mercredi 17 avril 2013

LES 14 DROITS DES LECTEURS

Le 14 avril 2013 j’ai eu le plaisir d’intervenir, à l’invitation de Nathalie Bretzner, Vincent Demulière et de la Ville de Chenôve-en-Bourgogne, pour la conférence de clôture des premières Journées Le Futur du Livre.
Une vraiment bonne initiative à laquelle je suis heureux d’avoir participé et qui j’espère se pérennisera en rendez-vous annuels, ce dont ont véritablement besoin les différents acteurs du livre, pour échanger, tester, découvrir ensemble et renforcer la solidarité entre passionnés du livre et de la lecture. Un salon non-commercial aussi et ouvert au grand public, aux lecteurs pour leur information.
C’est notamment pour ces raisons que j’avais choisi ce thème des droits des lecteurs pour la conférence de clôture.
Droits des lecteurs, certes déjà défendus par quelques grandes figures auquel j’ai rendu hommage dans ma présentation (Michael Hart, Aaron Swartz, Richard Stallman), et par quelques blogueurs, au rang desquels parmi les francophones, Lionel Maurel ou Thierry Crouzet, entre autres.
C’est cependant, à ma connaissance, la première fois que le sujet était ainsi traité en public dans une tentative de lister l’ensemble de ces droits et dans une perspective de légitime revendication.
L’accueil fut bon et quelques contacts après ma conférence prometteurs.
L’avenir dira.
En ce qui me concerne je ne compte pas baisser les bras.
 
Les 14 droits des lecteurs au 21e siècle
  
En 2013, les droits des lecteurs n’ont plus rien à voir avec ceux qui avaient été définis en 1992 par Daniel Pennac dans son essai Comme un roman (Gallimard éd.). Nous vivons des temps plus durs.
  
Voici les 14 droits fondamentaux que je propose de documenter et de défendre :
(Actualisation le 13 septembre 2014. Qu’en pensez-vous ?)
  
1 - Le droit de ne pas être fiché ou profilé sur ses lectures.
(vs les pratiques de certains cybermarchands, les systèmes dits propriétaires…)
 
2 - Le droit d’accéder librement au domaine public.
 
3 - Le droit à des dispositifs et des interfaces de lecture pérennes.
(vs obsolescence programmée.)
 
4 - Le droit d'avoir le choix de lire, soit en version imprimée, soit en version numérique, quels que soient le titre et l'auteur.
 
5 - Le droit d’être informé dans sa langue sur les mutations du livre et de son marché.
(vs infobésité, blogs perroquets, intox marketing, contenus anglo-saxons, “l'information" partisane des lobbies et des corporations professionnelles...)
 
6 - Le droit d’être propriétaire des livres achetés ou offerts et de pouvoir les partager librement.
(c-a-d droit à une bibliothèque personnelle privée inviolable, droits de prêts, de dons, de legs... Et bien sûr : pas de DRM contraignants.)
 
7 - Le droit à l’autonomie, par rapport notamment aux applications logicielles d’annotation et de lecture sociale…
 
8 - Le droit à un juste prix.
(c-a-d un prix abordable au plus grand nombre avec une juste répartition entre auteurs, éditeurs et libraires indépendants, un juste différentiel de prix entre version numérique et version imprimée, et avec la possibilité de refuser la publicité dans les livres numérisés ou numériques et/ou au niveau des dispositifs et des logiciels de lecture.)
 
9 - Le droit d’égalité de traitement avec les lecteurs des autres pays.
(c-a-d notamment en termes d’offre (de traductions…) et pour une harmonisation entre les pays sur "le mieux faisant" en matière de domaine public et d’accès aux œuvres…)
 
10 - Le droit à une médiation humaine.     
(notamment en librairies et en bibliothèques, vs prescriptions algorithmiques et fausses critiques achetées…)
 
11 - Le droit à la bibliodiversité.
(vs formatage, best-sellarisation, world litterature, censure…)
 
12 - Le droit à une offre de qualité.
(c-a-d des textes corrigés et convenablement mis en page, ayant été l’objet d’une validation éditoriale ou d’un véritable soin dans le cas de textes autoédités ; le respect de l’intégrité de l’oeuvre et l’interopérabilité des fichiers numériques…) 

13 - Des bibliothèques physiques accessibles (ouvertes le soir et le week-end et des bibliothèques numériques avec une médiation humaine...)
 
14 - Les mêmes droits d'accès aux textes pour tous
(Le respect des treize droits précédents quel que soit son handicap éventuel, notamment visuel ou moteur, et sa situation sociale...)
   
Guy Debord – Günther Anders – Victor Hugo
  
Le spectacle, écrivait Guy Debord en 1971 dans La société du spectacle (éd. Champ Libre), « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l'on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. Dans les lieux les moins industrialisés, son règne est déjà présent avec quelques marchandises-vedettes et en tant que domination impérialiste par les zones qui sont en tête dans le développement de la productivité. Dans ces zones avancées, l'espace social est envahi par une superposition continue de couches géologiques de marchandises. ».
Cette déclaration exprime bien ce que je ressens régulièrement déjà depuis plusieurs années dans les grandes surfaces, même dites culturelles, quand je me retrouve face à un mur de livres, comme quand je me retrouve face à un mur de boites de sardines ou de tubes de dentifrice.
Outre Guy Debord, ma réflexion se nourrit également de la pensée de Günther Anders dans son essai de 1956, L'Obsolescence de l'homme.
Sa lecture peut je crois nous aider à penser les nouveaux dispositifs de lecture, dans le sens où Anders y désigne en fait les machines en général.
« Ces instruments, écrit-il, ne sont pas des moyens mais des décisions prises à l’avance : ces décisions, précisément, qui sont prises avant même qu’on nous offre la possibilité de décider. Ou, plus exactement, ils sont la décision prise à l’avance. ».
 
Non seulement l’offre précède la demande, mais une liseuse ou une tablette ne sont pas uniquement des moyens de lire. Ces dispositifs de lecture ne sont pas des livres qui se suffiraient à eux-mêmes. Ils ne sont en vérité que les parties d’un système organisant et donc contrôlant nos lectures.
La plus grande vigilance m’apparaît donc nécessaire et les réactions à chaud à ma conférence de Chenôve m’ont renforcé dans cette intuition que j’avais.
Nous devons je pense nous interroger sur la technophilie ambiante qui gagne l’écosystème de la lecture et n’est peut-être, en partie tout au moins, qu'un effet du formatage imposé par les stratégies marketing de majors américaines qui prônent tout en l’organisant un contexte d’hyperconnectivité dans une économie de l’attention et du temps de cerveau disponible, en démultipliant l’offre et la création sans cesse renouvelée de besoins factices et addictifs.
 
