dimanche 10 juin 2012

Semaine 23/52 : L’utopie qui se dessine pour le livre

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 23/52.
   
La disparition cette semaine de Ray Bradbury, l’auteur de Fahrenheit 451, sonne pour moi comme un nouveau coup de glas après le départ de Michael Hart en septembre 2011. Ce titre célèbre : Fahrenheit 451, fait référence au point d'auto-inflammation en degrés Fahrenheit du papier. Quel est son point d’inutilité en degrés de numérisation ?
N’oublions pas cependant le merveilleux acte final de Fahrenheit 451, merveilleux car porteur d’espoir et d’un sentiment de survivance : la résurgence d’un idéal socratique où les hommes sont les vivants véhicules des livres (des textes, des mots, de la parole, du Verbe…), lesquels n’ont finalement aucun besoin réel d’être tracés, écrits ou imprimés, pour traverser le temps (mythes et légendes en témoignent au fil des siècles), ni pour exercer leurs effets sur les humains que nous sommes.
 
Les pouvoirs de l’écrit, et de l’imprimé notamment, ne relèvent-ils pas davantage du conditionnement et de la propagande, du formatage des enseignements, que de l’entrainement de notre liberté d’esprit ? 
   
Utopie ou dystopie ?
J’ai relu cette semaine un autre grand classique des dystopies : Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley (1932). L’épigraphe en français en est cet avertissement du penseur russe Nicolas Berdiaeff : « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?... Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins « parfaite » et plus libre. ».
  
Alors la question qui se pose à moi est : quelle est en juin 2012 notre utopie collective pour le livre ?
Apparemment, un contenu multimédia découplé de tout support, disponible en permanence, quels que soient l’heure et le lieu et le dispositif d’affichage, dont l’aspect soit personnalisable, et sur lequel le lecteur puisse échanger avec sa communauté. (C’est là une première approche, n’hésitez pas à proposer des amendements en commentaires !)
   
La face obscure de cette utopie a pour moi plusieurs facettes : le possible contrôle de mes lectures par des personnes ou des instances dont je ne souhaite pas qu’elles contrôlent mes lectures ; l’intégrité des textes (notamment vis-à-vis de leur contamination publicitaire, mais pas seulement…) ; le risque de dépendance par rapport à un fournisseur de « contenus » et de dépendance économique (avec des abonnements, « bouquets », etc.), mais aussi la nécessité de devoir acheter et racheter régulièrement mon « terminal de lecture » (nous vivons déjà cela avec la téléphonie mobile !) ; enfin, le risque de perte subite (effacement volontaire ou action malveillante, panne technique, bug, aléa électrique…) ou d’impossibilité d’accès aux livres (le cas s’est déjà produit durant l’été 2009 où Amazon, pour des questions contractuelles de droits, a fait usage de la back door (porte dérobée) dont il dispose sur ses liseuses Kindle pour effacer d’autorité des milliers d’exemplaires légalement acquis d’une autre dystopie, 1984, de George Orwell ­ étrange hasard ! mais pensons également aux difficultés actuelles pour les utilisateurs de MegaUpload pour récupérer leurs contenus légaux la légalité du plus fort prime sur celle des plus faibles).
(Une nouvelle fois, n’hésitez pas à compléter ou réagir en commentaires !)
  
Pour moi la question reste donc posée avec une acuité, avec une insistance particulière : vers quelle utopie tendre pour le livre au 21e siècle ?
 

5 commentaires:

  1. Une issue ? : le modèle hybride qui permet de conserver les contenus sur un support physique et qui autorise l'accès libre aux abonnements des contenus connectés...

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  2. Les Utopies doivent être plurielles et donc partielles. Il nous faut maintenir la liberté d'y entrer et d'en sortir et éviter la phase "corporatiste-clientèliste" où on fait partie et on s'aligne sur les besoins d'une utopie-clan-parti-église.

    Le contenu-livre a moins de problèmes que les individus surveillés et fichés, bien au delà de leurs lectures.

    Ceci étant, la défense contre toute utopie tentée par nous englober (comme le font Apple ou Google), est de pouvoir stocker en au moins 2 endroits indépendants et de pouvoir communiquer, éventuellement krypté, sur au moins 3 canaux indépendants. Ce qui n'est pas le cas actuellement et me semble prioritaire.

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  3. Utopie du livre : Portabilité, interopérabilité, bibliothécabilité (celle de son choix)et sa durabilité...

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  4. Ce qui est proposé ici n'est pas, hélas, une utopie mais bien une dystopie. http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2012/06/10/je-nai-pas-le-droit-de-lire-le-livre-que-jai-achete

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  5. J'ajoute également que la durée de vie moyenne d'un livre papier est de 500 ans minimum (voir plus quand l'hygrométrie le permet) ce qui n'est pas le cas du numérique, bien plus volatil (dixit la durée de vie d'un CDROM, d'une cassette magnétique de sauvegarde, d'un disque dur, même SSD). Bref, en plus de brider les possibilités de lectures par des process propriétaires, on scie la branche sur laquelle on est assis en migrant vers des supports volatiles.
    Pourquoi ne pas utiliser le numérique pour créer de nouveaux type de création, de nouvelles narrations, mais sans pour autant que cela n'amène la disparition du support papier pour véhiculer sa pensée ?

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