dimanche 12 février 2012

Semaine 06/52 : Le Livre Absolu

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 06/52.
    
Pour la première fois de cette année c’est un fait dont j’ai modestement été l’acteur que je retiendrai comme marqueur de la semaine écoulée.
 
Je veux parler du lancement, ce vendredi 10 février 2012, sur le web 3D, de l’incubateur MétaLectures, conçu comme un environnement immersif pour présenter, expérimenter et développer des solutions innovantes dans l'univers du livre et de la lecture francophones.
Cette soirée a réuni pendant presque deux heures une trentaine d’internautes avatarisés de toute la France, et l’événement a pu également être suivi en vidéo live streaming par des dizaines d’autres.
A cet auditoire attentif l’artiste Anne Astier a présenté une rétrospective de ses recherches et de ses travaux antérieurs en lien avec le livre et le métavers, revenant entre autres sur ses précédentes performances en réalités mixtes, et elle a, pour la première fois en public, introduit le concept de livre quantique sur lequel elle travaille depuis plusieurs années (Lire le post : Introduction au Livre Quantique).
    
Ce type d’expérience (autour de la lecture), vécue et partagée à distance, pose pour moi une question cruciale : que se passe-t-il ?
   
Plusieurs lectures et réflexions m’éclairent.
Par exemple, le récent dossier de Joëlle Gauthier : Métaphysique et cyberespace, réalisé pour le "nt2" (Nouvelles Technologies Nouvelles Textualités - Le laboratoire de recherche sur les œuvres hypermédiatiques).
  
A mon sens, la "vision métaphysique" dont il est question, notamment si elle sert à métaphoriser le changement, et non à prophétiser, n’est pas tant que cela liée aux : « angoisses qui nourrissent l’imaginaire des technologies numériques ».
  
Il nous faut peut-être acquérir un nouveau langage pour lire le monde nouveau qui se développe sous nos yeux, et parvenir à une relecture du/des monde(s) ancien(s).
 
La métaphysique, dans sa dimension de métaphorisation, dans sa perspective symbolique, pourrait je pense nous y aider ( ?).
 
Ce travail de Joëlle Gauthier pose des questions essentielles cependant, qui se retrouvent à la croisée des chemins de la prospective du livre et de l’expansion du Méta-univers. Par exemple : « Lorsque nous utilisons les nouvelles technologies pour communiquer avec des gens à l’autre bout du monde, quelle est cette part de moi qui voyage jusqu’à eux ? Si nous dotons une machine de mémoire, devient-elle pour autant un double de l’individu ? Ces questions, loin d’être naïves, occupent encore aujourd’hui bon nombre de théoriciens et font l’objet de sérieux débats. ».
Cependant, comme le souligne Jenny Bihouise, un élément manque sans doute au puzzle du fait que le cyberespace demeure un concept abstrait, car il n’est conçu qu’en deux dimensions seulement, alors que : « Notre cerveau est conçu pour percevoir le monde en 3 dimensions ».
  
Psychosociologue de formation, dans son post récent : De l’humain augmenté par le web 3D, Jenny Bihouise, qui depuis 2009 s’est spécialisée dans le développement de projets de V-learning (virtual-learning) dans des univers numériques 3D et étudie leurs apports en termes de "sociabilité à distance", note le : « déficit de processus méthodologique dans le domaine de l’offre de solutions en matière de TICE en France ». Elle travaille en testant concrètement en situation des solutions techniques qui permettent de "virtualiser" une coprésence géographique, avec l’implication personnelle que cela sous-tend par rapport aux réseaux sociaux qui ne proposent que les services du web 2.0.
 
Pour moi, cela revient à dire qu’en fait nous passons probablement du cyberespace au métavers. D’un « ensemble de données numérisées constituant un univers d’information et un milieu de communication, lié à l’interconnexion mondiale des ordinateurs » (Le Petit Robert cité par Wikipédia), à un « monde virtuel, créé artificiellement par un programme informatique, [qui] héberge une communauté d'utilisateurs présents sous forme d'avatars pouvant s'y déplacer, y interagir socialement et parfois économiquement » (Wikipédia).
   
Avatars de chair et Livres de pierre
 
(Photo Claude Simmonet : Anne Astier, 10 février 2012, Expo MétaLectures)

Il est revenu au cours de cette passionnante soirée du 10 février l’expression « Avatar de chair », qu’Anne Astier a employé en se référent aux travaux de Yann Minh, présent parmi nous durant cette présentation. (Présentation durant laquelle, je le reprécise, nous étions une trentaine disséminés sur l’hexagone, mais rassemblés, écoutant et échangeant par le truchement d’avatars, que nous avions pu plus ou moins personnaliser en fonction de nos compétences, que nous déplacions et dirigions, qui bougeaient leurs lèvres lorsque nous parlions, etc., dans une coprésence singulière).
Cette notion d’avatar de chair pour nous désigner, nous autres êtres humains, je la rapprocherais de celle de « Livre de pierre ».
Livre de pierre, c’est ainsi que Victor Hugo désigne la cathédrale dans Notre-Dame de Paris.
 
