samedi 18 avril 2015

Pourquoi La Chronique Quichotte ?

De légitimes interrogations s'expriment sur le pourquoi de la compilation de mes chroniques de 2012, publiée il y a quelques jours aux éditions Akibooks. Un extrait de l'avant-propos pourrait je pense y répondre :  
" Durant les cinquante deux semaines de l'année 2012 j’ai réfléchi sur ce que vous faites en ce moment même, à cet instant précis : lire.
Vous lisez.
Le titre que j'avais trouvé pour ce journal de l’année 2012 fut donc, dans un premier temps : ce que vous faites…
Il signifiait aussi [...] : ce que certains font, ou voudraient faire du livre et de la lecture à l’époque des industries du divertissement et de la connexion permanente. Mais finalement, à la relecture, j'ai trouvé ce titre pleurnichard et pas véritablement en phase avec le ton de mes textes. Ceux-là, écrits dans la foulée de mes humeurs, de mes indignations, révélèrent à ma propre relecture une autre dimension, à la fois glorieuse et mortifère, à la fois dans la lignée de Don Quichotte, « miroir et lumière de toute la chevalerie errante », et comme inscrite aussi dans la gravure de Dürer : Le Chevalier, la Mort et le Diable.
Mais La Chronique Quichotte, donc, je l'entends aussi différemment, je l'entends comme étant celle : « qui chotte ».
 
Ce spontané mouvement de pensée met au monde un nouveau verbe, ou Verbe nouveau, nous appelant tous à réfléchir moins pour penser plus, à formuler moins pour redéfinir plus, à être attentifs à la probabilité d'effectivité de l’hypothèse Sapir-Whorf, laquelle postule depuis les années 1930 que : « les représentations mentales dépendent des catégories linguistiques, autrement dit que la façon dont on perçoit le monde dépend du langage » (Wikipédia).
De quoi s'agit-il alors ici ? Du verbe Chotter, lequel signifiera : agacer par la pointe des mots les installés, les établis, ceux qui se font passer pour de débonnaires moulins à vent, qui brassent des mots qu'ils prennent pour des idées, qui brassent des papiers, des manuscrits des contrats, des gros chèques et des billets de banque, qui brassent beaucoup d'air mais qui sont en réalité des géants, des ogres affairistes et affairés, de perpétuels affamés qui font de l'éternelle et universelle République des Lettres leur grasse pitance quotidienne. Et non seulement ceux-là, mais aussi ceux qui tentent de se faire passer pour les gentils promoteurs d'un nouveau monde 2.0, pour y inoculer leur mentalité et leurs pratiques dans la sphère de l'édition numérique. Ce sont les pires peut-être, les plus hypocrites certainement.
 
J’avais donc décrété l’année 2012, année de la colère. [...] Le ton était donné cependant et l’année 2012 est ainsi passée. Durant ses cinquante deux semaines j’ai, tous les dimanches, mis en ligne sur le web un billet d’humeur [...]
Au final cela n'a rien d'un essai savant. Et c'est tant mieux. Je ne suis pas savant, je suis cherchant.
Le ton reste familier. Cela tient plus du journal, de la confession, des mouvements d'humeur, de mes émotions, de mes découragements parfois, toujours du besoin de partager.
Au début je pensais naïvement être suivi.
J'ai vite déchanté. Par exemple, ma chronique du 29 janvier, consacrée à quelques dangers de l'édition numérique, me fit perdre sans autre forme de procès la direction de la collection Comprendre le livre numérique que j'assumais depuis l'année précédente pour le compte d'un éditeur... numérique.
J'étais lu, les statistiques de mon blog en attestaient, de plus en plus au fil des semaines, mais j'étais aussi de plus en plus décrié et rejeté.
Je pointais d'un doigt accusateur ceux qui sont aujourd'hui en position de pouvoir orienter ou désorienter nos pratiques de lecture en décidant pour des raisons purement commerciales et des objectifs financiers à court terme des nouveaux dispositifs de lecture et de leurs usages, des conditions d’accès aux textes et à leurs utilisations, ceux qui n'ont pas le temps de lire car ils travaillent à gagner de l'argent et qui font passer le livre et la lecture derrière les intérêts de leurs actionnaires et de leurs héritiers.
Une liseuse ou une tablette connectées ne sont pas uniquement des moyens de lire. Ces dispositifs de lecture ne sont pas comme des livres qui se suffiraient à eux-mêmes. Ils sont en vérité les parties apparentes d’un système organisant et contrôlant aussi nos lectures. C'est pourquoi la plus grande vigilance m’apparaît nécessaire. C'est pourquoi j'en appelle ici à l'attention collective et à l'analyse.
Tout cela tourne autour de la prospective du livre, bien entendu [...] Je pense toujours que l'avenir du livre ne peut pas être son passé, mais, que si les outils numériques ne servent pas à l'émancipation des auteurs et des lecteurs, s'ils sont utilisés comme des armes technologiques contre eux, alors là il y a danger. Il faut alors le dire et s'y opposer..."
  
En complément Viabooks publie en exclusivité un très large extrait de la chronique du 15 juillet 2012...
« Rêveries sur le livre de demain, analyses sur les innovations en cours, interrogations sur le sens de la lecture... le lecteur trouvera de nombreuses lumières pour mieux comprendre la nouvelle révolution Gutenberg d'aujourd'hui. En exclusivité pour Viabooks, Lorenzo Soccavo a choisi un extrait qui évoque une vision futuriste des livres, miroirs de leurs lecteurs. ».
A lire ici...

Vous pouvez aussi découvrir des extraits et télécharger le livre sur Google Play...
 

lundi 13 avril 2015

Parution de La Chronique Quichotte, lecteurs et lecture face au numérique

J'ai la joie d'annoncer la parution de "La Chronique Quichotte", sous-titrée : "Journal 2012 sur le livre et la lecture face au numérique" aux éditions Akibooks de Jean-Luc Ménager.
  
Il s'agit là d'une compilation enrichie de mes chroniques d'humeur hebdomadaires écrites sur le vif et publiées sur ce blog de la prospective du livre tout au long de l'année 2012.
 
Coups de gueule à répétition contre : "les ogres affairistes et affairés, de perpétuels affamés qui font de l'éternelle et universelle République des Lettres leur grasse pitance quotidienne. Et non seulement ceux-là, mais aussi ceux qui tentent de se faire passer pour les gentils promoteurs d'un nouveau monde 2.0, pour y inoculer leur mentalité et leurs pratiques dans la sphère de l'édition numérique"... 
Ces chroniques sont plus que jamais d'actualité, d'autant qu'elles développent aussi une autre vision du livre et de la lecture, subjective et assumée comme telle. En arrière-plan la grande question est aussi de penser les conséquences de l’hypothèse Sapir-Whorf des années 1930, qui postule que : « les représentations mentales dépendent des catégories linguistiques, autrement dit que la façon dont on perçoit le monde dépend du langage ».
Informations et téléchargement sur le site des éditions Akibooks...
 
