Ce post est donc le 21/52.
Je suis resté cette semaine sur la question : quelle orientation
prend cette chronique ?
Comme souvent peut-être, la réponse est dans la
question : c’est davantage l’écriture régulière de mes réflexions presque
en continu sur la prospective du livre, qui décide de la forme et du sens de ce
rendez-vous hebdomadaire, qu’un travail objectif d’analyse.
Est-ce que je choisis ainsi la voie la plus facile, celle de
me laisser aller à mon inspiration, ou bien, la voie étroite, celle qui
conjuguerait l’intime à une véritable approche globale de ces questions du
devenir du livre et de la lecture ?
Cette préoccupation rejoint au fond ce que j’ai exprimé en
novembre 2010 sur ce blog de "P.L.E.
Consulting" (où le mot "Consulting" heurte en somme) avec cette Charte éthique dont voici l’essence : « je m’attache à mettre en pratique dans mon
travail, davantage qu’un ensemble de principes de bonne conduite, relevant de
la déontologie professionnelle, un code moral personnel.
Car l’avenir du
livre et de la lecture est vraiment ma préoccupation quotidienne.
Aussi curieux,
voire stupide ou inconvenant, que cela puisse paraître pour un consultant, mon
objectif n’est pas de gagner un maximum d’argent, en vendant du vent (ou des
applications), en reformulant aux professionnels de l’interprofession du livre
ce qu’ils disent eux-mêmes et veulent entendre en écho, en leur fourguant des
solutions-recettes qui seront demain matin obsolètes.
Dans le cadre
moral, que j’ai de ma propre et libre volonté décidé d’appliquer dans
l’exercice de mon activité de consultant, les principales missions que je me
donne sont :
- Rapprocher les
acteurs des filières de l’édition imprimée, et, de l’édition numérique.
- Informer
l’ensemble des partenaires de la chaine du livre imprimé, des auteurs aux
lecteurs, des enjeux de la digitalisation du livre.
- Former les
professionnels en les informant, l’objectif étant de leur donner une
perspective historique et prospectiviste juste, pour qu’ils puissent développer
des stratégies adaptées et pérennes, responsables aussi.
- Former en les
informant, les jeunes des filières du livre, mais aussi de la communication et
de la publicité, du marketing, de la gestion et de la médiation de projets
culturels, du design et de l’ingénierie culturelle, sur l’édition du siècle.
Susciter des vocations… »
J’ai relu récemment Eroïca,
de Kosmas Politis. Un roman d’une puissance poétique extraordinaire. Cela dit,
je n’y retrouve pas une citation précise, que je ressens pourtant comme liée à
l’expression de ma pensée (la recherche plein texte manque aux ouvrages
imprimés, il faut le reconnaître).
L’esprit de cet oubli est que le papillon est peut-être le
rêve des chenilles.
Au fond je vois deux points de vue pour aborder la
prospective du livre :
- considérer que nous sommes face à un tsunami numérique
balayant et recouvrant le vieux monde d’un nouveau continent du flux et de la
fluidité, emportant les anciens codes (dont l’écrit)…
- ou bien considérer le livre, non plus dans les limites que
nous lui assignons, mais comme une interface, et la lecture comme une activité
naturelle et essentielle du vivant pour déchiffrer le monde et y vivre.
Ce deuxième point de vue considère le livre comme une
chenille.
C’est celui que j’adopte à ce jour.
En somme de l’argile au pixel les supports d’écriture se
métamorphoseraient.
Ce que nous appelons livre (imprimé sur papier) serait une
chrysalide.
