vendredi 15 juin 2012

Introduction à la table ronde : Des entrepreneurs français écrivent l'édition du 21e siècle

Le 13 juin dernier j'ai eu le plaisir de co-organiser et animer une table ronde consacrée aux entrepreneurs français qui écrivent l'édition du 21e siècle, dans le cadre du Salon OnlIne 2012 (Parc des expositions, Paris).
Une réussite, avec une salle comble de 120 personnes intéressées et quatre intervenants (voir ci-après) intéressants et que nous remercions chaleureusement.
 

Ci-après ma présentation d'introduction
(N.B. je publierai ici même prochainement les présentations des intervenants)
  
"Le livre en 2012 c’est toujours des pages imprimées reliées entre elles.
Mais son avenir c’est bien ce point d’interrogation blanc sur fond noir."
"En prospective du livre il m’arrive de remonter le fil jusqu’à l’acquisition de la bipédie, qui rendit possible le langage articulé, qui se fixa un jour dans les écritures, qui fut lu, qui fut copié, imprimé, qui est aujourd’hui numérisé… Il est facile de remonter le fil dans le passé. Beaucoup moins facile de le suivre dans l’avenir.
Et il est difficile de démêler le sac à nœuds dans lequel est aujourd’hui prise l’interprofession du livre." 
"Cette image représente bien la situation actuelle : le marché dominant reste celui d’un média imprimé qui apparaît obsolète, tandis que de nouveaux dispositifs de lecture, de nouvelles interfaces proposent des offres forcément disruptives, qui remettent en cause l’écosystème et ses leaders." 
"De tous temps, cette image d’une invention de mon ancêtre Agostino Ramelli, mathématicien et ingénieur militaire italien du 16e siècle, le prouve, livres et technologies ont été liés. Cette “Roue à livres” est l’ancêtre de l’hypertexte.
Toujours l'innovation a été motrice dans l'humanité pour la mise au point des écritures et le perfectionnement des dispositifs de lecture."
"Aujourd’hui nous sommes dans la dernière ligne droite de la période des e-incunables, initiée par Michael Hart en juillet 1971 avec la numérisation d’un premier texte : l’e-Text #1.
Dans cette dernière ligne droite d’une dizaine d’années (à supposer que la période des e-incunables dure 51 ans comme celle des incunables, premiers ouvrages imprimés entre 1450 et 1501) nous faisons la course avec les quatre cavaliers de l’apocalypse : le Web, Google, Amazon et Apple, qui cherchent à prendre le contrôle du marché de l’édition numérique.
Mais l’apocalypse n’est pas une fin, c’est un dévoilement…"
"Alors que va révéler le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique ? L’utopie qui se dessine pour le livre au 21e siècle semble être celle d’un contenu multimédia découplé de tout support, disponible en permanence, quels que soient l’heure et le lieu et le dispositif d’affichage, dont l’aspect soit personnalisable, et sur lequel le lecteur puisse échanger avec sa communauté. Est-ce souhaitable ? Que se passe-t-il dans la tête des lecteurs ?" 
"Ce n’est pas le lieu ici ce matin pour répondre à ces questions.
Notre mission aujourd’hui est de prouver qu’il n’y a pas que des mastodontes américains pour bâtir l’édition du 21e siècle, mais qu’il existe aussi des entrepreneurs français qui innovent et que nous devrions davantage soutenir.
Il y aurait  plus de 200 millions de francophones. C’est un marché considérable.
Je vais laisser la parole à Sophie Deniel de BookBéo pour qu’elle nous présente son concept de livres hybrides. Puis à Jean-Yves Hepp de QOOQ, qui je l’espère explicitera pour nous son choix d’avoir relocalisé en France la production de sa tablette tactile multimédia. Jean-Charles Fitoussi de SmartNovel va lui nous présenter sa solution de lecture en streaming, lancée à l’occasion du récent Festival du premier roman. Et enfin, Stéphane Leduc des éditions Leduc S., développera son point de vue et sa stratégie d’éditeur de livres imprimés par rapport au numérique et à ses attentes vis-à-vis des nouveaux dispositifs de lecture lesquels, loin de là, n’ont pas que des avantages !"
 
