Cet écho personnel n'est en aucun cas une synthèse (les présentations slides des intervenants et une synthèse, entre guillemets, "officielle", devraient prochainement être mises en ligne par les organisateurs), mais ma réaction, forcément subjective, face à des discours plutôt consensuels et qui semblent davantage entretenir le statu quo actuel qu'assumer les changements inévitables liés au développement d'un marché de l'édition numérique.
Il ressort d'emblée de cette journée d'étude (présentations, trois tables rondes, et conclusion sympathique mais improvisée par Arnaud Beaufort, directeur des Services et réseaux BnF), que les enjeux de la normalisation sont considérables.
Pour les résumer en une formule lapidaire je dirais : la normalisation rend possible l'échange dont l'interopérabilité résulte.
Pour les résumer en une formule lapidaire je dirais : la normalisation rend possible l'échange dont l'interopérabilité résulte.
La normalisation apparait indispensable à l'interopérabilité.
L'introduction fut d'ailleurs franche - une déclaration telle que : "La normalisation rapporte", pouvant être comprise de multiples façons. Cela dit, il ressort à mon sens de cette journée que l'interprofession du livre tend surtout à développer des stratégies de ralentissement et à reproduire au marché du livre numérique les règles jusqu'à ce jour applicables au marché du livre imprimé. C'est aller droit dans le mur.
Une coque de noix sur l'océan...
Dans le nuage de questions soulevées par cette étrange conduite j'ai cependant relevé quelques rayons de soleil, quelques traits plus éclairants sur les véritables enjeux...
Virginie Clayssen (directrice de la stratégie numérique du groupe Editis) qui a recentré la problématique sur les lecteurs (ce que je ne peux qu'approuver) : "Je dois pouvoir acheter un livre où je veux, le lire avec le terminal de mon choix et conserver l'accès à mes livres numériques si je change de terminal de lecture et/ou de fournisseur."
Virginie Clayssen (directrice de la stratégie numérique du groupe Editis) qui a recentré la problématique sur les lecteurs (ce que je ne peux qu'approuver) : "Je dois pouvoir acheter un livre où je veux, le lire avec le terminal de mon choix et conserver l'accès à mes livres numériques si je change de terminal de lecture et/ou de fournisseur."
Autre formule choc lancée par Virginie Clayssen: "Ne pas laisser les utilisateurs à Amazon !".
Alain Pierrot (Business development manager au sein d'I2S) que j'ai revu avec plaisir, précisa lui avec une vraie pertinence que, si on se rallie à un standard comme à un étendard, on se conforme à une norme (comprenne qui pourra).
Alain Pierrot (Business development manager au sein d'I2S) que j'ai revu avec plaisir, précisa lui avec une vraie pertinence que, si on se rallie à un standard comme à un étendard, on se conforme à une norme (comprenne qui pourra).
A titre purement personnel, je n'ai jamais vraiment été dans les normes ;-) et je considère que dans le domaine du livre, qu'il soit imprimé, numérisé ou numérique, une norme n'est nécessaire que si elle rend possible l'accessibilité, non si elle la contrôle.
Hadrien Gardeur (co-directeur de la librairie numérique Feedbooks et animateur du groupe de travail qui développe la spécification OPDS) résuma bien le voeu pieux de beaucoup : "Créer un écosystème basé sur des standards ouverts, permettant à n'importe qui de constituer une collection, de naviguer dans celle-ci et d'acquérir des ressources associées, depuis n'importe quelle source, et dans n'importe quel environnement."
La présentation de Marc Jajah (doctorant à l'EHESS, auteur de Sobookonline, spécialisé dans le livre numérique et les pratiques d'annotation) m'a quant à elle surtout conforté dans mon a priori sur l'impossibilité à ce jour de pouvoir retrouver ses annotations, dès lors que l'on change de dispositif de lecture. Vouloir aujourd'hui retrouver des notes au sein de textes en évolution constante, parfois issus de pratiques d'écritures collaboratives, revient à vouloir géolocaliser une coque de noix sur les océans !
Deux autres points à retenir d'après moi :
Hadrien Gardeur (co-directeur de la librairie numérique Feedbooks et animateur du groupe de travail qui développe la spécification OPDS) résuma bien le voeu pieux de beaucoup : "Créer un écosystème basé sur des standards ouverts, permettant à n'importe qui de constituer une collection, de naviguer dans celle-ci et d'acquérir des ressources associées, depuis n'importe quelle source, et dans n'importe quel environnement."
