Affichage des articles triés par date pour la requête Proust. Trier par pertinence Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par date pour la requête Proust. Trier par pertinence Afficher tous les articles

lundi 3 décembre 2018

Un Fictionaute chez Marcel Proust !

La crainte que j'exprime dans ce texte publié dans Mondes Francophones n'est pas fictive. C'est une crainte bien réelle que je ressens pleinement et qui exprime ma prise de conscience de mon propre fictionaute, ce voyageur dans l'extraterritorialité des fictions. 
Avez-vous déjà ressenti cela ?

Lorenzo_Soccavo-dans-Mondes_Francophones
A lire librement dans son intégralité sur le site de Mondes Francophones...

jeudi 12 avril 2018

Les fictions vues comme des iles

Résumé de ma contribution à la conférence internationale en sciences humaines et sociales Mythanalyse de l'insularité, des 21 et 22 mai 2018 (organisateurs et informations) : Les fictions littéraires considérées comme des îles... 
  
" Cette réflexion prend la forme d'éclats, une succession de courts paragraphes à considérer comme autant d’îlots formant un archipel et donc ayant, au-delà des apparences, une certaine unité, laquelle unité pouvant être annonciatrice d'un isthme, une langue de terre qui s'avancerait dans l'océan du langage comme la presqu’île d'un vaste continent inexploré qui serait celui de la fiction littéraire.

Des kabbalistes considèrent le monde comme étant un phénomène linguistique. Marcel Proust lui-même n'est-il pas chaman lorsqu'il écrit dans Le temps retrouvé, ultime étape de son intime galaxie A la recherche du temps perdu : « Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément », avouant avoir créé son œuvre : « comme un monde, sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. » ?

Lectrices et lecteurs sont par nature des insulaires, mais ce sont aussi des navigateurs, pris par le texte, tantôt poussés au large, tantôt rejetés vers le rivage.
(L'imaginaire des îles s'harmonise bien, me semble-t-il, à ce mouvement qui se saisit du lecteur de fictions ballotté entre le monde du texte qu'il lit, et, le contexte du monde dans lequel il lit, comme entre le monde et la langue maternelle qui structure le monde, et s'éclairerait des explorations psychanalytiques de Marie Bonaparte sur Edgar Allan Poe – je pense notamment à l'île aux abîmes et aux "gouffres alphabétiques" –, et des travaux de Bachelard sur L'eau et les rêves.)

Ce balancement exprime subtilement le débat qui se croit contemporain sur l'attention et la distraction. En 1905 Proust l'aborde dans un texte qui n'était qu'une préface et est connu sous le titre Sur la lecture dont l'incipit a traversé le temps : « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. ».

Aux fondements de la lecture littéraire niche une ambiguïté entre le contexte et le texte. Le lecteur est dans cet entre-deux, comme entre deux îles, il lit entre texte et contexte et se retrouve ainsi dans un inter-dit et ce que j'appellerais un outre-autre : un au-delà qui est autre, cet inconnu vers lequel il est attiré comme un navigateur l'est par des îles.

Considérer les îles comme des textes et le langage comme un océan, considérer lectrices et lecteurs comme des insulaires navigateurs n'est-ce pas approcher une vérité de l'être qui serait lettre, créature anthropoglyphe : une lettre qui aurait une forme animale humaine ? Qu'écriraient alors nos navigations ?

Passer de la figure du fictionaute, que je définis comme la densification de la part de soi qu'un lecteur de fictions littéraires projette dans ce qu'il lit, à celle du navigateur, c'est passer d'Ulysse navigateur à Ulysse voyageur interstellaire. En 1981 une série télévisée d'animation franco-japonaise avec Ulysse 31 au… 31e siècle, proposait cette lecture.

Pour les îles les frontières sont ailleurs, dans les eaux territoriales, aux confins des réalités et de l'imaginaire. Dans une perspective mythanalytique les îles et les voyages d'une île à une autre dessinent une graphie qui pourrait être la transcription d'une méthode de lecture en écho à la double métaphore bien connue du monde comme livre et du livre comme monde, qui deviendrait ainsi l'île comme livre et le livre comme île.
Nos références bibliographiques sont ici l'Odyssée d'Homère, Mardi de Herman Melville, Les aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe, Flatland de Edwin A. Abbott, La Tempête de Shakespeare.
Chaque île, comme chaque livre, offre une lecture de soi et est remise en question de son identité narrative. "

vendredi 6 avril 2018

Marcel Proust - du chaman au fictionaute

Ma communication sur Marcel Proust, du chaman au fictionaute à l'occasion de la séance du séminaire EMC (Ethiques et Mythes de la Création) de l'Institut Charles Cros du 4 avril 2018 à Paris, sur le thème "Écritures secrètes et lectures littéraires du chamanisme" est en ligne dans son intégralité :


mercredi 7 mars 2018

Une lecture sur les traces du chamanisme chez Marcel Proust

En avril j'aurai le plaisir dans le cadre du séminaire Ethiques et Mythes de la Création auquel je suis rattaché auprès de l'Institut Charles Cros, de présenter mes réflexions sur le thème : « À la recherche du temps perdu, pour une lecture chamanique de Marcel Proust » dans le prolongement de mes recherches sur l'espace intérieur des lectrices et des lecteurs de fictions littéraires. 
  
Cette séance du 04 avril 2018 explorera les « Écritures secrètes et lectures littéraires du chamanisme ». 
J'y interviendrai en compagnie de Sylvie DALLET, professeur des universités (CHCSC, IECI, université Marne la Vallée Paris-Est, UPEM art et histoire culturelle), et présidente de l'Institut Charles Cros : (introduction du séminaire 2018 et communication « Résurgences littéraires et mutations  du chamanisme »), et Olga KATAEVA, peintre et docteure en cinéma et études audiovisuelles (« La série des dessins de Serguei Eisenstein L’âme sortant du corps (1939) »). 
  
