lundi 30 août 2010

Retour d’Ouessant. Pandémie Apple. Démangeaisons de Tweets.

Dans le cadre des journées numér’ile 3, j’ai eu le plaisir de participer, modestement, comme simple animateur de deux échanges (d’abord, Ce qu’Internet change au récit du monde, le 20 août dernier, qui réunissait François Bon, Thierry Crouzet et Arash Derambarsh, puis, en off le 21, sur le thème : Edition numérique, mode d’emploi, avec diverses interventions spontanées) à la 12e édition du Salon international du livre insulaire à Ouessant.

Avant un petit débriefing tout personnel, je tiens à remercier tout particulièrement Isabelle Le Bal, présidente et organisatrice du Salon, et Jeanlou Bourgeon, organisateur et agitateur d’idées des 3e Rencontres numér’ile, nouveaux univers des médias et des éditions en réseaux.
Amicales pensées également pour : Lise Hascoët (dont un dessin illustre ce post), à Gwenn Cathala des éditions Numerik:)ivres, ainsi qu’à Sophie Le Douarin-Deniel de bookBéo, Clément Monjou et Alexis Jaillet du blog eBouquin.fr, et enfin, tout particulièrement, pour Isabelle et Thierry Crouzet, Sara MC Doke et Yal Ayerdhal, avec lesquels j’ai pu échanger plus longuement sur les problématiques de l’édition contemporaine et numérique.
Conclusion ? Je suis rentré satisfait, mais inquiet.
Inquiet pour le livre et pour la lecture.
François Bon (lequel à mon avis devrait donner en spectacles ses passionnantes et passionnées lectures de Rabelais), a, évidemment, apporté de bien intéressantes contributions (sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants), mais nous pouvons regretter cependant qu’il ait été le seul représentant d’une maison d’édition numérique francophone (Publie.net), alors qu’avec la BD numérique nous pouvons en dénombrer une petite trentaine. Numerik:)ivres n’a pas été présent en tant qu’éditeur et les éditions Leezam, inscrites au programme, absentes.
Je regrette aussi les passages bien trop rapides de Michèle Drechsler et de Bruno Rives que j’ai à peine eu le temps de saluer ; ainsi que d’Arash Derambarsh des éditions du Cherche-Midi, et du digiborigène David Queffélec qui nous ont fait l’amitié de participer à ces deux débats, que je n’avais au fond pas besoin d’animer, tant ils l’étaient spontanément, avec « Des égos parfois surdimensionnés [qui] s’entrechoquent, se frottent, se télescopent » (dixit avec justesse Thierry Crouzet), et tant et si bien que je me suis ainsi réellement retrouvé au fond dans ce rôle énigmatique de “Grand Témoin” auquel m’avait assigné l’organisation.

De quoi peut témoigner un grand témoin ?
En exergue de mes propos je souhaiterais ici cette déclaration d’Albert Camus, et je profiterais de l’occasion pour signaler que ce gros livre imprimé (Albert Camus, une vie, par Olivier Todd, Folio, 1999, 1190 pages, et à ma connaissance inexistant en version numérique) que l’on voit à côté d’une tablette Kindle sur la photographie prise par Alexis Jaillet, est le livre que je lisais alors. J’ai dit.

Et voici donc ces mots de Camus, en écho à nos quelques échanges avec Thierry Crouzet notamment : « Si l’homme veut être reconnu, il lui faut dire simplement qui il est. S’il se tait ou s’il ment, il meurt seul, et tout autour de lui est voué au malheur. S’il dit vrai au contraire, il mourra sans doute, mais après avoir aidé les autres et lui-même à vivre. » (Page 484).
Alors qu’ai-je à dire de vrai ici ?

