lundi 28 septembre 2009

Les médiateurs du livre

Pour exprimer la nécessaire structuration d’une chaîne du livre, l’organisation interprofessionnelle de ses artisanats et de son économie, Anthony Grafton lance une formule qui fait mouche et qui pourrait faire florès à l’heure où, avec les outils du numérique, l’autoédition et l’autodiffusion font, à chaque heure ou presque, de nouveaux adeptes. Cette formule, à méditer selon moi, est : « Un texte ne devient pas de lui-même un livre. » (Ni un e-book ajouterai-je ;-)
Je poursuis donc ainsi ma lecture de la partie consacrée au lecteur humaniste, d’une Histoire de la lecture dans le monde occidental.
De ces lecteurs humanistes, certains se désolaient déjà de “l’industrialisation” (avec le recul des siècles faisons usage de guillemets, d’autant qu’ils ne devaient guère user de ce terme, mais seulement de son esprit…), certains donc se désolaient déjà de “l’industrialisation” qui rendait les livres imprimés en séries moins personnalisables, et, quelque part, moins aimables que les ouvrages manuscrits.
Dès lors, écrit Grafton : « la charge affective de l’objet-livre vient de son rôle dans la vie personnelle de son propriétaire, des souvenirs qu’il lui évoque, bien plus que de son apparence matérielle. ». Qui l’eut cru alors qu'aujourd'hui certains... ;-)
Cependant notre auteur relativise savamment cette évidence largement partagée et véhiculée qui voudrait que l’imprimerie a « profondément transformé le monde de la lecture ». Il souligne que : « les fabricants et marchands de manuscrits (cartolai) de la Renaissance italienne jouaient un rôle de médiateur entre textes anciens et lecteurs modernes… ».
En résumé : tout comme les imprimeurs, les cartolai étaient des entrepreneurs.
Nous avons aujourd’hui tendance à toujours considérer le passé en noir et blanc, comme une chose irréelle relevant de l’ordre de la fiction, alors qu’il s’agit des chaînes d’actions d’hommes et de femmes, comme nous autres, et qui, à leurs époques respectives, étaient terriblement modernes et, en toute logique, de plain pied dans leur contemporanéité.
En tant que prospectiviste, de plus en plus je considère l’histoire du livre, comme le prologue à un véritable avènement de la lecture (d’une lecture totale, immersive) au cours de ce 21e siècle. J’y reviendrai ;-)
Les entrepreneurs de l’époque des manuscrits n’ont donc jamais été les acteurs des vieux films que nous nous repassons dans nos têtes, mais, la chaîne du livre manuscrit mobilisait déjà : « des commerçants énergiques opérant sur un marché littéraire concurrentiel où régnait l’obsession du profit, et où l’on publiait régulièrement des notices cotant la gloire des auteurs à la bourse des réputations… », comme nous le rappelle Anthony Grafton. Cela ne vous rappelle rien ?
De même ne devons-nous guère être surpris de ce qu’il nous rapporte de l’usage immodéré des annotations et commentaires sur le moindre espace blanc des manuscrits, et nous réjouir que le Web 2.0 redonne un nouveau souffle et une portée plus conséquente à ces anciennes pratiques.
L’élan des humanistes vers un nouvel ordre, les hommes du livre (j’inclus bien évidemment dans cette expression les femmes, mais surtout les lecteurs et les lectrices), les hommes du livre l’ont de tous temps expérimenté avec les moyens de leurs époques et ils l’expriment aujourd’hui sur les blogs, les réseaux sociaux, via Facebook et Twitter, entre autres…
Si, comme l’écrit Grafton : « L’approche humaniste de la lecture est liée à la survivance de l’héritage classique et il est juste de l’associer à la Renaissance. Mais elle s’est aussi survécu à elle-même, à la fois dans la haute érudition protestante du Refuge et dans la haute culture vernaculaire de l’Ancien Régime. », ne sommes-nous pas alors en droit d’en lire aujourd’hui la survivance dans les pratiques de lecture que nous (re)découvrons ?
A suivre...

samedi 26 septembre 2009

Assises internationales de l'imprimé et du livre électronique de Montréal

La société franco-québécoise EPC Partners - Papier Electronique & Communication, pour laquelle je suis consultant, organise les 30 septembre et 1er octobre prochains l'événement E-Paper World : les premières Assises internationales de l'imprimé et du livre électronique de Montréal.