Ma communication proposera, à partir d'une lecture attentive de l’œuvre de Marcel Proust, d’étayer le postulat suivant formulé dans l'esprit de l'oeuvre de W. G. Sebald : « Il n’y a pas lieu d’opposer ce qu’un cerveau a inventé à ce qui a réellement existé. Car le monde dont nous expérimentons quotidiennement la réalité n’est pas lui-même autre chose que le recouvrement du monde naturel par celui que le cerveau humain a produit… » (Jacques Rancière dans son récent essai Les bords de la fiction (2017), faisant référence à l'écrivaine américaine Lynne Sharon Schwartz dans son ouvrage L'archéologue de la mémoire - Conversations avec W. G. Sebald, 2009). 
La lecture chamanistique de Proust que je proposerai nous permettra d’approcher des passages entre les mondes fictionnels des textes littéraires, et, le monde-monde naturel.

Informations pratiques
Le mercredi 04 avril 2018, 14H00-18H00, entrée libre sur inscription par mail à sylvie.dallet@uvsq.fr - Espace Harmattan, 24 rue des Ecoles 75006 Paris.

samedi 24 février 2018

Le Livre Hors le Livre ?

J'ai eu le plaisir de participer le vendredi 23 février 2018 au "cycle de conférences professionnelles des étudiants de l'Université Paris 13" et à la table ronde animée par les étudiant-e-s du M2 Politiques et stratégies des médias et des industries créatives, sur le thème général : Le Livre hors le livre, à la Maison des Sciences de l'Homme Paris-Nord.
  
Au cours de ma conférence d'introduction : "Accompagner la mutation du lecteur au fictionaute", je me suis interrogé sur les sens que pouvait prendre ce "hors le livre", nous invitant à passer d'un : "Le livre hors le livre", à un : "Le livre, or le livre..." 
  
Extrait : " Le livre hors le livre : comment est-ce possible ? De quoi s'agirait-il ?
C'est comme si nous essayions de penser la maison hors la maison, la ville hors la ville, la forêt hors la forêt, etc. Cela serait difficile, voire impossible, alors pourquoi cela devrait-il être possible pour le livre ? C'est aussi imaginer un hors d'eux-mêmes comme si nous disions aux personnages : « Sortez de ce livre ! ».
Or, s'agit-il de faire sortir le livre du livre, ou, nous lectrices et lecteurs, d'entrer dans le livre et d'y conquérir une certaine autonomie ?
Le livre hors le livre c'est le monde hors le monde, c'est une inflammation de la double métaphore du monde comme livre, et, du livre comme monde, c'est la question de la limite du livre qui pose en fait celle de la lecture, du transmédia, par exemple, et du rapport sans cesse réévalué entre réalité et fiction, mais c'est d'abord, nous l'entendons bien, avant tout une question d'espaces, d'espace et d'imaginaire, d'espace de l'imaginaire, et même des fondements de la lecture de fictions littéraires, avec cette ambiguïté originelle entre contexte et texte (Proust), la question des métalepses…"

lundi 20 mars 2017

Retour sur le Festival VIDEOFORMES 2017

J'ai eu le plaisir pour la deuxième année consécutive de participer à la table ronde du festival international d'arts numériques VIDEOFORMES.

En compagnie d'Elise Aspord (Docteur en histoire de l’art et membre associée du laboratoire Communication et Solidarité, Université Clermont Auvergne), qui présentait et animait cette rencontre, et de l'artiste iranienne Golnaz Behrouznia, j'ai pu exposer quelques-unes de mes idées sur le sujet de la narration non-verbale et essayer d'apporter quelques éléments de réponse à la question : pourquoi des images seules font-elles narration ?

 Mon intervention en résumé :

J'ai développé ma réflexion dans la perspective de cette citation de Marcel Proust : "Nous sentons dans un monde, nous pensons, nous nommons dans un autre, nous pouvons entre les deux établir une concordance mais non combler l'intervalle." (Du côté de Guermantes).
J'ai commencé par montrer quelques illustrations de paréidolies, un type d'illusions d'optique engendrées par notre cerveau et qui nous font reconnaître dans des formes naturelles (nuages, roches…) des visages humains ou des silhouettes animales..., pour évoquer ensuite les travaux du psychologue cognitiviste Stanislas Dehaene sur la lecture et la reconnaissance des formes.
Avec en illustration le tableau de William Blake, Christian lisant son livre, j'ai abordé la question : Qu'est-ce que lire ?
Je me suis ensuite inspiré d'une peinture d'un peintre italien du 16e siècle, Allégorie de l'aube, par Battista Dossi, pour évoquer la nouvelle théorie du rêve proposée par le neurobiologiste français Jean-Pol Tassin, pour lequel ce serait le réveil qui engendrerait le rêve... 
 
Enfin, c'est sur la célèbre photographie de Daguerre du boulevard du Temple en 1838 (photo ci-contre) que j'ai conclu mon intervention, en la proposant comme une hyper-métaphore d'un psaume de la Septante qui dit : 
 
"C'est dans l'image que chemine l'homme.
(Traduction de Jean-Louis Chrétien).

Bien évidemment ce n'est là qu'un résumé... 
Et qui que vous soyez à lire ce blog, je reste disponible pour venir échanger avec vous en d'autres endroits, en d'autres occasions.

N.B. illustrations photographiques : en haut photo de Gabriel Soucheyre, en bas photo de Loïez Deniel. Merci à eux deux.

vendredi 3 février 2017

La Narration Non Verbale - table ronde

Pour la deuxième année consécutive j'aurai le plaisir de participer le 18 mars prochain à la table ronde, organisée dans le cadre du Festival d'arts numériques VidéoFormes de Clermont-Ferrand.
 