Le livre est également disponible sur iBooks ; Google Livres et Kobo...
N'hésitez pas à réagir ici même en commentaire ou à le critiquer sur Babelio, réseau social dédié aux livres.

samedi 11 avril 2015

La prospective du livre et de la lecture en quête de mythanalyse

Ma contribution au numéro spécial "En quête de Mythanalyse" pour la Revue internationale en sciences humaines et sociales, M@gm@  est en ligne ici :
Résumé
" La propagation plastique des mythes au sein des civilisations humaines et au fil du temps inscrit leur puissance mémétique dans la conscience des hommes. Nous sommes pris dans le filet tissé par l’évolutionnisme et le créationnisme, deux récits qui présupposent, pour le premier une loi immanente, pour le second une loi transcendante. Ce dualisme là est opérant, il bipolarise comme tout ce qui relève d’une double nature. La pensée mythique s’y originerait dans la faculté exceptionnelle du langage humain à se découpler du réel et à se référer à des réalités de l’espace intérieur et non plus du monde extérieur.
L’animal fabulateur qu’est l’être humain a toujours inventé des machines à produire des simulacres, les récits mythiques et les livres en sont. Or, ces technologies de l’illusion fonctionnent trop bien. Elles nous maintiennent dans la croyance que ce que nous appelons du nom de “Réel” serait dans les réalités extérieures.
Davantage qu’une matrice sémantique, le corpus mythique doit être envisagé comme une grossesse : un état transitoire entre un moment passé de fécondation, et celui, encore à venir de l’accouchement. Et là où la mythanalyse pourrait se concevoir comme une navigation pour remonter à la source d’un fleuve, la prospective de la lecture s’offre elle comme la quête d’un détroit de Magellan vers un océan intérieur : deux approches complémentaires pour les animaux fabulateurs que nous sommes. "

vendredi 27 mars 2015

Comment le poète Philippe Jaffeux interroge la prospective du livre

Une page de N L'ENIEMe (2013) de
Philippe Jaffeux (Trace(s)/Passage d'Encres) 
Pour François Huglo : "Les livres de Philippe Jaffeux précipitent leur lecteur dans un vertige lucide. L’apprentissage de l’alphabet a produit jadis, chez chacun, un effet comparable. Mais le numérique a changé la donne, pour le meilleur et pour le pire. Et le meilleur, c’est ce qu’invente Jaffeux. Il nous console de l’ordinateur comme la littérature nous console de l’ordre comptable et militaire des lignes d’écriture." (sur Sitaudis.fr).
Pour ma part je suis plus perplexe.
 
Je suis régulièrement sollicité et le plus souvent par des personnes en quête d'une plus large audience, mais qui n'ont visiblement pas pris la peine de s'informer de mon activité et du champ de mes recherches. Je n'ai pas eu l'impression que c'était le cas cette fois-ci et j'ai été d'emblée intrigué par l'écriture, l'énorme travail qu'avait dû demander une telle production, obsessionnelle et obsédante, autour des problématiques même de l'écriture, des lettres, de l'alphabet.   
   
La littérature et particulièrement la poésie numériques ont déjà une longue histoire, voir ici, ou voir là, entre autres... (puis voici une Timeline de la littérature numérique).
J'ai quelque peu abordé ces rivages ici même, lire par exemple "La plasticité du numérique au service de la poésie" de septembre 2010, et incidemment dans quelques autres billets...
 
Voici donc quelles ont été mes interrogations (restées sans réponses) face à l'œuvre de Philippe Jaffeux, et comment je les ai (maladroitement peut-être) formulées alors :
 
" - Votre écriture s'impose, par sa prolixité, sa compacité ; j'y ressens comme une insistance singulière à cristalliser le discours sur lui-même, un ferment de discours réflexif - comme l'on parle de conscience réflexive. Mais aujourd'hui, alors que nous traversons une période de mutations des dispositifs et des pratiques d'écriture et de lecture, ce véritable corpus textuel pourrait être, et conséquemment peut sembler avoir été généré par un algorithme, un programme informatique préalablement écrit, par vous, voire par une intelligence artificielle. Comment travaillez-vous ?

- Paradoxal, ce phénomène textuel que vous engendrez, à la fois bavard et opaque (d'après ma réception, ma perception subjective) résiste à la lecture. Derrière la linéarité de façade, il y a comme un mur à traverser pour le lecteur, puis une demeure à habiter. Déchiffrer, lire, c'est progressivement habiter un texte. J'ai repensé, en essayant de vous lire, aux performances de Jacques Donguy, par exemple. Comment voulez-vous ou comment pensez-vous être lu ?

- Est-ce là un acte de résistance de votre part ? Je veux dire quelques postures matamores ou donquichottesques d'un Homme-Poète face aux stratégies machinantes de l'industrialisation du livre et des loisirs, face aux mécanismes qui semblent triompher, qui, peut-être, triompheraient avec le passage d'une édition imprimée à une édition numérique ? Ou, au contraire, serait-ce pour vous un chant du cygne (ou du signe) de la poésie ? "
 