vendredi 25 septembre 2009

De la typographie au Web design, vers une lisibilité transréelle [annonce]

Je médite un billet à venir sur le thème suivant : De la typographie au Web design, vers une mise en transréalité de la lisibilité (titre provisoire ? ;-)
Pour ce qui est de la notion (assez récente ;-) de transréalité vous pouvez vous reporter ici... En résumé : il s'agit de mêler réalité et données virtuelles. C'est-à-dire ce qui nous attend certainement dans la nouvelle galaxie du livre, avec la convergence des nouveaux dispositifs de lecture, connectés et embarquant Internet, et, le couple Web 3D / réalité augmentée.
Si vous avez des idées, des sources spécifiques d'informations, des liens, etc., n'hésitez pas : contribuez, soyez 2.0 ;-)

mercredi 23 septembre 2009

Livres de plage et de champ de bataille

Tel est l’intitulé du premier intertitre de la partie septième (sur treize : si cette chronique vous lasse, je vous rassure tout de suite, nous avons déjà passé ensemble le cap de sa moitié ;-) d’une, eh oui ;-) Histoire de la lecture dans le monde occidental.
Aujourd’hui : Le lecteur humaniste.
Son auteur, Anthony Grafton, de l’Université de Princeton, s’attache d’abord au personnage emblématique de Machiavel, lecteur des premiers “livres de poche”, lancés quelques années plus tôt (nous sommes en 1513) par Manuce.
Des “livres de plage”. Mais, aussi, Machiavel, lecteur dans sa bibliothèque de travail des imposants in-folio de Cicéron, Tite-Live, Tacite… Des “livres de champ de bataille”.
Un homme. Machiavel certes ! Deux types de livres et de lectures (au minimum ;-)
« Machiavel, souligne Grafton, pratiquait ces deux sortes de lecture sans difficulté, et nous voyons qu’il se sentait parfaitement capable de choisir aussi bien son système d’interprétation que le texte auquel il allait l’appliquer. »
Certes ! Personnellement cela me semblait assez évident a priori. Il ne faudrait pas prendre Machiavel pour un âne. Mais, nous autres, lecteurs du 21e siècle, à combien de pratiques de lectures pouvons-nous nous adonner ?
Dans l’approche du « spectre des manières de lire des humanistes », ce qui m’intéresse c’est notre spectre de lecture, à nous lecteurs et lectrices d’aujourd’hui, et c’est à lui que je pense. Lectures d’étude ou de travail, lectures pour comprendre, pour mémoriser, pour consulter simplement ; et lectures de divertissement, de romans, de poésies, et cetera ; lectures de BD, lecture des panneaux publicitaires et des plans de métro, des panneaux routiers et des GPS, lecture sur son ordinateur ou son smartphone, et lectures des journaux, des magazines, des publicités, et cetera ; lecture sur l’écran de la télé, lecture des sous-titrages au cinéma… Certains lisent à la plage, aux terrasses des cafés, sur les bancs publics, dans le métro, dans l’avion, certains lisent dans leur lit, certains aux toilettes… Nos lieux et nos pratiques de lecture sont certainement aujourd’hui bien plus variés.
Et vous ? Où, quoi et comment lisez-vous ?
Mais nous retrouvons et nous partageons tous le même souci de l’utilisabilité du dispositif de lecture (notion d'utilisabilité, ou usabilité, d’après l’anglais usability qui définit la capacité d’un nouveau produit à être, à la fois, utile, utilisable et utilisé par des acteurs-consommateurs, en l’occurrence par des lecteurs), de son ergonomie, de sa praticité, que celui qui s’exprimait déjà dans ces propos rapportés d’un client de Manuce et qui lui écrivait : « Vos livres, qui sont si maniables que je peux les lire en marchant, et même, en quelque sorte, en jouant mon rôle de courtisan, chaque fois que la possibilité s’en présente, sont devenus pour moi un très grand plaisir. » (1501 !).