Le thème en sera : Deuxième écran / Premier écrit (présentation en ligne sur le site de VIDEOFORMES).
En partenariat avec l’Université Clermont Auvergne, le Service Université Culture, l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS (ISCC pôle Auvergne) et Littérature au centre (LAC), cette table ronde sera présentée et modérée par Elise Aspord (Docteur en histoire de l’art et membre associée du laboratoire Communication et Solidarité, Université Clermont Auvergne, et de l’ISCC Auvergne), et elle accueillera également comme autres participants, Golnaz Behrouznia (artiste en résidence à VIDEOFORMES et qui présente Lumina Fiction  #2 à la Galerie de l’Art du Temps), Jean-Paul Fourmentraux (professeur des Universités HDR - Aix-Marseille, Centre Norbert ELIAS / CNRS / EHESS, IMéRA et Directeur de programme Art, Science, Société).
 
Mon intervention portera sur le sujet de la narration non-verbale, et en voici une première approche introductive : 
  
" Dans la genèse de notre espèce l'image est première. Comme en témoignent aujourd'hui encore les peintures pariétales, c'est à partir d'elles, des images, que nous faisons notre lecture du monde. Chacun(e) d'entre nous repasse par ces étapes civilisationnelles : l'intensité des rêves du nourrisson, l'acquisition du langage articulé, la découverte de la parole performative, puis l'écrit et la lecture silencieuse du monde. Des lectures qui transforment le monde et font émerger d'autres mondes. C'est au cours de ce processus "alchimique" que les images deviennent verbe et que le verbe singulier prend formes, au pluriel. Des formes multiples. Un psaume de la Septante dit que : "C'est dans l'image que chemine l'homme".
Des grottes de Lascaux aux casques de réalité virtuelle, pour paraphraser Ludwig Wittgenstein : "Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde". Alors, pourquoi les images font-elles narration ? Mais, aussi, qu'est-ce que les nommer fait, qu'est-ce que nommer entraine ? Voilà les questions que j'aborderai à la table ronde du 18 mars 2017 à Vidéoformes, car : "Nous sentons dans un monde, nous pensons, nous nommons dans un autre, nous pouvons entre les deux établir une concordance mais non combler l'intervalle." (Proust - Le côté de Guermantes). "

Infos pratiques : le samedi 18 mars 2017, 10H00-12H30, Maison de la Culture, salle Boris Vian, Clermont-Ferrand, programme du festival d'arts numériques ici : http://festival2017.videoformes.com/  :-) 

samedi 16 juillet 2016

Ma lecture de FAIT ET FICTION de Françoise Lavocat

Je ne suis ni critique ni chroniqueur. Ci-après il ne s'agit donc que de ma lecture subjective, de mon ressenti personnel eu égard aux divergences et aux convergences, aux éventuelles synergies avec mes propres recherches en prospective des dispositifs et des pratiques de lecture.
J'ai donc lu Fait et Fiction – Pour une frontière de Françoise Lavocat, paru récemment aux éditions du Seuil.
Je l'ai lu de la première lettre de l'introduction (un L) à la dernière de la conclusion (un S). Mes initiales. La synchronicité induite par "la chose" me met d'emblée en délicatesse avec l'ancrage rationaliste de cet essai, par ailleurs vraiment fort intéressant, mais évacuant totalement, au vu de ma propre expérience, la dimension humaine de la lecture de fictions littéraires.
 
Un essai ambitieux et érudit
 
Heureusement cet ouvrage a cependant plein de qualités. Françoise Lavocat a réussi la gageure de le structurer avec intelligence, ce qui n'a sans doute guère été facile, considérant tant le sujet, que la masse d'essais, de thèses et de théories qui s’accumulent depuis des décennies.
L'ensemble se présente sommairement ainsi : une introduction assez longue qui expose les postulats, les choix théoriques et balise le parcours qui sera suivi ; puis trois grandes parties, chacune subdivisées en 4, 5, 4 chapitres, déclinés en un certain nombre de points. Enfin, une conclusion, qui n'a résonné en moi que comme une justification du point de vue rationnel qui, malgré tout, prévaut tout au long.
- La première partie : Monismes contre dualismes, pose d'emblée l'opposition entre :

dimanche 21 octobre 2012

Semaine 42/52 : Le livre dépasse la fiction

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 42/52.
 
Cette semaine, dans la perspective du premier salon de la littérature de science-fiction qui devrait être organisé début 2013 sur le Métavers  ce continent numérique, véritable extension de notre monde, comme lui encodé, comme lui avec sa spatio-temporalité, et qui ces prochaines années avec l’émergence de nouvelles interfaces de navigation dans la réalité mixte débouchera probablement sur un nouveau biotope mêlant "réalité matérielle" à "réalité virtuelle" (ce que j’appelle parfois “la bibliosphère”) ; cette semaine donc je me suis surpris à avoir de nouveau l’esprit occupé par l’étrange absence du livre comme interface de lecture dans la SF.
 
Il y a quelques années je m’étais déjà préoccupé de cela et j’avais dressé une liste de quelques ouvrages. Pour mémoire :
 