Plus prolixe dans un entretien à lire avec Emmanuèle Jawad sur Libr-critique, le "post-poète" s'explique : "L’emprise actuelle du numérique sur l’écriture favorise, à mon avis, un surgissement opportun des nombres. Mes textes tentent aussi de témoigner de cet état de fait. Je n’ai évidemment pas la prétention de faire quelque chose de nouveau mais j’essaye de porter un regard inédit sur des lettres antédiluviennes. L’intervention de l’ordinateur, l’utilisation des nombres comme une matière qui préexisterait aux lettres, me détache des traditions liées à la poésie graphique et peut-être même de la littérature… [...] Ma poésie ou mon antipoésie est numérique car, selon cette technologie, les lettres se réduisent à être seulement des nombres. Je travaille avec, et non pas contre, des machines qui, par conséquent, particularisent mon activité. Le terme de post-poésie aurait peut-être un sens à condition qu’il soit associé à celui de post-humain, c’est à dire, en ce qui me concerne, à une écriture générée en partie par les ordinateurs. Mes textes essayent d’évoquer un entrelacement entre le langage de l’électricité et celui de l’alphabet. L’énergie de mon travail est d’abord électrique car elle émane des ordinateurs. Mes nerfs éprouvent aussi du plaisir à être mis en éveil par le flux électrique de ces machines. Toute la dynamique de mes textes est soutenue par un alphabet électrique qui aspire surtout à être l’incarnation d’un mouvement, d’un élan transcendant et libérateur. Si les réflexions de Nietzsche sur Pythagore m’ont conduit à attribuer une valeur divine aux nombres, j’utilise aussi ces derniers comme les pièces d’un jeu qui essaient de traduire le lyrisme de l’électricité. Mon activité peut être définie comme une tentative de numérisation poétique et impersonnelle de l’alphabet...".
Intéressant, pas inintéressant dans tous les cas.
Et plus loin : "Comme dans le Zohar, les lettres précèdent la création de l’univers et induisent donc celle de l’homme et de la parole. Dans le même ordre d’idée, je pense que les lettres furent d’abord des traces, des dessins, des gestes qui précédèrent et déterminèrent l’apparition de la parole. Contrairement aux idéogrammes, aux hiéroglyphes, aux lettres arabes ou hébraïques, notre alphabet phonétique et utilitaire, domestiqué par nos paroles, a perdu toute relation avec le sacré. Mes efforts consistent souvent à me déporter dans les marges de l’écriture afin de révéler l’illisible et parfois l’inhumain. Dans un monde séparé du cosmos, mon écriture a besoin de basculer dans l’irrationnel et le divin. Le monstrueux et la démesure peuvent aussi contrecarrer cette carence. J’écoute la conscience de mon inconscient afin de venir à bout de la raison raisonnante, de la glose, des ratiocinations, de la pensée réflexive… Écrire Alphabet est aussi un moyen de révéler tout ce qui n’est pas lisible...".
 
En ne pouvant répondre à mes interrogations, Philippe Jaffeux interroge la prospective du livre dans sa dimension mythanalytique (telle que j'ai pu ici même l'évoquer à l'occasion de mes contributions pour la Société internationale de Mythanalyse, ou dans le cadre du séminaire Ethiques et Mythes de la Création).
Son abondante production textuelle nous questionne tous sur l'opacité des nouveaux paradigmes d'une littérature qui pourrait être générée par algorithmes, sur les multiples artifices qui surgiraient d'une transhumanité fantasmée et telle que s'en multiplient des échos science-"fictionnesques" sur la Toile. Nous pouvons y lire, par exemple, que : "Dans quelques années, vos livres préférés auront peut-être été écrits par des robots".
Que des robots puissent, par exemple comme je l'entendais dire récemment, jouer, voire composer, du Mozart, est aujourd'hui de l'ordre du possible, mais un robot pourra-t-il un jour être UN Mozart ?
Un algorithme peut générer des textes de toutes sortes, mais, un robot humanoïde pourra-t-il être un jour un nouveau Rimbaud, un Antonin Artaud AUTRE qu'Antonin Artaud ?
La question que je me pose est finalement tout simplement celle-ci : un algorithme peut-il écrire du Philippe Jaffeux ?
 
Aperçu de O L'AN/ de Philippe Jaffeux, Atelier de l'agneau éditeur, 2012

Vous pouvez vous faire votre idée en téléchargeant gratuitement Alphabet de Philippe Jaffeux au format PDF sur le site de SITAUDIS.

Question subsidiaire : une datamasse (données massives) purement poétique et virale reconfigurerait-elle à notre insu et en ce moment même la création poétique contemporaine (même imprimée) ?
 

vendredi 20 mars 2015

Vers une définition d'espaces qui restitueraient la lisibilité ?

Mes réflexions périphériques au prochain Festival des Arts ForeZtiers m'apportent une possibilité de tracer des voies vers l'espace mental du lecteur de fictions, espace intérieur, en partie de l'imaginaire et de ses non-lieux.
"... Cet espace singulier, nous pourrions le concevoir comme zone de tramage de deux autres environnements. Comme une zone d’interférences aussi, c’est-à-dire de superposition d’ondes en partie de même nature entre, d’une part, le monde extérieur à nous, et, d’autre part, ce que nous désignons comme étant notre monde intérieur, c’est-à-dire celui à partir duquel nous lisons le monde extérieur comme réel, et également notre monde dit « intérieur » comme imaginaire, ou, d’une quelconque façon, comme relevant de l’ordre de la simulation.
Une telle zone intermédiaire, médiane et médiatrice, pourrait en fait être à mi-lieu. Ni extérieure, ni intérieure, dans un entre-deux, dans l’interstice et le laps, la compénétration, là où ça ne coïncide plus vraiment et où un switch peut se produire, comme la simple action d’un commutateur qui rendrait l’interconnexion possible..."
 
Lire mes récentes contributions ici :

Le blog du Festival Les Arts ForeZtiers 2015
 


mercredi 18 mars 2015

Ne pas opposer imprimé et numérique !

Je pense qu'il n'y a pas véritablement de discontinuités dans l'histoire de la lecture. De l'acquisition du langage articulé, l'invention des écritures puis des alphabets, les mutations et les évolutions des dispositifs et des pratiques de lecture jusqu'à nos jours, il n'y a pas de coupures, mais un processus indéfiniment mobile.
Ce que nous pouvons, c'est distinguer des périodes, et essayer d'y lire comment s'y sont inaugurées des pensées nouvelles. Ce que nous pouvons, c'est essayer de penser d'autres formes de lectures avec des dispositifs nouveaux, penser la lecture autrement, sans pour autant renier son passé qui est notre héritage culturel.
Comme l'écrivait Michel Foucault dans Les mots et les choses (1966) : "A la limite, le problème qui se pose c'est celui des rapports de la pensée à la culture : comment se fait-il que la pensée ait un lieu dans l'espace du monde, qu'elle y ait comme une origine, et qu'elle ne cesse, ici et là, de commencer toujours à nouveau.".
C'est autour de ces questions essentielles que j'ai gravité dans ce récent entretien avec Arnaud Sagnard, pour Le Cahier de Tendances de L'Obs de ce mois de mars :

"O" Le Cahier de Tendances de L'Obs - Mars 2015


mardi 17 mars 2015

Parution de "Ressources de la créativité", une porte sur la transdisciplinarité

A signaler en marge de la prospective du livre et de la lecture cet intéressant essai collectif sous la direction de Sylvie Dallet, Kmar Bendana et Fadhila Laouani, dans la collection Ethiques de la création (L'Harmattan éd.) : Ressources de la créativité.
"Dans un monde en mutation, aborder le thème des « Ressources de la créativité » suppose de repenser les savoirs collectifs autant que la qualité des expressions de chacun.
Lors d’une rencontre scientifique à Tunis, des chercheurs, des praticiens et des artistes analysent à travers leurs expériences et leurs visions, cette multiple créativité sociale qui veut bâtir le monde de demain : design éthique, aménagement participatif du territoire et des échanges économiques, handicap, arts (danse, cinéma, audiovisuel), écritures (roman, théâtre, blog), dans une mise en commun de l’histoire et de la langue de chacun.
Cet ouvrage propose des exemples concrets, des méthodes complémentaires ainsi qu’une prospective démocratique des métamorphoses et des ouvertures de la créativité (France, Tunisie mais aussi Algérie et Méditerranée). Cette créativité multiple forme réponse aux tentatives d’intimidation des intégrismes, tant du point de vue des politiques publiques que des actions de recherche...."
  
