lundi 30 janvier 2012

Prochaines interventions sur la Prospective du Livre et de l'Edition

En ce début 2012, au nombre de mes prochaines interventions sur la Prospective du Livre et de l'Edition j'aurai, entre autres, le plaisir de délivrer, pour le compte de la Bibliothèque départementale de l'Aisne : une formation d'une journée sur le thème du livre électronique, et, pour le compte du CDDP d'Indre et Loire (Centre départemental de documentation pédagogique) : une conférence sur la mutation du livre et ses impacts sur l'économie de la connaissance et la transmission des savoirs, dans le cadre des Rencontres Bibdoc 2012...






dimanche 29 janvier 2012

Semaine 04/52 : édition numérique, attention danger !

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 04/52.
  
Durant cette quatrième semaine l’actualité, éphémère et foisonnante, a laissé affleurer les ombres massives qui planent, tant sur les droits des auteurs que sur ceux des lecteurs.
  
Affaire de la fermeture de MegaUpload (avec ses débats houleux sur le piratage, les marchés parallèles, la contrefaçon…), Hadopi, ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon - Anti-Counterfeiting Trade Agreement), SOPA (Stop Online Piracy Act), PIPA (Protect IP Act), à quoi il faut ajouter le durcissement du copyright et les atteintes au domaine public, l’intrusion d’Apple sur le marché sensible du livre scolaire (sur ce dernier point je vous recommande la lecture de : "Les livres scolaires annexés par Apple ? Un modèle à refuser absolument !" de Fabrice Neuman, et, " L’édition scolaire n’est pas un marché comme les autres" de Clément Laberge).
Oui l’horizon est sombre. Très sombre. Brrrrrrr.
    
Les droits des lecteurs menacés
   
La publication marquante de la semaine, parce qu’elle résume je pense en grande partie les risques d’atteintes à la liberté des lecteurs avec le passage à l’édition numérique, aura été pour moi ce post du 22 janvier, publié sur Framasoft : "Les dangers du livre électronique, par Richard Stallman".
Si vous ne l’avez pas déjà lu, lisez-le.
  
Ceci par exemple : « Comme le note Stallman, vous pouvez vous rendre dans une librairie et acheter un livre physique de manière anonyme, le plus souvent juste avec des espèces. Tout au plus pourrait-on exiger de vous de prouver votre âge pour certains contenus, mais aucune trace des informations que vous donnez ne sera conservée. Contrairement à l’achat d’un e-book, qui requiert une identification, reliée à une carte de crédit, un compte bancaire, et d’autres informations difficiles à supprimer. ».
  
J’avais eu l’occasion de rencontrer Richard Stallman en juin 2011 à Paris. Comme ses détracteurs le répètent à loisir pour le discréditer sans discuter ses arguments, c’est, en effet, ce que l’on appelle familièrement "un personnage", un caractère marqué qui peut surprendre et être agressif. Mais cela n’enlève rien à la pertinence de ses propos sur le "livre électronique".
  
A titre personnel j’ai souvent ressenti ce qu’il souligne dans l’extrait que je viens de citer. Sans cet écueil de l’enregistrement en ligne de mon identité et de mon achat, je ferais certainement l’acquisition de bien plus de livres numériques je pense, par exemple, d’une maison comme celle de François Bon, Publie.net.
   
Voici ce qu’il ressort de la comparaison de Stallman entre livre imprimé et livre numérique :
« Le livre imprimé :
- On peut l’acheter en espèces, de façon anonyme.
- Après l’achat, il vous appartient.
- On ne vous oblige pas à signer une licence qui limite vos droits d’utilisation.
- Son format est connu, aucune technologie privatrice [DRM] n’est nécessaire pour le lire.
- On a le droit de donner, prêter ou revendre ce livre.
- Il est possible, concrètement, de le scanner et de le photocopier, pratiques parfois légales sous le régime du copyright.
- Nul n’a le pouvoir de détruire votre exemplaire.
Comparez ces éléments avec les livres électroniques d’Amazon (plus ou moins la norme) :
- Amazon exige de l’utilisateur qu’il s’identifie afin d’acquérir un e-book.
- Dans certains pays, et c’est le cas aux USA, Amazon déclare que l’utilisateur ne peut être propriétaire de son exemplaire.
- Amazon demande à l’utilisateur d’accepter une licence qui restreint l’utilisation du livre.
- Le format est secret, et seuls des logiciels privateurs restreignant les libertés de l’utilisateur permettent de le lire.
- Un succédané de "prêt" est autorisé pour certains titres, et ce pour une période limitée, mais à la condition de désigner nominalement un autre utilisateur du même système. Don et revente sont interdits.
- Un système de verrou numérique (DRM) empêche de copier l’ouvrage. La copie est en outre prohibée par la licence, pratique plus restrictive que le régime du copyright.
- Amazon a le pouvoir d’effacer le livre à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell. » (Source).
  