En 1892, La vie électrique, par Albert Robida ;
1894, La fin des livres, Octave Uzanne et Albert Robida ;
1902, L'agonie du papier, Alphonse Allais ;
1932, La Mort du Livre. Anticipations bibliophiliques, Maurice Escoffier ;
1943, Ravage, René Barjavel ;
1944, La bibliothèque de Babel, Jorge Luis Borges ;
1946, Chroniques martiennes, Ray Bradbury ;
1953 (USA), 1955 (France), Fahrenheit 451, Ray Bradbury ;
1965, Dune I, Frank Herbert ;
1968, 2001 Odyssée de l’espace, Arthur C. Clarke ;
1975, Le livre de sable (dont, Le Congrès), Jorge Luis Borges ;
1988, Prélude à Fondation, Isaac Asimov ;
1992, Le samouraï virtuel, Neal Stephenson ;
1995, L’âge de diamant, Neal Stephenson ;
2006, Rainbows End, Vernor Vinge ;
2008, Le Messager, Eric Bénier-Bürckel…
Globalement et à l’exception de ce dernier (et aussi un peu de Stephenson) le devenir du livre se ramènerait à la forme primitive d’une tablette d’argile, mais multimédia, une micro-télévision, avec ce potentiel de devenir cet écran omniscient qui filtre ce que nous devons voir, qui nous géolocalise, qui nous surveille, ces Télécrans dans “1984” d’Orwell.
Fatalisme ? Manque d’imagination ? Ou mauvais présage ?
J’ai déjà cité dans ces chroniques le final désespérant de l’essai de Charles Dantzig, "Pourquoi lire ?" (Grasset, 2010) : « Et quand l'objet en papier aura disparu, pour la satisfaction douloureuse des amers qui diront : je l'avais prédit, nous répondrons : et alors ? Nous ne lisons plus les rouleaux de Rome, seuls quelques érudits savent qu'ils ont existé, et la littérature romaine demeure, en partie. Plus noirs que ces amers, on dira que l'informatisation servira encore mieux les puissants, qui pourront ranger l'humanité dans des appartements toujours plus petits, puisque plus besoin de bibliothèques et tout dans iPad, et que, un jour, quand tout cela sera réduit à un tout petit point rouge, il clignotera fébrilement, puis, hoquetant de moins en moins, il s'éteindra. ».
   
Rendez-vous en 2440
 
A ma connaissance le premier roman français d’anticipation : L'An 2440, rêve s'il en fut jamais, daterait de 1771, sous la plume de Louis-Sébastien Mercier, littérateur qui se qualifiait lui-même du titre de : « plus grand livrier de France ». Malheureusement son chapitre titré “La bibliothèque du roi” ne m’a laissé aucun souvenir ; j’ai l’impression que le livre n’inspire pas : d’ailleurs de grands imaginatifs comme Léonard de Vinci ou Jules Verne n’ont rien vu, n’ont rien écrit sur l’avenir du livre.
Objet idéal et fini, comme la roue, le livre semble condamné à n’avoir point d’avenir, sinon celui d’un juif errant.
Le livre ne fait pas rêver. Nous le considérons comme une brouette à charrier les rosiers et les mille et une plantations de nos jungles imaginaires. En tant que support il apparaît suffisant. Et pourtant…
 
Les technophiles de la fin du 19e et du début du 20e siècles imaginèrent eux, pour les téléphones il est vrai, des fonctionnalités qui se voulurent originales, mais que nous dépassons aujourd’hui quotidiennement.
En 1902, dans “L’agonie du papier”, Alphonse Allais prévoyait que texte et papier n’allaient pas toujours rester indissociables, et au fond, Émile Souvestre en 1846 dans “Le monde tel qu'il sera”, allait déjà dans ce sens.
Victor Hugo, notre grand Victor Hugo, fut l’un des premiers à tester le théâtrophone créé en 1881 par l'inventeur français Clément Ader, davantage connu pour ses travaux en aéronautique.
Ce théâtrophone fut le premier medium électrique de diffusion culturelle. Il s’agissait d’un système permettant de diffuser par le premier réseau téléphonique parisien, des concerts et des pièces de théâtre, depuis l'Opéra, l'Opéra-comique ou le Théâtre-Français.
« C'est très curieux, écrivit Victor Hugo bonhomme, dans une lettre du 11 novembre 1881. On se met aux oreilles deux couvre-oreilles qui correspondent avec le mur, et l'on entend la représentation de l'Opéra, on change de couvre-oreilles et l'on entend le Théâtre-Français, Coquelin, etc. On change encore et l'on entend l'Opéra-comique. Les enfants étaient charmés et moi aussi. ».
En 1911 Marcel Proust y est abonné. C’est dire. Mais cela dit, depuis 2007 le moindre smartphone d’entrée de gamme dépasse largement ces prouesses d’alors.
 
Le livre encore, le livre toujours, la tablette internet maintenant, apparaissent suffisants à beaucoup. Et pourtant…
Pourtant la recherche scientifique avance. Les supports de stockage vont évoluer et décupler leurs puissances, sur du verre de quartz ou dans des séquences d’ADN de synthèse. Les technologies d’affichage vont évoluer, notamment avec des “encres intelligentes” électroconductives. Les interfaces de lecture vont évoluer avec des supports flexibles, enroulables, rétractables, les picoprojections, avec les nano et les biotechnologies aussi. Je pourrais citer des dizaines d’exemples déjà…
N’est-il pas curieux que personne ne pense à l’impression, alors qu’il s’agit de livres ?
L’impression 3D (en pleine progression et que l’on trouve aussi chez Neal Stephenson) ne pourrait-elle permettre un jour à chacun la fabrication de pièces uniques sur mesure : d’appendices pour lecteurs ?
 
Comme la réalité dépasse toujours la fiction, le livre, je vous le dis, va surpasser la science fiction.
C’est juste une question de temps.
Le compte à rebours est en marche.
Écoutez. La prochaine fois que vous tournerez les pages d’un livre de papier, écoutez bien. Sur un écran tactile vous n’entendrez rien. Écoutez quand vous tournez les pages. Je vous le dis : l’avenir du livre n’est ni sur papier ni sur écran. Il est en nous. L’avenir du livre n’est ni sur papier ni sur écran, mais le livre a un avenir. Simplement, il a un avenir que les auteurs, comme les autres  et les professionnels du livre encore plus que tous les autres, n’arrivent pas à imaginer.

vendredi 10 août 2012

La lecture immersive selon Proust, ou, « Cette impression de rêve que l’on ressent à Venise »

En 1906, aux éditions de la Société du Mercure de France, Marcel Proust publie en préface à sa traduction de l’ouvrage du critique d’art anglais John Ruskin, Sésame et les lys, un texte titré : Sur la lecture. Il y prend ses distances d’avec Ruskin et y affirme des opinions personnelles assez tranchées sur ce qu’il nommera : « l’acte psychologique original appelé Lecture ».
 