Des livres de pierre (non seulement des cathédrales, mais, bien avant sur les parois des cavernes, puis les frontons des temples antiques…), aux livres de papier, nous passons aujourd’hui aux livres de pixels : la plus petite unité d’affichage.
Mallarmé l’avait prédit. « Au fond, voyez-vous, disait-il, le monde est fait pour aboutir à un beau livre » (Enquête sur l’évolution littéraire, 1891, Jules Huret, éd. Charpentier, 1891, Symbolistes et Décadents, p. 65).
Tout cela est lié, même si le lien ne m’apparaît pas encore clairement alors que je tape ces mots sur mon clavier. C’est le même sillon, le même fil d’une unique bobine, la même ligne, en tous cas le même texte, la même histoire : la nôtre.
  
La synesthésie, telle qu’elle semble vouloir se présenter dans les travaux de Vincent Mignerot (lui aussi présent parmi nous ce 10 février 2012) dans son Projet Synesthéorie, pourrait peut-être nous permettre de mettre de l’ordre dans ce qui peut nous apparaître chaotique. « Ce projet, précise Vincent Mignerot, ambitionne, au moyen d'un support théorique et de l'étude approfondie de nos capacités de compréhension du réel de proposer de nouveaux moyens d'analyse de notre monde, afin d'appréhender mieux notre histoire passée et notre devenir. ».
  
Du lecteur au personnage sur la scène du monde

  
L’avatar de chair, lecteur du livre de pixels, nous met dans les pas de nos ancêtres et place la phase de mutation que nous vivons actuellement au même niveau que celles de l’acquisition du langage articulé, puis de l’invention des écritures.
 
Il est certain que les livres numériques homothétiques ne sont qu’un épiphénomène sans avenir (et du coup nombre de nouveaux éditeurs également).
Le véritable enjeu n’est pas au niveau du marché du livre (excepté pour celles et ceux pour qui le commerce prime sur la lecture), mais au niveau de l’articulation que figure la période des e-incunables (1971-2022 ?).
 
Le Projet Prospectic, lancé en 2009 par Jean-Michel Cornu, et malheureusement au point mort, consistait : « à créer une île virtuelle pour aider à mémoriser les différents concepts issus des nouvelles technologies (nanotechnologies, biotechnologies, informatique, neurosciences, sciences cognitives, sciences de la complexité, énergie...). Il s'agit de se promener parmi les "lieux de mémoire" de l’île ou même d'organiser des visites guidées. Mais surtout, il s'agit de tester l'utilisation du mode de pensée cartographiée en organisant des échanges sur les enjeux des technologies qui puissent prendre en compte la multiplicité et la diversité des idées apportées par chacun. »
Comment ne pas mettre cela en parallèle avec les arts de la mémoire, et notamment l’ouvrage de Frances Yates (The Art of Memory, édition française chez Gallimard), mais également avec les pistes chantées des aborigènes australiens - (re)lire Le chant des pistes, de Bruce Chatwin (Grasset éd. 1988).
  
Notre trajet en commun (comme l’on parle de transports en commun) va de ces cartes chantées, puis contées (les rapsodes, trouvères et troubadours…), à celles tracées, imprimées, et aujourd’hui pixellisées sur les écrans de nos GPS. Mais il s’agit toujours de cartes que nous lisons, pour déchiffrer le territoire qui nous environne et pour nous orienter.
 
Dans son essai paru en 2008 aux éditions Actes Sud, L’espèce fabulatrice, Nancy Houston, explicite comment nous ne sommes tous que les personnages de nos vies, « La spécificité de notre espèce, écrit-elle, c’est qu’elle passe sa vie à jouer sa vie ». Mais elle avance aussi l’hypothèse qu’il n’y aurait ainsi « aucune frontière étanche entre "vraie vie" et fiction ; chacune nourrit l’autre et se nourrit de lui. […] La persona [masque, personnage] est tout bonnement la façon humaine d’être au monde. ».
  
Comment garder la main sur l’écriture de notre histoire, alors que nous perdons l’écriture manuscrite et avons déjà perdu la calligraphie, que Stravinsky considérait comme "la musique des mots" (retour à la synesthésie).
  
Lecture et écriture sont intimement liées, et le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique que nous traversons, impacte autant l’une que l’autre.
L’édition augmentée d’animations audio pourrait-elle compenser une perte de la musique des mots ? (Voir : Retour à une lecture hallucinatoire ?) 
   
Aujourd’hui, les dispositifs technologiques (entre autres de l’écriture multimédia et de sa diffusion multicanal multisupport) sont de plus en plus complexes, particulièrement aux générations immigrantes du numérique, et sans doute que durant le siècle prochain les codeurs programmeurs seront les nouveaux auteurs et les autres, les lecteurs, ou les personnages de leurs créations hypermédiatiques. (La téléréalité en aura, peut-être, été un signe précurseur ?)
  