Accepter la possibilité du paradoxe
Face à la déliquescence des autres médias (entertainment <=> infotainment. Je pense surtout à la télévision...) le livre, pouvant bénéficier à l’ère numérique d’une diffusion multicanal multisupport et d’un prix abordable, pourrait-il redevenir : « la principale source des faits et des idées » qu’il était pour les humanistes ?
Je revendique ici, s’agissant de mes impressions de lecture personnelles, le caractère subjectif de mes propos et de mon approche de l’ouvrage concerné. C’est pour moi d’un “livre de champ de bataille” dont il s’agit ;-)
« Toute analyse historique de cette entreprise complexe et protéiforme qu’est la lecture doit résister aux sirènes de la grande théorie et à la tentation de distinguer des changements tranchés, pour accepter la possibilité du paradoxe et de la contradiction. ».
Si j’avais dirigé cet ouvrage collectif, cette déclaration, fort pertinente, d’Anthony Grafton, aurait figuré en exergue ;-)
A suivre...

lundi 21 septembre 2009

La sacralisation du livre

"Durant tout le haut Moyen Age, il semble qu'on assiste, chez les juifs de l'Occident chrétien, à une sacralisation du livre analogue à celle qui s'observe dans la société chrétienne de l'époque..."
Ce constat est de Robert Bonfil de l'Université hébraïque de Jérusalem, et auteur de la sixième partie de cette Histoire de la lecture dans le monde occidental, dont je poursuis la lecture commentée en vous faisant partager mes réflexions.
Aujourd'hui donc : La lecture dans les communautés juives de l'Europe occidentale au Moyen Age.
Bonfil poursuit ainsi son intéressant constat : "le livre est désormais considéré comme un objet magico-religieux plus que comme un instrument de communication par la lecture, comme une relique destinée à l'adoration, à la contemplation de sa charge surnaturelle, plus que comme un réservoir de contenus où puiser en toute liberté."
Un réservoir de contenus où puiser en toute liberté ;-) Cela ne vous rappelle rien ?
En fin de compte, me dis-je, ce nouveau rapport au livre, dont certainement un écho reste encore présent chez tous les lecteurs ou presque en ce début de troisième millénaire, est, une fois de plus ;-) en lien direct avec ce que nous avons pu précédemment évoquer de la lecture dans la Grèce archaïque, et de ses aspects à la limite encore de l'animisme.
Nous relions (sic) toujours codex et livre, livre et éternité.
Nous entretenons inconsciemment une certaine confusion entre le temps qui passe, qui s'écoule, et, le temps qui revient, cyclique (voir illustration).

Illustration
Du "livre", successivement comme : d'une constellation de signes à => un espace graphique [ère des manuscrits] à => un espace typographique [ère de l'imprimerie] à => un espace numérique [ère des flux]...
La question est : allons-nous rester dans cette ronde ?
Ma réponse serait : sans doute, si nous considérons le lecteur au centre du cercle.




N.B. : Les traits d'humour, que je me permets parfois dans cette chronique de ma lecture d'une Histoire de la lecture dans le monde occidental, et, plus généralement dans ce blog, le plus souvent ne sont pas innocents. Si vous y prenez garde, ils incitent régulièrement à remettre en question nos impressions premières sur le sens des mots, et donc, sur l'histoire du livre et de la lecture ;-)
A suivre...

dimanche 20 septembre 2009

Les éditeurs sont des pragmatiques ;-)

Au cours d'un déjeuner avec un éditeur, la semaine dernière, lui végétarien, moi face à un steak tartare ;-) j'en étais venu à évoquer ce que les spécialistes de la Grèce archaïque nomment : "les objets parlants". Il me rappela alors judicieusement quelques extraits du chef-d'oeuvre de Gabriel Garcia Marquez : Cent ans de solitude, que j'ai évidemment lu il y a une vingtaine d'années, mais dont j'avais forcément oublié quelques épisodes.
Du coup je l'ai racheté hier (ne l'ayant pas dans ma bibliothèque, une amie me l'avait prêté à l'époque) et en ai lu dans les jardins du Luxembourg, la présentation signée Albert Bensoussan (dans la collection Points Poche éd. du Seuil). En effet, dans ce "monde qui est constamment à réinventer [...] des petits papiers rappellent aux hommes oublieux le nom des choses - "table, chaise, horloge, porte, mur, lit, casserole" -" ; et aussi, et surtout : "Là, tout sera à créer et l'on vivra le déchiffrement des premiers jours du monde, car "beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt". Et voilà l'humaine condition installée dans l'Histoire, dans la contingence, dans le devenir et le cyclique..."
Je devrais citer l'intégralité de cette présentation qui rend magnifiquement compte, tant du chef-d'oeuvre qu'elle présente, que, bien au-delà, des vastes et magnifiques enjeux que véhiculent les livres, et de cette opération, au fond quelque part magique, qu'est la lecture.
Or, les pratiques de lecture mutent en ce début de 3e millénaire, et peut-être même (j'y repensais dernièrement en regardant une petite vidéo de Nokia sur un projet de laboratoire de lunettes détectant les mouvements de l'oeil et permettant de consulter (de lire donc) des informations...), peut-être même allais-je donc dire, irions-nous vers une lecture immersive, totale, renouant avec la magie des commencements :-) 