Un acte psychologique

De quoi s’agit-il ? S’agirait-il en fait, sous la plume de Proust et sous prétexte d’une préface, davantage que d’un éloge général de la lecture, de l’approche d’une certaine pratique de cette dernière, au fond, de la lecture immersive ?
Ce court texte, de quelques dizaines de pages seulement, aurait-il pu être le "pré-texte" d’un texte que Proust n’écrivit jamais ?

Comment définir la lecture immersive sans sombrer avec le chant des sirènes du siècle encore nouveau et de ses gadgets informatiques ?
Simplement, peut-être, en me référant à ce qu’Alberto Manguel, pur de tout soupçon de technophilie, écrivit dans Une histoire de la lecture (Actes Sud éd., 1998) au sujet de la lecture privée, se penchant sur la lecture au lit ; le lit, à la fois territoire privé et espace de voyage s’il en est, pensons au “radeau-lit” de Colette. Rien de vraiment défini cependant. Comment définir un sentiment intime, indéfinissable, sans prendre le risque de le voir s’évanouir ?

Si depuis l’Antiquité on peut distinguer une pratique de la lecture intensive (le lecteur lit et relit par contrainte sociale un nombre limité de livres), de celle d’une lecture extensive (le lecteur lit librement de nombreux livres nouveaux), nous ne pouvons je pense que nous interroger sur le pourquoi du silence, tant des humanistes, des lettrés, que des philologues et des historiens du livre, concernant la lecture immersive, laquelle conjugue pourtant de fait, aux plaisirs d’une lecture extensive de découverte, certains des bienfaits supposés d’une lecture intensive.
Pourquoi ? Peut-être simplement parce que ce mouvement de l’esprit est si naturel au lecteur qu’il semble inutile de s’y attarder.
Peut-être n'est-ce qu'un effet du siècle, du nôtre, de ce monde d’écrans et de flux, qui nous conduirait à considérer avec une attention particulière ce que nos semblables ont naturellement expérimentés depuis l’aube de la lecture.

Comment (re)définir ce dont il s’agit, tout en nous positionnant par rapport au texte évoqué de Proust ?
La lecture, qu’est-ce ?
L’acte psychologique de lire ? Et lire alors qu’est-ce ?
Renouer avec la marche des premiers hominidés partant à l’aventure dans un monde où tout était à nommer ?
(Ces quelques mots d’Albert Bensoussan, dans sa présentation du chef-d’œuvre de Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude : « Là, tout sera à créer et l'on vivra le déchiffrement des premiers jours du monde, car "beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt". Et voilà l'humaine condition installée dans l'Histoire, dans la contingence, dans le devenir et le cyclique... »)
Et l’immersion ?
Plonger dans un texte, sauter à pieds joints dans sa lecture, au point d’en oublier son environnement, ses préoccupations ; aller comme au cours d’une longue marche à pas rapides, tout entier dans son souffle, et au point, sa lecture terminée, d’avoir l’impression très nette d’avoir vu le film de ce que l’on vient de lire alors qu’il n’en est rien, voilà qui relève et signe à mon sens une lecture immersive.
Mais d’abord, qu’entendons-nous ici par lecteur, ou lectrice bien entendu ?
Un qui voudrait ne pas mourir, non pas pour rester en vie, mais pour continuer à lire.
Rien de plus illusoire en effet que la plainte mallarméenne : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. ». A partir du 12e siècle, si ce n’est plus tôt, il y eut plus de livre en circulation qu’un lecteur assidu ne pouvait en lire au cours de sa vie. Et l’augmentation de l’espérance de vie n’est rien comparée aux progrès, jadis de l’imprimerie, aujourd’hui de l’informatique.
 
Le lecteur Marcel Proust et les sortilèges
 
Proust commence sa préface par cette phrase (devenue presque aussi célèbre que le fameux : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. ») : « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. ».
Avec les heures de jeux, les heures de lecture sont paradoxalement celles qu’enfants nous vivions le plus intensément. Une pensée à Bachelard qui écrivit : « L'enfance est certainement plus grande que la réalité. ».

Nous abordons là, si nous suivons bien Proust, un paradoxe. Car en effet, le souvenir, aujourd’hui, de ces heures de lecture, de ces heures d’apparente absence au monde environnant, ce souvenir se trouve habité non pas, ou presque plus, ou si peu, des souvenirs des lectures concernées, mais, du contexte de ces lectures, de ce à quoi précisément ces lectures nous rendaient absent.
« Tout cela, écrit Proust, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec tant d’amour,) que, s’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfouis… ».
La lecture encre la nostalgie. Peut-être en est-elle la chambre ? Peut-être en fait-elle le lit ? Si cette idée me traverse l’esprit c’est que, dans ses digressions pour séduire sa dédicataire, la Princesse Alexandre de Caraman-Chimay, l’ami Proust évoque pour cette Hélène sa chambre idéale : « Pour moi, écrit-il, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vies profondément différentes de la mienne, d’un goût opposé au mien, où je ne retrouve rien de ma pensée consciente, où mon imagination s’exalte en se sentant plongée [immergée] au sein du non-moi… ».