Si nous n’informons pas les lecteurs, si nous ne formons pas au numérique les professionnels du livre et de la médiation littéraire, si nous ne renforçons pas le rôle et le statut des indépendants (tant des auteurs que des éditeurs et des libraires) nous risquons de tous devenir les otages d'une aliénation collective imposée par quelques marques.
 
Victor Hugo dans son Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878 déclarait ceci : « Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. ». J’ai dit.
 
- Photo prise par Michèle Drechsler, 14 avril 2013, Chenôve-en-Bourgogne, alors que je me prépare à donner ma conférence devant un public attentif et curieux.
- Version espagnole : Los derechos de los lectores (Les droits des lecteurs), Trama & Texturas (Espagne), N° 24, septembre 2014.

samedi 6 avril 2013

Sur les nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques

Ci-après le texte que j'ai lu à la suite de ma conférence ("L'avenir du livre et l'évolution des bibliothèques à l'ère du numérique") le 05 avril 2013 dans le cadre de la Journée des Bibliothèques de Côte-d'Or et des 8e Rencontres de la BD de Longvic :  
 
" Communication sur les nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques
  
On m’a demandé de m’exprimer, en introduction de cette Journée des Bibliothèques de Côte-d’Or et de la présentation par M. Benoît VALLAURI de la Médiathèque Départementale d'Ille-et-Vilaine, sur la question des nouvelles médiations autour des ressources numériques en bibliothèques.
Je vais aborder cette question en tant que chercheur en prospective du livre et de la lecture et non pas en tant que bibliothécaire, ce que je ne suis pas.
Voici donc ce que j’observe depuis quelques années avec l’intrusion du numérique dans l’univers de l’imprimé, la fameuse Galaxie Gutenberg : une métamorphose du livre en tant que contenant, ainsi qu’une volatilité des livres en tant que contenus. Deux faits aujourd’hui indéniables et qui peuvent être considérés je pense comme des marqueurs d’une nouvelle période dans l’histoire du livre, période que nous pourrions qualifier comme étant celle des "e-incunables", en référence aux incunables de 1450 à 1501, premiers ouvrages imprimés qui reprenaient les codes des œuvres manuscrites.
Comme je l’ai signalé dans ma conférence il faut également prendre en compte l’évolution des pratiques, notamment de lecture et de recherche d’information, ainsi que les nouvelles attentes d’usagers qui sont devenus des internautes, et sont même maintenant de plus en plus souvent des mobinautes.
 
De l’extérieur j’observe trois principales perspectives vers lesquelles les médiathèques semblent évoluer au cours de ce 21e siècle.
D’abord, on commence à l’observer aux États-Unis d’Amérique, en parallèle à la fermeture de bibliothèques entre guillemets “classiques”, l’apparition de bibliothèques sans livres, établissements surtout universitaires et offrant des documents numériques et des postes informatiques pour accéder notamment à des fonds numérisés.
Puis, d’Angleterre et du nord de l’Europe nous voyons se développer des bibliothèques conçues comme troisième lieu. Après le premier lieu du domicile et le deuxième lieu du cadre professionnel, il s’agit d’aligner la bibliothèque comme troisième lieu, espace public d’échanges sociaux et culturels, en concurrence avec le cinéma, le café, la place du marché… ; et cela donne parfois lieu je trouve à des dérives.
Enfin, et notamment en France, se développe le concept de bibliothèque inclusive, c’est-à-dire allant à l’encontre des exclusions sociales et œuvrant en ce sens : à l’accessibilité des lieux et des contenus aux usagers handicapés, à la mixité et à la diversité sociale en accueillant et en fournissant des contenus adaptés à des publics d’âges, de conditions sociales et de nationalités différentes, à l’accompagnement social par des informations pratiques, par exemple sur l’emploi et la formation professionnelle, voire l’alphabétisation, enfin en participant à la réduction de la fracture numérique en proposant des équipements et des formations, par exemple en recherche et en validation d’informations sur le web.
 
Nous observons donc en fait deux mouvements contradictoires : d’une part, celui de vouloir faire venir les usagers "à tous prix", d’autre part, celui de proposer des services en ligne pour leur éviter de devoir venir.
Il faudrait je pense rendre davantage complémentaires ces deux approches. Une bibliothèque numérique devrait être un dispositif de médiation inscrit dans et participant d'un écosystème territorial.
Aussi je vous propose moi un modèle plus ambitieux, celui de la bibliothèque comme hyper-lieu.
J’emprunte cette notion d’hyper-lieu à Patrick Bazin, directeur de la BPI (Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris) s’exprimant ainsi en mai 2012 dans le magazine professionnel Livres Hebdo : « Mieux vaudrait, disait-il, parler d'hyperlieu, comme l'on parle d'un hypertexte ou d'un hypermédia, c'est-à-dire d'une structure complexe, multidimensionnelle. Les bibliothèques ont toujours été, dans une certaine mesure, des hyper-lieux. ».
Malheureusement cette excellente idée est restée au niveau du concept. L’émergence d’un web 3D, qui rend pleinement possible le co-browsing, reste méconnue des édiles. Le web 2D, enfant chimérique des magazines imprimés et de la télévision et qui fondamentalement, à bien y regarder, ne va pas tellement plus loin que le Minitel, ce web-là est frappé d’obsolescence. Il faudrait en prendre acte.
Les lecteurs et les usagers des bibliothèques ont le droit à une médiation humaine et à ne pas être influencés par des algorithmes. Des effets de modes, comme la mise à disposition de liseuses qui apportent facilement une caution de modernité aux élus locaux, ne suffiront pas à générer un saut qualitatif de la bibliothéconomie. Il faudrait être à la fois plus ambitieux, et surtout mieux informés des mouvements de fond qui travaillent la société.
Comme le dit Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) du Centre Pompidou : « La seule façon de prévoir l’avenir, c’est de l’inventer » (magazine du ministère de la Culture, N°208 de février 2013).
La médiation culturelle va être, est déjà, profondément remodelée par la porosité de plus en plus grande entre le monde dit “réel” et les nouveaux territoires numériques. Les nouvelles interfaces de réalité augmentée (je pense aux lunettes vidéo connectées, par exemple), l’internet des objets, les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle…, vont renouveler les rapports de médiation et d’expertise.
Alors inventons ! Inventez la bibliothèque du 21e siècle et ses nouvelles formes de médiations autour des ressources numériques, certes, mais aussi autour de l’imprimé, car comme tout le corpus manuscrit n’a pas été imprimé au 16e siècle, tout le corpus imprimé ne sera pas numérisé.
Les nouvelles formes de médiations que le numérique induit vous entrainent je pense à ne plus considérer les usagers comme de simples usagers, mais comme des "cherchants", voire parfois comme des chercheurs à part entière, et à redevenir en ce qui vous concerne des “sachants”, des guides. En 2006 dans La Sagesse du Bibliothécaire, Michel Melot écrivait : « Le bibliothécaire aime les livres comme le marin aime la mer. Il n'est pas nécessairement bon nageur mais il sait naviguer. », alors ne vous jetez pas à l’eau, mais gardez le cap ! "
 
Vous pouvez lire également : La bibliothèque en 2042...
 

dimanche 17 mars 2013

Appel au Peuple de Bourgogne pour le Futur du Livre !

