vendredi 23 mars 2012

Des fondements synesthésiques à la lecture ?

Depuis des mois la question prend forme en moi. Elle a d'abord jailli à l'été 2011. En reparcourant Une histoire de la lecture d'Alberto Manguel, j'ai été frappé qu'il rapporte que le psychologue américain Julian Jaynes avait émis l’hypothèse que : « Lire pendant le troisième millénaire avant notre ère revenait […] à entendre les cunéiformes, c’est-à-dire à imaginer le discours de façon hallucinatoire en regardant les signes qui le symbolisent, plutôt qu’à reconnaître visuellement les syllabes de la façon qui est la nôtre. ».
Puis j'ai entendu parler du Projet Synesthéorie de Vincent Mignerot, lequel est venu le présenter au sein de l'incubateur MétaLectures que j'anime sur le web 3D open source Francogrid depuis janvier de cette année (Cf. illustration et sur le blog dédié à MétaLectures).
  
« Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois » Chateaubriand
   
" issu du grec « sunaisthêsis » qui signifie « perception simultanée ». On pratique la synesthésie lorsqu’on fait appel, pour définir une perception, à un terme normalement réservé à des sensations d’ordre différent. Par exemple, lorsqu’on qualifie certains sons (perception auditive) de perçants, ou d’aigus (sensations d’ordre tactile). Ou encore, lorsqu’on parle d’une couleur (sens de la vue) criarde (sens de l’ouïe) ou froide (sens du toucher)." (Source et page consacrée à la synesthésie sur Wikipédia).
La synesthésie pourrait nous apporter des éléments de réponses sur la lecture avant l'élaboration des écritures alphabétiques, sur le sentiment d'immersion que tout lecteur aimant lire ressent lorsqu'il est "plongé dans un livre", sur l'acquisition de la lecture par les enfants, sur la possible émergence avec les nouvelles interfaces de lecture d'un nouveau genre littéraire : "les fictions immersives" au cours de ce 21e siècle.
  
Le vendredi 30 mars 2012 à 21H30, Vincent Mignerot nous fera l'amitié d'intervenir une nouvelle fois sur MétaLectures, pour une conférence exceptionnelle sur le thème : Sensibilité augmentée : des rapports entre les synesthésies et la lecture
  
Les pistes de réflexion sur ce thème sont multiples : l'on pense spontanément au sonnet Voyelles de Rimbaud (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu), aux Correspondances de Baudelaire dans Les fleurs du mal ("Les parfums, les couleurs et les sons se répondent"), à la symbolique des lettres (voir Symbolisme des lettres : analogies et correspondances, synesthésies)...
Sur la synesthésie et les origines du langage, on pourra se reporter aux réflexions du paléoanthropologue Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France, notamment dans cette présentation abordable sur le site de Futura Sciences : La synesthésie des chimpanzés dévoile un des secrets du langage.
Voilà donc pour vous préparer à cette conférence ;-) Consultez aussi le site de l'association synesthésique de France.
Pour accéder à cette conférence au sein de l'espace web MétaLectures suivez la procédure indiquée en suivant ce lien...
 

dimanche 18 mars 2012

Semaine 11/52 : Extension du Réel // Extension du livre

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 11/52.
  
Cette semaine deux faits ont souligné la rupture entre le monde de l’imprimé et celui du numérique.
L'Encyclopædia Britannica, référence culturelle éditée depuis 1768, a déclaré renoncer à l’imprimerie pour se diffuser uniquement sur le web.
En France, un nouvel acteur déclare proposer un accès gratuit "en ligne" (c’est-à-dire connecté, il faudrait un jour soumettre à la question ce "en ligne" [on line] ce rapport entre lignes téléphoniques et lignes écrites…), donc un nouvel acteur déclare proposer un accès gratuit "en ligne" à un millier de livres numériques, mais, des livres sur lesquels chaque page affichera un bandeau publicitaire différent.
A la réflexion, ce dernier fait surtout exprime au fond convenablement la différence radicale entre un texte numérique et un texte imprimé. Il pourrait également nous enseigner sur ce que nous sommes prêts à accepter de l’édition numérique, que nous n’aurions jamais supporté de l’édition imprimée. Autres temps, autres mœurs.
  

« O tempora, O mores » - « Ô temps, ô mœurs ! » (Cicéron)

  
De plus en plus semble émerger une lecture connectée (mais connectée à qui ou à quoi ? la question se posera-t-elle seulement le jour où il sera trop tard pour se la poser ?).
  