De quelle histoire, nous, avatars de chair, sommes-nous les personnages ?
Comment articuler le passé à l’avenir ?
Comment s’orienter ?
Que s’est-il passé en vérité le soir du 10 février 2012 ?

lundi 6 février 2012

Introduction au Livre Quantique

"Introduction au Livre Quantique" est le sous-titre de l'intervention que la pionnière des arts numériques, Anne Astier, donnera en ligne sur le web 3D ce vendredi 10 février 2012 à partir de 21H30, sur l'OpenSimulator FrancoGrid.

La soirée se déroulera sous la forme d'une exposition / conférence.
Exposition, car Anne présentera une rétrospective de ses recherches et de ses travaux antérieurs en lien avec le livre sur le métavers (monde immersif 3D sur le web).
Conférence, car elle commentera cette exposition, revenant entre autres sur ses précédentes performances en réalités mixtes et qu'elle introduira le concept de livre quantique sur lequel elle travaille depuis plusieurs années.

Le thème de cette présentation : "De la narration linéaire à la narration multidimensionnelle" s'inscrit bien dans les problématiques de la prospective du livre.

C'est la raison pour laquelle j'ai retenu ce thème et le travail d'Anne pour inaugurer sur le serveur Francogrid l'incubateur MétaLectures que j'ai lancé à titre expérimental le 1er janvier 2012.
  
MétaLectures c'est quoi ?

MétaLectures est le premier environnement web 3D immersif, pour présenter, expérimenter et développer des solutions innovantes dans l'univers du livre et de la lecture francophones.

Comment participer le 10 février ?

Pour s'enregistrer gratuitement et se connecter pour la première fois à FrancoGrid, suivre la procédure en 3 points indiquée ICI (En cas de besoin Documentation et aide FrancoGrid ICI.)

Invitation en ligne sur le site de
Tournicoton Art Gallery
Le site d'Anne Astier
Le blog de Métaversel, association dédiée aux réalités mixtes.
Le travail qu'Anne Astier développe depuis plusieurs années sur Second Life est toujours visitable en suivant ce "lien de téléportation". Dans une interview récente sur Lokazionel, Anne explique son choix de passer aujourd'hui de Second Life à FrancoGrid (lire ici : "Créer du lien entre le réel et le virtuel").
  
La notion de "réalité mixte" se réfère à la perméabilité du réel aux données numériques, et expérimente les passerelles entre les mondes physique et numérique (lire par exemple à ce sujet : De la réalité augmentée à la réalité mixte).
La notion de "quantique", appliquée aux livres et à la lecture, est au coeur des travaux d'Anne Astier. On peut certainement y trouver des parallèles avec, par exemple et entre autres, mon texte publié hier : D'une possible trans-littérature dans le récit transmédia. Il pourrait être aussi pertinent, si l'on songe à l'évolution des dispositifs et des interfaces de lecture, de s'intéresser aux recherches sur les ordinateurs quantiques (lire par exemple à ce sujet : L'ordinateur quantique va révolutionner l'informatique).
L'air de rien cette soirée pourrait être importante pour la prospective du livre...
  

dimanche 5 février 2012

Semaine 05/52 : d’une possible trans-littérature dans le récit transmédia

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 05/52.
                          
Ces dernières décennies, le cinéma, puis les séries télévisées, ont renouvelé les formes narratives. Plus récemment la bande dessinée (documentaire, de reportage, et dans ses passerelles avec le roman graphique), et les jeux vidéos – puis certainement de plus en plus demain la BD numérique, dessinent également d’autres formes d’expression, passant par la digitalisation et les canaux d’une diffusion multicanal et multisupport.
   
Le fait qui cette semaine a retenu mon attention, par rapport au destin du livre et de la lecture, est ainsi l’information suivante : « Inspirée par le succès du Connected Creativity au MIPTV en 2011, la première édition du MIPCube ouvrira ses portes à Cannes le vendredi 30 mars [2012] pour deux jours de rencontres et de Live Learning. Orchestré en amont du MIPTV (du 1er au 4 avril), le MIPCube réunira les « architectes du futur » de la télévision dans le but d’explorer les innovations décisives pour l’avenir de cette industrie. » (Source TransmédiaLab).
Le FIPA (Festival International des Programmes Audiovisuels) qui s’est déroulé lui à Biarritz du 23 au 29 janvier dernier, a été traversé par cette ombre numérique.
France télévisions, entre autres, est dotée d’une direction du transmédia et des nouvelles écritures.
C’est tout dire.
Mais qu’est-ce à dire, sinon que les récits et les fictions de demain ne s’inscriront plus sur du papier imprimé, mais dans des représentations pouvant rivaliser avec ce que nous percevons comme étant du domaine de la réalité.
    
Un monde en développement…
  
Une nouvelle fois des questions multiples surgissent de toutes parts face à cette extension du réel.
Les codeurs développent-ils le monde, en rendant certaines de ses facettes accessibles à nos sens physiques par le truchement d’interfaces numériques ?
Pouvons-nous parler d’un "territoire digital", ou bien devons-nous parler de "territoires digitaux" ? Et serait-ce une possible définition d’Internet, tout simplement, du Net ? (Ou bien s’agit "d’autre chose" ?).
  
