dimanche 5 février 2012

Semaine 05/52 : d’une possible trans-littérature dans le récit transmédia

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 05/52.
                          
Ces dernières décennies, le cinéma, puis les séries télévisées, ont renouvelé les formes narratives. Plus récemment la bande dessinée (documentaire, de reportage, et dans ses passerelles avec le roman graphique), et les jeux vidéos – puis certainement de plus en plus demain la BD numérique, dessinent également d’autres formes d’expression, passant par la digitalisation et les canaux d’une diffusion multicanal et multisupport.
   
Le fait qui cette semaine a retenu mon attention, par rapport au destin du livre et de la lecture, est ainsi l’information suivante : « Inspirée par le succès du Connected Creativity au MIPTV en 2011, la première édition du MIPCube ouvrira ses portes à Cannes le vendredi 30 mars [2012] pour deux jours de rencontres et de Live Learning. Orchestré en amont du MIPTV (du 1er au 4 avril), le MIPCube réunira les « architectes du futur » de la télévision dans le but d’explorer les innovations décisives pour l’avenir de cette industrie. » (Source TransmédiaLab).
Le FIPA (Festival International des Programmes Audiovisuels) qui s’est déroulé lui à Biarritz du 23 au 29 janvier dernier, a été traversé par cette ombre numérique.
France télévisions, entre autres, est dotée d’une direction du transmédia et des nouvelles écritures.
C’est tout dire.
Mais qu’est-ce à dire, sinon que les récits et les fictions de demain ne s’inscriront plus sur du papier imprimé, mais dans des représentations pouvant rivaliser avec ce que nous percevons comme étant du domaine de la réalité.
    
Un monde en développement…
  
Une nouvelle fois des questions multiples surgissent de toutes parts face à cette extension du réel.
Les codeurs développent-ils le monde, en rendant certaines de ses facettes accessibles à nos sens physiques par le truchement d’interfaces numériques ?
Pouvons-nous parler d’un "territoire digital", ou bien devons-nous parler de "territoires digitaux" ? Et serait-ce une possible définition d’Internet, tout simplement, du Net ? (Ou bien s’agit "d’autre chose" ?).
  
Nous devons je pense garder en tête la bonne distinction basique entre hardware et software, et veiller à bien faire la part des outils et des portes d’accès, de ce qui relèverait dans les faits, l’expérience, de nouveaux territoires. (L’on voit parfois le terme de far-web, déjà repris par le marketing, mais qui peut, nonobstant, s’insérer dans des réflexions pertinentes, par exemple cette semaine : De la conquête du far-web à celle du near-me, par Olivier Ertzscheid.)
  
Nous devons aussi savoir que ce sont des pairs qui codent ce qui nous apparaît sous la forme de nouveaux territoires, des espaces virtuels porteurs d’informations et de fantasmes, qui influencent nos destinées et régulent notre activité cérébrale. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Savent-ils ce qu’ils font ? Qu’est-ce qui, ou qui, dictent leurs choix ? Ont-ils le choix ? Etc.
  
Je pense que nous aurions tort de ne pas nous poser ces questions, de ne pas les poser ouvertement et en répandre la légitimité, et de ne pas y exiger des réponses probantes.
 
Nous allons, par exemple, vite être surpris par l’essor des jeux pervasifs (environnement pervasif), jeux qui intègrent l’environnement physique du joueur-utilisateur comme vecteur de son expérience vécue dans le jeu. Outils de géolocalisation, Internet des objets, réalité augmentée, en sont pour l’instant les premières portes d’accès. (Lire sur ce sujet : Rémi Sussan : « Quand le jeu sort de l’écran ».)
  
Il s’agit déjà en somme d’aller vers une expérience d’autofiction transmédia.
   
Nous sommes le Livre
   

Les premières définitions du transmédia ne me conviennent guère.
  
Il faut être prudent à l’égard des définitions qui nous enferment dans un cadre et peuvent nous empêcher d’explorer d’autres voies.
  
Longue, la définition proposée par le TransmediaLab permet cependant de cerner le périmètre : « Le Transmedia consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs media en différenciant le contenu développé, les capacités d’interaction (engagement) en fonction des spécificités de chaque media. A la différence du crossmedia ou du plurimedia qui décline un contenu principal sur des medias complémentaires, le transmedia exige un récit spécifique sur chaque media et donne la possibilité au public d’utiliser différents points d’entrée dans l’histoire (circulation de l’audience). » (Source).
  
Pour un article à paraître j’ai récemment réfléchi, pour aboutir à cette définition qui ne me convient également pas : « Dans ce modèle une même fiction se développe simultanément sur différents supports (tablettes de lecture, smartphones, TV connectées, consoles de jeux vidéos...) en développant différemment sur chacun le contenu, en fonction de ses spécificités et des possibilités d'interactions qu'il permet. Chaque support devient alors pour le lecteur un point d'entrée différent pour une plus grande immersion dans l'histoire. »
    
Le 31 janvier, dans "Images du corps interfacé", Rémi Sussan a exposé un panorama des premières hybridations perceptibles du corps humain immergé dans ce bain de données numériques qui brouillent les limites du physique. « Il s’agit aujourd’hui […] de reconstruire notre conception du corps en envisageant celui-ci avant tout comme un médiateur, une interface. ». 
  
Le lecteur, souvent devenu (télé)spectateur, pourrait, en devenant joueur, devenir acteur. 
  
En passant de l’édition imprimée à l’édition numérique nous ne pouvons pas encore savoir dans quelle mesure une survivance littéraire, ici baptisée "trans-littérature" perdurera (ou s’épanouira ?) dans le récit transmédia.
Mais nous allons accéder à un nouvel ordre symbolique.
Il me faut encore cependant, j’en ai bien conscience, éclaircir nombre de points. Notamment dans les semaines à venir. Car je cherche aussi, en effet, à être un bon petit père pour mes lecteurs, nourrissons de Zeus.

(Illustration peinture : tableau "Le philosophe" André Marin de Barros.)

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