En pensant cette semaine aux mystères de la lecture
immersive, ou peut-être, plus exactement : à l’immersion du lecteur dans
sa lecture, j’ai repensé à La maison du retour, témoignage de Jean-Paul
Kauffmann en 2007, et particulièrement à cet extrait (que j’ai facilement retrouvé sur le web) : « Comme beaucoup de gros liseurs, j’ai longtemps entretenu
un commerce névrotique avec les livres. Peur d’en manquer ? […]
Un jour, cette crainte est devenue réalité. J’ai dit combien j’avais été privé
de livre pendant ma détention au Liban. Ils m’ont aussi sauvé. Quand je n’avais
rien à lire, je me remémorais les lectures d’avant. Il ne s’agissait que d’une
reconstitution. Évidemment ces romans, je ne les savais pas par cœur. Les
poèmes, oui. Je pouvais en réciter encore un certain nombre. Pour le reste, je
me livrais à une tentative de rétablissement ou de représentation d’une chose
disparue. L’exercice m’absorbait à ce point que je parvenais pendant un certain
temps à oublier ma condition. […] Après ma libération, j’ai vite
constaté avec un serrement au cœur que mon rapport aux livres avait
radicalement changé. Quelques bouquins m’étaient parvenus dans ma geôle. Jamais
je n’ai dévoré avec autant d’intensité. J’oubliais la cellule. […]
l’homme libre ne peut lire avec une telle concentration. Il est sans cesse
distrait, éparpillé par le plein exercice de sa liberté. […] La
liberté nous émiette. Enchaîné, j’ai connu à la lueur d’une bougie l’adhésion
absolue au texte, la fusion intégrale aux signes qui le composaient – la
question du sens, je le répète, était secondaire.
Cet acquiescement total, je ne parviens pas à le
retrouver depuis ma délivrance. […] Je le constate avec tristesse :
j’ouvre désormais les volumes d’un geste machinal et les parcours mollement.
Manque cette vigilance impérative, élémentaire, qui m’a prémuni du désespoir. »
Cela doit je pense interroger tous les "gros liseurs".
Il m’est difficile pour l’instant d’argumenter cette
sensation intime, à savoir que mon point de vue sur la prospective du livre nait,
au-delà de ma propre pratique de la lecture, d’une intuition sur les propriétés
immersives de la lecture. Intuition que je ne peux encore formuler.
Peut-être ne s’agit-il que d’un mouvement de l’âme.
Peut-être est-ce réellement ce qu’il se passe en ce moment même
où vous me lisez.
Comment savoir ?
Lire nous met sur des chemins qu’il y a, je trouve, une
certaine élégance à emprunter ; aujourd’hui plus qu’hier peut-être. Mais
nous devons forcément composer avec une réalité aux multiples facettes.
Le consultant n'est pas, fondamentalement, la caricature que tu évoques. Le consultant est en fait le consulté par le "client" qui ne le paye (avec l'argent de son entreprise) que parce qu'il se sent mieux en mesure de remplir sa fonction et ses missions avec ce "consultant" que sans lui ou avec d'autres. Le "mieux" étant ambigu bien sur.
RépondreSupprimerJe constate que l'immersion dans un texte est ce à quoi les grands lecteurs font référence en premier, texte de roman ou pas. Il s'agit alors d'une sorte de drogue qui rétablit une sensation de bien-être. Comme la procure un bon consultant.
Après l'avoir beaucoup ressentie, cette immersion ne me suffit, personnellement pas. Il me faut impérativement que cette lecture m'apporte des informations et des idées-pensées qui valent le temps consacré à cette lecture et aux réflexions qui suivront. J'ai été traumatisé par la bibliothèque idéale de Pivot : comme on ne peut pas tout lire en une vie, il faut impérativement savoir quoi lire et pourquoi. Le comment étant neutre.
En ce sens, les livres sont mes "consultants", chers par le temps qu'ils me "prennent"
sur le si petit temps qui me reste sur cette bonne terre.
Intéressant Lorenzo.
RépondreSupprimerLa question est réellement d'actualité.
Lisons-nous pour nous ou pour les autres ?
Jean-Paul Kauffmann a vécu une expérience de lecture qui ne lui laissait pas beaucoup d'autre choix que de lire en immersion pour oublier ou faire passer le temps.
Immersion ou enfermement dans l'écrit ?
L'immersion a été à la fois sa liberté, un moyen de s'évader en s'enfermant dans une histoire. Le temps (le durée), la lenteur, la disponibilité, le calme (?), l'emprisonnement l'ont immergé dans le texte.
Comment revivre la même "expérience" de lecture ?
En s'enfermant avec des livres dans une grotte de la chaine Himalayenne ?
Par ailleurs, le livre numérique et sa fluidité, liquide dit-on parfois, a cette capacité à être lu et partagé, parfois en temps réel. Lit-on alors pour nous ou pour les autres, ceux qui recevront nos posts, like ou autres ?