 
Les droits des auteurs toujours bafoués
 
Par ailleurs, les auteurs auraient tort de croire a priori que les conditions de l’édition numérique leurs seraient plus favorables que celles de l’édition imprimée.
Le marché du livre numérique étant émergeant, l’absence d’à-valoir y est encore plus de rigueur. Les pourcentages de droits d’auteur sont certes supérieurs aux 08-10% de moyenne de l’imprimé, mais ils atteignent très rarement les 50% que l’on entend claironner parfois. Entre 30 et 40% le plus souvent. Mais appliqués sur le hors taxes de prix de vente public de 02 à 04 euros en moyenne, par rapport à la vingtaine d’euros d’un titre imprimé, et avec des ventes de quelques dizaines à quelques centaines d’exemplaires payants téléchargés. Autant dire que l’auteur travaille pour rien, ou que pour la gloire, s’il a, paradoxe, la chance d’avoir été beaucoup piraté !
De plus la reddition des comptes n’est souvent pas forcément plus lisible ni crédible.
  
La partie immergée de l’iceberg
  
Le passage de l'édition imprimée à l'édition numérique est sans doute inscrit dans le code génétique du livre, mais ce passage est sans aucun doute dangereux et il serait inconscient de ne pas regarder en face ces dangers.
 
Comme pour les effets des nouveaux dispositifs non-imprimés, réinscriptibles voire connectés/communicants, sur la lecture, le tourbillon numérique qui nous emporte a des effets autres que purement économiques et qui relèveraient peut-être en partie des corrélats neuronaux de la conscience (la lecture, et la lecture sur supports numériques, joueraient au niveau de la neurogenèse localisée).
 
Bien au-dessus des soucis de la vie matérielle des professionnels du livre, s’ouvre le vaste domaine de la pensée et des actions qu’il nous faudrait accomplir pour accompagner l’émergence d’une nouvelle écriture et d’une nouvelle lecture au cours de ce troisième millénaire.
 
Je le redis pour la deuxième semaine consécutive : « Un grand mystère se dresse devant nous. Peut-être ineffable. Il est de l’ordre de l’élaboration des écritures alphabétiques, voire carrément de l’ampleur de la naissance de l’écriture, peut-être. ».
   
Je pense dans les mois qui viennent, ne plus seulement explorer le devenir (le destin) du livre et de la lecture dans le fil de ses perspectives historiques, mais, aussi, à partir de sa dimension purement humaine, ce qui est de l’ordre de l’apprentissage individuel (qui fut pour moi compliqué) de l’écriture et de la lecture.
   
Rien à ma connaissance ne peut aujourd’hui nous assurer que les artefacts textuels qui envahissent nos environnements physiques et numériques n’opèrent pas, par exemple, sur le mode des expériences de spatialisation virtuelle par procédé binaural.
   
Au cours de ce 21e siècle, nous pouvons peut-être accéder avec les outils numériques à une nouvelle lecture du monde et élargir le champ de notre conscience pour une meilleure connaissance de notre destin commun.
Mais il y a danger.
Ce que nous appelons "édition numérique", et qui n’est en réalité que la continuation du marché du livre, masque en fait les véritables enjeux et ne représente que la partie émergeante de l’iceberg.
     
J’ai repensé cette semaine, je repense parfois, au final de l’essai "Pourquoi lire ?" de Charles Dantzig (Grasset, 2010).
Je me rappelle avoir songé en le lisant au fameux roman d'anticipation d'Orwell : "1984". Ce roman ne s’appelle en fait "1984" que parce qu’Orwell l’a écrit en… 1948. Mais aujourd’hui, au regard des transformations que nous vivons, ou dont nous pouvons être les témoins directs ou indirects depuis les débuts en France de l'envahissement du numérique dans les années quatre-vingt justement, je me demande très sérieusement si cette contre-utopie (dystopie) d’Orwell, ne serait pas prémonitoire ? De l’à-venir. D’un avenir ? En 2984 ? J’ai toujours lu "1984" de Georges Orwell en pensant à "Fahrenheit 451" de Ray Bradbury.
    