Contenus et complémentarité des supports
  
Cette table ronde, s'inscrivant dans le cadre des 5e Rencontres Presseedition.fr de la création de contenu et de la diffusion multicanal dans la presse, l'édition et la communication, était suivie de deux autres animées par Daniel Dussausaye :  "Presse et communication : 2012, année de tous les écrans, année de toutes les opportunités", et, "Les outils de la communication et du cross-média".
La conclusion de Pierre Barki (PDG de Barki Agency) à cette dernière table ronde aurait finalement pu conclure également les deux précédentes, dont celle consacrée à l'édition.
A savoir (je reformule et synthétise) : les contenus priment sur les supports, et, versant supports justement, l'avenir immédiat, voire à moyen terme, est dans la complémentarité des papiers et des écrans.
   

lundi 11 juin 2012

Prospective du livre de mai 2012 dans Numéritérature

Le numéro 3 du e-magazine Numéritérature qui vient juste de paraitre, publie les quatre opus du mois de mai de ma chronique hebdomadaire :

Semaine 18/52 :
Pas Occupy Saint-Germain-des-Prés
Semaine 19/52 : Le lecteur chimérique
Semaine 20/52 : Le livre devant soi
Semaine 21/52 : Le livre imprimé comme chrysalide,
... cela dans une version réécrite, qu'en pensez-vous ?
 

Le numéro est téléchargeable gratuitement en cliquant ici, et pour celles et ceux qui ne seraient pas équipés d'une tablette lisant le format epub (sans DRM), il suffit de télécharger préalablement le logiciel gratuit Calibre (par exemple) pour pouvoir lire facilement ce magazine sur votre ordinateur.
Une occasion à ne pas manquer donc, pour découvrir ce magazine consacré à l'édition numérique, versant techno, mais aussi littéraire. Une belle initiative à suivre de Willem Heremans.

dimanche 10 juin 2012

Semaine 23/52 : L’utopie qui se dessine pour le livre

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 23/52.
   
La disparition cette semaine de Ray Bradbury, l’auteur de Fahrenheit 451, sonne pour moi comme un nouveau coup de glas après le départ de Michael Hart en septembre 2011. Ce titre célèbre : Fahrenheit 451, fait référence au point d'auto-inflammation en degrés Fahrenheit du papier. Quel est son point d’inutilité en degrés de numérisation ?
N’oublions pas cependant le merveilleux acte final de Fahrenheit 451, merveilleux car porteur d’espoir et d’un sentiment de survivance : la résurgence d’un idéal socratique où les hommes sont les vivants véhicules des livres (des textes, des mots, de la parole, du Verbe…), lesquels n’ont finalement aucun besoin réel d’être tracés, écrits ou imprimés, pour traverser le temps (mythes et légendes en témoignent au fil des siècles), ni pour exercer leurs effets sur les humains que nous sommes.
 
Les pouvoirs de l’écrit, et de l’imprimé notamment, ne relèvent-ils pas davantage du conditionnement et de la propagande, du formatage des enseignements, que de l’entrainement de notre liberté d’esprit ? 
   
Utopie ou dystopie ?
J’ai relu cette semaine un autre grand classique des dystopies : Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley (1932). L’épigraphe en français en est cet avertissement du penseur russe Nicolas Berdiaeff : « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?... Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins « parfaite » et plus libre. ».
  
Alors la question qui se pose à moi est : quelle est en juin 2012 notre utopie collective pour le livre ?
Apparemment, un contenu multimédia découplé de tout support, disponible en permanence, quels que soient l’heure et le lieu et le dispositif d’affichage, dont l’aspect soit personnalisable, et sur lequel le lecteur puisse échanger avec sa communauté. (C’est là une première approche, n’hésitez pas à proposer des amendements en commentaires !)
   
