Je suis régulièrement sollicité par des étudiant(e)s. Je leur réponds toujours, même si cela me prend du temps, que leurs questions (malgré mes recommandations préalables) sont souvent très générales, et que leurs travaux, qu'ils m'envoient toujours ensuite, ne m'apportent le plus souvent pas vraiment de nouvelles idées originales, ni de nouvelles pistes de réflexion. Mais je le fais pour aider, parce que j'ai moi aussi (jadis) été étudiant.
Mais ce coup-ci je suis tombé sur une drôle d'étudiante.
Mlle X, appelons-la ainsi puisque c'est une adepte de la confidentialité, préparerait, d'après ce qu'elle me déclare dans son premier mail, un "Mastère en marketing management à l'Essec" et rédigerait dans ce cadre un mémoire sur le livre numérique. Elle a commencé par me demander de lui envoyer carrément copie du cours que j'ai donné le 09 novembre dernier à l'Université Paris 13 auprès des étudiants de deuxième année du Master Commercialisation du Livre. J'ai gentiment refusé. Elle m'a alors demandé si je voulais bien répondre à quelques questions pour enrichir son mémoire. Comme toujours j'ai accepté. Le hic, c'est qu'elle me répond ensuite qu'elle ne m'enverra pas copie de son mémoire, car elle s'est, je cite : "engagée auprès des personnes [qu'elle a] interrogées à ce qu'il reste confidentiel" ! Je lui fais gentiment remarqué que, moi aussi, je figure au rang des personnes qu'elle a interrogées (et que je m'engage à ne pas diffuser son mémoire et à n'en faire qu'une lecture personnelle). Ce à quoi voilà qu'elle me répond qu'elle préfère alors ne pas utiliser mes réponses dans son mémoire pour : "éviter des problèmes avec d'autres personnes interrogées. Aucune personne n'aura d'exemplaires et une mention CONFIDENTIEL apparaîtra sur mon mémoire".
Une conduite que je trouve étrange et qui ne m'incite guère à consacrer du temps aux demandes des étudiant(e)s.
Cela dit, pour que mon temps n'ait pas été véritablement perdu, voici ci-après mes réponses à Mlle X.
Mlle X, appelons-la ainsi puisque c'est une adepte de la confidentialité, préparerait, d'après ce qu'elle me déclare dans son premier mail, un "Mastère en marketing management à l'Essec" et rédigerait dans ce cadre un mémoire sur le livre numérique. Elle a commencé par me demander de lui envoyer carrément copie du cours que j'ai donné le 09 novembre dernier à l'Université Paris 13 auprès des étudiants de deuxième année du Master Commercialisation du Livre. J'ai gentiment refusé. Elle m'a alors demandé si je voulais bien répondre à quelques questions pour enrichir son mémoire. Comme toujours j'ai accepté. Le hic, c'est qu'elle me répond ensuite qu'elle ne m'enverra pas copie de son mémoire, car elle s'est, je cite : "engagée auprès des personnes [qu'elle a] interrogées à ce qu'il reste confidentiel" ! Je lui fais gentiment remarqué que, moi aussi, je figure au rang des personnes qu'elle a interrogées (et que je m'engage à ne pas diffuser son mémoire et à n'en faire qu'une lecture personnelle). Ce à quoi voilà qu'elle me répond qu'elle préfère alors ne pas utiliser mes réponses dans son mémoire pour : "éviter des problèmes avec d'autres personnes interrogées. Aucune personne n'aura d'exemplaires et une mention CONFIDENTIEL apparaîtra sur mon mémoire".
Une conduite que je trouve étrange et qui ne m'incite guère à consacrer du temps aux demandes des étudiant(e)s.
Cela dit, pour que mon temps n'ait pas été véritablement perdu, voici ci-après mes réponses à Mlle X.
10 réponses à Mademoiselle X ;-)
" 1. D’après certaines études, le livre numérique représenterait 1% du marché, voire plus en 2011. Êtes-vous en phase avec cette analyse ?
Il s’agit davantage d’une estimation que d’une analyse. Le chiffre exact était pour 2011, 1,6% du chiffre d’affaire de l’édition. C’est possible, mais il faut ajouter à cela les livres numériques du domaine public et quelques-uns piratés, sans compter ceux téléchargés sur des plateformes étrangères, francophones ou pas, je pense notamment au Québec. Ces ebooks n’augmentent certes aucunement le chiffre d’affaire de l’édition, mais ils participent malgré tout des téléchargements croissants de livres sous la forme de fichiers.
2. Selon vous, quelle va être la croissance de ce marché dans les prochains mois ou prochaines années ?
Difficile à évaluer précisément, mais ce qui est certain c’est qu’il va continuer à progresser et que cette progression va être de plus en plus accélérée, au fur et à mesure que les prix des nouveaux dispositifs de lecture vont baisser, que les lecteurs vont s’équiper, et que l’offre en livres numérisés et numériques va s’étoffer et être de plus en plus attrayante. C’est depuis au moins deux ans le phénomène que nous observons aux États-Unis.