Au sommaire, entre autres et par exemple :
- Matrices et conditions de la créativité
- Le dialectal tunisien ou la Babel heureuse, par Fadhila Laouani
- Le roman, laboratoire et matrice des savoirs, par Daniel Bougnoux
- Les ateliers d'écriture créative à l'université, par Anne-Marie Petitjean...
...

ISBN 978-2-343-05851-1, 226 pages, 23 euros, éd. L'Harmattan (Paris)
 

lundi 9 mars 2015

Trois facettes de la prospective du livre

A l'occasion de récentes interventions j'ai pu éclairer trois facettes de la prospective du livre...
- Le 05 mars dans le Cahier Tendances de L'OBS avec mon point de vue "Vers l'émergence d'un livre hybride" dans le cadre du dossier de la rédaction : "Le livre, nouvel objet du désir".
J'y expose brièvement "les raisons de notre attachement viscéral à l'objet-livre mais aussi aux besoins de le dépasser, qui se font déjà sentir...".
- Le 04 mars dans une Tribune sur Viabooks : "Les acteurs du livre : brillants alliés de leurs fossoyeurs ?", à lire en suivant ce lien...
- Le 04 mars encore avec ma participation à la préparation du Festival des Arts ForeZtiers (28-31 aout) : "Les livres en la forêt, pages et belles feuilles...", à lire en suivant ce lien...

Livre forêt par Véro Béné pour Les Arts ForeZtiers


dimanche 22 février 2015

Hyperbole de la médiation littéraire dans le panorama du web

Le deuxième méta-café littéraire sur la plateforme web 3D immersive EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de l'Université de Strasbourg a été, le 21 février 2015, une nouvelle occasion d'expérimenter en quoi les mondes virtuels habités pouvaient enrichir les échanges autour des livres et de leurs lectures.

 
Allégorie de l'extérieur, ou de la personne devant son écran...
(prise de vue derrière les vitres du café littéraire sur EVER 21/02/2015 21:30)
Allégorie de l'internaute. Vue intérieure : par le truchement de son avatar l'ethnologue et
cyber-anthropologue Michel Nachez de l'Institut d'Ethnologie de Strasbourg nous parle
 des enjeux qu'il expose dans ses deux récents ouvrages :
Les machines "intelligentes" et l'homme, puis, Fin de l'emploi pour les humains ?

En seconde partie de soirée, l'auteure et exploratrice du métavers, Acryline ERIN nous présenta une expérience de lecture immersive à partir de son livre "Zapping pour le futur" (éditions Chloé des Lys, 2012).
Téléportés devant un bâtiment portant sur sa façade le sommaire du livre, les avatars des internautes ont été conviés à suivre l'auteure à l'intérieur pour une visite guidée où chaque pièce correspondait à un chapitre du livre, où texte et contexte s'offraient ensemble à une lecture partagée et enrichie.
Un dispositif expérimental rarement testé à ce jour et qui pourrait à moyen terme déboucher sur d'intéressantes et novatrices pratiques de lecture.
Une expérience à vivre, à laquelle il fallait se connecter pour pouvoir la partager avec la vingtaine d'internautes francophones, de France et des Antilles, de Belgique et du Québec...


vendredi 13 février 2015

Lecture, imaginaires et mondes virtuels habités

Février 2015 au Collège de France
J'ai eu le plaisir hier soir d'assister au Collège de France à la leçon inaugurale de Marie-Paule CANI sur le thème : Façonner l'imaginaire : de la création numérique 3D aux mondes virtuels animés (toutes les informations pour suivre ce cycle de cours et séminaires sur le site du Collège de France...).
Ce programme montre bien comment les mondes virtuels se manifestent de moins en moins comme des signaux faibles, comment ils investissent de plus en plus les territoires numériques et y dessinent de nouvelles lignes d'horizon, des perspectives qui passent actuellement par le développement de nouveaux outils suffisamment maniables par des non professionnels pour pouvoir développer les usages et l'exploration de ces mondes.
 
Bien nommer les choses participe à la lisibilité du monde. Dans ces nouveaux espaces, les humains devant les écrans de leurs ordinateurs deviennent (enfin !) véritablement des... internautes (comme nous parlerions de cosmonautes, d'astronautes...). Une certaine ubiquité aussi leur devient possible.
De même, plutôt que de parler de "mondes virtuels animés", je parlerais moi de : "mondes virtuels habités". L'importance est de taille dans ses effets.
 
C'est dans cette perspective que depuis presque une dizaine d'années je travaille, d'une part, à ré-humaniser la médiation littéraire numérique, à dépasser le mur des prescriptions algorithmiques des librairies et des bibliothèques "en ligne"  (lire le post relatant l'expérience du 10 janvier 2015 : Une forte demande pour humaniser davantage le web), d'autre part, à explorer ces nouveaux espaces comme des imaginaires façonnés nous renvoyant des effets de réel. L'hypothèse est que les fictions renfermeraient les vérités structurantes du monde que nous percevons comme réel et qui serait en fait mis en récit par la puissance évocatrice du langage.
 
Textes et contextes...
 
Le samedi 21 février 2015 nous allons, avec le Collectif i3Dim (L'incubateur 3D immersive) proposer une nouvelle expérimentation à partager avec les internautes sur la plateforme EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de l'Université de Strasbourg.
Nous accueillerons dans un premier temps le chercheur et auteur-éditeur Michel NACHEZ pour la présentation de ses deux récents essais : "Fin de l'emploi pour les humains" et "Les Machines intelligentes et l'Homme", aux éditions Néothèque (Strasbourg).
Michel Nachez est ethnologue et anthropologue et intervient à l'Institut d'Ethnologie de Strasbourg, il travaille et expérimente sur plusieurs régions de la Grille EVER avec des projets d'ethnomuséographie virtuelle (Dogons, Afrique ; Sioux-Lakota, USA ; Teko, Guyane Française), des cours sur les serious game en univers virtuel pour les Sciences de l'Education et l'ENSIIE Strasbourg, projet tuteuré en Sciences de l'Education sur des applications de problèmes ouverts pour des élèves de CM (plus d'informations sur http://www.nachez.info/).
En seconde partie de soirée, l'auteure et exploratrice du métavers, Acryline ERIN nous présentera une expérience de lecture immersive à partir de son livre "Zapping pour le futur" (éditions Chloé des Lys, 2012).
Téléportés devant un bâtiment portant sur sa façade le sommaire du livre, les avatars des internautes seront conviés à suivre l'auteure à l'intérieur pour une visite guidée où chaque pièce correspond à un chapitre du livre, où texte et contexte s'offrent ensemble à une lecture partagée et enrichie.
Un dispositif expérimental rarement testé à ce jour et qui pourrait à moyen terme déboucher sur d'intéressantes et novatrices pratiques de lecture.
 