 
Bourguignonnes, bourguignons, mes amis, j'aurai le plaisir d'être parmi vous les 12, 13 et 14 avril prochains à Chenôve-en-Bourgogne (près Dijon) pour Le Futur du Livre.
Le style ampoulé de l'annonce peut surprendre, mais derrière son ironie de façade pointe l'espoir qu'un mouvement citoyen de lecteurs, d'auteurs et d'acteurs indépendants de l'interprofession du livre, qu'il soit imprimé, numérisé ou numérique, se lève depuis la province.
    
Cette première manifestation, placée sous le parrainage d'Edgar Morin et co-organisée par l'association APELLE avec Nathalie Bretzner et la ville de Chenôve, rassemblera un éventail de questionneuses et de questionneurs de cet indéfini "passage de l'édition imprimée à l'édition numérique", personnalités multiples que vous n'avez sans doute pas l'habitude d'entendre, ou qui n'ont pas forcément l'occasion de s'exprimer dans les petites et grandes messes parisiennes.
Je serai ainsi heureux d'y retrouver notamment Elizabeth Sutton, Françoise Prêtre, Michèle Drechsler (laquelle collabore notamment à mon incubateur MétaLectures) , Christel Bony Le Coq, ainsi que Vincent Demulière, David Queffélec, Yves d'Aviau de Ternay, Eric Briys, Alexis Chaperon du Larrêt, entre autres... 
 
 
J'interviendrai pour ma part en donnant deux conférences : l'une sur Le livre et la lecture dans le futur web 3D (le samedi 13 avril à 14H00), l'autre, conférence de clôture le dimanche 14 avril sur le thème, à ma connaissance encore jamais abordé : Les droits des lecteurs à l'heure du passage à l'édition numérique.
Je lancerai à cette occasion un appel pour une information saine des lecteurs qui à leur insu voient, avec le passage à la diffusion numérique des livres, leurs droits élémentaires (que je définirai) bafoués.
 
 
 
Ces trois journées d'avril 2013 pourront-elles initier un mouvement pour que l'avenir du livre ne soit ni son passé ni sa fin, pour que le livre redevienne autre chose qu'une marchandise entre les mains d'entreprises américaines (Amazon, Google, Apple) et de quelques héritiers et actionnaires plus ou moins germanopratins. Y parlerons-nous de la lecture et des lecteurs avant le soir du 14 avril ? 
D'autres régions françaises s'inspireront-elles de ce bel exemple pour, pourquoi pas, réorienter ensemble le marché du livre alors que les pratiques de lecture changent, inventer de nouveaux modèles, de partout monter un jour à Paris par cars par trains entiers et bondés secouer le cocotier à Singe-des-Prés !
La révolution du Futur du Livre commencera-t-elle, en avril, à Chenôve ?

samedi 23 février 2013

e-paper : parchemin du 21e siècle ?

Je pense ne pas pouvoir être accusé de nourrir un a priori négatif à l'encontre du e-paper (papiel). En 2007 j'ai été l'auteur du premier, et à ma connaissance toujours le seul - en français en tous cas, ouvrage qui présente les avantages de la technologie de l'encre et du papier électroniques, et ce à l'époque grâce au soutien de Malo Girod de l'Ain et de sa maison M21 éditions, depuis malencontreusement disparue. Je fais référence à Gutenberg 2.0, le futur du livre aujourd'hui obsolète faute d'une réédition actualisée mais pour information en grande partie consultable sur le site de Google LIvres.
 
En fait, depuis 2006 où je me suis mis à la rédaction de ce livre, et jusqu'à ce jour de février 2013, je n'ai pas cessé d'être attentif à ce que j'ai longtemps qualifié de disruptive innovation, une nouvelle technologie sous performante par rapport à celle dominante du papier, mais appelée à progresser rapidement et à la remplacer un jour.
Je lis toujours attentivement les billets de Bruno Rives et je suis assez réservé vis-à-vis des études et autres enquêtes qui prédisent le déclin de ce que l'on appelle maintenant des liseuses (e-paper) face à l'irrésistible montée en puissance des tablettes connectées et rétroéclairées.
Ces dernières années les surfaces e-paper se sont nettement améliorées en contraste, rapidité d'affichage et en connectivité, et elles sont elles aussi devenues tactiles. La couleur par contre, annoncée tous les ans, n'est toujours pas satisfaisante et l'éclairage sur-ajouté pour pouvoir lire dans l'obscurité m'apparaît un gadget inutile et fatiguant pour les yeux - mais ce n'est là qu'un avis personnel.
 
Des écrans... en papier
 
J'ai assisté récemment à un petit déjeuner organisé par Culture Papier, le groupe d'influence pour le développement durable du papier et de l'imprimé.
Ce fut pour moi l'occasion d'entendre Bernard Pineaux (directeur de
Grenoble INP-Pagora, l’Ecole internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux, depuis novembre 2008) s'exprimer sur le thème : Les évolutions technologiques du papier.
 
Il faut évidemment garder à l'esprit la subjectivité et l'engagement bien compréhensibles du conférencier. Nonobstant des arguments exposés méritent je pense toute notre attention
Il nous serait en effet aujourd'hui difficile de nier l'épuisement à plus ou moins court terme des ressources pétrolières et conséquemment le déclin de la chimie du plastique. Nous sommes aussi plutôt bien disposés à considérer la biomasse végétale comme une ressource naturelle, à la fois renouvelable, biodégradable et recyclable. (Nous nous garderons toutefois de confondre la forêt avec des cultures d'arbres car, cela dit en passant, une forêt n'est pas un champ.)
 
La cellulose, matériau du 21e siècle ?
 
Il est ainsi intéressant d'avoir à l'esprit le fait que des électroniciens travaillent aussi dans la filière papier, et que la fonctionnalisation de ses fibres, au papier précisément, puis que des encres fonctionnelles conductrices, ainsi que des batteries en papier et plus généralement que l'électronique imprimée, pourraient déboucher un jour sur la production d'écrans papier réinscriptibles, tactiles et connectés, plus légers, plus fins, plus souples et plus écologiques que les tablettes high-tech, à la technologie plus invasive et froide.
   