3. Par conséquent, peut-on imaginer qu’à terme, le livre numérique remplacera le livre papier ?
Il ne fait pratiquement aucun doute, en effet, que durant ce 21e siècle de nouveaux dispositifs de lecture connectés et adaptés pour la lecture de livres numériques remplaceront progressivement les livres imprimés, tout comme, jadis, les rouleaux de papyrus ont remplacé les tablettes d’argile, avant d’être remplacés à leur tour par le codex (l’interface de lecture que nous connaissons encore majoritairement aujourd’hui, de cahiers de pages reliés entre eux et protégés par une couverture).
4. Les auteurs, dont vous faîtes partie, accueillent-il sereinement cette révolution numérique ? Qu’ont-ils à y gagner et/ou à y perdre ?
Les auteurs sont avant tout des femmes et des hommes, des lectrices et des lecteurs. Tout dépend de chacun au fond, de sa personnalité, de son histoire. Certains sont ouverts à ce qui apparaît comme une évolution naturelle et inévitable, comme Jean d’Ormesson par exemple. D’autres, comme Umberto Eco, entre autres, sont bien plus réservés et critiques. Beaucoup cherchent à récupérer ou à mieux faire valoir les droits d’exploitation numérique de leurs œuvres. Certains peuvent se lancer dans l’autoédition, au moins pour la réédition de leurs anciens titres imprimés en versions numériques. C’est le cas récent d’Alina Reyes, par exemple.
De plus en plus il va apparaître évident que le CPI (Code de la propriété intellectuelle) et les différents textes qui peuvent réglementer le droit d’auteur, ne sont plus adaptés à un marché du numérique, fondé sur une diffusion multicanal multisupport, et qui n’est plus limité par les frontières comme les flux physiques de livres imprimés. Il faudra inévitablement que la législation s’adapte au nouveau contexte du marché du livre.
5. Longtemps les éditeurs ont trainé des pieds pour se lancer dans le numérique mais depuis 2010, ils s’y lancent à fond, voire s’affolent. Seraient-ils menacés de disparition ?
Il faudrait relativiser en prenant en compte les spécificités du paysage éditorial français : une situation "duopolistique" déséquilibrée, avec un très grand groupe français (Hachette Livre, c’est-à-dire Lagardère Publishing), un deuxième grand mais bien moindre (Editis Planeta, avec des capitaux espagnols), peu de groupes moyens, souvent d’origine familiale (Gallimard, Albin Michel, etc.), et, une multitude d’éditeurs plus ou moins indépendants, mais en tous cas de petite taille. Nous ne pouvons pas vraiment parler « des éditeurs » en général, ou « de l’édition française ».
Cela dit, il est certain que des multinationales du numérique, telles Amazon, Google et Apple, impactent fortement le marché émergent du livre numérique, et qu’au fond, en France, seul un groupe comme Lagardère est de taille à négocier avec de tels partenaires. Aujourd’hui, une entreprise américaine de commerce en ligne comme Amazon, a la puissance financière de verser de fortes avances sur droits à des auteurs de best-sellers pour les détourner de l’édition imprimée. Cela commence à être le cas aux États-Unis où Amazon s’affirme de plus en plus comme pouvant aussi être une structure éditoriale.
Mais le plus important je pense est de signaler et d’être très attentif à l’émergence d’une nouvelle génération de maisons d’édition : à savoir des éditeurs pure-players. Un éditeur pure-player est un entrepreneur qui publie des livres exclusivement dans des formats numériques à destination des nouveaux dispositifs de lecture. J’en ai dénombré en janvier 2012, 75 de francophones. Il y en aurait bien plus en comptant les anglo-saxons !
6. Le réseau des librairies « traditionnelles » que nous connaissons a-t-il encore un avenir ? Demain, où achèterons-nous nos livres ?
Nombre de librairies risquent en effet de disparaître malheureusement. On commence à observer le phénomène aux États-Unis. Il faut espérer que certains s’adaptent à la nouvelle donne et parviennent à maintenir des boutiques en ville en les doublant de sites web performants et attractifs avec des services associés, et en s’inscrivant dans la perspective du commerce connecté qui va de plus en plus se développer. Il est vital pour elles que les librairies ne se déconnectent pas de l’évolution du commerce de détail en général. Il semble sinon évident que, comme nombre d’autres biens culturels (musiques, films, jeux vidéos…) les livres vont de plus en plus être téléchargés, achetés en ligne, voire consultés en streaming sur abonnement.
7. Quant aux lecteurs, pensez-vous que le livre numérique s’adresse à une catégorie particulière d’entre eux ?
A priori non. Potentiellement toutes les catégories de lecteurs sont concernées. La majorité d’entre eux est, plus ou moins, régulièrement en contact avec des dispositifs numériques et beaucoup ont déjà acquis de nouvelles habitudes de lecture et de recherche d’information sur le web.