Que lisons-nous dans ce "Pourquoi lire ?" : « Et quand l'objet en papier aura disparu, pour la satisfaction douloureuse des amers qui diront : je l'avais prédit, nous répondrons : et alors ? Nous ne lisons plus les rouleaux de Rome, seuls quelques érudits savent qu'ils ont existé, et la littérature romaine demeure, en partie. Plus noirs que ces amers, on dira que l'informatisation servira encore mieux les puissants, qui pourront ranger l'humanité dans des appartements toujours plus petits, puisque plus besoin de bibliothèques et tout dans iPad, et que, un jour, quand tout cela sera réduit à un tout petit point rouge, il clignotera fébrilement, puis, hoquetant de moins en moins, il s'éteindra. ».
Et Charles Dantzig de conclure : « Ne lisant plus, l'humanité sera ramenée à l'état naturel, parmi les animaux. Le tyran universel, inculte, sympathique, doux, sourira sur l'écran en couleurs qui surplombera la terre. ».
    
C’est cela qu’il nous faut éviter.

jeudi 26 janvier 2012

LA HONTE :-(

Pas un éditeur courageux pour lancer un livre imprimé qui sonne le tocsin, qui décrypte pour le grand public le passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, qui pose les vraies questions, éclairent les véritables enjeux, alors qu'Amazon et Apple prennent progressivement le contrôle du marché du livre. C'est honteux :-(

P.L.E. Consulting partenaire de FrancoGrid en 2012

Pour son projet MétaLectures, P.L.E. Consulting [Prospective du Livre et de l'Edition - Lorenzo Soccavo] est partenaire en 2012 de FrancoGrid, association pour un "Métavers 3D francophone libre" sur l'opensimulator ("OpenSimulator, souvent appelé OpenSim, est un serveur open source utilisé pour héberger des mondes virtuels. Même s'il est surtout connu pour sa compatibilité avec le client de Second Life, il peut également héberger des mondes alternatifs ayant un ensemble de fonctionnalités variées et de multiples protocoles..." Voir infos à partir de Wikipédia).
  
MétaLectures est environnement web 3D immersif, pour présenter, expérimenter et développer des solutions innovantes dans l'univers du livre et de la lecture francophones.
Les partenaires de MétaLectures sont présentés à cette page...
La procédure d'inscription et de connexion est précisée à cette page...

mercredi 25 janvier 2012

L'important n'est pas l'édition numérique

L'édition récente du livre de Thierry Crouzet, "J'ai débranché", m'a rebranché sur le post que j'avais publié ici même en août 2010, suite aux journées numér’ile 3 sur l'ile d'Ouessant, et où nous n'étions pas vraiment sur la même longueur d'ondes ;-)

   
" je souhaiterais ici cette déclaration d’Albert Camus, [...] en écho à nos quelques échanges avec Thierry Crouzet notamment : « Si l’homme veut être reconnu, il lui faut dire simplement qui il est. S’il se tait ou s’il ment, il meurt seul, et tout autour de lui est voué au malheur. S’il dit vrai au contraire, il mourra sans doute, mais après avoir aidé les autres et lui-même à vivre. » (Albert Camus, une vie, par Olivier Todd, Folio, 1999, Page 484).
Alors qu’ai-je à dire de vrai ici ?
De ces journées ouessantines, il ressort pour moi, mais peut-être ne serait-ce qu’une impression engendrée par une insularité énigmatique, que l’édition numérique relèverait davantage, dans les esprits de beaucoup, du fantasme futuriste et communautaire, que des réalités économiques qui nous sont imposées par le marché et par les industries de l’électronique et du divertissemement.
  
Les effets mirages induits par le design d’une certaine marque notamment, et par les facilités que semblent apporter certaines nouvelles technologies, ou certains services qui leurs sont associés, leurrent, je pense, trompent, et nous font oublier les réalités humaines et socioéconomiques du passage de l’édition imprimée à une édition… numérique ?
Pour ma part l’édition numérique ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est l’édition du 21e siècle
, celle que nous laisserons en héritage à nos descendants du 22e siècle. [...]
  