Nous devons je pense garder en tête la bonne distinction basique entre hardware et software, et veiller à bien faire la part des outils et des portes d’accès, de ce qui relèverait dans les faits, l’expérience, de nouveaux territoires. (L’on voit parfois le terme de far-web, déjà repris par le marketing, mais qui peut, nonobstant, s’insérer dans des réflexions pertinentes, par exemple cette semaine : De la conquête du far-web à celle du near-me, par Olivier Ertzscheid.)
  
Nous devons aussi savoir que ce sont des pairs qui codent ce qui nous apparaît sous la forme de nouveaux territoires, des espaces virtuels porteurs d’informations et de fantasmes, qui influencent nos destinées et régulent notre activité cérébrale. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Savent-ils ce qu’ils font ? Qu’est-ce qui, ou qui, dictent leurs choix ? Ont-ils le choix ? Etc.
  
Je pense que nous aurions tort de ne pas nous poser ces questions, de ne pas les poser ouvertement et en répandre la légitimité, et de ne pas y exiger des réponses probantes.
 
Nous allons, par exemple, vite être surpris par l’essor des jeux pervasifs (environnement pervasif), jeux qui intègrent l’environnement physique du joueur-utilisateur comme vecteur de son expérience vécue dans le jeu. Outils de géolocalisation, Internet des objets, réalité augmentée, en sont pour l’instant les premières portes d’accès. (Lire sur ce sujet : Rémi Sussan : « Quand le jeu sort de l’écran ».)
  
Il s’agit déjà en somme d’aller vers une expérience d’autofiction transmédia.
   
Nous sommes le Livre
   

Les premières définitions du transmédia ne me conviennent guère.
  
Il faut être prudent à l’égard des définitions qui nous enferment dans un cadre et peuvent nous empêcher d’explorer d’autres voies.
  
Longue, la définition proposée par le TransmediaLab permet cependant de cerner le périmètre : « Le Transmedia consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs media en différenciant le contenu développé, les capacités d’interaction (engagement) en fonction des spécificités de chaque media. A la différence du crossmedia ou du plurimedia qui décline un contenu principal sur des medias complémentaires, le transmedia exige un récit spécifique sur chaque media et donne la possibilité au public d’utiliser différents points d’entrée dans l’histoire (circulation de l’audience). » (Source).
  
Pour un article à paraître j’ai récemment réfléchi, pour aboutir à cette définition qui ne me convient également pas : « Dans ce modèle une même fiction se développe simultanément sur différents supports (tablettes de lecture, smartphones, TV connectées, consoles de jeux vidéos...) en développant différemment sur chacun le contenu, en fonction de ses spécificités et des possibilités d'interactions qu'il permet. Chaque support devient alors pour le lecteur un point d'entrée différent pour une plus grande immersion dans l'histoire. »
    
Le 31 janvier, dans "Images du corps interfacé", Rémi Sussan a exposé un panorama des premières hybridations perceptibles du corps humain immergé dans ce bain de données numériques qui brouillent les limites du physique. « Il s’agit aujourd’hui […] de reconstruire notre conception du corps en envisageant celui-ci avant tout comme un médiateur, une interface. ». 
  
Le lecteur, souvent devenu (télé)spectateur, pourrait, en devenant joueur, devenir acteur. 
  
En passant de l’édition imprimée à l’édition numérique nous ne pouvons pas encore savoir dans quelle mesure une survivance littéraire, ici baptisée "trans-littérature" perdurera (ou s’épanouira ?) dans le récit transmédia.
Mais nous allons accéder à un nouvel ordre symbolique.
Il me faut encore cependant, j’en ai bien conscience, éclaircir nombre de points. Notamment dans les semaines à venir. Car je cherche aussi, en effet, à être un bon petit père pour mes lecteurs, nourrissons de Zeus.

(Illustration peinture : tableau "Le philosophe" André Marin de Barros.)

vendredi 3 février 2012

jeudi 2 février 2012

Mlle X, une étudiante bizarre (ou l'ebook comme levier de croissance)

Je suis régulièrement sollicité par des étudiant(e)s. Je leur réponds toujours, même si cela me prend du temps, que leurs questions (malgré mes recommandations préalables) sont souvent très générales, et que leurs travaux, qu'ils m'envoient toujours ensuite, ne m'apportent le plus souvent pas vraiment de nouvelles idées originales, ni de nouvelles pistes de réflexion. Mais je le fais pour aider, parce que j'ai moi aussi (jadis) été étudiant.
Mais ce coup-ci je suis tombé sur une drôle d'étudiante.
Mlle X, appelons-la ainsi puisque c'est une adepte de la confidentialité, préparerait, d'après ce qu'elle me déclare dans son premier mail, un "Mastère en marketing management à l'Essec" et rédigerait dans ce cadre un mémoire sur le livre numérique. Elle a commencé par me demander de lui envoyer carrément copie du cours que j'ai donné le 09 novembre dernier à l'Université Paris 13 auprès des étudiants de deuxième année du Master Commercialisation du Livre. J'ai gentiment refusé. Elle m'a alors demandé si je voulais bien répondre à quelques questions pour enrichir son mémoire. Comme toujours j'ai accepté. Le hic, c'est qu'elle me répond ensuite qu'elle ne m'enverra pas copie de son mémoire, car elle s'est, je cite : "engagée auprès des personnes [qu'elle a] interrogées à ce qu'il reste confidentiel" ! Je lui fais gentiment remarqué que, moi aussi, je figure au rang des personnes qu'elle a interrogées (et que je m'engage à ne pas diffuser son mémoire et à n'en faire qu'une lecture personnelle). Ce à quoi voilà qu'elle me répond qu'elle préfère alors ne pas utiliser mes réponses dans son mémoire pour : "éviter des problèmes avec d'autres personnes interrogées. Aucune personne n'aura d'exemplaires et une mention CONFIDENTIEL apparaîtra sur mon mémoire".
Une conduite que je trouve étrange et qui ne m'incite guère à consacrer du temps aux demandes des étudiant(e)s. 
Cela dit, pour que mon temps n'ait pas été véritablement perdu, voici ci-après mes réponses à Mlle X. 
     