L'Afelim (Association française de l'électronique imprimée) à Saint-Cloud, l'Enstib (
Ecole nationale supérieure des technologies et des industries du bois) de Nancy, le CTP (Centre technique du papier) de Grenoble, entre autres, travaillent eux aussi à accompagner les nouvelles logiques d'usages qui apparaissent dans les pratiques de consultation d'informations et de lecture, en s'appuyant en partie sur le matériau papier et les procédés d'impression traditionnelle.
En fait la tradition, pour sa perpétuation, se maintient sur un mode d'assimilation et d'accommodation, et là où nos esprits fougueux voient des ruptures il n'y a bien souvent en fait que les conséquences de causes depuis longtemps à l'oeuvre.
 
L'ouvrage d'Erik Orsenna, Sur la route du papier (j'en parlais ici) permet un point intéressant sur cette matière dont quelques-uns craignent la disparition tandis que d'autres déjà l'ignoreraient de plus en plus dans leurs activités quotidiennes.
Si nous regardons le procédé de fabrication du papyrus et celui du papier nous trouvons facilement des similitudes, ce qui n'est pas le cas avec la fabrication du parchemin. Et l'hypothèse que l'emploi de parchemins aurait retardé l'émergence de l'édition imprimée pourrait se défendre.
Le récent roman historique de Michel Jullien, Esquisse d'un pendu (j'en parlais récemment ici) ouvre la réflexion sur ces siècles d'édition manuscrite.
La lecture du mémoire de Marie Alix Desboeufs, Papyrus et parchemin dans l'antiquité gréco-romaine peut remettre quelques pendules à l'heure.
 
Il ne faudrait pas que l'e-paper nous masque les évolutions du papier, tout comme il ne faudrait pas que les hybridations électroniques du papier nous masquent les évolutions des écrans.
L'histoire et la futurologie, les deux jambes peut-être de la prospective du livre et de la lecture, pourraient seules nous permettre d'anticiper ce que seront les dispositifs de lecture et sur quelles surfaces écriront et liront nos descendants.
Même si je disais récemment qu'il nous fallait, pour avancer, penser "l'après Google", il est certain que l'opération Google Glass montre bien, à la fois, les perspectives qui s'ouvre pour des développement multimodaux de la lecture, et, l'ingénierie humaine à l'oeuvre pour maîtriser le facteur humain et contrôler les comportements individuels.
 
C'est pour anticiper que la prospective du livre est nécessaire. Surgeon de l'anthropologie prospective, davantage peut-être que des sciences de l'information et de la communication, en s'intéressant aux lecteurs elle pourrait contribuer à l'orientation de la condition humaine.
   

mardi 19 février 2013

Autre côté de l'histoire, autre côté du miroir

Les outils de visualisation dont peuvent aujourd'hui disposer nos imaginaires pour projeter dans le monde leurs propres réalités sont de plus en plus performants et commencent à être utilisés par des créateurs de plus en plus nombreux, bien que les auteurs, au sens traditionnel d'auteurs de l'écrit, d'écrivains, restent en retrait.
 
Notre attention doit cependant être attirée je pense par une nouvelle récente publiée sur le site Avatarlife : Versu de Linden Lab, le livre dont vous êtes le héros à l'ère de l'IA [Intelligence Artificielle].
  
De quoi s'agit-il ?
"des histoires textuelles et conversationnelles dont le déroulement dépend des choix de votre personnage. Rien de bien révolutionnaire a priori, sauf qu’il s’agit d’un moteur social à peu près semblable à celui utilisé pour les Sim 3 qui vient au secours de notre bon vieux livre. [...] On pense immédiatement au fameux « livre dont vous êtes le héros » qui a éveillé certains d’entre nous, si ce n’est à la lecture, à l’interactivité. Dans le cas présent, vous choisissez de contrôler un personnage et c’est un moteur fictionnel intelligent qui va redéfinir l’ensemble des actes des autres protagonistes de l’histoire.".
De là à ce que ces "autres protagonistes de l'histoire" et le(s) lecteurs(s) mêmes soient avatarisés au sein de territoires numériques immersifs ou en réalité augmentée il n'y a qu'un pas, ou quelques pas que pourrait bien franchir Linden Lab dans les prochaines années (pour les néophytes, rappelons qu'il s'agit de la société créatrice du métavers Second Life, d'où découlent nombre de plateformes sous logiciel libre opensimulator).

Les temps et les espaces de la lecture
 
J'ai ainsi eu l'occasion dimanche soir de m'immerger dans une relecture pour adulte du célèbre conte Le petit chaperon rouge sur ce fameux Second Life.
Un parcours en web 3D immersive, que je pourrais qualifier d'installation ou de "parcours post-narratif sonorisé", créé par les artistes de Second Life, Cherry Manga, Alpha Auer, et Soror Nishi.
Ce type de performances s'inscrit dans les perspectives auxquelles nous réfléchissons au sein de mon incubateur web 3D MétaLectures et, entre autres, dans le cadre de son actuel programme à destination des éditeurs pure-players jeunesse.
 
La lecture que fait Daniel Tammet d'Alice au pays des merveilles va dans ce sens. "Le temps, remarque-t-il, ne s'écoule pas partout de la même façon" (à réécouter dans l'émission radio de Camille Juzeau, La bibliothèque scientifique idéale, sur France Inter).
Une fenêtre sur une possible lecture d'Alice au pays des merveilles, à transposer dans nos lectures quotidiennes.
Dans l'imaginaire, dans les rêves, dans nos lectures, le temps et l'espace ne se comportent pas comme dans la construction que notre cerveau et notre mental élaborent à partir des informations limitées de nos cinq sens physiques et du catalogue de nos apprentissages.
La lecture pourrait bien au cours du siècle évoluer sur ces sentiers là.
Les éditeurs devraient suivre certains personnages, comme Alice, comme le Petit Chaperon Rouge...
 
Un autre petit chaperon rouge de l'autre côté de sa propre histoire...
D.R. Illustrations de l'artiste Cherry Manga,
à l'occasion de la performance The other side of the story
Visite libre possible jusqu'au 15 avril 2013 sur la plateforme Second Life
 à l'adresse : The Companion =
N.B. : version pour adultes.
 


samedi 16 février 2013

Esquisse du livre

Je suis passé rue Boutebrie dans le quartier de la Sorbonne, là où dans les années 1370 Raoulet d'Orléans, copiste attitré de Charles V, tenait boutique.
Le garçon m'était connu, j'en avais entendu parler naguère, puis je l'avais oublié, et voilà qu'il m'est revenu à la mémoire avec un récent roman signé Michel Jullien aux éditions Verdier.
 
Ce bon roman, plaisant à lire, a pour grand mérite de faire resurgir aujourd'hui, par-delà un livre industriel du 21e siècle, ce qu'étaient le codex et le marché du livre à l'époque de l'édition manuscrite.
Nous y prenons conscience de la filiation, du darwinisme qui prévaut dans la sélection des supports d'écriture et dans les pratiques de lecture qui leurs sont associées.
 