Vraisemblablement le livre numérique "augmenté", "enrichi", "transmédia", demandera des investissements financiers bien supérieurs aux capitaux nécessaires à l’édition imprimée. Une diffusion plus large, et donc internationale, et donc en anglais ou multilingue sera d’emblée nécessaire pour rentabiliser l’édition/production. Pour toucher une audience/lectorat la plus vaste possible un nivellement des contenus sera inévitable. Etc. A quand la généralisation du placement de produits dans les fictions romanesques pour rémunérer leurs auteurs ? (Et quand j’écris "auteurs" et que je parle de les rémunérer je suis optimiste ! D’une part, les modèles de fonctionnement de l’édition pure-player se rapprocheraient déjà de plus en plus de ceux des studios de création de jeux vidéos, voire de séries télévisuelles, ou de l’industrie du cinéma, et nous savons qu’au cinéma le réalisateur prime sur le scénariste, d’autre part, les observations que nous pouvons faire à ce jour révèlent que les auteurs ne sont pas mieux traités dans l’édition numérique que dans l’édition imprimée, et je ne considère pas ici que le versant rémunération uniquement, mais également le respect du statut, et, tout simplement le respect de la femme, de l’homme, qui ont fait le choix d’être auteurs au 21e siècle…).
 

Des robots indexeurs et prescripteurs

  
Internet est déjà vérolé. La publicité, la désinformation et la vulgarité se répandent sur le web comme une lèpre.
Le web devient sous nos yeux un média de masse.
Qu’attendons-nous ? Qu’attendons-nous du futur ?
  
  
Dans les années soixante (1960) et avant (voir la vidéo) nous imaginions pour l’An 2000, qui était si proche mais qui semblait si lointain, nous imaginions entre autres des voitures volantes. Alors que les hélicoptères existaient déjà en 1960.
Aujourd’hui nous fantasmons ou nous redoutons l’invasion de robots, alors que les robots nous envahissent.
J’étais hier soir sur les Champs-Élysées. Bien évidemment des régiments de robots n’y défilent pas au pas de l’oie (stechschritt). Mais les agents logiciels, robots sans enveloppe physique, ont déjà envahit internet. Un exemple ? Combien sont les utilisateurs réguliers de Wikipédia qui savent le rôle actif de ces agents, couramment baptisés : bots [contraction de robots].
  
Ils ne se cachent pas, mais tout simplement nous ne les voyons pas : « Les bots sont des agents automatiques ou semi-automatiques qui interagissent avec Wikipédia comme le fait un utilisateur, mais pour des tâches répétitives et fastidieuses pour un humain. Les bots peuvent être utilisés pour générer des articles. D'autres peuvent être utilisés pour éditer ou même détruire des articles. Certains bots sont spécialisés dans la gestion des liens d'interlangue, la résolution des homonymies, les annulations de certains vandalismes ou encore les opérations sur les catégories. »
Le nombre de ces bots, de leurs "dresseurs" et de leurs contributions est assez révélateur (voir ici).
Bien évidemment nous ne risquons rien, quoique : « Des bots bien conçus peuvent apporter un bénéfice concret à Wikipédia. Cependant, parce que le système n'a pas été conçu pour supporter des bots, même un bon bot peut avoir des effets secondaires non souhaitables. ». 
 
En mars 2012 ce sont majoritairement des robots qui nous orientent dans nos recherches d’informations en ligne vers des ouvrages imprimés, numérisés ou pas, et vers des contenus nativement numériques. Ce sont des robots qui établissent nos "profil de lecteur", qui nous assistent et qui sauvegardent nos annotations, nos échanges, nos recommandations… Ce sont des robots qui en ligne remplissent la fonction prescriptrice naguère dévolue à la famille, au corps enseignant, aux bibliothécaires, aux libraires, aux critiques littéraires. Ce sont parfois des robots qui écrivent et qui lisent (qui s’écrivent et se lisent ?). Ce sont des robots qui indexent… 
  
(L’index. Le doigt avec lequel nous avons désigné. Le doigt avec lequel nous avons suivi le fil des lignes de nos premières lectures. Index. Liste ordonnée. Liste de livres interdits. Le doigt que nous mouillons avec la langue pour tourner les pages des livres de papier. Et voilà que le pouce le supplante maintenant - relire ma chronique de la semaine précédente, et voilà que nous devons apprendre de nouveaux gestes pour lire : Les gestes à apprendre avec les tablettes Windows 8. Ce fut certainement le cas déjà lorsque nous passâmes des tablettes d’argile aux rouleaux de papyrus, des rouleaux au codex… Le monde du 20e siècle n’est plus suffisant pour lire notre présent et déchiffrer notre avenir…)
Sur cette insuffisance notoire je vous recommande sur le blog Le monde ne suffit pas, le post publié cette semaine par Audrey Lohard : Monde(s) (ir)réel(s) ? 
  