Ainsi, j’observe que progressivement, mais assez paradoxalement à la fois lentement et rapidement, selon les repères que l’on se propose, dans le décor de tous les jours s’installent, davantage que des outils nouveaux, de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine.
Et alors que je me faisais une joie de passer déconnecté ces quelques journées ouessantines, fort éloigné de mon ordinateur et de tous types d’écrans, j’ai, pratiquement en permanence, été encerclé d’iPhone, d’iPad et de Mac, le tout dans un bourdonnement de tweets incessant.
 
Mon objectif n’est pas ici de revenir d’autorité et après coup sur les échanges publics qui ont pu avoir lieu durant ces cinq jours, intéressants et enrichissants (intellectuellement j’entends) à plus d’un titre.
Les contributions pertinentes de François Bon, à la discussion du 20 août : “Ce qu’Internet change au récit du monde” (avec cette question essentielle qu'il pose : « Comment avancer dans l’imprédictible, sachant que cet imprédictible emporte avec lui […] une part radicale de ce qui nous définit comme culture, avec le rêve, l’imaginaire, la pensée réflexive ? »), et à celle du 22, “De l’auteur comme écosystème”, sont intégralement en ligne.
[...] celle, toute aussi pertinente, du dimanche 22 août (sur le thème : Livre numérique et droits des auteurs), de Henry Le Bal.
Ces interventions ont pour moi le grand mérite de ne pas s’illusionner et de s’inscrire dans une transhistoricité qui, comme vous le savez peut-être, est une des perspectives essentielles de la prospective du livre et de l’édition [...]
  
L’empilement des versions (la troisième pour le Kindle d’Amazon) [en 2010] et des mises à jour informatiques, ne serait-il pas une version technolâtre des empilements de pierres, des empilements de tablettes, puis de pages, qui donnèrent naissance à l’interface des codices ?
Comme une auditrice des échanges d’Ouessant le rappelait, les réseaux épistolaires datent de plusieurs siècles.
Et à peine rentré de Bretagne je découvre que les SMS datent eux (au moins) du 19e siècle [...]
   
J’ai souvent souligné pour ma part que vers l’an 400, des moines avaient inventé… le Web 2.0, avec un système de “blogs” manuscrits qui permettaient à chacun d’écrire et de diffuser ses propres textes, commentés ensuite par des lecteurs, dont les commentaires pouvaient à leur tour être commentés.
Une pratique collaborative, à vocation universelle avec l’emploi du latin, qui permettait déjà d’amender, de modifier, de compléter, d’enrichir un texte tout en gardant traces des différentes versions et de l’exemplaire original (comme sur Wikipédia).
Ces moines ont été plus loin que les scribes fonctionnaires de l’Antiquité. Ils ont inauguré une gestion participative des textes, non plus dans la conversation ou le dialogue, mais, par écrit. Ils ont développé une gestion communautaire au fil de laquelle : l’auctor rédigeait ses propres idées, le compilator intervenait comme agrégateur (RSS), ajoutait au texte initial des compléments d’informations provenant d’autres sources, d’autres auteurs ; le commentator commentait, et certains commentaient les commentaires et commentaient les commentaires des commentaires et cetera, comme sur les blogs exactement ; tandis que le scriptor, jouait le rôle de Wikipédia en retranscrivant tout ceci : les différentes versions successives d’un texte original en perpétuelle construction. Le Web 2.0 sans informatique ni électricité ! En tous cas l’idée était là.
Comme l’idée de l’hypertexte était présente dans Le Diverse et artificiose machine, paru à Paris en 1588, ouvrage dans lequel l’ingénieur italien Agostino Ramelli représentait un astucieux système de deux grandes roues parallèles, reliées entre elles par une douzaine de lutrins, sur lesquels reposaient des livres ouverts :
La Roue à Livres. Il suffisait qu’un lecteur s’asseye devant, lise et fasse tourner la roue, pour passer aisément d’un livre à l’autre.
Même ce sentiment d’infobésité (surinformation ou information overload) que nous ressentons parfois fut déjà
décelé et explicité dès 1621 par le dénommé Robert Burton.
  
