Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque
semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente,
dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du
livre et de l’édition.
Ce post est donc le 05/52.
Ces dernières décennies, le cinéma, puis les séries
télévisées, ont renouvelé les formes narratives. Plus récemment la bande
dessinée (documentaire, de reportage, et dans ses passerelles avec le roman
graphique), et les jeux vidéos – puis certainement de plus en plus demain la BD
numérique, dessinent également d’autres formes d’expression, passant par la
digitalisation et les canaux d’une diffusion multicanal et multisupport.
Le fait qui cette semaine a retenu mon attention, par
rapport au destin du livre et de la lecture, est ainsi l’information
suivante : « Inspirée par le
succès du Connected Creativity au MIPTV en 2011, la première édition du MIPCube
ouvrira ses portes à Cannes le vendredi 30 mars [2012] pour deux jours de rencontres et de Live Learning. Orchestré en amont
du MIPTV (du 1er au 4 avril), le MIPCube réunira les « architectes du
futur » de la télévision dans le but d’explorer les innovations décisives pour
l’avenir de cette industrie. » (Source TransmédiaLab).
Le FIPA (Festival International des Programmes Audiovisuels)
qui s’est
déroulé lui à Biarritz du 23 au 29 janvier dernier, a été traversé par cette
ombre numérique.
France télévisions, entre autres, est dotée d’une direction
du transmédia et des nouvelles écritures.
C’est tout dire.
Mais qu’est-ce à dire, sinon que les récits et les fictions
de demain ne s’inscriront plus sur du papier imprimé, mais dans des
représentations pouvant rivaliser avec ce que nous percevons comme étant du
domaine de la réalité.
Un monde en
développement…
Une nouvelle fois des questions multiples surgissent de
toutes parts face à cette extension du réel.
Les codeurs développent-ils le monde, en rendant certaines
de ses facettes accessibles à nos sens physiques par le truchement d’interfaces
numériques ?
Pouvons-nous parler d’un "territoire digital", ou
bien devons-nous parler de "territoires digitaux" ? Et serait-ce
une possible définition d’Internet, tout simplement, du Net ? (Ou bien s’agit
"d’autre chose" ?).
Nous devons je pense garder en tête la bonne distinction
basique entre hardware et software, et veiller à bien faire la part des outils et des portes d’accès, de ce qui
relèverait dans les faits, l’expérience, de nouveaux territoires. (L’on voit
parfois le terme de far-web, déjà repris par le marketing, mais qui peut,
nonobstant, s’insérer dans des réflexions pertinentes, par exemple cette
semaine : De la conquête du far-web à celle du near-me,
par Olivier Ertzscheid.)
Nous devons aussi savoir que ce sont des pairs qui codent ce
qui nous apparaît sous la forme de nouveaux territoires, des espaces virtuels
porteurs d’informations et de fantasmes, qui influencent nos destinées et
régulent notre activité cérébrale. Qui sont-ils ? Où sont-ils ?
Savent-ils ce qu’ils font ? Qu’est-ce qui, ou qui, dictent leurs
choix ? Ont-ils le choix ? Etc.
Je pense que nous aurions tort de ne pas nous poser ces
questions, de ne pas les poser ouvertement et en répandre la légitimité, et de
ne pas y exiger des réponses probantes.
Nous allons, par exemple, vite être surpris par l’essor des
jeux pervasifs (environnement pervasif), jeux qui intègrent l’environnement physique du joueur-utilisateur comme vecteur
de son expérience vécue dans le jeu. Outils de géolocalisation, Internet des
objets, réalité augmentée, en sont pour l’instant les premières portes d’accès. (Lire sur ce
sujet : Rémi Sussan : « Quand le jeu sort de l’écran ».)
Il s’agit déjà en somme d’aller vers une expérience
d’autofiction transmédia.
Nous sommes le Livre
Les premières définitions du transmédia
ne me conviennent guère.
Il faut être prudent à l’égard des définitions qui nous
enferment dans un cadre et peuvent nous empêcher d’explorer d’autres voies.
Longue, la définition proposée par le TransmediaLab permet
cependant de cerner le périmètre : « Le Transmedia consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs
media en différenciant le contenu développé, les capacités d’interaction
(engagement) en fonction des spécificités de chaque media. A la différence du
crossmedia ou du plurimedia qui décline un contenu principal sur des medias
complémentaires, le transmedia exige un récit spécifique sur chaque media et
donne la possibilité au public d’utiliser différents points d’entrée dans
l’histoire (circulation de l’audience). » (Source).
Pour un article à paraître j’ai récemment réfléchi, pour
aboutir à cette définition qui ne me convient également pas : « Dans
ce modèle une même fiction se développe simultanément sur différents supports
(tablettes de lecture, smartphones, TV connectées, consoles de jeux vidéos...)
en développant différemment sur chacun le contenu, en fonction de ses
spécificités et des possibilités d'interactions qu'il permet. Chaque support
devient alors pour le lecteur un point d'entrée différent pour une plus grande
immersion dans l'histoire. »
Le 31 janvier, dans "Images du corps interfacé",
Rémi Sussan a exposé un panorama des premières hybridations perceptibles du
corps humain immergé dans ce bain de données numériques qui brouillent les
limites du physique. « Il s’agit aujourd’hui […] de
reconstruire notre conception du corps en envisageant celui-ci avant tout comme
un médiateur, une interface. ».
Le lecteur, souvent devenu (télé)spectateur,
pourrait, en devenant joueur, devenir acteur.
En passant de l’édition imprimée à l’édition numérique nous
ne pouvons pas encore savoir dans quelle mesure une survivance littéraire, ici
baptisée "trans-littérature" perdurera (ou s’épanouira ?) dans
le récit transmédia.
Mais nous allons accéder à un nouvel ordre symbolique.
Il me faut encore cependant, j’en ai bien conscience, éclaircir
nombre de points. Notamment dans les semaines à venir. Car je cherche aussi, en
effet, à être un bon petit père pour mes lecteurs, nourrissons de Zeus.
(Illustration peinture : tableau "Le philosophe" André Marin de Barros.)
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