La présentation de Marc Jajah (doctorant à l'EHESS, auteur de Sobookonline, spécialisé dans le livre numérique et les pratiques d'annotation) m'a quant à elle surtout conforté dans mon a priori sur l'impossibilité à ce jour de pouvoir retrouver ses annotations, dès lors que l'on change de dispositif de lecture. Vouloir aujourd'hui retrouver des notes au sein de textes en évolution constante, parfois issus de pratiques d'écritures collaboratives, revient à vouloir géolocaliser une coque de noix sur les océans !
Deux autres points à retenir d'après moi :
- L'importance de la normalisation pour les problèmes d'accès aux livres numérisés et numériques par des lecteurs malvoyants (intervention hier de Fernando Pinto da Silva, coordinateur du CERTAM - Centre d'évaluation et de recherche sur les technologies pour les aveugles et les malvoyants). Les difficultés liées aux dyslexies et aux dyspraxies devraient aussi être prises en considération, au-delà des contingences commerciales.
- L'importance d'une normalisation catégorielle et évolutive des métadonnées de gestion bibliographique, métadonnées de référencement et de description. De plus en plus le problème va en effet être de TROUVER.
Globalement les messages passés relevaient donc d'un registre de l'optimisme, à l'image de l'intitulé de la dernière table ronde du jour : "La normalisation, levier pour de nouveaux usages" et dont la présentation à laquelle je ne puis que souscrire précisait sommairement : "On ne fait pas rentrer les usages dans des normes, mais on normalise pour permettre le développement des usages : on a besoin de standards pour récupérer des livres et constituer des catalogues, ou pour partager sa lecture.".
Globalement les messages passés relevaient donc d'un registre de l'optimisme, à l'image de l'intitulé de la dernière table ronde du jour : "La normalisation, levier pour de nouveaux usages" et dont la présentation à laquelle je ne puis que souscrire précisait sommairement : "On ne fait pas rentrer les usages dans des normes, mais on normalise pour permettre le développement des usages : on a besoin de standards pour récupérer des livres et constituer des catalogues, ou pour partager sa lecture.".
Le singe qui refuse de devenir un homme
Malgré ce bel optimisme affiché, quoique assez réservé, le difficile contexte des laborieuses réflexions de cette journée d'étude peut être je pense caractérisé par ces quelques points :
- la pression indéniable sur le marché et les usages des "standardisations de fait", imposées aux consommateurs (aux lecteurs) par des marques monopolistiques (Amazon, Apple...),
- le glissement de la valeur du contenu au service, le fait de ne plus acheter un livre, mais, un droit d'accès associé à certains types d'usages limités,
- le glissement du lecteur de livres vers l'utilisateur d'un dispositif de lecture, avec ses contraintes techniques et la nécessité d'un service après-vente...
Mais, et je l'ai vivement ressenti hier, complexifier de tels sujets permet surtout de ne pas leur apporter de réponses concrètes. Abondance d'acronymes, textes de référence abscons et en anglais, absence d'un vocabulaire commun à l'interprofession pour désigner de mêmes réalités relativement simples à apréhender, autant de stratégies plus ou moins conscientes, plus ou moins volontaires, mais qui participent à complexifier les choses.
Le refus entêté aussi de s'entendre autour d'une définition simple du livre numérique (refus qui se fait passer pour une impossibilité) est symptomatique je pense de cette stratégie du ralentissement et des intérêts en jeu. Et, de fait, ces tergiversations font le jeu, tant des lobbies des industries graphiques que de ceux des majors anglo-saxonnes du numérique.
J'abordais ces questions de la définition du livre numérique en janvier 2009 dans mon Livre blanc sur la prospective du livre et de l'édition, qui aurait pu à l'époque servir de plateforme à une réflexion collective.
En conclusion, si les enjeux de la normalisation semblent vitaux pour le développement de l'édition numérique ce n'est pas gagné. Je dirais même que la situation est préoccupante.
En général, je l'ai encore observé hier, tous ces défenseurs de l'interopérabilité sont les heureux possesseurs d'iPad et de Kindle. Leurs actes de consommateurs trahissent ainsi les discours que leurs positions professionnelles les obligent plus ou moins à tenir. Nous sommes peu de choses.
Et, comme souvent, comme toujours, il a manqué je pense parmi les intervenants un historien du livre capable de remettre les enjeux en perspectives et de nous entretenir, par exemple, des problématiques de la normalisation à l'époque des incunables.
Et, comme souvent, comme toujours, il a manqué je pense parmi les intervenants un historien du livre capable de remettre les enjeux en perspectives et de nous entretenir, par exemple, des problématiques de la normalisation à l'époque des incunables.