Nous vivons une extension du Réel, soit, mais je pose la question : une extension du Livre serait-elle possible ?
Et si cette extension du Réel était en fait une extension du Livre ?
 

Au-delà de tous les livres LE Livre dont nous sommes les héros

   
Celui-là serait donc en train de s’écrire.
« Il est maintenant possible, écrit Jacques Scherer dans son texte "Le monde existe pour aboutir à un livre" (à découvrir au sein du projet de Franck Ancel : Du LIVRE de Mallarmé au livre mal armé) de définir les principaux caractères de ce Livre auquel aboutit le monde et dont Mallarmé a tracé l'esquisse avec une lucidité qui implique une admirable intelligence des conditions de toute littérature. Les livres ordinaires sont personnels : le Livre sera objectif. Les livres ordinaires sont circonstanciels : le Livre ne s'attachera à aucun objet particulier et traitera de la totalité des choses existantes. Les livres ordinaires ne sont que des albums : le Livre sera ordonné selon une structure. Triple caractéristique inhérente à la notion de Livre total et que Mallarmé a saisie d'emblée. ».
Quel sera alors le nom du Livre ? 
  
Le Réel (j’utilise une majuscule pour indiquer sa valeur référentielle) n’existe pas tant par l’accumulation de ce que nous reconnaissons comme des réalités, que par le fait, humain, de nommer ces réalités, et ainsi de faire accéder au Réel ce que nous percevons.
La pensée du kabbaliste Abraham ben Samuel Aboulafia pourrait peut-être éclairer ce rapport entre le langage et la réalité. Des épousailles entre la linguistique et la kabbale pourrait jaillir une poussée telle, qu’elle nous propulserait dans le dynamisme et l’intelligence de la pensée.
  
Dans son récent essai Le poisson et le bananier – Une histoire fabuleuse de la traduction (Flammarion éd.), David Bellos signale en passant l’influence que peut avoir sur le cours de nos vies le fait de désigner d’un mot des choses qui ne sont pas des réalités existantes. Il donne le pertinent exemple de : « un placement sans risque » ;-)
   

J’aurais besoin que mes avatars m’aident

   
Le nombre de données qu’il faudrait que je rassemble, trie, et analyse, pour dégager une idée prédictive sur le devenir du livre et de la lecture au cours de ce 21e siècle, est humainement ingérable.
Le concept de littératie (literacy), au cœur de ce devenir du livre et de la lecture interroge aussi mes propres compétences (sur cette notion lire d’Olivier Le Deuff : Retour sur la littératie). 
  
Nos (mes) bogues permettraient-ils au(x) codeur(s) de l’univers de corriger, d’améliorer le script de programmation de l’espèce humaine ? 
 
L’idée m’est venue à plusieurs reprises que la solution serait que mes avatars puissent pour moi collecter et trier l’information, la hiérarchiser, et… me l’injecter pour analyse.
« En fait, ce qui serait tellement plus commode, ce serait d’indexer directement son cerveau, non ? », dixit Olivier Le Deuff dans son livre Print brain technology (Publie.net).
 
Encore un livre que je n’ai pas eu le temps de lire. Trop à lire. Beaucoup trop. Inhumain. Il faudrait que je puisse lire comme je respire. Impossibilité. Incapacité. Et cela de révéler le masque du peu qui a été lu, comme le palimpseste de l’énorme masse du non-lu. Malédiction. Aglagla. 
  
Cela pose nonobstant quelques autres questions cruciales…
Au niveau de l’humain, la perception que le lecteur a de lui-même change-t-elle avec la commercialisation de nouveaux dispositifs de lecture ?
Au niveau de l’humanité, pourrions-nous percevoir une logique séquentielle depuis l’acquisition du langage articulé jusqu’aux codes informatiques ?
  