De ces journées ouessantines, il ressort pour moi, mais peut-être ne serait-ce qu’une impression engendrée par une insularité énigmatique, que l’édition numérique relèverait davantage, dans les esprits de beaucoup,  du fantasme futuriste et communautaire, que des réalités économiques qui nous sont imposées par le marché et par les industries de l’électronique et du divertissemement.
Les effets mirages induits par le design d’une certaine marque notamment, et par les facilités que semblent apporter certaines nouvelles technologies, ou certains services qui leurs sont associés, leurrent, je pense, trompent, et nous font oublier les réalités humaines et socioéconomiques du passage de l’édition imprimée à une édition… numérique ?
Pour ma part l’édition numérique ne m’intéresse pas.
Ce qui m’intéresse c’est l’édition du 21e siècle, celle que nous laisserons en héritage à nos descendants du 22e siècle.

Débriefing : explication de titre
Ainsi, j’observe que progressivement, mais assez paradoxalement à la fois lentement et rapidement, selon les repères que l’on se propose, dans le décor de tous les jours s’installent, davantage que des outils nouveaux, de nouvelles pratiques de communication entre membres de la communauté humaine.
Et alors que je me faisais une joie de passer déconnecté ces quelques journées ouessantines, fort éloigné de mon ordinateur et de tous types d’écrans, j’ai, pratiquement en permanence, été encerclé d’iPhone, d’iPad et de Mac, le tout dans un bourdonnement de tweets incessant.

Mon objectif n’est pas ici de revenir d’autorité et après coup sur les échanges publics qui ont pu avoir lieu durant ces cinq jours, intéressants et enrichissants (intellectuellement j’entends) à plus d’un titre.
Les contributions pertinentes de François Bon, à la discussion du 20 août : “Ce qu’Internet change au récit du monde” (avec cette question essentielle qu'il pose : « Comment avancer dans l’imprédictible, sachant que cet imprédictible emporte avec lui […] une part radicale de ce qui nous définit comme culture, avec le rêve, l’imaginaire, la pensée réflexive ? »), et à celle du 22, “De l’auteur comme écosystème”, sont intégralement en ligne.
J’espère que sera mise également rapidement en ligne celle, toute aussi pertinente, du dimanche 22 août (sur le thème : Livre numérique et droits des auteurs), de Henry Le Bal.
Ces interventions ont pour moi le grand mérite de ne pas s’illusionner et de s’inscrire dans une transhistoricité qui, comme vous le savez peut-être, est une des perspectives essentielles de la prospective du livre et de l’édition (voir Le livre et la lecture au 21e siècle : des enjeux d’universalité).
N.B. : un site dédié à ces 3e Rencontres numér’ile et reprenant l’intégralité vidéo des échanges devrait être prochainement mis en ligne.

Dans quel état j’erre se dit le livre ;-)
L’empilement des versions (la troisième pour le Kindle d’Amazon) et des mises à jour informatiques, ne serait-il pas une version technolâtre des empilements de pierres, des empilements de tablettes, puis de pages, qui donnèrent naissance à l’interface des codices ?
Comme une auditrice des échanges d’Ouessant le rappelait, les réseaux épistolaires datent de plusieurs siècles.
Et à peine rentré de Bretagne je découvre que les SMS datent eux (au moins) du 19e siècle (Des SMS du XIXème siècle).