10 réponses à Mademoiselle X ;-)
 
" 1.      D’après certaines études, le livre numérique représenterait 1% du marché, voire plus en 2011. Êtes-vous en phase avec cette analyse ?
  
Il s’agit davantage d’une estimation que d’une analyse. Le chiffre exact était pour 2011, 1,6% du chiffre d’affaire de l’édition. C’est possible, mais il faut ajouter à cela les livres numériques du domaine public et quelques-uns piratés, sans compter ceux téléchargés sur des plateformes étrangères, francophones ou pas, je pense notamment au Québec. Ces ebooks n’augmentent certes aucunement le chiffre d’affaire de l’édition, mais ils participent malgré tout des téléchargements croissants de livres sous la forme de fichiers.
 
2.      Selon vous, quelle va être la croissance de ce marché dans les prochains mois ou prochaines années ?
 
Difficile à évaluer précisément, mais ce qui est certain c’est qu’il va continuer à progresser et que cette progression va être de plus en plus accélérée, au fur et à mesure que les prix des nouveaux dispositifs de lecture vont baisser, que les lecteurs vont s’équiper, et que l’offre en livres numérisés et numériques va s’étoffer et être de plus en plus attrayante. C’est depuis au moins deux ans le phénomène que nous observons aux États-Unis.
 
3.      Par conséquent, peut-on imaginer qu’à terme, le livre numérique remplacera le livre papier ?
  
Il ne fait pratiquement aucun doute, en effet, que durant ce 21e siècle de nouveaux dispositifs de lecture connectés et adaptés pour la lecture de livres numériques remplaceront progressivement les livres imprimés, tout comme, jadis, les rouleaux de papyrus ont remplacé les tablettes d’argile, avant d’être remplacés à leur tour par le codex (l’interface de lecture que nous connaissons encore majoritairement aujourd’hui, de cahiers de pages reliés entre eux et protégés par une couverture).
  
4.      Les auteurs, dont vous faîtes partie, accueillent-il sereinement cette révolution numérique ? Qu’ont-ils à y gagner et/ou à y perdre ?
       
Les auteurs sont avant tout des femmes et des hommes, des lectrices et des lecteurs. Tout dépend de chacun au fond, de sa personnalité, de son histoire. Certains sont ouverts à ce qui apparaît comme une évolution naturelle et inévitable, comme Jean d’Ormesson par exemple. D’autres, comme Umberto Eco, entre autres, sont bien plus réservés et critiques. Beaucoup cherchent à récupérer ou à mieux faire valoir les droits d’exploitation numérique de leurs œuvres. Certains peuvent se lancer dans l’autoédition, au moins pour la réédition de leurs anciens titres imprimés en versions numériques. C’est le cas récent d’Alina Reyes, par exemple.
De plus en plus il va apparaître évident que le CPI (Code de la propriété intellectuelle) et les différents textes qui peuvent réglementer le droit d’auteur, ne sont plus adaptés à un marché du numérique, fondé sur une diffusion multicanal multisupport, et qui n’est plus limité par les frontières comme les flux physiques de livres imprimés. Il faudra inévitablement que la législation s’adapte au nouveau contexte du marché du livre.
  

5.      Longtemps les éditeurs ont trainé des pieds pour se lancer dans le numérique mais depuis 2010, ils s’y lancent à fond, voire s’affolent. Seraient-ils menacés de disparition ?
  