Ces codes informatiques, en fait des scripts de programmation, ne s’énoncent pas. Qui parle ces codes-là ? Parler code aurait quel effet ? Un code informatique énoncé, dit et agissant, ne serait-il pas une parole créatrice, auxquels seuls certains nourrissons de Zeus pourraient accéder ?
 
Pensée du vivant, pensée vivante, et code, que Clarisse Herrenschmidt dans son remarquable essai : Les trois écritures (Gallimard, 2007) appelle : « l’écriture informatique et réticulaire ».
 
(Sur ces points se reporter à : Écrire avec les machines sur Internet Actu, et au numéro 66 de la revue MCD : Machines d’écritures paru cette semaine, et qui ouvrent de (trop) nombreuses pistes de réflexions.)
  
J'espère avant ma mort que quelques-uns que quelques-unes saisiront ce que j'ai voulu tenter en inventant la prospective du livre, que quelques-uns que quelques-unes s'en saisiront pour développer et pérenniser cette discipline.
 
"Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer", comme disait Guillaume 1er d'Orange-Nassau.
Alors peut-être y aura-t-il une suite la semaine prochaine.
  

vendredi 16 mars 2012

Hier soirée de lancement des Machines d'Ecritures :-)

C'était hier soir 15 mars 2012 la soirée de lancement à La Gaité Lyrique (Paris) de Machines d'Ecritures, le numéro 66 de la revue bilingue MCD [Musiques et Cultures Digitales], numéro auquel j'ai modestement participé.
Au cours de cette soirée, Emmanuel Guez (rédacteur en chef invité) et Anne-Cécile Worms (directrice de la rédaction) ont présenté cette nouvelle parution, avant de donner carte blanche à Peter Gabor (graphiste-typographe et directeur d'e-artsup), puis Jérémie Dres a présenté son œuvre Paroles de..., et enfin Ulrich Fisher (artiste et réalisateur) nous a présenté son dernier projet : « Walking the Edit ».
     
SOMMAIRE
  
Écritures, corps et techniques
10_ Machines à écrire : la littérature en ses médiums
14_ Friedrich Kittler : y a-t-il quelqu’un dans la machine ?
16_ Pour comprendre McLuhan : entre technologie et arts
18_ J’aimerais pouvoir lire N. Katherine Hayles en français…
20_ L’ère des possibles, petite histoire du temps radiophonique
22_ Briser la flèche du temps… linéaire du récit littéraire
Écritures, codes et littérature
26_ Code et scripts de langages: une littérature illisible ?
28_ Explorer la (dé-)cohérence: pour une vie rêvée des lettres numériques
31_ 10 regards sur la littérature numérique
37_ SMS, QRcode… et la littérature dans tout ça ?
39_ Écrire pour les smartphones: à propos de Fréquences – projet pour iPhone
40_ Entretien avec Jean-Pierre Balpe
Écritures et scènes
44_ L’œuvre d’Anne Abrahams
44_ L’auto-archivage immédiat comme œuvre
45_ Kom.post : processus, flux et ponction
46_ Le théâtre entre mutation et sanctuarisation
48_ Le bug de l’écritrure
52_ Breaking : une pièce de théâtre écrite avec Twitter
54_ Comment l’auteur est-il mort et est-il en train de ressusciter ?
56_ F.A.(A.)Q. : sur les machines d’écritures Facebook, Twitter and Co…
57_ Faire du fichage, une contre-écriture
Écritures et éditions
60_ De nouveaux supports qui influencent la lecture [ma participation]
62_ Entretien avec François Bon
65_ Le webdoc : une nouvelle forme d’écriture multimédia ?
66_ Spectateurs : le « Je » est-il auteur ?
68_ Les machines à scénarii existent-elles ?
69_ Manipulations : l’expérience web
70_ webographie : 15 ans de machines à écrire
71_ bibliographie : 20 livres théoriques sur les machines d’écritures
 
(Sur ce sujet lire également : Ecrire avec les machines... Internet Actu.)
  