J’ai souvent souligné pour ma part que vers l’an 400, des moines avaient inventé… le Web 2.0, avec un système de “blogs” manuscrits qui permettaient à chacun d’écrire et de diffuser ses propres textes, commentés ensuite par des lecteurs, dont les commentaires pouvaient à leur tour être commentés.
Une pratique collaborative, à vocation universelle avec l’emploi du latin, qui permettait déjà d’amender, de modifier, de compléter, d’enrichir un texte tout en gardant traces des différentes versions et de l’exemplaire original (comme sur Wikipédia).
Ces moines ont été plus loin que les scribes fonctionnaires de l’Antiquité. Ils ont inauguré une gestion participative des textes, non plus dans la conversation ou le dialogue, mais, par écrit. Ils ont développé une gestion communautaire au fil de laquelle : l’auctor rédigeait ses propres idées, le compilator intervenait comme agrégateur (RSS), ajoutait au texte initial des compléments d’informations provenant d’autres sources, d’autres auteurs ; le commentator commentait, et certains commentaient les commentaires et commentaient les commentaires des commentaires et cetera, comme sur les blogs exactement ; tandis que le scriptor, jouait le rôle de Wikipédia en retranscrivant tout ceci : les différentes versions successives d’un texte original en perpétuelle construction. Le Web 2.0 sans informatique ni électricité ! En tous cas l’idée était là.
Comme l’idée de l’hypertexte était présente dans Le Diverse et artificiose machine, paru à Paris en 1588, ouvrage dans lequel l’ingénieur italien Agostino Ramelli représentait un astucieux système de deux grandes roues parallèles, reliées entre elles par une douzaine de lutrins, sur lesquels reposaient des livres ouverts : La Roue à Livres. Il suffisait qu’un lecteur s’asseye devant, lise et fasse tourner la roue, pour passer aisément d’un livre à l’autre.
Même ce sentiment d’infobésité (surinformation ou information overload) que nous ressentons parfois fut déjà décelé et explicité dès 1621 par le dénommé Robert Burton.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’ont rien inventé d’essentiel.
Elles ont seulement facilité certaines choses (voir illustration).
Et la question doit se poser de ce que ces facilités apparentes et monnayables charrient en termes d’addiction et d’asservissement.
En quoi nous sont-elles réellement utiles et en quoi ne servent-elles que de cheval de Troie à des régies publicitaires ?
De quoi pourraient-elles nous déposséder ?
En quoi sont-elles chronophages ?
En quoi nous éloigneraient-elles des langues maternelles ?
Que penser de cette pandémie d’iPhone et de Tweets qui durant cinq jours s’est abattue sur Ouessant ?
Cette ivresse qui emporta certains et certaines, ivresse d’être à la fois sur une île et connecté en permanence au reste du monde.
Quelles répercussions sur nos facultés d’attention, de compréhension, de mémorisation ? D’échanges, de dialogue ?
Ces discussions qui se déroulaient à la fois IRL (in real life) et au même instant n’importe où sur la planète, mais avec du coup une brièveté allusive, et sur place des postures qui mettaient davantage en exergue les clivages que les points de jonctions, ne laissaient pas le temps à la réflexion, à la maturation des idées.
Ouessant ou l’impossible déconnexion.
N’entendiez-vous pas la corne de brume ? Même sur L’archipel de la littérature numérique

Eviter Fahrenheit 451
Le temps de l’abstraction est terminé et pour quelques-uns, peut-être, se sera-t-il échoué cet été, à Ouessant.
L’édition numérique sera, pour un premier temps au moins, certainement et peut-être heureusement, davantage structurée, et nous ne pourrons faire l’impasse de nouveaux modèles économiques et de chaines de valeurs cohérentes.

Mais ne rêvons pas, si l’édition indépendante a une carte à jouer, les majors de l’édition imprimée ont les moyens financiers de prendre le contrôle de l’édition numérique (voir, cette semaine, les annonces de librairies numériques lancées par Carrefour et Darty).
L’actualité, à brève échéance, réserve encore bien des surprises aux insulaires.
Une édition alternative pourra exister et se propager certes, mais en marge.
Alors, maintenant, de quel enfantement s’agit-il ?
L’ambition de numér’ile était louable certes, mais n’était-elle pas démesurée ?

L’édition du 21e siècle sera certainement bien plus innovante que nous l’imaginons aujourd’hui (rappelons-nous que les messieurs et mesdames tout le monde dans les années 1960, imaginaient pour l’An 2000 des autobus volants, alors que les avions existaient depuis un moment déjà, mais qu’ils ne pensaient pas à l’iPhone et à Facebook…).
L’édition du 21e siècle, si l’édition survit au divertissement, sera en prise directe avec la réalité augmentée, sera immersive, à la confluence des dispositifs mobiles, de la TV 3D, et autres joyeusetés dans un monde où les ordinateurs auront disparu, où l’activité que nous appelons en 2010 lecture, sera dissociée de tous supports, voire, avec les nanotechnologies, intégrée aux corps des lecteurs humains.
La question essentielle, s’il devait y en avoir une et une seule, serait celle-ci :
Cette évolution du livre fait-elle révolution, ou bien, ne serait-elle qu’une infime partie d’une révolution plus globale ?