Cela dit, je pense que bien au-delà de cette journée d'étude à la BnF, dans la vraie vie, l'univers mental des lecteurs s'élargit, et que tous développent plus ou moins des stratégies personnelles, petites ruses pour accéder aux livres qu'ils souhaitent vraiment lire, pour y prendre plaisir et pour les partager.
Rendez-vous est donc pris pour une nouvelle journée d'étude sur ce même sujet à la Saint Glinglin de l'an 2000 quelque chose. Mais serons-nous encore là pour débattre du sexe des anges ?
Car quel poids a l'AFNOR face à Google, Amazon, Apple ? (Par ailleurs je m'interroge s'il ne serait pas plus... normal justement, que ces problématiques de normalisations internationales soient entre les mains de la puissance publique et que leurs données soient en accès libre pour tous les citoyens...).
Que pèse réellement, face à Google, Amazon, Apple (d'ailleurs, qui étaient leurs grandes oreilles hier à la BnF ? Ou était-ce à ce point négligeable qu'ils n'y envoyèrent personne dans l'auditoire ?), que pèse donc réellement la commission numérique du Syndicat national de l'édition et son groupe "Normes et standards" (même si ses efforts pédagogiques sont méritoires, voir ici par exemple...).
En vérité : qui décide ?
Y-a-t-il un pilote dans l'avion édition ?
En vérité : qui décide ?
Y-a-t-il un pilote dans l'avion édition ?
Eh ben la réponse est : NON.
J'ai l'impression qu'en 2012 l'édition est comme un singe qui refuserait de devenir un homme !
Mais les lecteurs inaugurent des pratiques transversales et des auteurs se mettent à prendre leurs productions en mains en se saisissant des outils open source. Alors espérons en confiance et sérénité !
En savoir plus sur l'AFNOR : sur Wikipédia (et sur le Groupe AFNOR qui a également une branche éditions) et leur site officiel.
Le service concerné à l'AFNOR est le CG46 - Groupe de coordination "Information et documentation".
Le service concerné à l'AFNOR est le CG46 - Groupe de coordination "Information et documentation".
"Le Groupe de coordination (GC) 46 a pour objet de définir la politique et
l'orientation des travaux de normalisation française dans le domaine de
l'information et de la documentation et d'assurer la
coordination des Commissions de normalisation (CN) et groupes d’experts
(GE) placés sous sa responsabilité. Il a également pour rôle de constituer une
force de proposition pour le Comité Technique ISO/TC 46 «Information et
documentation». La présidence et le secrétariat sont confiés à AFNOR
Normalisation depuis 2001."
Bravo pour votre vision lucide et sans complaisance du développement du livre numérique
RépondreSupprimerPour moi la norme devrait partir des outils et standards existants pour créer le "livre" et pas des multiples "arrivées" justement liées aux vendeurs et aux devices.
RépondreSupprimer@ Jean-Luc : Merci :-)
RépondreSupprimer@sglsgl : c'est en partie le cas déjà notamment avec l'IDPF http://idpf.org/ et le format ePub, cela n'empêchant pas les formats propriétaires fermés d'Amazon ou d'Apple par ailleurs, lesquels s'intégrant dans un écosystème du livre et une puissance marketing aguerrie séduisent nombre de consommateurs peu informés, voire bien informés comme je le remarque dans mon écho ;-(
Où se situe TEA (The Ebook Alternative), la solution de Decître, dans ce débat sur la normalisation du livre numérique ?
RépondreSupprimer@ Juliette : il n'en a pas été question. Il faudrait leur demander ! Mais, même si l'initiative est louable, elle me semble limitée à une trop petite échelle pour être significative et avoir une véritable force d'entraînement, non ?
RépondreSupprimerLe meilleur format aujourd'hui, c'est quoi aujourd'hui?
RépondreSupprimer@ Zhongjun Liu : tout dépend pour quoi et pour qui ? Pour publier des livres numériques s'adaptant à différents supports de lecture c'est l'ePub je pense.
RépondreSupprimerMerci pour ce petit résumé qui me rassure d'avoir manqué cette rencontre (intervenants de qualité pourtant). quant à votre question sur l'AFNOR, je pense que la liste des membres de l'IDPF est révélatrice : http://idpf.org/membership/members
RépondreSupprimerAu sujet des formats propriétaires, il faut préciser qu'ils ont tous une base standard recouverte d'une couche propriétaire qui sert à fermer le marché et à améliorer l'open-source.