La face obscure de cette utopie a pour moi plusieurs facettes : le possible contrôle de mes lectures par des personnes ou des instances dont je ne souhaite pas qu’elles contrôlent mes lectures ; l’intégrité des textes (notamment vis-à-vis de leur contamination publicitaire, mais pas seulement…) ; le risque de dépendance par rapport à un fournisseur de « contenus » et de dépendance économique (avec des abonnements, « bouquets », etc.), mais aussi la nécessité de devoir acheter et racheter régulièrement mon « terminal de lecture » (nous vivons déjà cela avec la téléphonie mobile !) ; enfin, le risque de perte subite (effacement volontaire ou action malveillante, panne technique, bug, aléa électrique…) ou d’impossibilité d’accès aux livres (le cas s’est déjà produit durant l’été 2009 où Amazon, pour des questions contractuelles de droits, a fait usage de la back door (porte dérobée) dont il dispose sur ses liseuses Kindle pour effacer d’autorité des milliers d’exemplaires légalement acquis d’une autre dystopie, 1984, de George Orwell ­ étrange hasard ! mais pensons également aux difficultés actuelles pour les utilisateurs de MegaUpload pour récupérer leurs contenus légaux la légalité du plus fort prime sur celle des plus faibles).
(Une nouvelle fois, n’hésitez pas à compléter ou réagir en commentaires !)
  
Pour moi la question reste donc posée avec une acuité, avec une insistance particulière : vers quelle utopie tendre pour le livre au 21e siècle ?
 

samedi 9 juin 2012

Journée d’étude trans-immersion : le post-lecteur ?

Je n’aurais pas ici la prétention d’essayer de refléter la richesse et la variété des interventions de la journée d’étude sur la trans-immersion du 07 juin 2012 à la Sorbonne, organisée par le CEAQ (Centre d’Etude sur l’Actuel et le Quotidien), seulement en esquisser, par associations d’idées, des points de contact avec la prospective du livre.
Il s’agissait « d’une journée d’étude consacrée à la tendance sociétale que l’on désigne par “immersion”, qu’elle soit sensorielle et/ou fictionnelle. Il apparaît qu’elle concentre de nombreux enjeux : corporels, imaginaires, environnementaux, technologiques, esthétiques, sociétaux… ».
 
Pour ma part je remarque d’entrée de jeu que les problématiques de l’immersion relèvent donc bien de l’actuel et du quotidien.
De fait, les lieux émergeants de l’immersion se multiplient (avec les jeux vidéo et leurs multiples déclinaisons, la 3D, l’amélioration des conditions et des vitesses de connexion…).
Et de fait, pour certains expérimentateurs ou explorateurs, un passage s’ouvrirait déjà de l’immersion à la trans-immersion, laquelle suppose une prise de conscience d’un certain changement d’identité au cours de l’expérience immersive. De ma propre expérience personnelle de Second Life depuis 2007, puis depuis 2011 sur Opensim et plus particulièrement Francogrid avec le lancement en janvier 2012 de l’incubateur MétaLectures, j’ai été récemment amené à évoquer spontanément pour parler de nous autres internautes : d’extensions biologiques des avatars ! « Je est un autre [dupliqué] » (ou « Je [dupliqué] est un autre ») ?
 
Ce serait de l’immersion que la lecture émerge
  
Mais quels rapports avec la prospective de la lecture et du livre ?
L’expérience immersive narrative de la lecture et le récit expérientiel (récits de son immersion, autobiographies…) peuvent trouver selon moi de nouveaux chemins d’expression dans l’expérience des espaces et des temporalités spécifiques des nouveaux territoires digitaux (hypergrid) qui seraient en fait, considérant qu’il s’agit là d’inventions purement humaines, une dilatation de notre réalité.
 
L’immersion est notre condition naturelle. Aussi ne pourrait-on pas envisager l’immersion première dans la nature, comme le principal déclencheur de l’acquisition du langage articulé (d’une part, avec peut-être depuis une perte du degré d’implication originelle, que nous rechercherions justement avec des substances psychotropes ou l’adjonction de (nouvelles) technologies, d’autre part, mise en perspective avec le passage à la bipédie, toutes les espèces vivantes étant immergées dans la nature, et ayant d’ailleurs leurs propres langages…), un déclencheur de l’acquisition du langage articulé donc, et qui serait comme, sinon une simple remise en ordre du désarticulé (protolangue chantée), une ré-articulation, suite à l’acquisition de la bipédie et à la domestication de l’environnement en paysage familier, nommé en ses éléments, attestant sa présence au monde, la conscience de soi dans ce paysage, et sa propre lecture subjective du monde.
 