Il apparaît ainsi progressivement que l’objectif de Proust dans ce texte est plutôt en vérité de mettre en garde ses lecteurs sur la lecture : « La lecture ne doit pas jouer dans la vie le rôle prépondérant que lui assigne Ruskin » !
Exception faite donc de ces « lectures de l’enfance », comme des îles qui : « laissent surtout en nous l’image des lieux et des jours où nous les avons faites… ».
Proust parle alors de sortilège, et il faut bien reconnaître que son analyse est fine : « J’ai parlé de toute autre chose que des livres parce que ce n’est pas d’eux qu’elles [les lectures d’enfance] m’ont parlé. ».
Ainsi abordons-nous cet « acte psychologique original appelé Lecture », qui pourrait donc être infidèle aux livres eux-mêmes.
Dès lors, il s’agit de suivre Proust, de s’attarder avec lui sur cette fameuse conférence de Ruskin, dite conférence des « Trésors des Rois », donnée le 06 décembre 1864 à l’Hôtel de Ville de Rusholme, dans la périphérie de Manchester, conférence incorporée au corpus de cours que Ruskin donnait alors sous le nom de Sésame et les lys.
 
Le labyrinthe de nos lectures

Pour exposer à ses lecteurs la thèse développée par Ruskin dans ces cours, Proust cite Descartes pour lequel : « La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs. ».
L’esprit général du propos est donc que, si l’on ne choisit pas sa famille, l’on peut choisir ses amis et, plus particulièrement encore : ses lectures.
Courir le monde, fréquenter la et les sociétés, serait ainsi perdre son temps, car, pour Ruskin précise Proust : « la lecture est exactement une conversation avec des hommes beaucoup plus sages et plus intéressants que ceux que nous pouvons avoir l’occasion de connaître autour de nous. ». (Les crapules n’écrivent-elles donc pas ? J’en doute !)

Préfacier critique, Proust a cependant prétention à aller plus loin que son prédécesseur, « à aller au cœur même de l’idée de lecture ». Lecteur exigeant, il déclare franchement que dès son enfance ce n’étaient pas tant les histoires, les personnages et leurs intrigues qui le motivaient dans ses lectures, mais, véritablement une recherche d’ordre esthétique, déjà ; la beauté opérante de telle phrase bien précise, et qui seule l’entraînait dans ce vaste mouvement de la lecture qui n’était plus alors toute entière que la recherche effrénée et souvent déçue, que le désir de “la belle phrase” retrouvée, plus loin, ailleurs, sur d’autres pages, à la fois autre et identique à elle-même par ce mouvement de lecture qu’elle nourrissait.
Illusion d’un petit Marcel posant pour la postérité en enfant modèle ? Peut-être pas. La lecture, dans sa perspective immersive, est bien de l’ordre du désir, du rapport entre satisfactions et frustrations, et ces désirs engendrés par de belles phrases incitatives sont comme les promesses informulées des jeunes filles en fleurs.

Là où en écho à nombre d’arts du roman, d’Édith Wharton ou de Milan Kundera, du Lector in fabula d’Umberto Eco (sous-titré : Le rôle du lecteur, et qui analyse la coopération interprétative du lecteur), Proust, précurseur, fait déjà un pas de plus, affirmant lui que : « notre sagesse [de lecteur] commence où celle de l’auteur finit. ».
Il introduit presque une dimension initiatique, en ce sens qu’il pourrait faire de la lecture un enseignement spirituel. Mais non. Il l’écrit d’ailleurs un peu plus loin dans cette fameuse préface : « La lecture est au seuil de la vie spirituelle : elle ne peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. ».
La réalité de ce qu’il lit se dérobe sans cesse au lecteur, et c’est ce mouvement, comme la cape d’un matador de toros, qui fait le lecteur avancer et se prendre aux leurres spectaculaires de ses lectures et de leurs labyrinthes.
Ce n’est certainement qu’en auteur fécond d’autofictions que Proust peut se permettre d’adopter cette position critique vis-à-vis de la lecture ; la position hautaine d’un qui pratiquerait l’art exigeant des lectures disciplinées dont la mission seraient de stimuler la vie de l’esprit. 
 
« Cette impression de rêve que l’on ressent à Venise »

« Tant que la lecture est pour nous, écrit Proust, l’incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer [son rôle initiatique], son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle… ».
Le danger pointé ici par Proust serait bien que lecteur prenne les mots qu’il lit, les mots d’un autre, pour ses propres idées, à lui animal-lecteur, qu’il vive par procuration en quelque sorte la vie personnelle de son esprit, qu’il recherche la vérité, non pas en lui-même, mais, dans les bibliothèques, dans les livres, dans ses lectures, ce genre de vérités qui portent le pluriel et qui, Proust le souligne judicieusement avec une pointe d’aimable impertinence, sont : ces vérités que l’on peut prendre en notes pour qu’elles ne puissent nous échapper. Lecteurs et lettrés sont dans un bateau et cetera…
 
Alors que les siècles nous malmènent, rappelons-nous à chaque page que nous lisons, que pour nous autres lecteurs s’ouvre le vaste domaine de la pensée et de l’action, et que plonger dans la lecture peut être plonger dans le sens profond, universel si ce n’est éternel, de la vie, de la vie de l’esprit, sans limites d’aucune sorte, sans limites de temps, sans limites d’espaces, sans limites physiques.
Oui, « que de fois, conclut Proust, dans la Divine Comédie, dans Shakespeare, j’ai eu cette impression d’avoir devant moi, inséré dans l’heure présente, un peu du passé, cette impression de rêve qu’on ressent à Venise… ».

jeudi 3 février 2011

Lectures digitales [suites]

Mission impossible hier soir pour exposer en une dizaine de minutes, dans un état grippal et avec un vidéoprojecteur facétieux, l'aventure humaine de la lecture, de l'Homo Habilis à l'Homo Fluxus, dans le cadre sympathique du premier MCDate 2011, organisé par l'association Musiques et Cultures Digitales à la Maison des Métallos (Paris 11e).