Historiquement les précédentes mutations du livre et de la lecture (par exemple, passage du rouleau au codex, ou bien, passage de l’édition manuscrite à l’édition imprimée) ont profondément modifié la société et ont eu des répercussions culturelles, mais aussi sociopolitiques, indéniables.
Aujourd’hui, il est courant de constater que le numérique impacte le livre, après avoir reconfiguré les marchés du disque, de la photo et de la vidéo.
Les mutations que nous ressentons ne seraient que des effets et non des facteurs agissants.
S’il y a un danger pour le livre et pour la lecture il est là.
L’évolution technique (pas seulement sur les secteurs du livre, mais en particulier par rapport à eux) va plus vite que nos facultés d’intégration et d’assimilation.

Aux effets générationnels que j’ai déjà abordés à plusieurs reprises (voir Ruptures et continuités générationnelles en prospective du livre et de l’édition) il faudrait donner un relief plus contrasté.
D’une part, l’âge joue également sur la perception et les illusions que nous pouvons avoir de l’avenir du livre et de la lecture.
D’autre part, comparés aux générations des pionniers du numérique (années 1970-1980), les natifs du numérique (digital native) d’aujourd’hui sont devenus de simples consommateurs. Pas forcément des passionnés de logiciels libres et des codeurs acharnés, la plupart d’entre eux, en-deçà des fantasmes du “digital immigrant” que je suis (espèce en voie de disparition), sont en fait de simples utilisateurs de services en ligne, accrocs aux marques et adeptes de la gratuité et du téléchargement (Lire à ce sujet : Les jeunes ne jurent que par Apple et se foutent du logiciel libre ?).
(L’un des enjeux est d’ailleurs maintenant de former dès l’école les générations futures au codage et à la programmation informatiques. Les jeunes ne doivent pas seulement être formés à rechercher et vérifier l’information, à gérer leur identité numérique et à publier en ligne de manière responsable, mais aussi à coder. A la fin du siècle l’analphabète ne sera plus celui qui ne sait ni lire ni écrire, mais celui qui ne sait pas coder ! Nos écoles républicaines doivent engendrer des digiborigènes.)

Ce post est déjà bien long ;-) mais il faudrait également être attentif au fait que les consommateurs semblent maintenant prêts à payer sur mobiles, smartphones et autres (tablettes de lecture ?) des services qu’ils voudraient gratuits sur leurs ordinateurs de bureau.
Et également, être davantage attentif au rôle joué par les femmes et dont nous avons tous été les témoins à Ouessant. Les femmes, plus engagées sur Internet, seraient à l’origine du dynamisme des médias en ligne.
L’on voit bien ici, comme nous l’avons vu à Ouessant, que la situation est complexe, les perspectives plurielles et l’horizon embrumé.
Aussi je lance un appel pour l’organisation d’un Grenelle du livre !
(Effets de l’air marin, contrecoups de cette insularité énigmatique précédemment évoquée ? ;-)

Pour un Grenelle du livre
Il s’agirait d’une manifestation d’envergure sur plusieurs jours, qui serait indépendante des industriels concernés, et en amont, suffisamment réfléchie, structurée et organisée, afin de pouvoir :
  • Rassembler les représentants des différents corps sociaux et professionnels concernés (les acteurs de l’interprofession du livre, tant de la filière graphique que du numérique, les auteurs, les lecteurs, le corps enseignants, des historiens du livre et de la lecture, des représentants des principales religions et associations spirituelles…)
  • Expliquer et éclairer le plus objectivement et le plus exhaustivement possible la situation et le devenir du livre et de la lecture au 21e siècle…
  • Formuler des recommandations concrètes et raisonnables, notamment aux institutions françaises et européennes…
  • Proposer aux professionnels un ensemble de solutions réalistes et réalisables. 
Quelqu’une ou quelqu’un lit-il ce blog au Ministère de la Culture et de la Communication, ou bien, au Secrétariat d'État chargé de la Prospective et du Développement de l'économie numérique auprès du Premier ministre ? Allo ! Vous m’entendez ?