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’ont rien inventé d’essentiel. Elles ont seulement facilité certaines choses.
Et la question doit se poser de ce que ces facilités apparentes et monnayables charrient en termes d’addiction et d’asservissement.
En quoi nous sont-elles réellement utiles et en quoi ne servent-elles que de cheval de Troie à des régies publicitaires ?
 De quoi pourraient-elles nous déposséder ?
En quoi sont-elles chronophages ?
En quoi nous éloigneraient-elles des langues maternelles ?
Que penser de cette pandémie d’iPhone et de Tweets qui durant cinq jours s’est abattue sur Ouessant ?
Cette ivresse qui emporta certains et certaines, ivresse d’être à la fois sur une île et connecté en permanence au reste du monde.
Quelles répercussions sur nos facultés d’attention, de compréhension, de mémorisation ? D’échanges, de dialogue ?
Ces discussions qui se déroulaient à la fois IRL (in real life) et au même instant n’importe où sur la planète, mais avec du coup une brièveté allusive, et sur place des postures qui mettaient davantage en exergue les clivages que les points de jonctions, ne laissaient pas le temps à la réflexion, à la maturation des idées. [...]
  
    
Le temps de l’abstraction est terminé et pour quelques-uns, peut-être, se sera-t-il échoué cet été [2010], à Ouessant.
L’édition numérique sera, pour un premier temps au moins, certainement et peut-être heureusement, davantage structurée, et nous ne pourrons faire l’impasse de nouveaux modèles économiques et de chaines de valeurs cohérentes.
  
[...]
Une édition alternative pourra exister et se propager certes, mais en marge.
Alors, maintenant, de quel enfantement s’agit-il ?
[...] 
L’édition du 21e siècle sera certainement bien plus innovante que nous l’imaginons aujourd’hui (rappelons-nous que les messieurs et mesdames tout le monde dans les années 1960, imaginaient pour l’An 2000 des autobus volants, alors que les avions existaient depuis un moment déjà, mais qu’ils ne pensaient pas à l’iPhone et à Facebook…).
  
L’édition du 21e siècle, si l’édition survit au divertissement, sera en prise directe avec la réalité augmentée, sera immersive, à la confluence des dispositifs mobiles, de la TV 3D, et autres joyeusetés dans un monde où les ordinateurs auront disparu, où l’activité que nous appelons en 2010 lecture, sera dissociée de tous supports, voire, avec les nanotechnologies, intégrée aux corps des lecteurs humains.
La question essentielle, s’il devait y en avoir une et une seule, serait celle-ci :
Cette évolution du livre fait-elle révolution, ou bien, ne serait-elle qu’une infime partie d’une révolution plus globale ?   
Historiquement les précédentes mutations du livre et de la lecture (par exemple, passage du rouleau au codex, ou bien, passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée) ont profondément modifié la société et ont eu des répercussions culturelles, mais aussi sociopolitiques, indéniables.
Aujourd’hui, il est courant de constater que le numérique impacte le livre, après avoir reconfiguré les marchés du disque, de la photo et de la vidéo.
Les mutations que nous ressentons ne seraient que des effets et non des facteurs agissants.
S’il y a un danger pour le livre et pour la lecture il est là.
L’évolution technique (pas seulement sur les secteurs du livre, mais en particulier par rapport à eux) va plus vite que nos facultés d’intégration et d’assimilation.
  
Aux effets générationnels que j’ai déjà abordés à plusieurs reprises
il faudrait donner un relief plus contrasté.
D’une part, l’âge joue également sur la perception et les illusions que nous pouvons avoir de l’avenir du livre et de la lecture.
D’autre part, comparés aux générations des pionniers du numérique (années 1970-1980), les natifs du numérique (digital native) d’aujourd’hui sont devenus de simples consommateurs. Pas forcément des passionnés de logiciels libres et des codeurs acharnés, la plupart d’entre eux, en-deçà des fantasmes du “digital immigrant” que je suis (espèce en voie de disparition), sont en fait de simples utilisateurs de services en ligne, accrocs aux marques et adeptes de la gratuité et du téléchargement [...]

(L’un des enjeux est d’ailleurs maintenant de former dès l’école les générations futures au codage et à la programmation informatiques. Les jeunes ne doivent pas seulement être formés à rechercher et vérifier l’information, à gérer leur identité numérique et à publier en ligne de manière responsable, mais aussi à coder. A la fin du siècle l’analphabète ne sera plus celui qui ne sait ni lire ni écrire, mais celui qui ne sait pas coder ! Nos écoles républicaines doivent engendrer des digiborigènes.)
  