 

samedi 31 janvier 2015

Des livres gratuits sur la prospective du livre et de l'édition

Depuis un moment déjà la deuxième édition, celle de 2008, de mon premier essai "Gutenberg 2.0, le futur du livre" (M21 éditions) est gratuitement consultable dans sa presque intégralité à cette adresse sur Google Livres...
Plus récent (juin 2013), les réflexions croisées avec l'auteur-éditeur Marc-André Fournier sous le titre "Peut-on encore lire ?" sont gratuitement téléchargeables sur iTunes... ("Le livre numérique n'est pas qu'une question de support. Il soulève aussi des questions d'écriture, de lecture. Deux points de vues sont proposés dans cet ouvrage. L'un, empirique, dévoile les voies explorées par un auteur hypermédia pour aborder de nouveaux continents. L'autre, réflexif, se pose la question du devenir de la lecture au regard des expériences menées aujourd'hui, du patrimoine littéraire existant.").
  
Mon Livre blanc de janvier 2009 : "Prospective du livre et de l'édition : Définitions - Concepts - Champs d'action" est toujours lui aussi téléchargeable gratuitement sur la Bibliothèque numérique de l'ENSSIB (Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l'Information et des Bibliothèques) et sa lecture permet de prendre du recul et de mesurer combien une prospective dédiée au monde du livre et de la lecture, avec une veille stratégique et technologique, serait plus que jamais indispensable à l'interprofession.
 
Mon essai de 2011, "De la Bibliothèque à la Bibliosphère, les impacts du livre numérique sur les bibliothèques et leur évolution" est épuisé en version imprimée et déréférencé des plateformes numériques. J'ai récupéré mes droits sur cet ouvrage et je réfléchis sérieusement à une nouvelle mouture plus développée et davantage argumentée au vu de mes récentes expériences et des évolutions observées depuis 2011. Si un éditeur est intéressé ?
 
Enfin, mon récent essai de fin 2014, "Les Mutations du Livre et de la Lecture" chez Uppr éditions n'est pas vraiment gratuit, mais presque ! Moins cher qu'un cocktail, il sera plus stimulant croyez-moi !
Et... surprise à demi dévoilée : à venir la parution prochaine en livre numérique de mes chroniques 2012 sur ce blog : "La Chronique Quichotte - Journal 2012 sur le livre et la lecture face au numérique" (à paraître aux éditions Akibooks). A bientôt !

dimanche 25 janvier 2015

Lecture et Arts de la Parole sont-ils atomisés par le numérique ?

Peut-être le texte qui suit ne fait-il que formuler maladroitement l'hypothèse qu'une herméneutique fictionnalisée permettrait de réfléchir les procédures  courantes de l'interprétation, de penser les limites de la fiction (et jusqu'à son hospitalité peut-être, son caractère habitable), et ainsi de favoriser la prise en charge de nos discours sur le monde, considérant qu'en grande partie le monde tel que nous le percevons est crayonné par nos discours. Peut-être.

Lire et dé-lire les fictions
Jadis les arts de la parole, qui comprenaient la grammaire, la rhétorique et la logique, étaient partie intégrante des arts libéraux.
La grammaire est l'étude des éléments qui constituent une langue, elle relève de l'architecture du langage. Nous pourrions dire qu'elle charpente l'édifice de notre pensée langagière.
La rhétorique est la science de l'art oratoire, elle vise à l'efficacité de la parole. Nous pourrions dire qu'elle lui permet d'accéder au plan des idées.
La logique est l'art de l'argumentation juste et parfaite, elle relève de la raison. Nous pourrions dire qu'elle nous permet de rester sur une voie raisonnable dans nos interprétations.
A l'heure des mutations des dispositifs et des pratiques de lecture, tant les possibilités nouvelles ouvertes par les machines informatisées, que l'inélégance de lecteurs à exiger tout, tout de suite et sans effort, à n'être que spectateurs, rendent urgent de repenser, et donc de redéfinir, nos rapports à la lecture.
Pour d'abord contextualiser différemment les impacts de ce que nous lisons et l'influence des dispositifs sur nos stratégies d'interprétations, il serait je pense utile de dépasser le couple signifiant/signifié de la linguistique (le signifiant étant le son vocal d'un mot prononcé, et le signifié étant l'image mentale que nous nous en faisons), pour démasquer les leurres et dévisager les textes en lecteurs revendicatifs, par leurs figures, leurs valeurs et leurs enseignes, leurs cartes à jouer signification/significatif, en quelque sorte, où la signification est le sens naturellement attaché à un mot, et où l'aspect significatif révèle ce que fondamentalement ce mot exprime.
Cette aspiration à exercer sa liberté d'esprit fut en fait naturellement déjà explicitée, notamment dans un roman, qui est pour moi un roman culte, La montagne magique, de Thomas Mann : « un objet qui relève de l'esprit, peut-on y lire, c'est-à-dire un objet qui a une signification, est significatif par cela justement qu'il dépasse son sens immédiat, qu'il exprime et expose une chose d'une portée spirituelle plus générale, tout un monde de sentiments et de pensées qui ont trouvé en lui leur symbole plus ou moins parfait, ce qui donne précisément la mesure de sa signification... ».
Pour un lecteur averti, qui vit ses lectures, qui voit ce qu'il lit, le texte, même de fiction, ne doit pas dissimuler, mais enseigner et permettre de ressentir et d'exprimer l'informulable.
N'est-ce pas au fond proche de la théorie de Frédérique Leichter-Flack dans son essai Le laboratoire des cas de conscience (Alma éditeur, Paris, 2012 - Lire à ce sujet La fiction, chair de l'éthique, par Olivier Rey).
Mais ce qui pourrait être outils d'émancipation, peut aussi devenir organes de contrôle social.
  