© Illustration LIZ H : http://creaknit.blogspot.com/  

10 commentaires:

  1. Tout allait formidablement bien, jusqu'à la conclusion ; patatras ... un Grenelle du livre ... même pas de la lecture. Vous m'avez passionné, ouvert, interpellé, avec ce long et beau billet, franc, incisif, qu'on sent brûlant d'une tension intérieure contenue, avec ce désir de partager, de convaincre, d'écouter, de dire le vrai, fut-ce au prix de la facilité et de l'image de soi. Un bel exercice dont on sent qu'il vient d'un long entrainement à l'écoute, au silence, et à la prise de parole qui sait prendre le temps, réglée, et mûrie. Loin de la polémique et de la conversation.
    Mais franchement, finir sur cette farce médiatique que sont les "grenelle" de ceci ou celà, je ne vois pas. Qu'ont-ils à nous dire, ces responsables que vous interpellez ? Rien, ou pas grand chose. Ils en ont à entendre, oui, c'est sûr. Hadopi va nous faire un bel automne, si ça se trouve.
    A moins de chercher quelque mission de consultant, ce qui est éminemment respectable et légitime au demeurant, ce n'est pas vers ceux-là qu'il faut se tourner, mais vers les Bon et les Crouzet, et tous les autres, ceux qui font vraiment, qui se trompent, qui osent, et qui donnent. Je verrais bien un Hourtin en moins rendez-vous mondain, un grand barcamp bien foisonnant et bordélique, pour servir d'accélérateur, d'athanor à cette émulsion.
    Merci, Lorenzo, de votre opiniâtreté, et pardonnez-moi de vous suggérer ce pas de côté, voire même d'en pousser quelques-uns en avant, pour enjamber ce grenelle mortifère. Pardonnez-moi d'être brutal et bien trop catégorique, mais vous valez mieux qu'un grenelle.

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  2. Je souscris à l'idée d'un Hourtin plus que d'un Grenelle (dialoguer avec MM. Lombard/Richard est-il possible pour toute une partie des acteurs qui font bouger les choses ??? http://fr.readwriteweb.com/2010/08/25/a-la-une/internet-internet-orange-dvoile-sa-stratgie/ )…

    « Comment avancer dans l’imprédictible, […] »

    L'« imprédictible » de François Bon me paraît une piste à creuser et expliciter : c'est pour moi un des acquis intellectuels du XXe siècle que celui de la relativité et de la probabilité, d'abord traduit artistiquement (Picasso, dès la fin du XIXe, Proust, Durrell plus tard). Une dimension à intégrer dans ton travail de prospectiviste!

    « Et la question doit se poser de ce que ces facilités apparentes et monnayables charrient en termes d’addiction et d’asservissement. »
    « Les mutations que nous ressentons ne seraient que des effets et non des facteurs agissants. »
    Tu devrais venir faire un tour du côté d'Ars industrialis, http://www.arsindustrialis.org/manifeste-2010