Fait symptomatique, de l'enjeu réel des transformations actuelles, il y aura été davantage question de lectures digitales, que de livres numériques.
Je tiens à attirer d'abord l'attention sur les travaux des deux autres participantes à cette table ronde :

- Carole Lipsyc, auteur et directrice du développement d'Adreva (Association pour le développement des récits variables), conceptrice du Récit des 3 espaces qui permet d'appréhender la "littérature virtuelle".

"La littérature virtuelle ne désigne pas, comme on pourrait le croire, des livres qui sont lus sur des écrans.

La littérature virtuelle désigne des récits conçus pour exister sous différentes formes.
Des récits qui peuvent être tout à la fois
- des livres imprimés traditionnels ;
- des livres électroniques interactifs (hypertextes) ;
- des installations (labyrinthes, livres urbains ou citéLivres, expositions multi-supports) ;
- des jeux dispersants ou "pervasive gaming" (des jeux à cheval entre la réalité et Internet).
Le livre devient virtuel parce qu’il peut virtuellement s’incarner sur n’importe quel support. Il n’est pas virtuel parce qu’il a quitté l’espace du papier et du palpable pour se réfugier dans un écran. [...]
Le livre est virtuel car ses textes peuvent - dans leur ordre et dans leur nombre - se prêter à des combinaisons infinies. Il est virtuel parce qu’il est variable et "fractal"..."

- Véronique Aubouy, conceptrice du Baiser de la Matrice, expérience francophone et planétaire d'une lecture filmée collective de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust. A voir.

De Homo Habilis à Homo Fluxus

Ma présentation ci-dessus rend imparfaitement compte encore de la réécriture profonde de nos pratiques de lectures et des impacts culturels et civilisationnels qu'elle aura certainement.
Nous pouvons d'ores et déjà en observer les premiers signes :  
- Une lecture fragmentaire, corollaire d'une lecture enrichie : moins linéaire, davantage extensive, qui au-delà du texte s'ouvre au multimédia...
- Une lecture sociale, corollaire du développement des réseaux sociaux : commentée, partagée, enrichie par l'écriture de lecteurs contributeurs, avec de nouvelles médiations et de nouveaux prescripteurs...
- Une lecture connectée, corollaire du développement du cloud computing : une lecture en streaming sur le modèle de l'écoute de la musique, une lecture pervasive.
Mais aussi, parfois, une lecture synesthésique, prise dans la trame de la réalité augmentée et de l'intelligence artificielle.
L'internet des objets va un jour (prochain) démultiplier les surfaces/supports de lecture, tout ce qui "peut faire livre".
La bibliographie naturelle des premiers âges, ainsi, reviendrait sur les hommes, comme un retour de sens (comme je dirais : "comme un retour de flammes").

Ce post fait suite quelque part à celui du 25 janvier (Lectures Digitales - Institut du Numérique Université Paris Ouest) et à celui du 30 janvier sur Le Livre dans les Metavers (intéressant de remarquer que les expériences de récits et de lectures, tant de Carole Lipsyc que de Véronique Aubouy, ont déjà été accueillies dans Second Life par l'équipe de la Bibliothèque francophone du Métavers).