Il y a sans doute eu lecture avant qu’il y ait écriture.
Si nous sommes un jour devenus bipèdes et nous sommes mis en marche, alors c’est ce jour-là que la lecture aurait commencé.
Depuis l’aube des temps et la multiplication convergente des mythes de la création du monde (cosmogonies) nous sommes tous de fait immergés dans un véritable multivers romanesque.
 
Une nouvelle fois, beaucoup plus d’interrogations donc que de réponses dans ces réflexions spontanées à cette riche journée d’étude du CEAQ.
Le post-humain (si post-humain il y a un jour) sera un post-lecteur.
Face à cet horizon incertain encore, une redéfinition confiante des écrans pourrait-être la suivante : « Écran : extension de la page ».
Ce qui est certain je pense, c’est que le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique nous invite à une relecture de la lecture.

dimanche 3 juin 2012

Semaine 22/52 : Lire, de la symbiose à l’osmose

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 22/52.
  
Plusieurs événements récents m’incitent à essayer de revenir aux fondamentaux.
L’instabilité logicielle des technologies numériques place l’utilisateur que je suis en position de faiblesse. Face à un écran noir, notre sentiment de vulnérabilité augmente et nous rappelle à notre condition de mortels. Pire que devant la page blanche je trouve, car là d’un coup la maîtrise de l’outil nous manque.
C’est pourquoi il est urgentissime je pense d’enseigner dans les écoles, au plus tard dès le collège, les principaux codes informatiques, ces langages de programmation (et la formule en dit long : langage de programmation !). Nous courons sinon le risque de produire en masse des Bêta, voire des bataillons de Gamma tout droit sortis du Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley.
   
Un humanisme numérique ?
    
J’ai commencé cette semaine la lecture de l’essai de Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique (version ebook chez Publie.net) dont, je ne sais pourquoi, je m’étais tenu éloigné jusqu’alors. Je reviendrais peut-être sur cette lecture en cours dans les semaines à venir. La perspective historique qu’adopte Milad Doueihi, les notions de spatialisation et d’hybridation qu’il développe, se retrouvent dans mes réflexions.
Mais il faut je pense en revenir carrément aux fondamentaux, et du codex, et du commencement de l’aventure de l’humanité pensante avec l’acquisition du langage articulé et la réflexion sur soi.
Je l’ai déjà dit : les anthropologues de l’écriture et de lecture devraient s’exprimer sur la crise de croissance que le livre traverse. Il s’agit, en quelque sorte si je puis dire, de poursuivre la phrase, la geste inachevée de Gutenberg et des premiers typographes. Car pour ne pas sombrer dans un asservissement de l’homme soumis à un unique média de masse, codant sa conduite dans une société panoptique, il faudrait qu’il y ait à la fois continuité et transcendance et que nous allions, en effet, vers un humanisme numérique.
Dans ce contexte revenir aux fondamentaux serait pour moi questionner à nouveau la (les) surface(s) sur laquelle nous écrivions. C’est la notion de page, historicisée depuis les tablettes mésopotamiennes jusqu’aux liseuses de cette année 2012. Reprendre sous un autre angle peut-être l’approche de Pascal Quignard dans Petits traités I. Ou bien embarquer sur cette caravelle des « solides de langues » qu’il évoque.
  
Un horizon sonore ?
 