Ce post est déjà bien long ;-) mais il faudrait également être attentif au fait que les consommateurs semblent maintenant prêts à payer sur mobiles, smartphones et autres (tablettes de lecture ?) des services qu’ils voudraient gratuits sur leurs ordinateurs de bureau.
Et également, être davantage attentif au rôle joué par les femmes et dont nous avons tous été les témoins à Ouessant.

L’on voit bien ici, comme nous l’avons vu à Ouessant, que la situation est complexe, les perspectives plurielles et l’horizon embrumé...
"
(Post original en date du lundi 30 aout 2010)
     
Illustrations : photos numér’ile 3, dans le cadre de la 12e édition du Salon international du livre insulaire à Ouessant, aout 2010. Sur les photos : Thierry Crouzet, François Bon, Arash Derambarsh. Modérateur Lorenzo Soccavo).
 

dimanche 22 janvier 2012

Semaine 03/52 : vers le biolivre ou le plasmabook ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 03/52.
  
En physique, le plasma est un état de la matière constitué de particules chargées d'ions et d'électrons. En biologie, le plasma sanguin est la partie liquide du sang dans laquelle baignent ses composants majeurs, eux qui diffusent dans le corps l’oxygène et les éléments nutritifs.
  
Durant cette troisième semaine de janvier 2012 c’est entre le ciel gris et les trottoirs mouillés de Rennes que lentement ont germé en moi les réflexions ci-après, et d’abord cette constatation : physique et numérique sont comme huile et eau.
  
Je l’ai ressenti presque physiquement alors que je m’apprêtais d’abord, puis ensuite lorsque que je venais juste, d’entretenir un auditoire attentif (mais que pouvait-il bien penser ?) des complémentarités entre l’imprimé et le numérique (à la Cantine numérique rennaise) : en vérité, il n’y a pas encore de porosité entre le monde physique et les territoires digitaux. Tout juste quelques passerelles incommodes et encombrées par les marchands du temple.
  
Cette constatation engendre de multiples questions qu’il faudrait sérier et prioriser.
  
D’abord sur l’interface : c’est quoi qui pourrait faire l’interface entre le monde physique (celui que nous percevons avec nos cinq sens) et ce que j’appelle les territoires digitaux. (Il faudra que j’explique un jour pourquoi, tout ardent défenseur que je sois de la francophonie, j’opte préférentiellement pour le terme "digital", de préférence à "numérique". J’ai de bonnes raisons je vous assure !)
  
Comment donc concevoir que cette interface pourrait être un (ne pourrait être qu’un) appareil manufacturé, conçu par quelques américains et fabriqué par des esclaves asiatiques ? Je n’y crois pas.
(Les machines -devices ;-) vont avoir leur importance, mais, j'y reviendrai, elles doivent rester des outils et ne pas devenir des prothèses.)
 
Il faut dépasser toutes les catégories imposées par la vision marchande du livre et véhiculées par les médias et nombre de blogueurs qui ne font souvent que relayer ce qui reste du domaine de l'opinion.
   
Il faut transgresser tout ce que nous croyons savoir du livre et de la lecture.
   
En France, les éditions Flammarion, nous l’avons appris cette semaine, seraient à vendre. La Fnac licencie.
Aux États-Unis, Amazon prend progressivement mais sûrement le contrôle de l’édition, ou, plus exactement, du marché du livre.
En France, Amazon a les moyens de racheter Flammarion ou (et ?) la Fnac. Et alors ?
  
Est-ce que cela importe ? Quelle valeur tout cela aura-t-il dans un siècle seulement, tant pour les lecteurs que pour les autres (mais je pense que nous allons vers un monde dans lequel il ne sera pas possible de ne pas être lecteur…).
  
Comme aujourd’hui, certains d’entre nous se penchent sur les débuts de l’écriture vers 3300 avant notre ère à Sumer, quelle valeur auront ces peccadilles dans un ou deux millénaires, alors que des chercheurs se pencheront à leur tour sur l’émergence d’une nouvelle écriture vers l’an 2000 ?
 
Je deviens peut-être un peu fou.
Je ne peux pas encore tellement divulguer, ici sur le web notamment, les fruits de mes recherches et les conclusions auxquelles j’en arrive.
Je peux tout juste dire que ces conclusions n’en sont pas.
  