Que s'est-il passé depuis 1370 ? Nous sommes depuis, allés de la rareté à l'abondance, de quelques rares spécimens d'ouvrages, tous véritablement uniques, chaque copiste avait son écriture, son style reconnaissable entre tous, à la multiplication standardisée avec l'imprimerie, la reproduction en nombre et maintenant, avec le numérique, la copie instantanée d'un clic de "souris", l'overdose.
La contrefaçon, elle, et c'est justement l'un des sujets du roman historique de Michel Jullien, a toujours existé.
Nous sommes passés aussi de la matérialité du livre, matière naturelle travaillée par mains d'hommes, à un produit de plus en plus industriel et aseptisé, et aujourd'hui à des fichiers numériques.
Même soigneusement travaillé, un parchemin conservait quelques signes de son origine, quelques imperfections, quelques poils, et une odeur caractéristique. Un vélin n'avait pas seulement plus bel aspect, mais il sentait moins fort et plus élégamment qu'une peau de chevreau ou de jument. Les codices dans un coffre s'exprimaient alors comme des fromages sous cloche. Nous avons perdu tout cela, la rareté et certains liens à la nature, au monde réel.
 
Oui, que gagnons-nous et que perdons-nous dans cette vie du livre, à laquelle nous ne pouvons que consentir, comme si elle était finalement naturelle ?
Je me suis posé tout récemment la question tellement j'ai été agréablement surpris de me retrouver face à une belle typographie en ouvrant hier La vie éternelle, de Sholem Aleikhem.
 
Cadastre des époques, cadavre du livre
 
Le monde de l'écriture est de moins en moins manuel, notre rapport au livre de moins en moins physique. L'anthropologue Tim Ingold le soulignait à sa manière dans son passionnant essai Une brève histoire des lignes (2011, éditions Zones Sensibles) qui inspire actuellement une exposition au Centre Pompidou-Metz ("Manuscrite ou imprimée, l’écriture est toute entière constituée de lignes, jeux de pleins et de déliés, tout en étant elle-même, à l’échelle d’un texte, génératrice de lignes qui courent de part et d’autre de la page.").
 
Ce rapport aux lignes, nous en reprenons conscience aux explications et descriptions du travail de copiste données par Michel Jullien dans son roman, ce rapport aux lignes est essentiel.
"... les réglures, quinze mille pour une Bible, quinze mille raies traversières à tirer au pointeau."
"Geste cheminatoire" aurait dit l'historien Michel de Certeau.
 
Originellement liées aux sillons des champs labourés (l'écriture boustrophédon en atteste), méticuleusement tracées par les copistes, imprimées sur les cahiers et scrupuleusement suivies par les écoliers, les lignes elles aussi s'éthérisent, deviennent invisibles à nos yeux : des lignes de codes informatiques que les interfaces WYSIWYG nous masquent.
(Le code cependant reste une écriture, reste dans la logique de la ligne, il nie toute prétendue délinéarisation, et alors le souci serait peut-être simplement le suivant : comme à l'époque de Raoulet d'Orléans peu savaient lire et écrire, aujourd'hui peu savent coder ; l'ère post-alphabétique sera peut-être celle du code -- la lecture des chromosomes déplace de fait la bibliothéconomie au niveau de l'ingénierie du vivant.)
 
Peut-être est-ce ainsi, par le tissage des lignes (ce qui fait texte donc) que le cadastre des époques se projette sur leurs supports d'écriture et leurs surfaces de lecture.
Avec les outils logiciels nos parcours de lecture, ce post même en témoigne, génèrent plus facilement de l'écriture.
La fausse distance entre écriture et lecture tend à s'abolir dans l'exacerbation de son illusion même.
 
Comme l'écrivait Franck P. Jennings dans This is Reading : "La lecture est plus vieille que l’imprimerie, l’écriture ou encore le langage lui-même. La lecture débute avec l’examen du monde qui nous entoure. Elle commence avec la reconnaissance d’événements répétés comme le tonnerre, la foudre, la pluie. Elle commence avec les saisons et la croissance des choses. Elle commence avec cette douleur sourde qui disparaît avec de la nourriture et de l’eau. Elle survient quand le temps est enfin découvert. Lire commence avec la manipulation des signes.".
 
Serions-nous en train de vivre cela, l'effacement de la littérature au profit du monde réel, ou vice-versa ?
Plus de cinq millénaires que nous tentons d'écrire le monde non-écrit.
Alors que tout est écrit.
Le roman est consubstantiel à la réalité que nous conférons au monde.
Celui de Michel Jullien en est une preuve.
 
N.B. illustrations de haut en bas : page de Ptolémée, Quadripartitum, avec glose de Ali Ibn Ridwan, traduction en français par Guillaume Oresme et copie par Raoulet d'Orléans (source Europeana Regia), couverture Esquisse d'un pendu, de Michel Jullien aux éditions Verdier (2013 - lien et informations sur le livre),  page extraite de La vie éternelle, de Sholem Aleikhem, textes traduits du yiddish par Arthur Langerman et Ariel Sion (éditions Métropolis, Genève, 2011, informations sur le livre).
 

mercredi 13 février 2013

Extension du domaine de l'édition numérique francophone

Mon actualisation de ce 13 février 2013 recense 125 acteurs de l'édition numérique francophone, dont un en Afrique : Les éditions Légend’Afrique à Yaoundé. Bienvenue à elles dans cette liste consultable en suivant ce lien... 
Pour rappel : cette liste est purement informative. Issue de mon travail de veille, elle ne vise qu'à mettre gracieusement à la connaissance de chacun une liste d'éditeurs "pure-players", mais, en aucun cas, il ne s'agit d'une recommandation des entreprises listées, ni d'une liste destinée spécifiquement aux auteurs en recherche d'un éditeur.
 
 


samedi 9 février 2013

Portrait du lecteur en apiculteur, et deux trois autres intuitions...