De la page comme surface cultivable qu’un seul regard peut embrasser, au recto verso de feuilles reliées, en passant par la partie du rouleau avec ses deux colonnes de texte offertes à la lecture, qu’est-ce qui aujourd’hui remet la page en jeu ?
J’ai longtemps pensé que c’était sa réinscriptibilité. J’étais dans l’erreur. Les tablettes d’argile étaient réinscriptibles tant qu’elles n’avaient pas été séchées au soleil, el les tablettes de bois évidées et emplies de cire des Romains de l’Antiquité, lesquelles étaient reliées avec des lanières de cuir, l’étaient également. D’ailleurs les palimpsestes attestent de la poursuite sur parchemins de cette pratique tout au long du moyen-âge.
La perte du recto/verso ? La présentation d’une surface unique, et la tabularité — la composition du texte en plusieurs modules autonomes mais interdépendants les uns des autres, sont également d’anciennes pratiques attestées.
« L’écriture, écrit Pascal Quignard [XVIIe Traité : Liber], tout à la fois matérialise et rompt en morceaux la langue jusque-là continue, magique, venteuse, invisible, aérienne. L’écriture précipite la langue. Le livre est le seul précipitat de langue. « Liber » est le nom de cette cristallisation et de ce démembrement des parties de la phrase parlée. ».
   
Qu’est-ce qui aujourd’hui remettrait la page en jeu ?
La connexion peut-être. Les hommes et les textes ont toujours été connectés. Mais entre la roue à livres et l’hypertexte il y a incontestablement un progrès technologique.
De nouvelles pratiques d’écritures collectives et de lectures sociales se cristallisent.
Les auteurs et les lecteurs qui arrivent encore à se tenir à distance ne vont bientôt plus pouvoir nier la porosité de plus en plus importante entre l’univers physique du livre et ce méta-univers, qui prend forme par la magie d'une nouvelle écriture : le code informatique.
Un univers parallèle, avec ses galaxies de l’imaginaire et des fictions littéraires, se rapproche et va fusionner avec ce que nous appelons “notre réalité”.
L’écrit (re)devient continu, magique, venteux, invisible, aérien.
Émis depuis des satellites ou fusant dans des fibres optiques, le texte est aujourd’hui un flux continu de données véhiculé par l’électricité et la lumière.
Le sentiment d’immersion qui nous est apporté par certaines lectures va devoir se mesurer à l’aune de nouvelles expériences trans-immersives d’écoute du monde, de lectures moins intellectuelles et plus perceptives peut-être, sensibles, qui marqueraient le passage du lecteur vers une symbiose, puis une osmose, avec la respiration des codes (langues et nombres).
  

dimanche 27 mai 2012

Semaine 21/52 : Le livre imprimé comme chrysalide

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 21/52.
   
Je suis resté cette semaine sur la question : quelle orientation prend cette chronique ?
 
Comme souvent peut-être, la réponse est dans la question : c’est davantage l’écriture régulière de mes réflexions presque en continu sur la prospective du livre, qui décide de la forme et du sens de ce rendez-vous hebdomadaire, qu’un travail objectif d’analyse.
Est-ce que je choisis ainsi la voie la plus facile, celle de me laisser aller à mon inspiration, ou bien, la voie étroite, celle qui conjuguerait l’intime à une véritable approche globale de ces questions du devenir du livre et de la lecture ?
 
Cette préoccupation rejoint au fond ce que j’ai exprimé en novembre 2010 sur ce blog de "P.L.E. Consulting" (où le mot "Consulting" heurte en somme) avec cette Charte éthique dont voici l’essence : « je m’attache à mettre en pratique dans mon travail, davantage qu’un ensemble de principes de bonne conduite, relevant de la déontologie professionnelle, un code moral personnel.
Car l’avenir du livre et de la lecture est vraiment ma préoccupation quotidienne.
Aussi curieux, voire stupide ou inconvenant, que cela puisse paraître pour un consultant, mon objectif n’est pas de gagner un maximum d’argent, en vendant du vent (ou des applications), en reformulant aux professionnels de l’interprofession du livre ce qu’ils disent eux-mêmes et veulent entendre en écho, en leur fourguant des solutions-recettes qui seront demain matin obsolètes.
Dans le cadre moral, que j’ai de ma propre et libre volonté décidé d’appliquer dans l’exercice de mon activité de consultant, les principales missions que je me donne sont :
- Rapprocher les acteurs des filières de l’édition imprimée, et, de l’édition numérique.
- Informer l’ensemble des partenaires de la chaine du livre imprimé, des auteurs aux lecteurs, des enjeux de la digitalisation du livre.
- Former les professionnels en les informant, l’objectif étant de leur donner une perspective historique et prospectiviste juste, pour qu’ils puissent développer des stratégies adaptées et pérennes, responsables aussi.
- Former en les informant, les jeunes des filières du livre, mais aussi de la communication et de la publicité, du marketing, de la gestion et de la médiation de projets culturels, du design et de l’ingénierie culturelle, sur l’édition du siècle. Susciter des vocations… »
  
Être ou ne pas être héroïque ?
   