Il faudrait relativiser en prenant en compte les spécificités du paysage éditorial français : une situation "duopolistique" déséquilibrée, avec un très grand groupe français (Hachette Livre, c’est-à-dire Lagardère Publishing), un deuxième grand mais bien moindre (Editis Planeta, avec des capitaux espagnols), peu de groupes moyens, souvent d’origine familiale (Gallimard, Albin Michel, etc.), et, une multitude d’éditeurs plus ou moins indépendants, mais en tous cas de petite taille. Nous ne pouvons pas vraiment parler « des éditeurs » en général, ou « de l’édition française ».
Cela dit, il est certain que des multinationales du numérique, telles Amazon, Google et Apple, impactent fortement le marché émergent du livre numérique, et qu’au fond, en France, seul un groupe comme Lagardère est de taille à négocier avec de tels partenaires. Aujourd’hui, une entreprise américaine de commerce en ligne comme Amazon, a la puissance financière de verser de fortes avances sur droits à des auteurs de best-sellers pour les détourner de l’édition imprimée. Cela commence à être le cas aux États-Unis où Amazon s’affirme de plus en plus comme pouvant aussi être une structure éditoriale.
Mais le plus important je pense est de signaler et d’être très attentif à l’émergence d’une nouvelle génération de maisons d’édition : à savoir des éditeurs pure-players. Un éditeur pure-player est un entrepreneur qui publie des livres exclusivement dans des formats numériques à destination des nouveaux dispositifs de lecture. J’en ai dénombré en janvier 2012, 75 de francophones. Il y en aurait bien plus en comptant les anglo-saxons !

6.      Le réseau des librairies « traditionnelles » que nous connaissons a-t-il encore un avenir ? Demain, où achèterons-nous nos livres ?
   
Nombre de librairies risquent en effet de disparaître malheureusement. On commence à observer le phénomène aux États-Unis. Il faut espérer que certains s’adaptent à la nouvelle donne et parviennent à maintenir des boutiques en ville en les doublant de sites web performants et attractifs avec des services associés, et en s’inscrivant dans la perspective du commerce connecté qui va de plus en plus se développer. Il est vital pour elles que les librairies ne se déconnectent pas de l’évolution du commerce de détail en général. Il semble sinon évident que, comme nombre d’autres biens culturels (musiques, films, jeux vidéos…) les livres vont de plus en plus être téléchargés, achetés en ligne, voire consultés en streaming sur abonnement.

7.      Quant aux lecteurs, pensez-vous que le livre numérique s’adresse à une catégorie particulière d’entre eux ?
   
A priori non. Potentiellement toutes les catégories de lecteurs sont concernées. La majorité d’entre eux est, plus ou moins, régulièrement en contact avec des dispositifs numériques et beaucoup ont déjà acquis de nouvelles habitudes de lecture et de recherche d’information sur le web.

8.      Y a-t-il un risque à laisser Google numériser nos bibliothèques ? Si oui, de quelle nature ?
      

La question est beaucoup trop vaste pour pouvoir y répondre exhaustivement ! Plusieurs livres entiers y ont été consacrés. Tout dépend des droits que s’arroge Google en contrepartie. Cela relève de la négociation contractuelle entre Google, les bibliothèques, et les ayants-droits sur les livres (éditeurs et auteurs). Ce qui est certain c’est que, comme tous les textes n’ont pas pu être imprimés quand nous sommes passés au 16e siècle de l’édition manuscrite à l’édition imprimée typographique, aujourd’hui, tous les livres imprimés ne pourront pas être numérisés.
      
9.      Selon vous, faut-il travailler dès à présent sur des contenus enrichis ou est-il plus pertinent, compte-tenu du niveau de maturité du marché, de proposer des livres numériques « de base » qui semblent plus accessibles aux lecteurs ?
    
Il faut en fait, dans la période de transition où nous sommes, distinguer trois marchés : celui des livres imprimés, celui des livres numérisés (dits homothétiques, c’est-à-dire qui sont de simples numérisations de contenus imprimés), et, celui des livres numériques (livres applications nativement numériques, avec des enrichissements multimédia). Ce sont ces derniers qui sont développés par les éditeurs pure-players et qui peuvent donner une idée de ce que sera à terme l’édition du 21e siècle.
Ce qui serait capital je pense c’est que l’édition imprimée expérimente et innove davantage, d’une part, pour proposer elle aussi des contenus nativement numériques (Gallimard, Albin Michel, Flammarion, entre autres ont commencé, Nathan et Hatier également pour les manuels scolaires), d’autre part, pour proposer aux lecteurs des livres hybrides, proposant des passerelles, des complémentarités, entre livres imprimés et dispositifs de lecture numérique (je pense par exemple aux QR Codes, ou à des solutions innovantes qui permettraient d’enrichir des ouvrages imprimés non numérisés…).
  
10.  L’État a-t-il un rôle à jouer dans la révolution numérique que connaît le secteur de l’édition ?
  
Oui et non. En France le rôle de l’État dans les affaires culturelles est très marqué. Cela peut être protecteur, vis-à-vis des libraires par exemple, avec la loi sur le prix unique du livre, puis celle récente sur le prix unique du livre numérisé. Mais cela peut aussi être disqualifiant et contraignant par rapport à l’étranger ou à des entreprises localisées en dehors des frontières françaises. Il faut de plus prendre en compte les réglementations européennes. Nous ne pouvons plus au 21e siècle concevoir le marché du livre uniquement sur un périmètre hexagonal, ni même exclusivement francophone.