L'activité lecturante - cette désignation pour bien marquer d'emblée la participation dans la présence de sa lecture du lecteur, place ce dernier dans la situation de celui récoltant le miel de ses imaginations.
La lecture c'est un peu l'équivalent pour l'imaginaire de l'influx nerveux dans un corps vivant.
Le passage du mode, du monde de l'imprimé à celui sur le seuil duquel nous chancelons - car il s'agit bien là, qui nous souffle au visage, de "la part d'éternel qui affleure dans le passage" ainsi que Baudelaire désignait le moderne, cela est une véritable sorcellerie ; j'entends par là : est de l'ordre de l'envoûtement et de la possession.
"Au commencement des temps, nous rappelait Freud, les mots et la magie étaient une seule et même chose".
La langue, comme sédimentarisée maintenant dans le texte imprimé y retrouve dans cette sorcellerie une part de la puissance évocatrice de l'abracadabra ; la pensée magique du lecteur y supplée à une lecture profonde et linéaire par les sillons figurés des lignes, des interlignes, des marges inviolées.
Des peintures magdaléniennes, se jouant des incidents naturels de la pierre et de l'incertitude des torches, aux tablettes tactiles connectées, c'est la même technologie de l'illusion qui est à l'oeuvre, celle au fond de l'Allégorie de la caverne de Platon, dont nous n'avons sans doute pas encore tiré tout l'enseignement.
Le numérique est le grand mythe du 21e siècle.
En conclusion provisoire : la construction simultanée du lecteur et de sa lecture s'opère peut-être ainsi tant par ce qu'il lit que par ce sur quoi il le lit.
 

mercredi 6 février 2013

De nouvelles perspectives pour les éditeurs jeunesse pure-players

Au cours des semaines à venir je vais contacter les éditeurs jeunesse pure-players pour les inviter à venir tester, en privé et gratuitement et sans aucun engagement de leur part, une plateforme de démonstration.
Nous avons en effet développé au sein de l'incubateur web 3D immersive MétaLectures une application innovante unique et peu coûteuse, pour permettre à vos jeunes lecteurs de véritablement s'immerger dans vos histoires... 
Au cas où vous ne recevriez pas d'invitation, ou bien si souhaitez devancer l'appel, n'hésitez pas à me contacter ici même en commentaires ou par mail privé.
 
Entrer véritablement dans l'histoire... 
 
La technologie, dont vous pourrez voir des réalisations et évaluer les possibles apports pour vos projets d’éditions numériques, est open source. Elle fonctionne sur tous les systèmes d’exploitation (Windows, Mac et Linux) et sur les terminaux mobiles Androïd.
Elle peut être fournie aux éditeurs sur des plateformes propriétaires sous licence libre et avec un accès facile, sur le web ou par exemple via clés USB pour les lecteurs.
Nous pensons que vos jeunes lecteurs veulent s'immerger véritablement dans des histoires vraiment interactives, proches de l'univers des jeux vidéos qu'ils pratiquent. 
Nous vous proposons la seule technologie 3D qui permet de vraiment partager des expériences de lectures collectives synchrones.
Au cours de votre visite vous pourrez échanger avec Jenny Bihouise, la conceptrice de ces projets pour MétaLectures.
Nous vous attendons... 
 
N.B. : illustrations originales MétaLectures - D.R. Jenny Bihouise. L'image sur la page du livre de la seconde illustration est adaptée de Stairway to heaven du peintre Jim Warren, célèbre adaptation du mythe de l'échelle de Jacob.
 

vendredi 1 février 2013

Perspectives transhumanistes, ou la lecture et le syndrome de la lettre volée

J'ai assisté hier soir au sein de l'École Polytechnique (Palaiseau) à une "Conférence Transhumanisme" réunissant Rémi Sussan sur le thème : Mythes et légendes du transhumanisme, Laurent Alexandre sur la question : L'homme qui vivra 1000 ans est-il déjà né ?  et Olivier Nérot sur le sujet : Émotions et machines.
Passionnant.
Nonobstant je suis atterré de constater, une fois de plus, le placard dans lequel est remisée la prospective du livre.
Ce n'était pas le sujet ? Si. Il suffit de connaître un minimum les travaux de Clarisse Herrenschmidt, membre de l'Institut d'anthropologie sociale du Collège de France et d'avoir lu son essai Les trois écritures : langue, nombre, code (Gallimard éd.), de mettre cela en perspective avec les travaux de Tim Ingold (professeur d'anthropologie sociale à l'université d'Aberdeen : "Une brève histoire des lignes", éd. Zones sensibles) et, par exemple, avec Le laboratoire des cas de conscience (Alma éd.) dans lequel Frédérique Leichter-Flack présente la littérature comme "le laboratoire des cas de conscience", avec L'espèce fabulatrice de Nancy Huston (Actes Sud), pour que cette lecture des perspectives transhumanistes s'impose.
Je le redis : la lecture est l'activité, sinon première, en tous cas naturelle du vivant, qui a besoin de lire, de déchiffrer et de documenter son environnement.
Malheureusement la lecture est tellement intrinsèque à l'expression du vivant que nous oublions de la considérer, lire la lecture relève d'une introspection globale, au niveau de l'espèce, puis du vivant, dans leur historicité, laquelle englobe les avenirs les plus lointains.
   
La lecture du vivant
 
Il a été question hier soir, notamment dans l'intervention de Laurent Alexandre (neurobiologiste de formation) de lecture du vivant. Mais qu'est-ce que la lecture des chromosomes, de l'ADN, sinon du code ?
L'ingénierie du vivant relève en fait de la bibliothéconomie.
L'ignorer peut nous induire en erreur.
Le problème principal auquel je me heurte en tant qu'initiateur de la prospective du livre et de la lecture est ce syndrome de "la lettre volée" (paradoxal s'agissant de la lecture ! mais les divinités s'amusent sans doute comme elles peuvent...) : nous nous focalisons benoîtement sur un hypothétique passage de l'édition imprimée à l'édition numérique (alors que j'ai ailleurs déjà émis deux hypothèses sur la non-existence de l'édition numérique) et la très grande majorité des acteurs ne s'intéresse en fait qu'au marché du livre, à l'objet livre (imprimé, numérisé ou numérique) et à son commerce, les sous, les petits sous toujours.  
 
C'est sur un autre plan que celui des héritiers et des actionnaires de l'édition que la partie se joue.
Nous ne sommes pas seulement des lecteurs de livres pour quelques-uns d'entre nous, mais nous sommes tous par nécessité des lecteurs de la vie ; et nous ne sommes pas seulement des lecteurs, mais nous sommes également du lu, chacun d'entre nous est une bibliothèque, un livre, un texte, un mot et une lettre.
Et nous refusons de voir cela en face.
C'est pataud. Vraiment.
 