J’ai relu récemment Eroïca, de Kosmas Politis. Un roman d’une puissance poétique extraordinaire. Cela dit, je n’y retrouve pas une citation précise, que je ressens pourtant comme liée à l’expression de ma pensée (la recherche plein texte manque aux ouvrages imprimés, il faut le reconnaître).
L’esprit de cet oubli est que le papillon est peut-être le rêve des chenilles.
 
Au fond je vois deux points de vue pour aborder la prospective du livre :
- considérer que nous sommes face à un tsunami numérique balayant et recouvrant le vieux monde d’un nouveau continent du flux et de la fluidité, emportant les anciens codes (dont l’écrit)…
- ou bien considérer le livre, non plus dans les limites que nous lui assignons, mais comme une interface, et la lecture comme une activité naturelle et essentielle du vivant pour déchiffrer le monde et y vivre.
Ce deuxième point de vue considère le livre comme une chenille.
C’est celui que j’adopte à ce jour.
En somme de l’argile au pixel les supports d’écriture se métamorphoseraient.
Ce que nous appelons livre (imprimé sur papier) serait une chrysalide.
    
En pensant cette semaine aux mystères de la lecture immersive, ou peut-être, plus exactement : à l’immersion du lecteur dans sa lecture, j’ai repensé à La maison du retour, témoignage de Jean-Paul Kauffmann en 2007, et particulièrement à cet extrait (que j’ai facilement retrouvé sur le web) : « Comme beaucoup de gros liseurs, j’ai longtemps entretenu un commerce névrotique avec les livres. Peur d’en manquer ? [] Un jour, cette crainte est devenue réalité. J’ai dit combien j’avais été privé de livre pendant ma détention au Liban. Ils m’ont aussi sauvé. Quand je n’avais rien à lire, je me remémorais les lectures d’avant. Il ne s’agissait que d’une reconstitution. Évidemment ces romans, je ne les savais pas par cœur. Les poèmes, oui. Je pouvais en réciter encore un certain nombre. Pour le reste, je me livrais à une tentative de rétablissement ou de représentation d’une chose disparue. L’exercice m’absorbait à ce point que je parvenais pendant un certain temps à oublier ma condition. [] Après ma libération, j’ai vite constaté avec un serrement au cœur que mon rapport aux livres avait radicalement changé. Quelques bouquins m’étaient parvenus dans ma geôle. Jamais je n’ai dévoré avec autant d’intensité. J’oubliais la cellule. [] l’homme libre ne peut lire avec une telle concentration. Il est sans cesse distrait, éparpillé par le plein exercice de sa liberté. [] La liberté nous émiette. Enchaîné, j’ai connu à la lueur d’une bougie l’adhésion absolue au texte, la fusion intégrale aux signes qui le composaient – la question du sens, je le répète, était secondaire.
Cet acquiescement total, je ne parviens pas à le retrouver depuis ma délivrance. [] Je le constate avec tristesse : j’ouvre désormais les volumes d’un geste machinal et les parcours mollement. Manque cette vigilance impérative, élémentaire, qui m’a prémuni du désespoir. »
Cela doit je pense interroger tous les "gros liseurs".
   
Il m’est difficile pour l’instant d’argumenter cette sensation intime, à savoir que mon point de vue sur la prospective du livre nait, au-delà de ma propre pratique de la lecture, d’une intuition sur les propriétés immersives de la lecture. Intuition que je ne peux encore formuler.
Peut-être ne s’agit-il que d’un mouvement de l’âme.
Peut-être est-ce réellement ce qu’il se passe en ce moment même où vous me lisez.
Comment savoir ?
   
