
Il s’agissait « d’une journée d’étude consacrée à la tendance sociétale que l’on désigne par “immersion”, qu’elle soit sensorielle et/ou fictionnelle. Il apparaît qu’elle concentre de nombreux enjeux : corporels, imaginaires, environnementaux, technologiques, esthétiques, sociétaux… ».
Pour ma part je remarque d’entrée de jeu que les problématiques de l’immersion relèvent donc bien de l’actuel et du quotidien.
De fait, les lieux émergeants de l’immersion se multiplient (avec les jeux vidéo et leurs multiples déclinaisons, la 3D, l’amélioration des conditions et des vitesses de connexion…).
Et de fait, pour certains expérimentateurs ou explorateurs, un passage s’ouvrirait déjà de l’immersion à la trans-immersion, laquelle suppose une prise de conscience d’un certain changement d’identité au cours de l’expérience immersive. De ma propre expérience personnelle de Second Life depuis 2007, puis depuis 2011 sur Opensim et plus particulièrement Francogrid avec le lancement en janvier 2012 de l’incubateur MétaLectures, j’ai été récemment amené à évoquer spontanément pour parler de nous autres internautes : d’extensions biologiques des avatars ! « Je est un autre [dupliqué] » (ou « Je [dupliqué] est un autre ») ?
Ce serait de l’immersion que la lecture émerge
Mais quels rapports avec la prospective de la lecture et du livre ?
L’expérience immersive narrative de la lecture et le récit expérientiel (récits de son immersion, autobiographies…) peuvent trouver selon moi de nouveaux chemins d’expression dans l’expérience des espaces et des temporalités spécifiques des nouveaux territoires digitaux (hypergrid) qui seraient en fait, considérant qu’il s’agit là d’inventions purement humaines, une dilatation de notre réalité.
L’immersion est notre condition naturelle. Aussi ne pourrait-on pas envisager l’immersion première dans la nature, comme le principal déclencheur de l’acquisition du langage articulé (d’une part, avec peut-être depuis une perte du degré d’implication originelle, que nous rechercherions justement avec des substances psychotropes ou l’adjonction de (nouvelles) technologies, d’autre part, mise en perspective avec le passage à la bipédie, toutes les espèces vivantes étant immergées dans la nature, et ayant d’ailleurs leurs propres langages…), un déclencheur de l’acquisition du langage articulé donc, et qui serait comme, sinon une simple remise en ordre du désarticulé (protolangue chantée), une ré-articulation, suite à l’acquisition de la bipédie et à la domestication de l’environnement en paysage familier, nommé en ses éléments, attestant sa présence au monde, la conscience de soi dans ce paysage, et sa propre lecture subjective du monde.
Il y a sans doute eu lecture avant qu’il y ait écriture.
Si nous sommes un jour devenus bipèdes et nous sommes mis en marche, alors c’est ce jour-là que la lecture aurait commencé.
Depuis l’aube des temps et la multiplication convergente des mythes de la création du monde (cosmogonies) nous sommes tous de fait immergés dans un véritable multivers romanesque.
Une nouvelle fois, beaucoup plus d’interrogations donc que de réponses dans ces réflexions spontanées à cette riche journée d’étude du CEAQ.
Le post-humain (si post-humain il y a un jour) sera un post-lecteur.
Face à cet horizon incertain encore, une redéfinition confiante des écrans pourrait-être la suivante : « Écran : extension de la page ».
Ce qui est certain je pense, c’est que le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique nous invite à une relecture de la lecture.