaux épistolaires datent de plusieurs siècles.
Et à peine rentré de Bretagne je découvre que les SMS datent eux (au moins) du 19e siècle (Des SMS du XIXème siècle).
Une pratique collaborative, à vocation universelle avec l’emploi du latin, qui permettait déjà d’amender, de modifier, de compléter, d’enrichir un texte tout en gardant traces des différentes versions et de l’exemplaire original (comme sur Wikipédia).
Ces moines ont été plus loin que les scribes fonctionnaires de l’Antiquité. Ils ont inauguré une gestion participative des textes, non plus dans la conversation ou le dialogue, mais, par écrit. Ils ont développé une gestion communautaire au fil de laquelle : l’auctor rédigeait ses propres idées, le compilator intervenait comme agrégateur (RSS), ajoutait au texte initial des compléments d’informations provenant d’autres sources, d’autres auteurs ; le commentator commentait, et certains commentaient les commentaires et commentaient les commentaires des commentaires et cetera, comme sur les blogs exactement ; tandis que le scriptor, jouait le rôle de Wikipédia en retranscrivant tout ceci : les différentes versions successives d’un texte original en perpétuelle construction. Le Web 2.0 sans informatique ni électricité ! En tous cas l’idée était là.
Comme l’idée de l’hypertexte était présente dans Le Diverse et artificiose machine, paru à Paris en 1588, ouvrage dans lequel l’ingénieur italien Agostino Ramelli représentait un astucieux système de deux grandes roues parallèles, reliées entre elles par une douzaine de lutrins, sur lesquels reposaient des livres ouverts : La Roue à Livres. Il suffisait qu’un lecteur s’asseye devant, lise et fasse tourner la roue, pour passer aisément d’un livre à l’autre.
Même ce sentiment d’infobésité (surinformation ou information overload) que nous ressentons parfois fut déjà décelé et explicité dès 1621 par le dénommé Robert Burton.
Elles ont seulement facilité certaines choses (voir illustration).
Et la question doit se poser de ce que ces facilités apparentes et monnayables charrient en termes d’addiction et d’asservissement.
En quoi nous sont-elles réellement utiles et en quoi ne servent-elles que de cheval de Troie à des régies publicitaires ?