Il faudrait davantage d’adaptabilité et de souplesse par rapport à la nouvelle donne provoquée par le numérique, notamment pour que des agents littéraires puissent coacher et défendre les intérêts contractuels et économiques des auteurs, pour que des business angels investissent massivement dans le secteur de l’édition numérique, pour que les nouveaux métiers de l’édition numérique et que les techniques narratives d’écriture multimédia soient enseignés, notamment aux auteurs, à l’université par exemple, sur le modèle des cours de creative writing aux États-Unis."

lundi 30 janvier 2012

Prochaines interventions sur la Prospective du Livre et de l'Edition

En ce début 2012, au nombre de mes prochaines interventions sur la Prospective du Livre et de l'Edition j'aurai, entre autres, le plaisir de délivrer, pour le compte de la Bibliothèque départementale de l'Aisne : une formation d'une journée sur le thème du livre électronique, et, pour le compte du CDDP d'Indre et Loire (Centre départemental de documentation pédagogique) : une conférence sur la mutation du livre et ses impacts sur l'économie de la connaissance et la transmission des savoirs, dans le cadre des Rencontres Bibdoc 2012...






dimanche 29 janvier 2012

Semaine 04/52 : édition numérique, attention danger !

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 04/52.
  
Durant cette quatrième semaine l’actualité, éphémère et foisonnante, a laissé affleurer les ombres massives qui planent, tant sur les droits des auteurs que sur ceux des lecteurs.
  
Affaire de la fermeture de MegaUpload (avec ses débats houleux sur le piratage, les marchés parallèles, la contrefaçon…), Hadopi, ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon - Anti-Counterfeiting Trade Agreement), SOPA (Stop Online Piracy Act), PIPA (Protect IP Act), à quoi il faut ajouter le durcissement du copyright et les atteintes au domaine public, l’intrusion d’Apple sur le marché sensible du livre scolaire (sur ce dernier point je vous recommande la lecture de : "Les livres scolaires annexés par Apple ? Un modèle à refuser absolument !" de Fabrice Neuman, et, " L’édition scolaire n’est pas un marché comme les autres" de Clément Laberge).
Oui l’horizon est sombre. Très sombre. Brrrrrrr.
    
Les droits des lecteurs menacés
   
La publication marquante de la semaine, parce qu’elle résume je pense en grande partie les risques d’atteintes à la liberté des lecteurs avec le passage à l’édition numérique, aura été pour moi ce post du 22 janvier, publié sur Framasoft : "Les dangers du livre électronique, par Richard Stallman".
Si vous ne l’avez pas déjà lu, lisez-le.
  
Ceci par exemple : « Comme le note Stallman, vous pouvez vous rendre dans une librairie et acheter un livre physique de manière anonyme, le plus souvent juste avec des espèces. Tout au plus pourrait-on exiger de vous de prouver votre âge pour certains contenus, mais aucune trace des informations que vous donnez ne sera conservée. Contrairement à l’achat d’un e-book, qui requiert une identification, reliée à une carte de crédit, un compte bancaire, et d’autres informations difficiles à supprimer. ».
  
J’avais eu l’occasion de rencontrer Richard Stallman en juin 2011 à Paris. Comme ses détracteurs le répètent à loisir pour le discréditer sans discuter ses arguments, c’est, en effet, ce que l’on appelle familièrement "un personnage", un caractère marqué qui peut surprendre et être agressif. Mais cela n’enlève rien à la pertinence de ses propos sur le "livre électronique".
  
A titre personnel j’ai souvent ressenti ce qu’il souligne dans l’extrait que je viens de citer. Sans cet écueil de l’enregistrement en ligne de mon identité et de mon achat, je ferais certainement l’acquisition de bien plus de livres numériques je pense, par exemple, d’une maison comme celle de François Bon, Publie.net.
   
Voici ce qu’il ressort de la comparaison de Stallman entre livre imprimé et livre numérique :
« Le livre imprimé :
- On peut l’acheter en espèces, de façon anonyme.
- Après l’achat, il vous appartient.
- On ne vous oblige pas à signer une licence qui limite vos droits d’utilisation.
- Son format est connu, aucune technologie privatrice [DRM] n’est nécessaire pour le lire.
- On a le droit de donner, prêter ou revendre ce livre.
- Il est possible, concrètement, de le scanner et de le photocopier, pratiques parfois légales sous le régime du copyright.
- Nul n’a le pouvoir de détruire votre exemplaire.
Comparez ces éléments avec les livres électroniques d’Amazon (plus ou moins la norme) :
- Amazon exige de l’utilisateur qu’il s’identifie afin d’acquérir un e-book.
- Dans certains pays, et c’est le cas aux USA, Amazon déclare que l’utilisateur ne peut être propriétaire de son exemplaire.
- Amazon demande à l’utilisateur d’accepter une licence qui restreint l’utilisation du livre.
- Le format est secret, et seuls des logiciels privateurs restreignant les libertés de l’utilisateur permettent de le lire.
- Un succédané de "prêt" est autorisé pour certains titres, et ce pour une période limitée, mais à la condition de désigner nominalement un autre utilisateur du même système. Don et revente sont interdits.
- Un système de verrou numérique (DRM) empêche de copier l’ouvrage. La copie est en outre prohibée par la licence, pratique plus restrictive que le régime du copyright.
- Amazon a le pouvoir d’effacer le livre à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell. » (Source).
  