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  3. @ Michel Lecour :
    Merci Michel, tant pour ces compliments que pour votre franchise et la pertinence de votre réaction.
    Le terme Grenelle est certes peut-être un peu trop connoté (je l'employais disons "génériquement").
    Nous pourrions alors appeler cela des "Assises francophones du livre et de la lecture" ;-)
    Quoi qu'il en soit la manifestation à laquelle je rêve et qui, d'après moi, est urgente voire indispensable, pour justement pouvoir penser le devenir du livre (et de son marché) et de la lecture, au 21e siècle, doit mobiliser les pouvoirs publics et les médias, et doit pouvoir bénéficier en amont des moyens nécessaires (notamment budgétaires) pour sa bonne réalisation.
    Les quelques points que je détaille en fin de post ébauchent assez bien je pense le périmètre d'une telle initiative.
    Dans le genre "grand barcamp bien foisonnant et bordélique, pour servir d'accélérateur, d'athanor à cette émulsion", Ouessant était déjà et fort sympathiquement pas mal, mais quid du, des résultats ?
    Comme je l'écris : "le temps de l'abstraction est terminé".
    Si nous ne voulons pas voir le livre (et quand je parle de livre je n'entends pas forcément que le livre imprimé), si donc nous ne voulons pas voir le livre mangé tout cru par les industries de l'électronique et de l'entertainment, il nous faut des décisions, des passages à l'acte, et plus seulement de sympathiques débats entre nous.
    Si Ministère de la Culture et de la Communication, ou Secrétariat d'État chargé de la Prospective et du Développement de l'économie numérique ne peuvent assumer cette responsabilité, qui alors ? L'Unesco ?

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  4. @ Alain Pierrot :
    Merci Alain pour ce message.
    Ce serait avec plaisir que je t'inviterai à déjeuner un de ces prochains jours de rentrée pour discuter de cela : Grenelle, Hourtin ou Assises...
    Importante en effet cette dimension d'imprédictibilité !
    Je connais un peu Ars industrialis, j'ai souvenir que nous nous y étions d'ailleurs retrouvé avec toi et Virginie il y a un ou deux ans, pour assister à un débat sur ces questions justement, mais ma mémoire (cérébrale et non numérique ;-) ne m'en dit pas plus.
    A bientôt

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  5. OUi,
    je ne pense pas non plus qu'un grenelle du livre soit la solution...
    Par contre, toutes les rencontres éditeurs, auteurs et autres professionnels du secteur devront intégrer les réflexions sur les nouveaux outils et les nouveaux comportements des lecteurs, devenus lecteurs internautes et lecteurs mobinautes.
    Numer'île dans le salon du livre insulaire a le mérite d'exister. Quid du salon du livre à Paris ?
    Y a-t-il un E-PaperParis ?

    Merci Lorenzo :
    tu nous a replongé dans les débats de l'édition future ; numérique en réseau... Où l'on a entendu (tout en le sachant déjà) que tout a déjà été inventé et que nous nous efforçons simplement de nous adapter dans nos écrits comme nos lectures à l'émergence des nouveaux outils... Apple aujourd'hui, écran pico-projetés sur la page blanche demain ... ?
    Peu importe la technique, ce qui compte est la valorisation des contenus par un modèle économique qui fonctionne pour toute la chaîne de production et pas seulement la distribution. C'est bien dans ce domaine qu'internet a ouvert toutes les portes. Il faudra sans doute en refermer quelques unes pour continuer à créer. L'avènement du web mobile est-il une première clé ?

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  6. @Lorenzo
    Je n'ai pas clos mes interrogations, mais je suis sûr de deux choses :
    1 ce ne sont pas nos ministères myopes et manchots qui arrêteront quoi que ce soit ;
    2 le rouleau compresseur du commerce du divertissement à grande échelle est en route.

    Et ça n'a pas que du mauvais, que ce soit pour les clients, ou même pour les auteurs.
    Il y a des marges dans lesquelles on peut s'épanouir.