Je peux déjà dire qu’il n’y a pas de conclusion en passant de l’imprimé au numérique. Mais que certainement, comme je l’écrivais dans "De la bibliothèque à la bibliosphère: « Il faut relativiser la puissance du numérique. En effet, il se pourrait bien que d’ici quelques siècles, le numérique apparaisse à nos descendants comme, en partie, anecdotique dans l’histoire du livre. Il ne s’agit, répétons-le à nouveau, que d’outils. Et ces outils numériques, quelles que soient finalement leurs étonnantes capacités, sont aussi anecdotiques que les armes le sont dans la guerre. Car ce ne sont pas les armes qui font ou qui déclarent les guerres. Ce ne sont pas les armes qui tuent. Pas plus que ce ne sont les outils qui construisent ou détruisent. ».
  
A l’échelle humaine le neuronal prime sur le numérique et la conscience sur le mobiquitaire.
Revient alors la question de l'interface, mais aussi de ce qui fera charnière entre deux mondes (physique//digital), qui n'existent probablement pas plus l'un que l'autre, si ce n'est dans l'investissement en significations que nous leur prêtons. C'est peut-être ainsi à une véritable phénoménologie de la digitalisation qu'il faudrait s'adonner (travail gigantesque, alors qu'inconscient que j'étais, je n'ai fait jadis que survoler les écrits de Merleau-Ponty).
  
Comme je le répondais dans un entretien récent à La Règle du Jeu : « oui, le livre numérique va avoir des conséquences sur nos capacités de réflexion et d’analyse, sur nos facultés de concentration et de mémorisation. Mais il est encore trop tôt je pense pour savoir lesquelles précisément. Et surtout rien ne nous oblige à les considérer a priori comme néfastes. Nous développons aussi de nouvelles capacités, notamment en termes d’ubiquité et de travail multitâche. Il faut concevoir ces dispositifs numériques comme des outils, et éviter qu’ils deviennent des prothèses. ».
  
Un grand mystère se dresse devant nous. Peut-être ineffable. Il est de l’ordre de l’élaboration des écritures alphabétiques, voire carrément de l’ampleur de la naissance de l’écriture, peut-être.
  
Face à la bibliosphère que j’évoque (invoque) depuis plus d’une année maintenant, à la préhistoire des territoires digitaux, dont nous commençons à peine l’exploration, notamment sur l’open simulator avec l’incubateur MétaLectures, il nous faut reconsidérer, repenser le lecteur établi en conscience dans sa posture singulière de lecture, en immersion dans un environnement logiciel. (Ne pas déléguer la lecture à des machines.)
 
Le livre du troisième millénaire sera peut-être un état de l’humanité, constitué de particules chargées d'ions et d'électrons : le flux qui diffusera dans le corps social l’information et les éléments de savoirs. Une lecture globale à la limite de l'hyperesthésie (?)
  
Débile ? Mais avez-vous une seule seconde imaginé le saut, et technologique et ontologique, entre une tablette d’argile mésopotamienne et la Bible de Gutenberg ?
Imaginez. Vous verrez c’est bon pour la liberté d’esprit.
  
  
 
 

jeudi 19 janvier 2012

Imprimé et numérique main dans la main

J'ai eu le plaisir hier 18 janvier 2012 d'intervenir pour une conférence sur le thème : LECTURE AUGMENTÉE - INNOVATIONS ET COMPLÉMENTARITÉS PRINT / DIGITAL, à la Cantine numérique rennaise.
 
Une bonne occasion pour rappeler devant une salle comble que l'innovation a été motrice dans l'humanité pour l'apparition de l'écriture, puis le perfectionnement des dispositifs de lecture. Pour montrer aussi, exemples à l'appui, qu'en cette période de transition des e-incunables, des solutions existent pour maintenir le lien dans les usages et ne pas opposer les deux filières, graphique et numérique. L'occasion également de donner quelques exemples d'innovations dans le livre imprimé (encres thermo-réactives...), et de conclure enfin en insistant sur le fait que l'édition imprimée doit aujourd'hui expérimenter et innover pour conquérir de nouveaux lectorats.
  
Ma conférence était enrichie de deux interventions plus axées sur les usages, avec Sophie Deniel, créatrice de bookBéo (qui nous présenta avec son équipe, Christel Le Coq et David Le Meur, ses réalisations dans le secteur du livre et de la BD), puis, Tassiana Nuñez-Costa de liBel (une solution originale de marque-pages e-paper intelligents).