dimanche 27 janvier 2013

Le livre et la 3D - Retour sur la conférence du 16 janvier 2013

 
Le soir du 16 janvier 2013 courant j'ai eu le plaisir d'intervenir pour la première fois sur le thème suivant : Le livre et la lecture dans le web 3D de demain, et de réaliser cette conférence en duplex, à la fois dans les locaux de La Cantine numérique rennaise, à Rennes donc comme son nom l'indique, et, dans l'auditorium de MétaLectures sur la plateforme de web 3D immersive Francogrid.
Au total pratiquement 80 personnes à Rennes et une trentaine sur MétaLectures.
La photographie ci-dessus de Jean-Baptiste Le Clec'h montre bien la mise en abîme du dispositif et la mise en relation des deux plans, physique et numérique.
Comme prévu ma conférence a été suivie d'échanges en direct depuis Francogrid avec quelques-uns des professionnels qui travaillent comme moi au déploiement des ressources culturelles et éducatives de ce type d'environnement numérique (en l'occurrence l'artiste Anne Astier ; Jenny Bihouise -consultante en ingénierie de formation et des mondes immersifs ; Caroline Brousse -bibliothécaire et cofondatrice de Bibliossimo ; Sylviane Diop du collectif d'artistes GawLab de Dakkar, et Yann Minh qui nous a fait visiter quelques espaces du futur FestivalSF, avec des réalisations de l'artiste Cherry Manga et une sonification topologique de la sound designeuse Christine Webster).
Ces échanges ont (je l'espère) contribué à faire prendre conscience à mon auditoire rennais de la réalité et des potentialités de ces territoires numériques, de la qualité de celles et ceux qui y oeuvrent déjà.  
 
L'obsolescence du web
   
En 2007 j'avais donné sur Second Life, grâce à l'équipe de la Bibliothèque francophone du métavers, la première conférence en français (en voice chat) à l'occasion de la sortie de mon livre Gutenberg 2.0, le futur du livre.

Aujourd'hui la 3D s'impose de plus en plus. Parallèlement les internautes deviennent des mobinautes, et avec l'internet des objets et la réalité augmentée la porosité entre monde physique et monde numérique est de plus en plus importante. Qu'on le veuille ou non les deux sont de plus en plus interconnectés.
 
Le message que j'ai voulu faire passer le 16 janvier 2013 est le suivant : le web 2.0 véhicule de l'information mais il ne reproduit aucunement notre environnement naturel, lequel est en trois dimensions et, surtout, nous met les uns les autres en contact que nous le voulions ou non.
Même avec le développement des réseaux sociaux et l'utilisation de webcams, le web nous propose généralement des expériences solitaires face à l'univers plat des écrans.
C'est du Minitel augmenté, mais sans plus.
Le co-browsing, la navigation interactive à plusieurs sur un même site web, n'a pas encore été rendu possible.     
La technologie OpenSimulator (open source) que je cherche à promouvoir et que je teste depuis un an sur l'incubateur MétaLectures permet de transférer sur un territoire numérique une grande partie des activités de notre vie quotidienne.   
Quand nous nous connectons au site web d'une bibliothèque, quand nous nous connectons au site web d'une librairie, qu'elle vende du livre imprimé ou du livre numérisé en téléchargement, l'expérience que nous avons est extrêmement pauvre par rapport à celle que nous vivons lorsque nous entrons effectivement dans une bibliothèque ou dans une librairie. Qui oserait me dire le contraire ?
 
Comparée à la 3D immersive sur et avec laquelle nous travaillons sur MétaLectures, la 3D subjective est un trompe-l'oeil, genre pictural qui plonge ses racines dans l'art pariétal.
La visite virtuelle proposée par la BPI Pompidou de Paris sur son site web, par exemple, ne rend compte en rien de la "réalité-vraie" du lieu et de sa vitalité. Plus grave, elle renvoie une image aseptisée et déshumanisée d'un lieu de vie et d'échanges autour des livres et de la multiplicité des pratiques culturelles.
  
Les recherches sur la datavisualisation des données et le design d'information ne sont pour moi que des symptômes d'un besoin d'humanisation des technologies de l'information et de la communication, et la ludification une simple recherche d'ersatz.
  
Une nouvelle dimension pour le marché du livre
 
Le web 2D ne permet pas de donner une visibilité aux catalogues numérisés des bibliothèques ni à l'offre "en ligne" (sic) des librairies.
Il nous faut réinventer la façon de représenter et de présenter le livre dans le monde numérique, et cela pour y renouveler le "phénomène livre", tout en prenant en compte les nouvelles pratiques de lecture et les mutations de ses interfaces.
 
Il ne s'agit pas tant de lire dans ces territoires numériques que de les explorer et d'y inventer de nouvelles formes de médiation autour du livre en exploitant les possibilités que la 3D immersive peut apporter par rapport au traditionnel et obsolète web 2D.
Il s'agit de renouveler la sociabilité autour des enjeux du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique. 
 
Depuis les cavernes notre sociabilité repose sur le partage physique d'un même territoire.
Or les réseaux sociaux du web 2D sont incapables de restituer ce niveau d'expérience. 
En représentant l'environnement d'une bibliothèque ou d'une librairie dans lesquels  nous activerions les ressorts émotionnels, affectifs, qui nous permettent de vivre en société, nous réactiverions du même coup une part des impressions, des sentiments que nous éprouvons lorsque nous sommes physiquement dans de tels lieux. Balayer l'espace du regard, flâner entre les rayons, pouvoir découvrir d'autres livres que celui que nous venions chercher, se laisser aller à un achat d'impulsion... Mais surtout, j'y reviendrai en conclusion, pouvoir échanger avec de "vrais gens".
J'écris bien "en représentant l'environnement d'une bibliothèque ou d'une librairie", et non pas "en reproduisant".
La 3D de copie, telle que nous pouvons l'expérimenter avec Google Street View ou Google Earth par exemple, si elle peut avoir son utilité en réalité augmentée, génère je pense une certaine inquiétude engendrée justement par une ressemblance inquiétante avec la réalité. Nous sommes là encore dans le trompe-l'oeil.
Tandis que dans la 3D immersive, la représentation graphique crée la distance nécessaire à une appropriation du lieu. Nous ne sommes plus dans la ressemblance factice, mais, dans un sentiment de familiarité, une reconnaissance du lieu.
La 3D immersive rend ainsi possible un certain sentiment de la présence d'autrui avec ce que cela implique.
 
Bien sûr de grands groupes pensent déjà à exploiter ces ressources en termes de "shopping social". Je resterai discret sur ces initiatives n'ayant aucune raison de les promouvoir. Et bien sûr comme toujours l'interprofession du livre s'en contrefiche. Mais tant que les librairies et autres plateformes sur le web ne pourront pas reproduire les usages sociaux des lecteurs dans une véritable librairie, tant que les bibliothèques numériques ne pourront pas y créer de véritables tiers lieux (qu'elles recherchent pour l'heure en dénaturant la vocation de leurs sites), le livre restera un vieux parent pauvre de plus en plus relégué vers les siècles passés.
 
Enfin, je veux dire pour conclure la chose suivante : à savoir que des algorithmes ne peuvent pas (ne devraient pas pouvoir) remplacer des libraires et des bibliothécaires. C'est cependant le cas. De plus en plus souvent. C'est ce à quoi nous sommes contraints de nous habituer malgré nous. Et l'interprofession du livre s'y soumet. Pourquoi ?
 