Avant de mourir
  
Un numéro essentiel donc, à lire absolument car il décloisonne et éclaire des pesrpectives que quelques pionniers explorent depuis déjà de nombreuses années. "L'histoire de l'écriture et de la lecture est liée à celle des supports.", comme le rappelle justement Anne-Cécile Worms dans son éditorial.
Nonobstant, je regrette un peu que la commande qui m'a été passée m'orientait surtout vers ces gadgets technologiques que sont les tablettes multimédias et autres "liseuses", alors que j'aurais tant à dire sur le devenir de la lecture au cours des prochaines années.
Dès l'introduction j'ai cependant orienté mon article vers ces terres inconnues que nous découvrirons dès lors que nous porterons un regard différent sur ce que nous lisons : "Nous ne lisons pas un livre comme nos ancêtres lisaient un rouleau de papyrus. Les dispositifs de lecture obligent à certains usages et ont des effets sur nos rapports à l'écrit. Alors que le pouvoir de l'image s'est imposé et que l'imprimé ne peut plus suivre le rythme du siècle, il est essentiel de s'interroger sur les enjeux de la digitalisation du livre...".
Je développe ces réflexions notamment dans mon effort de tenir ici même depuis janvier 2012 une chronique hebdomadaire (voir si cela vous intéresse : 10 semaines de réflexions sur les mutations du livre et de la lecture...).
  
J'espère avant ma mort que quelques-uns que quelques-unes saisiront ce que j'ai voulu tenter en inventant la prospective du livre, que quelques-uns que quelques-unes s'en saisiront pour développer et pérenniser cette discipline.
"Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer", comme disait Guillaume 1er d'Orange-Nassau...
  

lundi 12 mars 2012

10 semaines de réflexions sur les mutations du livre et de la lecture...

Depuis le 08 janvier 2012 je développe une chronique hebdomadaire dans laquelle j'essaye d'articuler les évènements des semaines écoulées avec les problématiques de la prospective du livre et de la lecture.
Pour celles et ceux que cet effort intéresserait, qui auraient "raté un épisode" ou souhaiteraient une vue d'ensemble des chroniques à ce jour, le "sommaire" ci-après les conduira vers les différents posts : 
  
Les droits des lecteurs menacés
Les droits des auteurs toujours bafoués
La partie immergée de l’iceberg
Semaine 05/52 : d’une possible trans-littérature dans le récit transmédia
Un monde en développement…
Nous sommes le Livre
Semaine 06/52 : Le Livre Absolu
Avatars de chair et Livres de pierre
Du lecteur au personnage sur la scène du monde
Saint-Germain-des-Prés en état de siège ?
Pendant ce temps l’histoire s’écrit…
Et si le hasard n’existait pas ?
Semaine 08/52 : Je est une bibliothèque
Le volume, ce ferment…
Je suis un bipède, un (dé)lire sur pattes
Les grands cimetières sous les livres…
Semaine 09/52 : De la diffusion à l’infusion
Psychogéographie et ubiquité
Comment qualifier cette naissance à la noospshère ?
Un prodige agissant. Une seconde Renaissance ?
Semaine 10/52 : Primauté des articulations
Une semaine "sérendipitielle" de remise en questions
Des phrases qui articuleraient notre présence au monde
   

dimanche 11 mars 2012

Semaine 10/52 : Primauté des articulations

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 10/52.
  
Devant l’écran blanc de mon traitement de texte je me suis senti un instant désemparé à l’idée de devoir, une nouvelle fois, la dixième déjà, articuler l’actualité de la semaine aux problématiques essentielles du devenir du livre et de la lecture.
Qui cela intéresse-t-il ?
Je me suis demandé si j’avais bien fait de me lancer dans cette entreprise, cette forme de chronique hebdomadaire.
 
Le milieu de l’édition est dur sous ses apparences mondaines. L’édition numérique (dont je ne m’occupe pas ! mais, faisant de la prospective du livre je suis, de fait, confronté au passage de l’édition imprimée à l’édition numérique ; nous serions en 1455 que je prendrais forcément acte du passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée, mais… nous sommes en 2012), l’édition numérique donc est ressentie par le milieu dur de l’édition comme un kyste.
   
Les interventions récentes du linguiste Claude Hagège et du philosophe Heinz Wismann, dans le cadre du séminaire du 05 février 2012 : Comment lirons-nous demain ? de La Règle du Jeu, celles d’Erik Orsenna, pour la sortie cette semaine de son "Petit précis de mondialisation III" : Sur la route du papier (éditions Stock), témoignent de l’ouverture d’esprit de quelques-uns qui ont l’intelligence de dépasser les préjugés.
« J'ai la conviction, dit Erik Orsenna, que notre cerveau va changer. Cette instantanéité permanente va nous changer. ». Peut-être… (Lire les semainiers précédents ;-) 
  
Une semaine "sérendipitielle" de remise en questions
  
La sérendipité serait aujourd’hui davantage à l’œuvre avec les outils de communication dont nous disposerions. J’emploie prudemment le conditionnel et vous me pardonnerez, si vous le trouvez joli, ce néologisme de "sérendipitiel" qui signe une maladroite tentative de qualification de la semaine écoulée.
 