Les quatre sens de l'écriture
C'est je crois dans ce sens en tout cas, celui du texte littéraire comme laboratoire des cas de conscience, que des traditions spiritualistes, qui depuis des millénaires questionnent le sens de la destinée humaine, ont jadis élaboré des méthodes de lecture. Ainsi, pour les textes des deux grands courants du judéo-christianisme nous avons le Pardès du judaïsme et la Lectio divina du christianisme, reposant tous deux sur ce qui est couramment appelé : « les quatre sens de l'écriture ».
Le Pardès propose quatre niveaux d'étude des textes :
PESHAT, qui ne considère que le sens littéral du texte au niveau du monde sensible.
REMEZ, qui éclaire les allusions du texte qui pourraient mener à un niveau plus élevé de compréhension.
DERASH, qui vise à l'interprétation figurée des paraboles et des légendes (du latin legenda : ce qu'il faut lire).
SOD, qui au niveau ésotérique dévoile le Secret qui était caché dans le texte.
La lectio divina, théorisée elle vers l'an 220 par un Père de l’Église chrétienne, Origène, propose d'examiner successivement le sens littéral (ou historique), puis allégorique, puis tropologique (c'est-à-dire moral), et enfin anagogique (c'est-à-dire élevant l'esprit vers une autre sphère de compréhension). Ainsi, la simple lecture littérale d'un texte à portée spirituelle, la lectio, doit-elle se prolonger par une réflexion profonde sur ce même texte, la meditatio, se poursuivre par un dialogue avec son Maître intérieur, l'oratio, pour se terminer par une écoute silencieuse, la phase de contemplatio, pour la réception en Soi du sens caché.
Un véritable lecteur (ou bien évidemment une véritable lectrice), devrait pouvoir appliquer à différents contextes (ou réalités du monde) ces méthodes de déchiffrage appliquées à certains textes, lesquels par ailleurs tendent souvent à abonder dans ce sens. Car il ne s'agit pas là de textes à comprendre, mais de textes pour se comprendre (nous pouvons penser, entre beaucoup d'autres, aux romans d'Hermann Hesse, par exemple).
C'est, je crois, une question de rapport aux lieux. Lieux qui peuvent être extérieurs – nous pourrions penser alors au chamanisme, au druidisme ; ou intérieurs – dans l'espace mental (d'une lecture par exemple), la prise de conscience..., mais en considérant bien toujours ces lieux comme des architectures imaginaires interprétatives (c'est-à-dire qui recèlent des interprétations), des rébus habitables, des projections architecturées de pages écrites. Nous connaissons tous des contextes qui dissimulent des alphabets non phonétiques, par exemple desquels nous pourrions dire que tout y est symboles, comme des cathédrales ou des lieux qui seraient consacrés.
Des livres comme autres mondes habitables
Pour les authentiques lecteurs de romans leurs découvertes littéraires sont finalement d'autres mondes, parfois davantage habitables que les sociétés contemporaines, ou d'autres fois, d'intéressants laboratoires, comme je l'évoquais précédemment.
Deux exemples pourraient permettre de comprendre les conséquences que cela pourrait avoir.
Le premier exemple est extrait de l'ouvrage Mystiques et magiciens du Tibet d'Alexandra David-Néel en 1929 et je le relate dans un récent post : Bibliographie naturelle et anthropocentrisme.
Le deuxième exemple est un extrait d'un essai de 1943, L’homme à la découverte de son âme - Structure et fonctionnement de l’inconscient de C.-G. Jung.
Jung y prend l'exemple, dans l'Antiquité égyptienne, d'une personne mordue au pied par une vipère des sables. Le prêtre-médecin qu'il met en scène recourt alors à ce que j’appellerais une « thérapie narrative ». Par sa parole, il réécrit l'incident qui a eu lieu sur le plan physique terrestre, en le portant sur un plan métaphysique où une solution peut alors être mise en œuvre. Dans cet exemple le prêtre-médecin raconte comment le grand Dieu-Soleil parcourant ses domaines a été mordu par un serpent venimeux mis sur son chemin par la Déesse-Mère, comment tous les autres dieux la supplièrent alors de créer le contrepoison efficace, comment elle y consentit et comment fut alors guéri le Dieu souffrant. Pour Jung, que je cite brièvement : « il nous faut bien nous dire qu’à l’échelon psychique qui était celui des Égyptiens d’alors, ce récit constituait bel et bien un procédé thérapeutique : à cet échelon, en effet, l’homme pouvait encore être facilement plongé dans l’inconscient collectif par un simple récit, dont les images s’emparaient alors de tout son être avec une puissance telle que son système vasculaire et que ses régulations humorales rétablissaient l’équilibre compromis. C’est d’ailleurs, poursuit Jung, ce qui explique en toute généralité la valeur curative de la médecine magique à l’échelon primitif, alors que nous ne concevons la possibilité d’efficacités de cette sorte que tout au plus dans le domaine moral. ».
A ce niveau de lecture aucun de nous n'est plus un être unique, séparé, mais il incarne aussi la totalité de l’humanité, laquelle s'exprime d'ailleurs collectivement en ce sens depuis des millénaires déjà, dans ses productions artistiques en général et ses littératures en particulier. A ce niveau de lecture littéraire nous aurions accès à la mémoire de l'espèce, à l'expérience engrangée par l'humanité depuis plusieurs millions d'années.

Que vous soyez de l'édition imprimée ou de l'édition numérique : laissez nous lire ce qui dans le patrimoine littéraire de l'humanité relève de l'immémorial et de l'ineffable. 

Oui, car comment ne pas regretter ici le désengagement de l'interprofession du livre, alors que de nouveaux outils pourraient précisément nous permettre l'exploration des territoires imaginaires de nos lectures !
Le monde du livre reste assis, semble-t-il, dans les lueurs du bouquet final du feu d'artifice tiré par Gutenberg, cet alchimiste incongru, fabricant de miroirs magiques pour les pèlerins.
L'iPad et Cie n'est que le chant du cygne des postes de télévision, voyons ! Juste un peu de veille technologique et de clairvoyance et on réalise vite l'impasse dans laquelle l'édition s'engage.
Il nous faut accepter de quitter ce monde dans lequel les somnambules passent pour des éveillés.
Le problème aujourd'hui avec les décideurs de l'interprofession du livre, c'est leur incapacité absolue à rêver le futur du livre. Chez ces gens là on ne rêve pas monsieur ! :-(

samedi 17 janvier 2015

Forte demande pour humaniser davantage le web

Photo par Didier Preud'homme de la grille Logicamp
De l'expérience du samedi 10 janvier 2015 d'un Café littéraire sur le web 3D immersive entre la France et le Québec, et regroupant des participants de part et d'autre de l'Atlantique, Belgique francophone comprise, il ressort une forte demande des internautes pour rompre la glace des écrans et dépasser les limites du web 2.0 et compagnie.
De quoi s'agissait-il ? Pour rappel, d'une rencontre reproduisant sur le web par simulation numérique le cadre et le contexte d'un "café littéraire", tel que nous pouvons en fréquenter par ailleurs dans nos villes respectives, avec possibilités de déplacements et d'échanges à l'identique, et en prime le plaisir de pouvoir admirer un accrochage de peintures de Claude Simonnet (reproductions de toiles réelles d'un artiste vivant et dont les internautes peuvent éventuellement faire l'acquisition). A cette occasion la romancière québécoise Danielle Dussault nous a parlé depuis Thetford Mines de son récent titre Anderson's Inn (Lévesque éditeur) dont elle nous a lu un extrait.
 