    En fait je crois que premièrement nous devons être sur (ou dans) la vague et y être en usant de toute notre capacité à penser et à faire librement ; ce que Thierry Crouzet crie (ou susurre) de bien des façons possibles.
    Et donc, deuxième chose, bien d'accord avec le fait que le temps des abstractions est passé. Agir, aujourd'hui, c'est innover, effectivement, c'est expérimenter, dans les faits, c'est faire et pas seulement penser à faire, et en parler. Et je ne dis pas ça pour vous, Nous avons deux jambes, la pensée et l'action, et on ne marche bien qu'avec les deux prenant chacune appui sur l'autre. On doit pouvoir combiner les deux dans un déséquilibre qui nous fasse avancer, non ?
    Une chose que j'apprécie et qui n'est pas si souvent explicite dans les débats et les controverses, c'est que cette question de "écriture-édition-lecture" ne concerne pas que la littérature, au sens fiction et artistique du terme, mais toute la production d'écrits, et même de transmission de pensées formalisées, y compris dans des "mix" multimédia.
    En tout cas je me sens parfaitement concerné alors même que ce n'est pas la littérature qui me passionne ( je vais me faire lyncher par quelques-uns ;-)) ).
    Je pense bien qu'Ouessant devait avoir quelque chose de ce barcamp que j'évoquais. C'est bien pour ça que j'ai regretté de ne pas pouvoir y être et que j'ai tenté de le suivre (en partie) et d'y intervenir par le chat et twitter. Ce qui ne m'enlève rien quant à la prise de recul, quant au temps long de la réflexion et de la maturation. Ca ne se passe pas dans le même rythme et dans les mêmes modes, mais ça ne se contredit pas. Et croyez-moi, c'est un digital emigrant qui vous le dis ;-)

    Est-ce que vous venez à Marseille de temps en temps ? Si c'est le cas, ou si on peut trouver une opportunité, ce serait bien de se voir. Je suis un papy de l'informatique et du web, mais je débarque dans l'édition, et j'ai beaucoup à apprendre.

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  7. @ Michel : il ne s'agit pas d'arrêter mais d'orienter, de tirer profit des expériences du passé aussi. Je voudrais fédérer ceux du papier et ceux du papiel, que l'édition "numérique" ne se construise pas dans une opposition ancien monde / nouveau monde, etc.
    Un nouveau post à venir dans quelques jours précisera certains de ces points...

    (J'ai mon frère à Marseille, c'est plus souvent lui qui monte à Paris, mais il m'arrive parfois de descendre, promis, la prochaine fois je vous ferai signe avant, que l'on discute de tout cela devant un Pastis sur le Vieux Port ;-))

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  8. Sans doute peut-on s'accorder sur le fait qu'en conclusion il y a matière à être satisfait et inquiet. Peut-être pas à propos de Numerile (dont je crois que l'effort soutenu de défricheur, de passeur, est primordial et salué) mais au regard de l'innovation elle-même : satisfait parce la nouveauté se développe, parce que des degrés de liberté s'ouvrent et des espaces d'expérimentation deviennent accessibles ; et inquiet, parce que "être quiet" serait de l'aveuglement ou de la surdité, voire de l'autisme, dans un tel monde. Si la fluidité de la pensée dérange et inquiète, c'est mieux que si elle est rassurante.
    C'est ce pour quoi certains écrivent, et d'autres s'évertuent à y faire venir des lecteurs.
    C'est aussi ce que disent les démangeaisons de tweets et de tchat. Le désir de savoir, de dire, d'entendre, d'être présent parmi d'autres, pour se faire tout de suite un présent qui ressemble à un futur.

    Vous m'apprenez ces bulles de créativité anticipatrice que sont cette machine à hypertexte, ou ces poèmes en langage sms avant l'heure ; ça c'est plutôt rassurant sur la créativité humaine. Mais de là à en tirer la conclusion que les technologies n'ont rien inventé, là il y a comme un glissement qui n'est pas que sémantique et qui ouvre un abime où on peut se perdre.
    Les technologies ne sont que des moyens, d'accord, il n'en demeure pas moins que les avoir ou pas donne, ou pas, corps à des usages, des pratiques, des relations, des flux, des rapprochements, qui peuvent changer tout ou partie de notre environnement cognitif et relationnel.
    Il y a une quinzaine d'années, à la préhistoire de l'internet (du moins aux yeux des médias et du grand public), le discours ambiant était : "mais non, ça ne change rien, c'est juste la continuation d'avant avec d'autres moyens ; c'est pas plus que le fax, ... etc ..." Sauf que ça a tout changé dans notre rapport à la connaissance et à sa transmission (je ne développe pas il y a de très bon bouquins là dessus). Nos usages, nos réflexes, notre vision des possibles, notre économie même, ont été bouleversés. Et ça en inquiétait plus d'un qui ne comprenait pas grand chose à ce qui leur arrivait.
    Alors oui, il y a des choses à perdre, et pas que des choses qu'on souhaite perdre. Comment cela pourrait-il en être autrement ? Et il est bon et utile de le dire, de l'évaluer, de s'en inquiéter, de faire ce qui parait possible, et souhaitable. Comme vous le faites.