J’ai été sensible, en effet, aux idées exposées par Anaïs Saint-Jude, fondatrice et responsable du programme Biblio Tech de la bibliothèque de Stanford, pour laquelle : « La surcharge d’information fait partie de la condition humaine ».
Dans Lift12 : Notre surcharge informationnelle en perspective, Hubert Guillaud résume le point de vue développé par Anaïs Saint-Jude : « La surcharge informationnelle ne date pas d’aujourd’hui, rappelle la chercheuse. Ce sentiment de dépassement, de surcharge en fait se retrouve à toutes les époques de l’humanité, de la Grèce Antique à aujourd’hui. Chaque époque la ressent comme quelque chose de nouveau, comme quelque chose de particulier à son époque. ».
 
Oui. Remettre dans une perspective historique ce qui nous apparaît comme violemment nouveau est primordial.
Je le fais. C’est ce que j’appelle précisément : la dimension transhistorique de la prospective du livre.
Mais je ne le fais pas suffisamment, pas avec assez de rigueur semble-t-il. 
 
Une question cruciale se pose à moi : quelle est la part d’ethnocentrisme dans mes recherches en prospective du livre ?
(Outre que je me fonde presque uniquement sur la culture européenne occidentale, ce qui est déjà gravement disqualifiant, j’adopte aussi spontanément des points de vue et des perspectives "d’homme moderne", entre guillemets, abusant sans doute de préjugés sur nos frères de l’Antiquité, par exemple, et sur les animaux - dont nous sommes, et qui ont eux aussi leurs langages et certainement leurs propres lectures du monde commun qui nous environne…)
  
A cette question, à laquelle les réponses que je peux apporter disqualifient donc mon travail, s’ajoute celle-ci, qui fera la joie de certains je le sais, qui fera grimacer de plaisir les méprisants : quelle est la part d’égocentrisme dans ma posture de prospectiviste du livre ? 
  
C’est pourtant en toute modestie que je sacrifie depuis des années à cette recherche.
Chaque semaine m’apporte plus à découvrir et à étudier qu’un homme seul pourrait le faire tout au long de sa vie.
Ces derniers jours ont attiré mon attention sur Le livre à venir de Maurice Blanchot et sa réflexion sur le rapport lecture ó écriture ; sur La lisibilité du monde de Hans Blumenberg  ; sur la mémétique et ses rapports possibles avec ce que j’expérimente et ce que je vis presque quotidiennement sur le web 3D.
 
J’ai aussi réalisé avec horreur que j’avais pratiquement tout oublié du Phénomène humain de Pierre Teilhard de Chardin, que j’avais lu avec attention me semblait-il, il y a une vingtaine d’années, et dont l’idée de noosphère s’impose alors que nous manions les concepts de réalités augmentées, d’internet des objets, d’intelligence ambiante, etc. 
 
Des phrases qui articuleraient notre présence au monde
  
« Il n’y a pas de fin dans l’histoire des signes. » (Clarisse Herrenschmidt)
 
« Notre terre n’est qu’une immense bibliothèque quantique de toutes nos vies informationnelles. » (Anne Astier)
  
C’est en écoutant Heinz Wismann que l’articulation s’est opérée en mon esprit, entre les difficultés auxquelles je me heurte pour progresser dans ma démarche en prospective du livre et cette primauté des articulations, physiques ou conceptuelles, pour avancer et nommer. 
 
Je l’exprimais hier, samedi 10 mars, lors d’un duplex avec le Festival Vidéo Formes de Clermont-Ferrand : « En accédant à la bipédie et en se mettant en marche il y aurait sept millions d'années, nos ancêtres ont accédé au langage articulé. » (Voir : L'écrit ? Une porte entre le "réel" et le "virtuel"...). 
A l’articulation complexe de la marche humaine fait écho l’articulation du langage.
Les articulations et les postures (positions du corps qu’elles rendent possibles) sont à l’œuvre, tant dans l’activité manuelle de l’écriture (même assistée par ordinateur), que dans les pratiques de lecture.
On ne lisait pas un rouleau dans la même posture que nous lisons un livre relié, c’est-à-dire dans lequel des cahiers de pages sont entre eux… articulés.
On lisait nécessairement me semble-t-il les rouleaux debout, d’où aussi, en partie, la lecture à haute voix… Et cetera. Il faudrait aussi que je relise Petits traités I, de Pascal Quignard pour mieux argumenter sur ces aspects.
Dommage que Marcel Mauss n’aborde pas cet exemple dans son étude Les techniques du corps, et que les histoires de la lecture en fassent peu de cas.
 