mercredi 4 novembre 2009

Borges en prospectiviste

Oui. Je reconnais Borges comme précurseur de la prospective du livre et de l’édition. Quoi de plus flagrant et en l’espèce de plus probant, que cette déclaration sereine en entrée de sa nouvelle Le livre de sable (dans le recueil éponyme) : « La ligne est composée d’un nombre infini de points ; le plan [la page] d’un nombre infini de lignes ; le volume, d’un nombre infini de plans [de pages] ; l’hypervolume, d’un nombre infini de volumes. ». Quoi de plus en écho avec ce que nous vivons en ce début de 21e siècle, ces nouveaux dispositifs de lecture qui envahissent le champ du livre imprimé, ces tablettes d’e-paper d’une seule et unique page réinscriptible, ou davantage parlant encore, ce Web sémantique qui émerge, comme un hypervolume infini.
Il est aujourd’hui incontestable que durant ce millénaire l’objet livre avec ses avatars multiples échappera au temps, passera, en effet, des hypertextes à l’hyperlivre. Unique ?
Dans le labyrinthe de son œuvre, qui s’étage en spirale autour de l’axe de la littérature, de la littérature fondée sur la production vive de signes écrits et conçue comme une mémoire collective partagée (« Les mots sont des symboles qui postulent une mémoire partagée. » écrit-il dans Le Congrès), Jorge Luis Borges (1899-1986), dans le labyrinthe de son œuvre donc, les livres y figurent comme autant de bibliothèques labyrinthiques.
Des livres dans les bibliothèques, nous accédons aux bibliothèques dans un Livre unique. Volume ou rouleau infini ? Flux ?
Le livre de sable (1975) est en effet, avec La bibliothèque de Babel (écrite en 1941 et éditée en 1944), le texte qui, à ma connaissance, a le plus de liens avec ce que nous allons vivre au cours de ce 21e siècle. Mais nous pouvons aussi y ajouter Le Congrès (précédemment cité et situé dans le recueil Le livre de sable), car il y est aussi question d‘une bibliothèque : de “La bibliothèque du Congrès du Monde”, laquelle n’est pas sans nous rappeler les ambitions de projets actuels, tels Europeana, ou encore, de la Bibliothèque numérique mondiale (BNM) de l’Unesco.
Depuis la bibliothèque d’Alexandrie, non, en vérité bien plus tôt, depuis la plus haute Antiquité (3500 avant J.-C.) ce rêve d’une bibliothèque universelle a hanté les esprits savants, semblant devenir de plus en plus irréalisable au fil des siècles où les savoirs s’accumulèrent et s’accumulèrent et s’accumulèrent ! Et tant la noble visée de Michael Hart, en 1971, avec son Projet Gutenberg (lui qui écrivit en 1998 : « Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes œuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués… ». Extrait entretien dans Technologies et livre pour tous, Marie Lebert, NEF, Université de Toronto, 2008), tant donc le Projet Gutenberg, que l’entreprise planétaire Google Books, se rattachent, tous deux, et les autres, à ce même rêve d’une bibliothèque universelle.
Pour les responsables du Congrès imaginé par Borges : « La bibliothèque du Congrès du Monde ne pouvait s’en tenir à des ouvrages de consultation et [que] les œuvres classiques de tous les pays et de toutes les langues constituaient un véritable témoignage que nous ne pouvions négliger sans danger. ».
Plus évocateur encore, La Bibliothèque de Babel (peut-être sa plus célèbre nouvelle au sein du recueil Fictions) n’est pas, aujourd’hui, sans nous rappeler les gigantesques data-centers, centres vitaux pour les géants de l’électronique mondiale et de l’entertainment réunis (Google et Apple notamment), et où chaque livre numérique est une infinie suite de 0 et de 1.
« L'univers (que d'autres appellent la Bibliothèque) se compose d'un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries [écrit Borges dans ce texte], avec au centre de vastes puits d'aération bordés par des balustrades très basses. De chacun de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galeries est invariable. […] Chacun des pans libres donne sur un couloir étroit, lequel débouche sur une autre galerie, identique à la première et à toutes. […] À proximité passe l'escalier en colimaçon, qui s'abîme et s'élève à perte de vue. Dans le couloir il y a une glace, qui double fidèlement les apparences. Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n'est pas infinie ; si elle l'était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ? Pour ma part, je préfère rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l'infini et pour le promettre... Des sortes de fruits sphériques appelés lampes assurent l'éclairage. Au nombre de deux par hexagone et placés transversalement, ces globes émettent une lumière insuffisante, incessante... » (Extrait de La Bibliothèque de Babel, 1941, in Fictions, trad. N. Ibarra revue par J.P. Bernés).
Je trouve ainsi naturellement chez Borges une dimension prophétique qui va au-delà de ce qu'Albert Robida écrivait en 1892 dans La vie électriqueCe que je pense de la destinée des livres, mes chers amis ? Si par livres vous entendez parler de nos innombrables cahiers de papier imprimé, ployé, cousu, broché sous une couverture annonçant le titre de l’ouvrage, je vous avouerai franchement que je ne crois point, et que les progrès de l’électricité et de la mécanique moderne m’interdisent de croire, que l’invention de Gutenberg puisse ne pas tomber plus ou moins prochainement en désuétude… », et qui connaitra une certaine validation avec l’éphémère théâtrophone, inventé par Clément Ader et consistant en un réseau téléphonique relié à l’Opéra de Paris et permettant d’écouter l’opéra en restant chez soi, ce qu’affectionnait notamment Proust, système qui connut quelques succès parisiens entre 1881 et 1932...) ; et qui va bien au-delà également, de ce que Maurice Escoffier pouvait écrire quelques années plus tard dans La Mort du Livre. Anticipations bibliophiliques (Revue Mensuelle de l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales, numéro spécial sur le livre de décembre 1932).
Borges a donc, à mes yeux, une dimension prophétique qui va au-delà.
Les progrès des neurosciences cognitives peuvent laisser espérer qu’il sera un jour possible d’optimiser les nouveaux dispositifs de lecture, qui apparaissent depuis la fin des années quatre-vingt dix, en fonction des capacités sensorielles des lecteurs, de leurs dispositions naturelles de vision et de décodage. La question se pose alors de savoir s’il serait un jour envisageable de contrôler l’activité neuronale mise en jeu lors de la lecture ? Serait-ce souhaitable ? Ce qui le serait, serait de parvenir à concevoir des dispositifs de lecture intelligents, capables de s’adapter à différents profils de lecteurs et d’enrichir leurs expériences de lecture. Dans le cadre d’une convergence entre canaux plurimédias (hypermédia), réalité augmentée, enrichie, et intelligence artificielle, le dispositif de lecture du 3e millénaire pourrait-il être un organisme exocéphale de décodage du monde ? Et se pourrait-il que cette évolution des dispositifs de lecture induise à terme des mutations de certaines fonctions cognitives chez les lecteurs ?
Umberto Eco, à ma connaissance admirateur de Borges, et qui s’en inspira notamment dans son célèbre roman Le nom de la rose, ferait bien de se pencher objectivement sur ces questions, au lieu de partir en croisade avec les défenseurs des industries graphiques. (Je suis toujours étonné que les admirateurs de Borges, je pense en ce moment également à Alberto Manguel, soient si méfiants et critiques vis-à-vis des évolutions du livre et de la lecture.)
Avec la miniaturisation et les avancées des bio-nanotechnologies, un lecteur, ou une lectrice bien évidemment, pourra peut-être un jour porter en lui cette bibliothèque universelle dont nous rêvons follement depuis que nous avons commencé à lire des signes tracés, rêve déraisonnable peut-être, qui n’est autre, au fond, que celui d’une omniscience divine.
Mais, rêveurs déraisonnables ou pas, ce qu’il nous faut tous retenir, c’est qu’il y a, entre les nouveaux dispositifs de lecture, dont nous commençons à disposer en ce début de 21e siècle, et ceux dont nous disposerons à la fin de ce même siècle, la même différence qu’entre un gramophone et un iPod. Qu’on se le dise ! Des machines à lire intelligentes et universelles seront, un jour prochain, possibles, qui nous offriront des expériences nouvelles de lectures immersives poly-sensorielles. Oui, qu’on se le dise !
Et, en vérité, dans ses contes et nouvelles oniriques, Borges prédisait simplement et raisonnablement, ce que les experts, aujourd’hui, prévoient, et c’est pourquoi je le reconnais comme précurseur de la prospective du livre et de l’édition :-)
P.S. Du coup je mets Le livre de sable en rubrique Le livre du mois, dans la colonne de droite ;-)