8. Y a-t-il un risque à laisser Google numériser nos bibliothèques ? Si oui, de quelle nature ?
La question est beaucoup trop vaste pour pouvoir y répondre exhaustivement ! Plusieurs livres entiers y ont été consacrés. Tout dépend des droits que s’arroge Google en contrepartie. Cela relève de la négociation contractuelle entre Google, les bibliothèques, et les ayants-droits sur les livres (éditeurs et auteurs). Ce qui est certain c’est que, comme tous les textes n’ont pas pu être imprimés quand nous sommes passés au 16e siècle de l’édition manuscrite à l’édition imprimée typographique, aujourd’hui, tous les livres imprimés ne pourront pas être numérisés.
La question est beaucoup trop vaste pour pouvoir y répondre exhaustivement ! Plusieurs livres entiers y ont été consacrés. Tout dépend des droits que s’arroge Google en contrepartie. Cela relève de la négociation contractuelle entre Google, les bibliothèques, et les ayants-droits sur les livres (éditeurs et auteurs). Ce qui est certain c’est que, comme tous les textes n’ont pas pu être imprimés quand nous sommes passés au 16e siècle de l’édition manuscrite à l’édition imprimée typographique, aujourd’hui, tous les livres imprimés ne pourront pas être numérisés.
9. Selon vous, faut-il travailler dès à présent sur des contenus enrichis ou est-il plus pertinent, compte-tenu du niveau de maturité du marché, de proposer des livres numériques « de base » qui semblent plus accessibles aux lecteurs ?
Il faut en fait, dans la période de transition où nous sommes, distinguer trois marchés : celui des livres imprimés, celui des livres numérisés (dits homothétiques, c’est-à-dire qui sont de simples numérisations de contenus imprimés), et, celui des livres numériques (livres applications nativement numériques, avec des enrichissements multimédia). Ce sont ces derniers qui sont développés par les éditeurs pure-players et qui peuvent donner une idée de ce que sera à terme l’édition du 21e siècle.
Ce qui serait capital je pense c’est que l’édition imprimée expérimente et innove davantage, d’une part, pour proposer elle aussi des contenus nativement numériques (Gallimard, Albin Michel, Flammarion, entre autres ont commencé, Nathan et Hatier également pour les manuels scolaires), d’autre part, pour proposer aux lecteurs des livres hybrides, proposant des passerelles, des complémentarités, entre livres imprimés et dispositifs de lecture numérique (je pense par exemple aux QR Codes, ou à des solutions innovantes qui permettraient d’enrichir des ouvrages imprimés non numérisés…).
10. L’État a-t-il un rôle à jouer dans la révolution numérique que connaît le secteur de l’édition ?
Oui et non. En France le rôle de l’État dans les affaires culturelles est très marqué. Cela peut être protecteur, vis-à-vis des libraires par exemple, avec la loi sur le prix unique du livre, puis celle récente sur le prix unique du livre numérisé. Mais cela peut aussi être disqualifiant et contraignant par rapport à l’étranger ou à des entreprises localisées en dehors des frontières françaises. Il faut de plus prendre en compte les réglementations européennes. Nous ne pouvons plus au 21e siècle concevoir le marché du livre uniquement sur un périmètre hexagonal, ni même exclusivement francophone.
Il faudrait davantage d’adaptabilité et de souplesse par rapport à la nouvelle donne provoquée par le numérique, notamment pour que des agents littéraires puissent coacher et défendre les intérêts contractuels et économiques des auteurs, pour que des business angels investissent massivement dans le secteur de l’édition numérique, pour que les nouveaux métiers de l’édition numérique et que les techniques narratives d’écriture multimédia soient enseignés, notamment aux auteurs, à l’université par exemple, sur le modèle des cours de creative writing aux États-Unis."
Oui et non. En France le rôle de l’État dans les affaires culturelles est très marqué. Cela peut être protecteur, vis-à-vis des libraires par exemple, avec la loi sur le prix unique du livre, puis celle récente sur le prix unique du livre numérisé. Mais cela peut aussi être disqualifiant et contraignant par rapport à l’étranger ou à des entreprises localisées en dehors des frontières françaises. Il faut de plus prendre en compte les réglementations européennes. Nous ne pouvons plus au 21e siècle concevoir le marché du livre uniquement sur un périmètre hexagonal, ni même exclusivement francophone.
Il faudrait davantage d’adaptabilité et de souplesse par rapport à la nouvelle donne provoquée par le numérique, notamment pour que des agents littéraires puissent coacher et défendre les intérêts contractuels et économiques des auteurs, pour que des business angels investissent massivement dans le secteur de l’édition numérique, pour que les nouveaux métiers de l’édition numérique et que les techniques narratives d’écriture multimédia soient enseignés, notamment aux auteurs, à l’université par exemple, sur le modèle des cours de creative writing aux États-Unis."
Merci à Melle X! Cela nous vaut un exposé fort clair et structurant de Lorenzo sur les enjeux de la mutation à l'oeuvre, et le pourquoi de ses billets d'humeur s'agissant d'un certain manque d'adrénaline de nos créatifs français... ;-)
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