Quel rapport vous demandez-vous avec le titre de ce post ?
Un ami, qui a une longue expérience de l'édition, m'écrivait récemment : "Les éditeurs sont des pragmatiques de terrain. Tout ce qui ne peut pas se traduire ici et maintenant en objet ne les intéresse pas. En un mot comment ferions-nous demain matin du chiffre d'affaire à partir du numérique...".
Il a certainement raison et c'est bien dans cette optique que je travaille.
Nonobstant, aujourd'hui, les éditeurs changent d'attitude face à  leurs contenus. Papier ou numérique ? Ou les deux ? Comment enrichir ces contenus (audio, vidéo, actualisation, participativité, jeux, ...) ?
Le lancement à l'américaine de The Lost Symbol de Dan Brown (e-book version Kindle d'Amazon, audiobook, jeu vidéo..., et version papier) ne fait que prouver que l'édtion anglo-saxonne se pose certainement moins de questions que l'interprofession francophone du livre, mais qu'elle relève pragmatiquement le challenge de "faire du chiffre d'affaire à partir du numérique".
Qu'attendons-nous ?

samedi 19 septembre 2009

Un réseau social de lecteurs francophones dope l'édition numérique du 21e siècle ?

Oui, cela aurait pu être. Cela était possible. Avec zazieweb.
zazieweb qui s'arrête faute de soutien, tant des pouvoirs publics français, que des principaux acteurs de l'interprofession du livre.

zazieweb.fr c'était depuis 13 ans grâce au travail permanent d'Isabelle Aveline :
1 500 000 pages vues mensuelles
250 000 visiteurs uniques / mois
21 917 membres/lecteurs inscrits (à ce jour)
19 950 inscrits à la newsletter (à ce jour)
1912 petits éditeurs in Guide petite édition
Le public : les lecteurs amateurs, les bibliothécaires, les libraires indépendants, les éditeurs, les prescripteurs du livre...

Depuis hier, 18 septembre 2009, nous pouvons lire en lieu et place de la page d'accueil de zazieweb.fr l'histoire de ce qui restera comme l'une des plus belles aventures du web littéraire francophone, et les raisons de cet arrêt scandaleux :

"Pourquoi s’arrêter ?
Après avoir beaucoup attendu notamment :
• des pouvoirs publics
• des institutions (une reprise a été à l’étude pendant deux ans, mais le projet n’a finalement pas été rendu possible)
• des services culturels
Parce que les moyens et la puissance pour créer un réseau social francophone de lecteurs, sur la base de ZazieWeb, n’ont pas été accordés.
Parce qu’il ne m’appartient pas de continuer à porter à bout de bras et en bénévolat une « communauté de e-lecteurs », avec une technologie chaque jour de plus en plus obsolète, parce que la version actuelle du site date de 2001, et qu’une refonte du site serait nécessaire. Parce que pour des raisons personnelles je souhaite travailler ET être rémunérée (sic).
Parce qu’il semble que les logiques de subvention se concentrent sur les projets de numérisation, les arts numériques, pas sur la médiation… alors qu’il me semble — et depuis longtemps — que c’est l’exercice de la médiation qui seule rendra le livre numérique pertinent, voire même qui créera désormais l’existence « réelle » du livre et du livre numérique.
Laissant la numérisation à d’autres, plus puissants, plus pertinents notamment dans les moteurs de recherche…
Alors que le pouvoir du livre n’est plus forcément le pouvoir des auteurs, des éditeurs, mais le pouvoir des lecteurs, des amateurs, en vrai, le pouvoir rendu à l’activité, l’exercice de la lecture…
Alors qu’il aurait été intéressant depuis longtemps de créer un Ircam du texte…
Comment ne pas s’étonner/se révolter de tout ceci ?
[...] Parce que les bons modèles sont les modèles des « pures players » et de surcroit le plus souvent anglo-saxons…"

L'arrêt de zazieweb n'est, malheureusement, qu'un signe de plus que nombres de décideurs (investisseurs) sont prêts à livrer l'édition et la littérature françaises pieds et poings liés aux majors anglo-saxonnes de l'entertainment !