Cette expérience, conduite par le Collectif i3Dim (L'incubateur 3D immersive) a reposé sur l'utilisation d'un logiciel libre de "mondes virtuels" (OpenSimulator) et était hébergée par EVER (la plateforme  virtuelle immersive de l'Université Numérique En Région Alsace).
Devant le succès de cette soirée et les demandes de plusieurs participants nous allons prochainement organiser d'autres rencontres francophones de ce type.
N'hésitez pas à vous signaler en commentaires ou via la page "Contact" de ce blog si vous souhaitez être informé et participer aux prochaines rencontres...
De nombreux participants ont publié des photos de l'événement sur Facebook et Google+, merci à eux ! En voici deux qui résument bien ces moments partagés :
 
21H00 en France 15H00 au Québec : les premiers internautes se connectent et font connaissance.
Les auteurs sont déjà à leur place sur leur tabouret face à leur livre (à gauche Danielle Dussault,
à droite Lorenzo Soccavo avec son éditeur Vincent Bresson d'Uppr éditions en face de lui)
 
Après les lectures dans le café, visite de dispositifs originaux d'accès à des
fonds libraires dans une librairie fictive en 3D permettant aux visiteurs internautes
de se rencontrer, d'échanger entre eux, de surfer ensemble sur le web 2D dédié aux livres...
Lire sur le même sujet : La médiation littéraire dans les nouveaux territoires...
 


vendredi 16 janvier 2015

Viabooks me donne la parole sur les Mutations du Livre et de la Lecture

Cliquez ici pour lire l'interview...
Les quelques questions d'Olivia Phélip pour Viabooks - "Le Meilleur des Livres et des Auteurs" ont été pour moi une bonne occasion en ce début d'année de faire le point sur les perspectives que je trace dans mon récent essai "Les Mutations du Livre et de la Lecture en 40 pages" publié fin 2014 aux éditions UPPR.
 
L'occasion de m'exprimer sur l'évolution du livre numérique et l'émergence de nouveaux types de contenus, l'implication des auteurs et des lecteurs, et aussi de formuler des vœux pour "les livres de demain"...
Qu'en pensez-vous ? Vous pouvez découvrir cette interview sur le site de Viabooks en cliquant ici...
 

lundi 12 janvier 2015

Bibliographie naturelle et anthropocentrisme

De gauche à droite Georges Chapouthier (CNRS),
Lorenzo Soccavo, Sylvie Dallet (responsable du séminaire). 
Ma récente intervention à la Maison des Sciences de l'Homme - Paris Nord, dans le cadre de la séance de janvier 2015 du séminaire "Éthiques et Mythes de la Création : Parentés animales de la pensée humaine – Le retour des forces spirituelles associées" était titrée "Dépasser l'horizon humain pour se ressaisir de la force spirituelle du langage".
J'ai d'abord légendé les trois tableaux ci-dessous, puis j'ai essayé de développer une réflexion théorique sur la possibilité que des textes puissent nous ouvrir l'accès à d'autres territoires ou à d'autres formes d'expression du vivant, et sur la possibilité que le langage recèle certaines formes de vie.
 

1 - L'allégorie de l'aube - 1544 - Battista Dossi
Nous sommes d'une espèce animale capable d'anthropomorphiser les phénomènes et de les articuler dans des récits à la mesure des capacités d'imagination et d'entendement que nous pouvons mobiliser. Cette représentation de l'aube nous stigmatise comme membres de L'espèce fabulatrice.
2 - La Vierge de l'Annonciation - 1475 - Antonello de Messine
Le mystère de l'Annonciation s'illustre ici comme une expérience intime dans l'espace mental de Marie, en l'intériorité de sa pensée, une intériorité hors lieu, une pensée de l'être qui habite le dedans, une prise de conscience.
(Commentaires : cela peut nous conduire nous à une réflexion sur la réalité d'espaces intérieurs, où la pensée humaine pourrait se relier au vivant au sein de non-lieux (et nous relier à des sur-êtres ? Comme l'Ange Gabriel ?), des architectures imaginaires et interprétatives (c'est-à-dire qui recèlent des interprétations), des rébus habitables, des projections holographiques de pages écrites (ou de volumes). Nous connaissons tous ici de tels contextes qui dissimulent des alphabets non phonétiques, par exemple des lieux qui sont consacrés (cathédrales, etc., mais qui peuvent être aussi dans la nature, comme des enceintes de pierres levées – cromlech, monuments mégalithiques, menhirs, ou comme les pistes chantées des aborigènes australiens…). C'est-à-dire des contextes non-alphabétiques qui font écho dans nos territoires intérieurs.
L'exploration des parentés animales de la pensée humaine ne passerait-elle pas par celle de ces inexplorés territoires intérieurs ?
   
3 - Sisyphe au pied de la Tour de Babel - 2014 - Hervé Fischer
Pourrait-on imaginer la Tour de Babel comme métaphore de la tour d'ivoire du lecteur ?
(Commentaires :
Le mythe de Sisyphe : pour avoir osé défier les dieux Sisyphe fut condamné à rouler jusqu'en haut d'une colline un rocher qui éternellement redescendait avant qu'il ne parvienne au sommet. (Serait-ce ici une bulle à calculi de Sumer ? l'anthropologue des écritures Clarisse Herrenschmidt les présente comme des projections de la cavité buccale qui renferme les mots avant qu'ils ne deviennent paroles. Ce sont ces boules qui aplaties deviendront des tablettes d'argile tenant dans une main ouverte…).
Le mythe de la Tour de Babel : pour avoir osé défier les dieux les hommes voient leur langage brouillé et se dispersent sur la surface de la Terre (Terre : projection macrocosmique de la boule roulée par Sisyphe ?).