Si j’essaye de rejouer la séquence de l’articulation de mes idées en écoutant Heinz Wismann, le processus s’est enclenché alors qu’il pointait la différence générationnelle entre ceux qui utilisent spontanément leur index pour taper sur leurs écrans tactiles, ou écrire des SMS sur leurs téléphones portables, d’avec ceux qui, avec une dextérité qui peut sembler incroyable, utilisent leur pouce. La fameuse "génération [mutante] petite poucette" de Michel Serres.
  
C’est avec leur index que les enfants de Gutenberg ont suivi les lignes imprimées pour déchiffrer patiemment les signes qui racontent des histoires.
Celle de la scriptio continua est au centre de l’articulation des mots et des idées. Il y aurait là beaucoup à dire ! 
  
Nous mettons naturellement en place de nouvelles stratégies d’appropriation. Rien de surhumain en fin de compte. Anaïs Saint-Jude serait certainement d’accord avec moi pour dire que nos ancêtres qui sont passés des tablettes d’argile aux rouleaux de papyrus ont été confrontés à des difficultés comparables aux nôtres.
  
Il faudrait aussi envisager le fait qu’en passant de la tridimensionnalité du volume relié à la bidimensionnalité de la tablette de lecture plate (la plus plate possible, c’est un puissant argument marketing), quelque chose se joue, en lien avec la page, en lien donc avec la surface cultivée parcourable d’un seul regard. Avec l’évolution du sens de l’écriture (boustrophédon…) et donc de la marche de la lecture (là encore le risque d’ethnocentrisme).
 
Il faudrait tant et tant de choses pour mettre de l’ordre dans le chaos, pour saisir ce qui peut se désarticuler si l’on passe à des structures narratives délinéarisées, et du coup plus immersives et véritablement interactives ; pour articuler mes idées autour de ces questions et pour articuler entre eux les éléments de réponses que je peux glaner dans le champ de la prospective, pour répondre à cette simple question : existera-t-il un au-delà du livre ?
 

L'écrit ? Une porte entre le "réel" et le "virtuel"...

J'ai eu hier après-midi le plaisir d'intervenir en duplex depuis l'incubateur web 3D MétaLectures en conclusion (en compagnie d'Hugues Aubin, alias Hugobiwan Zolnir) de la table ronde du Festival Vidéo Formes : Monde "augmenté", réel virtuel. Quels liens entre le monde "réel" et le monde "virtuel" ?, au cours de laquelle intervenait Anne Astier (Livre quantique & Technologies quantiques).
  
Retranscription...
  
Ci-dessous la retranscription de mon intervention : 

"L'écrit, de par cette activité humaine singulière qu'il engendre et qui est la lecture, l'écrit a toujours été une sorte de "porte de communication" entre le monde "réel" et le monde "virtuel".
En entendant bien "réel" et "virtuel" entre guillemets, comme dans l'énoncé de votre table ronde.
Nous qualifions couramment de "réel" ce que nous percevons avec nos cinq sens physiques, lesquels sont en fait limités à la réception de certaines fréquences d'ondes.
Quant à ce que nous qualifions de "virtuel", nous l'interprétons généralement comme s'il s'agissait du contraire de "réel". C'est une erreur. Le contraire de "réel" c'est "irréel", ce n'est pas "virtuel".
Virtuel, signifie qui existe en puissance, qui existe potentiellement, c'est du domaine du possible.
Chaque nuit nous l'expérimentons dans nos rêves : il y a différents niveaux de conscience, autres que l'état de veille.
 