Lire nous met sur des chemins qu’il y a, je trouve, une certaine élégance à emprunter ; aujourd’hui plus qu’hier peut-être. Mais nous devons forcément composer avec une réalité aux multiples facettes.

samedi 26 mai 2012

Le Roman de l'Espèce

Hier soir, 25 mai 2012, une vingtaine d'internautes avatarisés ont rejoint l'équipe de MétaLectures pour suivre en situation d'immersion sur le web 3D de Francogrid la conférence de Karen Guillorel : “e-troubadours : parler des livres, des terroirs aux mondes virtuels”. Quelques dizaines d'autres nous ont suivi en direct sur la web radio de Silicon Maniacs ou le live stream de Francogrid. Merci à tous !
 
Ci-après le texte de mes quelques mots d'introduction à la conférence de Karen, dont l'aventure se poursuit, avec hier précisément le lancement d'E-Migrations 3D Website qui permet aujourd'hui à tous de partager l'expérience poétique des e-Troubadours...
   


INTRODUCTION A LA CONFERENCE
" Bonsoir à toutes et à tous et merci pour votre présence.
Nous accueillons ce soir dans Francogrid pour cette 10e manifestation sur MétaLectures : Karen Guillorel. Merci à elle.
Le thème, le parcours qu'elle va retracer pour nous ce soir est celui des e-Troubadours.
En accédant à la bipédie et en se mettant en marche, nos ancêtres ont commencé à écrire le roman de l'espèce.
Ce qui les a poussés à se mettre en route dans un monde qui n'avait alors aucune voie tracée, comme eux, nous n'avons pas les mots pour le dire, pour l'exprimer. Mais c'est sans doute la même impulsion, c'est sans doute le même besoin, qui nous fait nous réunir ce soir ici.
Progressivement, de la marche aurait émergé une protolangue chantée, de laquelle différents langages articulés auraient pris formes.
Ce furent alors des siècles de nomadisme et de grandes civilisations de l'oralité.
Puis d'autres générations allaient se sédentariser et inventer les écritures, des nombres et des langues.
Ce n'est que bien plus tard que l'on inventa l'imprimerie!
Ce soir, où en sommes-nous de cette épopée ?
Comme les explorateurs qui se lançaient sur l'immensité des océans ou à la découverte de terra incognita, quelques internautes avatarisés se lancent aujourd'hui dans l'hypergrid, cette connexion de mondes numériques qui préfigure le web 3D immersif de demain. (Et demain c'est bientôt.)
Aujourd'hui les territoires digitaux nous apparaissent de plus en plus comme une extension du Réel.
Même celles et ceux qui ignorent l'existence d'Opensim, ou bien qui confondent Opensim et Second Life et limitent Second Life à un jeu, même eux ne peuvent que constater la porosité de plus en plus importante entre leur univers physique et ce méta-univers, qui prend forme par la magie d'une nouvelle écriture : le code informatique.
Il ne s'agit donc pas (ou plus, maintenant que nous avons le code pour nous le révéler) d'un univers parallèle.
Nous allons vers la symbiose, puis l'osmose.
C'est dans cette symbiose, que quelques-uns appellent réalité augmentée et réalité mixte, que se dessinent de nouvelles routes et que commence à s'écrire la suite de notre aventure.
De nouveaux explorateurs vont au contact des digiborigènes. Des e-troubadours font le lien et prennent des chemins de traverses.
Karen Guillorel parcourt, découvre et trace ces chemins depuis des années déjà.
C'est cette aventure qu'elle va conter ce soir, pour nous, pour vous qui, il y a plus ou moins longtemps, avez franchi ce pas, celui de cheminer, à la fois, dans le monde physique et dans ses extensions numériques.
Bonne soirée à tous, et merci Karen pour ce voyage que nous allons faire ce soir avec toi."
  
P.S. : Karen Guillorel participera également le 16 juin prochain à Paris au Real Time Poetry Game # Conduit d’Aération, "implémentation du dispositif Real Time Poetry Game, réalisé par l’EnsadLab/EN-ER dans le cadre d’un partenariat avec la société Ubisoft. Le projet est soutenu par le Labex Arts H2H et sera présenté le 16 juin au Centquatre, dans le cadre du Festival Futur en Seine 2012."