Je revendique comme un droit inaliénable des lecteurs celui d'avoir droit à une médiation humaine.  
  
N.B. illustrations : photographie Rennes, D.R. La Cantine numérique rennaise, photogtaphies auditorium de MétaLectures par l'artiste Anne Astier et Jenny Bihouise.
 

samedi 12 janvier 2013

Les éditeurs numériques francophones en janvier 2013

Première actualisation de cette année 2013 de la liste des éditeurs numériques francophones et des prestataires de services pour l'édition numérique qui se font connaître.
Cette liste de presque 120 entreprises, et accessible gratuitement ici, est purement informative. Issue de mon travail de veille, elle ne vise qu'à mettre gracieusement à la connaissance de chacun une liste d'éditeurs "pure-players", mais, en aucun cas il ne s'agit d'une recommandation des entreprises listées, ni d'une liste destinée spécifiquement aux auteurs en recherche d'un éditeur.
 

samedi 5 janvier 2013

La lecture, ses plaisirs et ses mystères


 
Le mercredi 16 janvier 2013 j'aurai le plaisir de donner une conférence et d'inviter au voyage un auditoire que j'espère nombreux dans l'agréable espace coloré de la Cantine numérique rennaise.
 
Mais demain... c'est aujourd'hui, ou presque !
De quoi s'agit-il ?
 
Le vrai tiers lieu...
 
Alors que la lecture et le marché du livre passent de l'imprimé au numérique, que de plus en plus d'humains deviennent des internautes et de plus en plus d'internautes des mobinautes, alors que la (con)fusion entre espaces physique et numérique est de plus en plus perceptible dans un environnement hyperconnecté où les mégapoles vont s'imposer comme cinquième écran (après ceux de cinéma, de télévision, d'ordinateur, de smartphone), la question de l'obsolescence du web devrait aujourd'hui se poser avec force et clarté.
 
Les questions et les expérimentations qui se cristallisent dans le domaine du livre autour du concept de tiers lieux (ou "troisième place", "The third place") révèlent je pense l'incapacité aujourd'hui du web, de ses portails et de ses plateformes, de ses bibliothèques et librairies numériques, à renouveler le "phénomène livre", et, plus grave, à poursuivre au 21e siècle l'aventure des civilisations du Livre et à approfondir la lecture, ses plaisirs et ses mystères.
Les modalités de représentations du web 2.0 et 2D ne permettent pas de donner une visibilité aux catalogues numérisés des bibliothèques ni aux fonds d'ebooks des librairies "en ligne" (sic).
Il nous faut, il faut à l'interprofession du livre et aux nouveaux acteurs de l'édition numérique (pure-players) tester de nouvelles formes de médiations autour du livre et de ses nouvelles déclinaisons, en intégrant les changements actuels que nous pouvons d'ores et déjà observer au niveau des usages et des pratiques de lecture, et, dans la mesure du possible en anticipant les futures interfaces de lecture.
C'est l'un des objectifs de l'incubateur web 3D MétaLectures, que j'ai lancé il y a un an sur la plateforme open source francophone Francogrid, que de réfléchir à ces enjeux et d'accompagner dans cette aventure les professionnels du livre qui le souhaitent, et ce sera le thème général de la soirée du 16 janvier.    
 
Par expérience, je sais que l'espace numérique est un espace social, voire souvent, un espace public.
Le web 3D immersive, en ce qu'il est un espace au sein duquel plusieurs humains connectés peuvent échanger et partager entre eux, rend possible une duplication des relations auxquelles nous sommes habitués dans l'espace physique et de ce fait il est le véritable tiers lieu que beaucoup cherchent... ailleurs.
  
La soirée du 16 janvier se déroulera en trois étapes :
- Une conférence illustrée sur les problématiques et enjeux abordés ci-dessus et qui se déroulera en duplex entre la salle de la Cantine numérique rennaise et la plateforme web 3D immersive Francogrid, 
- Un temps d'échanges entre les auditoires de Rennes et de Francogrid et moi-même et, je l'espère, entre les personnes présentes à Rennes et celles connectées sur Francogrid,
- Une projection dans la salle de la Cantine numérique rennaise de l'espace web 3D Francogrid pour des échanges en direct avec plusieurs acteurs de cet environnement numérique, notamment : Jenny Bihouise, consultante en ingénierie de formation et des mondes immersifs (qui travaille avec moi sur MétaLectures à un projet de livres immersifs pour l'édition pure-player jeunesse), Caroline Brousse, co-fondatrice de l'association Bibliossimo et spécialiste de la culture numérique jeunesse en médiathèques, Yann Minh, qui présentera le futur Salon de littérature SF, ainsi que des membres du Collectif GawLab de Dakar (Sénégal) qui développe le projet "Metatrame" de relation entre monde immersif et pédagogie...
 
 
Deux possibilités pour participer à cette rencontre du 16 janvier, entrée libre sur inscription :
- A Rennes, à la Cantine numérique rennaise, 46 boulevard Magenta,
Inscription réservation gratuites en suivant ce lien...
- En direct sur le web en vous inscrivant gratuitement sur la plateforme Francogrid...
 
Illustrations : en haut, réalisation 3D sur la plateforme Francogrid par l'artiste Cherry Manga; en bas, aperçu de l'auditorium de MétaLectures à l'occasion de la conférence du 14 décembre 2012 de Florian Forestier sur le thème de l'écrit et de la spatialité : "L'élargissement de l'ordre des livres : l'urbanisme comme modèle".
 
 
 

mardi 1 janvier 2013

2013 année des lectrices et des lecteurs ?




 
Puisse cette année 2013 laisser s'inventer en nous, lecteurs, lectrices, les livres et les lectures d'un vingt-et-unième siècle et d'un troisième millénaire qui tardent à se manifester.
Puissions-nous, en marge des puissances de l'argent et de l'asservissement de l'homme par l'homme et les machines, puissions-nous ensemble, écrire et lire l'histoire de notre espèce dans le présent, et dans l'avenir aussi.

A toutes celles et à tous ceux qui suivent mon travail je souhaite chaleureusement une belle et bonne année 2013 !
 

Aux autres, à celles et ceux qui médisent de moi, je tire la langue et je fais un pied de nez. C'est puéril je sais, mais cela fait du bien. Et puis il faut bien quand même un peu de justice dans ce monde que je me dis ;-)

Bonne année 2013 !

 
" - Pas d'exhibitions, dit l'éléphant qui était devenu bibliophile."
 
Citation extraite des "Histoires prodigieuses et biographies exemplaires de quelques personnages modestes et anonymes" de Manuel Chaves Nogales (Quai Voltaire - La Table Ronde éd., 2012, traduction de Catherine Vasseur).