En fait, je pense que cette passerelle entre monde "réel" et monde "virtuel", cette porte a été ouverte par les tous premiers hominidés qui se sont mis en marche.
En accédant à la bipédie et en se mettant en marche il y aurait sept millions d'années, nos ancêtres ont accédé au langage articulé.
Ils ont pu désigner, nommer ce qui les environnait, et aussi "se raconter des histoires", dans tous les sens de l'expression, si je puis dire.
Ils ont inventé les écritures et c'est alors que l'histoire du livre a commencé.
C'est une erreur de limiter l'histoire du livre à celle des volumes reliés de feuilles de papier imprimées. C'est se mettre des oeillères.
 
Aujourd'hui, depuis l'été 1971, nous vivons une nouvelle étape importante de cette histoire du livre et de la lecture : le passage de l'édition imprimée à l'édition numérique.
Cette mutation s'exprime à plusieurs niveaux, notamment celui des dispositifs de lecture, celui des pratiques de lecture, mais aussi au niveau des formes dans lesquels ce qui est à lire se donne, se propose à la lecture...
Le fait qu'un texte imprimé ne soit pas hypertextuel, le fait que le papier ne soit pas réinscriptible, communicant et connecté, est aujourd'hui handicapant en quelque sorte.
Mais, cela dit, d'une part, parallèlement aux écrans et aux technologies d'affichage en général, le papier évolue lui aussi (avec la technologie de l'encre et du papier électroniques).
D'autre part, en se libérant de la page imprimée le texte pourrait libérer les imaginaires des auteurs et des lecteurs et accéder à de nouvelles formes d'expression nous facilitant le passage par cette porte.
 
C'est dans cette perspective que j'ai créé l'incubateur MétaLectures sur Francogrid en janvier dernier : pour servir d'espace de réflexion et d'exploration autour des possibilités nouvelles d'expression autour du livre et de la lecture dans des espaces dits virtuels.
Nous y avons déjà accueilli Anne Astier, sur le thème "De la narration linéaire à la narration multidimensionnelle : introduction au livre quantique", Yann Minh est intervenu  sur le sujet "Avatars & personnages de romans", le 30 mars Vincent Mignerot y donnera une conférence intitulée : "Sensibilité augmentée : des rapports entre les synesthésie et la lecture".
"Sensibilité augmentée" est une expression d'Anne Astier. Elle exprime bien je trouve le potentiel qu'il y a à conjuguer "réel" et "virtuel", au lieu de les opposer stérilement.
En vérité je pense qu'il n'y a pas deux mondes ou je ne sais combien de mondes : il y a un seul et unique monde, mais nous n'en percevons, nous n'en lisons qu'une partie."
  

samedi 10 mars 2012

L'auteur et son personnage, le cas Yann Minh

Hier soir l'artiste multimédia et auteur Yann Minh a donné une conférence exceptionnelle devant un public d'internautes avatarisés dans l'auditorium virtuel de l'incubateur web 3D MétaLectures sur Francogrid.
Yann Minh est l'auteur de Thanatos - Les Récifs, roman culte de la SF francophone, édité en 1997 aux éditions Florent Massot (version numérique aujourd'hui librement téléchargeable sur FeedBooks).
Yann, intervenant hier soir sur MétaLectures sur le thème : Avatars et personnages de romans, nous a relaté son expérience d'auteur et comment son personnage féminin, Dyl, avait un temps trouvé une vie autonome et une sociabilité originale dans l'environnement de Second Life.
   
Une intervention passionnante qui a véritablement captivé un auditoire attentif et qui avait beaucoup de questions ensuite ! Parmi les nombreuses perspectives ouvertes par Yann, je citerais : le rapport entre "cyborgs de pixels" et "avatars biologiques" avec leur sociabilité spécifique au sein du "monde virtuel" ; l'idée "d'entités informationnelles se comportant comme des êtres vivants" ; les références à Pirandello (Six personnages en quête d'auteur) ; à Teilhard de Chardin (Le Phénomène humain) ; des références au "Fantôme de Philip", à la mémétique, SIVA (Système Intelligent Vivant et Agissant), etc. ;-)
Impossible de résumer : si cela vous intéresse il fallait venir ;-) Cela dit un diaporama et la vidéo de la soirée sont en ligne sur le blog compagnon de MétaLectures.
  
Yann Minh présente ses "Contes de la Noosphère" tous les mercredis du mois de mars à 19H30 sur la web radio de Silicon Maniacs (voir ici) et interviendra le vendredi 23 mars 2012 à La Gaité Lyrique (Paris) sur le thème : Le corps en 2062...

Avatar de l'auteur Yann Minh

L'auteur avatarisé et son personnage
interviennent dans la même conférence...