    A suivre dans le commentaire suivant ...

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  9. Suite ...


    Et je vous rejoins tout à fait quant à l'idée que tout cela s'inscrit dans une "révolution" plus large, plus globale. Certainement. Et c'est justement cela qui est intéressant : de l'envisager comme un des champs d'exercice d'un mouvement plus large. C'est aussi, si j'ai bien entendu, ce que disent Thierry Crouzet, ou François Bon, et d'autres, quand ils recentrent sur les idées, les contenus, les paroles. Et c'est en cela qu'une avalanche de tweets est signifiante. La modestie des moyens technologiques, là encore si j'ai bien compris, mis en oeuvre par les organisateurs de Numerile manifeste aussi cela, que la technologie ne nous intéresse que par ce qu'elle permet de faire, ou par ce qu'elle révèle.
    L'important, au fond, est d'expérimenter, de faire, de réfléchir, de partager, de confronter, et de refaire, un peu ou beaucoup autrement.

    Quant aux jeunes, je ne crois pas qu'ils ne jurent que par Apple et se foutent du logiciel libre ; les jeunes sont ce qu'ils sont, disparates, dans leur jeunesse, dans leurs excès et leur pragmatisme. Certains regrettent leur absence d'idéologie, mais ils sont de fait un moteur. Ils votent avec leurs choix, leurs achats, leurs usages, ils entreprennent et consomment avec une lucidité et un désinhibition dont ma (notre ?) génération était très très loin. Et ils ne sont pas idiots. Ils sont souvent différents, ça c'est vrai. Et dérangeants.

    Et si le rôle de l'école est central, ou plutôt celui de l'éducation, ce n'est peut-être pas pour apprendre à coder, mais pour apprendre à lire, à se forger un imaginaire, des valeurs, à écrire aussi, à décoder des situations, des comportements, à reconnaitre des archétypes, à savourer les différences, etc ... Et pourquoi pas, aussi, à coder pour ceux à qui ça plait. A faire leurs "humanités" du 21e siècle.

    Pardonnez ce commentaire un peu long, mais chaque voix mérite d'être entendue, et qu'on lui réponde, à cause justement de la magnifique citation de Camus. Donc je voulais poursuivre la réflexion à haute voix, dans le désordre décousu qui convient aux cherchants incertains et opiniâtres.


    PS @Lorenzo banco pour le pastis Vieux Port.
    On pourrait même imaginer organiser un débat public avec vous et Thierry.

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  10. @ Michel : merci pour votre engagement, ici et sur Facebook, dans ce débat :-)
    Le mieux, le plus simple et le plus sympa, sera en effet d'en discuter avec du Pastis, ce que les NTIC ne nous permettent pas encore ;-) (et je dis cela en tant que connaisseur de Second Life où j'ai même donné des conférences).

    P.S.: Pour un débat public à Marseille entre Thierry et moi, pourquoi pas ? Mais qui pourrait sur place organiser et prendre en charge cette manifestation ?
    En tous cas il faudrait un modérateur qui connaissent bien, et le sujet, et nos travaux réciproques, pour que cela soit pertinent et l'échange constructif et intéressant pour l'auditoire.
    Nos points de vue à Thierry et à moi sont je pense davantage complémentaires qu'opposés, mais nous avons des approches et des mobiles différents je pense.

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