 
Les droits des auteurs toujours bafoués
 
Par ailleurs, les auteurs auraient tort de croire a priori que les conditions de l’édition numérique leurs seraient plus favorables que celles de l’édition imprimée.
Le marché du livre numérique étant émergeant, l’absence d’à-valoir y est encore plus de rigueur. Les pourcentages de droits d’auteur sont certes supérieurs aux 08-10% de moyenne de l’imprimé, mais ils atteignent très rarement les 50% que l’on entend claironner parfois. Entre 30 et 40% le plus souvent. Mais appliqués sur le hors taxes de prix de vente public de 02 à 04 euros en moyenne, par rapport à la vingtaine d’euros d’un titre imprimé, et avec des ventes de quelques dizaines à quelques centaines d’exemplaires payants téléchargés. Autant dire que l’auteur travaille pour rien, ou que pour la gloire, s’il a, paradoxe, la chance d’avoir été beaucoup piraté !
De plus la reddition des comptes n’est souvent pas forcément plus lisible ni crédible.
  
La partie immergée de l’iceberg
  
Le passage de l'édition imprimée à l'édition numérique est sans doute inscrit dans le code génétique du livre, mais ce passage est sans aucun doute dangereux et il serait inconscient de ne pas regarder en face ces dangers.
 
Comme pour les effets des nouveaux dispositifs non-imprimés, réinscriptibles voire connectés/communicants, sur la lecture, le tourbillon numérique qui nous emporte a des effets autres que purement économiques et qui relèveraient peut-être en partie des corrélats neuronaux de la conscience (la lecture, et la lecture sur supports numériques, joueraient au niveau de la neurogenèse localisée).
 
Bien au-dessus des soucis de la vie matérielle des professionnels du livre, s’ouvre le vaste domaine de la pensée et des actions qu’il nous faudrait accomplir pour accompagner l’émergence d’une nouvelle écriture et d’une nouvelle lecture au cours de ce troisième millénaire.
 
Je le redis pour la deuxième semaine consécutive : « Un grand mystère se dresse devant nous. Peut-être ineffable. Il est de l’ordre de l’élaboration des écritures alphabétiques, voire carrément de l’ampleur de la naissance de l’écriture, peut-être. ».
   
Je pense dans les mois qui viennent, ne plus seulement explorer le devenir (le destin) du livre et de la lecture dans le fil de ses perspectives historiques, mais, aussi, à partir de sa dimension purement humaine, ce qui est de l’ordre de l’apprentissage individuel (qui fut pour moi compliqué) de l’écriture et de la lecture.
   
Rien à ma connaissance ne peut aujourd’hui nous assurer que les artefacts textuels qui envahissent nos environnements physiques et numériques n’opèrent pas, par exemple, sur le mode des expériences de spatialisation virtuelle par procédé binaural.
   
Au cours de ce 21e siècle, nous pouvons peut-être accéder avec les outils numériques à une nouvelle lecture du monde et élargir le champ de notre conscience pour une meilleure connaissance de notre destin commun.
Mais il y a danger.
Ce que nous appelons "édition numérique", et qui n’est en réalité que la continuation du marché du livre, masque en fait les véritables enjeux et ne représente que la partie émergeante de l’iceberg.
     
J’ai repensé cette semaine, je repense parfois, au final de l’essai "Pourquoi lire ?" de Charles Dantzig (Grasset, 2010).
Je me rappelle avoir songé en le lisant au fameux roman d'anticipation d'Orwell : "1984". Ce roman ne s’appelle en fait "1984" que parce qu’Orwell l’a écrit en… 1948. Mais aujourd’hui, au regard des transformations que nous vivons, ou dont nous pouvons être les témoins directs ou indirects depuis les débuts en France de l'envahissement du numérique dans les années quatre-vingt justement, je me demande très sérieusement si cette contre-utopie (dystopie) d’Orwell, ne serait pas prémonitoire ? De l’à-venir. D’un avenir ? En 2984 ? J’ai toujours lu "1984" de Georges Orwell en pensant à "Fahrenheit 451" de Ray Bradbury.
    
Que lisons-nous dans ce "Pourquoi lire ?" : « Et quand l'objet en papier aura disparu, pour la satisfaction douloureuse des amers qui diront : je l'avais prédit, nous répondrons : et alors ? Nous ne lisons plus les rouleaux de Rome, seuls quelques érudits savent qu'ils ont existé, et la littérature romaine demeure, en partie. Plus noirs que ces amers, on dira que l'informatisation servira encore mieux les puissants, qui pourront ranger l'humanité dans des appartements toujours plus petits, puisque plus besoin de bibliothèques et tout dans iPad, et que, un jour, quand tout cela sera réduit à un tout petit point rouge, il clignotera fébrilement, puis, hoquetant de moins en moins, il s'éteindra. ».
Et Charles Dantzig de conclure : « Ne lisant plus, l'humanité sera ramenée à l'état naturel, parmi les animaux. Le tyran universel, inculte, sympathique, doux, sourira sur l'écran en couleurs qui surplombera la terre. ».
    
C’est cela qu’il nous faut éviter.