Texte de réflexion

Comme une éponge imbibée d'eau, peut-être notre encéphale est-il imbibé de fiction, et que quelles que soient les singularités que nous percevons nous tendons généralement à les interpréter comme rationnelles, et peut-être que le clivage nature/culture n'est qu'une pure illusion anthropocentrique.
Les mythes qui nous activent, tels des programmes sémantiques (comme nous parlerions de programmes informatiques pour désigner des séquences d'instructions conditionnant des réponses spécifiques) sont tissés de langage, d'une grammaire qui conditionne la manière dont nous interprétons des signaux, les ordonnançant en récits, ce qui aurait pour conséquence d'engendrer l'illusion du temps (cf. tableau 1 : L'Allégorie de l'aube).
Je cherche là à évoquer des contextes sécrétant leur propre substance temporelle (comme dans le roman La montagne magique, Thomas Mann), en entendant par contexte un rébus habitable, une substitution métaphorique en trois dimensions à du texte (c'est-à-dire à du langage) (cf. tableau 2 : La Vierge de l'Annonciation).
 
S'agissant des Parentés animales de la pensée humaine j'avancerais l'idée que le vécu du vivant serait, sinon littéraire, nécessairement narratif, et je poserais la question suivante : peut-on être vivant sans avoir de vécu ?
Comme texte-contexte je me référerais alors à la notion de bibliographie naturelle (nous en trouvons une bonne définition descriptive dans l'approche de la ville de Tamara, dans le recueil Villes invisibles, d'Italo Calvino:
« L'œil s'arrête rarement sur quelque chose, et seulement quand il y a reconnu le signe d'autre chose : une empreinte sur le sable indique le passage du tigre, un marais annonce une source, la fleur de la guimauve la fin de l'hiver. Tout le reste est muet et interchangeable ; les arbres et les pierres ne sont que ce qu'ils sont. Pour finir, le voyage conduit à la ville de Tamara. On y pénètre par des rues hérissées d'enseignes qui sortent des murs. L'œil ne voit pas des choses mais des figures de choses qui signifient d'autres choses » ; nous penserons aussi à cette bibliothèque que nous appelons « univers » (« L'univers (que d'autres appellent la Bibliothèque) », La bibliothèque de Babel, Borges).
L'animisme, qui laisse l'humain intégré au réseau du vivant, pourrait-il être une voie pour renouer le fil avec ces forces spirituelles qui relieraient pensée humaine et pensée animale dans un même champ vibratoire ?
 
Plusieurs expériences pourraient ici être rapportées. J'en propose une, extraite de l'ouvrage Mystiques et magiciens du Tibet d'Alexandra David-Néel en 1929. L'auteur relate le récit d'un lama qui dans sa jeunesse avait avec son frère quitté son monastère pour aller servir et étudier auprès d'un ascète étranger qui venait de s’installer dans leur région. Comme cela se pratiquait pour combattre à la fois la peur et l'incrédulité des disciples concernant l'existence des démons, étant entendu comme le rapporta alors un docteur en philosophie à Alexandra David-Néel que :
« Le disciple doit comprendre que dieux et démons existent réellement pour ceux qui croient à leur existence et qu'ils possèdent le pouvoir de faire du bien ou du mal à ceux qui leur rendent un culte ou qui les redoutent. », l'ascète ordonna au plus jeune des deux frères d'aller s'attacher trois jours et trois nuits à un arbre dans un endroit isolé, et de s'imaginer une vache offerte en offrande, précisément là où rodait un démon sous la forme d'un tigre. Le matin du cinquième jour le maître dit au disciple resté près de lui d'aller chercher son frère car il avait fait un rêve étrange. Il alla et trouva le corps de son jeune frère déchiqueté et à demi dévoré. Lorsqu'il revint à la hutte celle-ci était vide et le maître disparu. Dès lors nous avons plusieurs niveaux d'interprétation de cette histoire. D'abord celui littéral des faits : ne voyant pas revenir son disciple l'ascète a compris qu'il avait eu un accident et a préféré s'éclipser discrètement. Puis, celui du lama racontant l'histoire et qui, à l'époque, considéra que le démon-tigre avait effectivement eu raison de son jeune frère pas encore suffisamment avancé initiatiquement pour s'en défendre. Enfin, le niveau d’interprétation auquel le lama parvint après plusieurs années de travail, à savoir que l'ascète en question était probablement lui-même le démon-tigre, métamorphosé en homme pour piéger de jeunes moines venant de quitter leur monastère.
Dans son essai Marcher avec les dragons (2013) l'anthropologue Tim Ingold montre comment dans les communautés monastiques du moyen-âge occidentale le recours au dragon jouait le même rôle que celui du démon-tigre tibétain :
« le dragon, précise Tim Ingold, existait pour autant que la crainte existe, non comme une menace extérieure mais comme une souffrance imprimée au cœur même de la personne qui la subissait. En tant que tel, il était aussi réel que l’expression de son visage ou l’insistance de sa voix. Mais il ne pouvait être vu ou entendu que par celui qui en était lui-même effrayé. ».
 
Pour progresser vers une impossible conclusion je citerai une nouvelle fois Italo Calvino dans une autre de ses villes invisibles (Théodora, étymologiquement "don de Dieu") : « Reléguée pendant un temps indéfini dans des repaires à l’écart, depuis l’époque où elle s’était vue détrônée par le système des espèces désormais éteintes, l’autre faune revenait au jour par les sous-sols de la bibliothèque où l’on conserve les incunables, elle descendait des chapiteaux, sautait des gargouilles, se perchait au chevet des dormeurs. Les sphinx, les griffons, les chimères, les dragons, les hircocerfs, les harpies, les hydres, les licornes, les basilics reprenaient possession de leur ville. ».
 
Vous comprenez bien que je ne peux pas conclure, je dirais simplement que je crois qu'avoir, à la fois l'humilité et le courage, que je qualifierais de chevaleresques, tels l'humilité et le courage de Don Quichotte, de dépasser l'horizon humain pour se ressaisir de la force spirituelle codée (infusée ? Engrammée ?) dans notre langage, c'est s'autoriser à incarner le rôle décisif de Sisyphe roulant une bulle à calculi sur la face de la Tour de Babel (cf. tableau 3 : Sisyphe au pied de la Tour de Babel), ce qu'il faudrait concevoir comme une expérience de pensée.
 
Si l'on s'intéresse vraiment à la lecture, et se reportant aux parentés animales de la pensée humaine, les quelques illustrations et exemples que je vous ai proposés aujourd'hui, avancent deux idées :
1 – que nos contextes sont tissés de textes qui pourraient nous ouvrir l'accès à d'autres territoires et à d'autres expressions du vivant ;
2 – que le langage recèlerait des formes de vie, comme, par exemple, des démons-tigres ou des dragons.