dimanche 21 octobre 2012

Semaine 42/52 : Le livre dépasse la fiction

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 42/52.
 
Cette semaine, dans la perspective du premier salon de la littérature de science-fiction qui devrait être organisé début 2013 sur le Métavers  ce continent numérique, véritable extension de notre monde, comme lui encodé, comme lui avec sa spatio-temporalité, et qui ces prochaines années avec l’émergence de nouvelles interfaces de navigation dans la réalité mixte débouchera probablement sur un nouveau biotope mêlant "réalité matérielle" à "réalité virtuelle" (ce que j’appelle parfois “la bibliosphère”) ; cette semaine donc je me suis surpris à avoir de nouveau l’esprit occupé par l’étrange absence du livre comme interface de lecture dans la SF.
 
Il y a quelques années je m’étais déjà préoccupé de cela et j’avais dressé une liste de quelques ouvrages. Pour mémoire :
 
En 1892, La vie électrique, par Albert Robida ;
1894, La fin des livres, Octave Uzanne et Albert Robida ;
1902, L'agonie du papier, Alphonse Allais ;
1932, La Mort du Livre. Anticipations bibliophiliques, Maurice Escoffier ;
1943, Ravage, René Barjavel ;
1944, La bibliothèque de Babel, Jorge Luis Borges ;
1946, Chroniques martiennes, Ray Bradbury ;
1953 (USA), 1955 (France), Fahrenheit 451, Ray Bradbury ;
1965, Dune I, Frank Herbert ;
1968, 2001 Odyssée de l’espace, Arthur C. Clarke ;
1975, Le livre de sable (dont, Le Congrès), Jorge Luis Borges ;
1988, Prélude à Fondation, Isaac Asimov ;
1992, Le samouraï virtuel, Neal Stephenson ;
1995, L’âge de diamant, Neal Stephenson ;
2006, Rainbows End, Vernor Vinge ;
2008, Le Messager, Eric Bénier-Bürckel…
Globalement et à l’exception de ce dernier (et aussi un peu de Stephenson) le devenir du livre se ramènerait à la forme primitive d’une tablette d’argile, mais multimédia, une micro-télévision, avec ce potentiel de devenir cet écran omniscient qui filtre ce que nous devons voir, qui nous géolocalise, qui nous surveille, ces Télécrans dans “1984” d’Orwell.
Fatalisme ? Manque d’imagination ? Ou mauvais présage ?
J’ai déjà cité dans ces chroniques le final désespérant de l’essai de Charles Dantzig, "Pourquoi lire ?" (Grasset, 2010) : « Et quand l'objet en papier aura disparu, pour la satisfaction douloureuse des amers qui diront : je l'avais prédit, nous répondrons : et alors ? Nous ne lisons plus les rouleaux de Rome, seuls quelques érudits savent qu'ils ont existé, et la littérature romaine demeure, en partie. Plus noirs que ces amers, on dira que l'informatisation servira encore mieux les puissants, qui pourront ranger l'humanité dans des appartements toujours plus petits, puisque plus besoin de bibliothèques et tout dans iPad, et que, un jour, quand tout cela sera réduit à un tout petit point rouge, il clignotera fébrilement, puis, hoquetant de moins en moins, il s'éteindra. ».
   
Rendez-vous en 2440
 
A ma connaissance le premier roman français d’anticipation : L'An 2440, rêve s'il en fut jamais, daterait de 1771, sous la plume de Louis-Sébastien Mercier, littérateur qui se qualifiait lui-même du titre de : « plus grand livrier de France ». Malheureusement son chapitre titré “La bibliothèque du roi” ne m’a laissé aucun souvenir ; j’ai l’impression que le livre n’inspire pas : d’ailleurs de grands imaginatifs comme Léonard de Vinci ou Jules Verne n’ont rien vu, n’ont rien écrit sur l’avenir du livre.
Objet idéal et fini, comme la roue, le livre semble condamné à n’avoir point d’avenir, sinon celui d’un juif errant.
Le livre ne fait pas rêver. Nous le considérons comme une brouette à charrier les rosiers et les mille et une plantations de nos jungles imaginaires. En tant que support il apparaît suffisant. Et pourtant…
 
Les technophiles de la fin du 19e et du début du 20e siècles imaginèrent eux, pour les téléphones il est vrai, des fonctionnalités qui se voulurent originales, mais que nous dépassons aujourd’hui quotidiennement.
En 1902, dans “L’agonie du papier”, Alphonse Allais prévoyait que texte et papier n’allaient pas toujours rester indissociables, et au fond, Émile Souvestre en 1846 dans “Le monde tel qu'il sera”, allait déjà dans ce sens.
Victor Hugo, notre grand Victor Hugo, fut l’un des premiers à tester le théâtrophone créé en 1881 par l'inventeur français Clément Ader, davantage connu pour ses travaux en aéronautique.
Ce théâtrophone fut le premier medium électrique de diffusion culturelle. Il s’agissait d’un système permettant de diffuser par le premier réseau téléphonique parisien, des concerts et des pièces de théâtre, depuis l'Opéra, l'Opéra-comique ou le Théâtre-Français.
« C'est très curieux, écrivit Victor Hugo bonhomme, dans une lettre du 11 novembre 1881. On se met aux oreilles deux couvre-oreilles qui correspondent avec le mur, et l'on entend la représentation de l'Opéra, on change de couvre-oreilles et l'on entend le Théâtre-Français, Coquelin, etc. On change encore et l'on entend l'Opéra-comique. Les enfants étaient charmés et moi aussi. ».
En 1911 Marcel Proust y est abonné. C’est dire. Mais cela dit, depuis 2007 le moindre smartphone d’entrée de gamme dépasse largement ces prouesses d’alors.
 
Le livre encore, le livre toujours, la tablette internet maintenant, apparaissent suffisants à beaucoup. Et pourtant…
Pourtant la recherche scientifique avance. Les supports de stockage vont évoluer et décupler leurs puissances, sur du verre de quartz ou dans des séquences d’ADN de synthèse. Les technologies d’affichage vont évoluer, notamment avec des “encres intelligentes” électroconductives. Les interfaces de lecture vont évoluer avec des supports flexibles, enroulables, rétractables, les picoprojections, avec les nano et les biotechnologies aussi. Je pourrais citer des dizaines d’exemples déjà…
N’est-il pas curieux que personne ne pense à l’impression, alors qu’il s’agit de livres ?
L’impression 3D (en pleine progression et que l’on trouve aussi chez Neal Stephenson) ne pourrait-elle permettre un jour à chacun la fabrication de pièces uniques sur mesure : d’appendices pour lecteurs ?
 
Comme la réalité dépasse toujours la fiction, le livre, je vous le dis, va surpasser la science fiction.
C’est juste une question de temps.
Le compte à rebours est en marche.
Écoutez. La prochaine fois que vous tournerez les pages d’un livre de papier, écoutez bien. Sur un écran tactile vous n’entendrez rien. Écoutez quand vous tournez les pages. Je vous le dis : l’avenir du livre n’est ni sur papier ni sur écran. Il est en nous. L’avenir du livre n’est ni sur papier ni sur écran, mais le livre a un avenir. Simplement, il a un avenir que les auteurs, comme les autres  et les professionnels du livre encore plus que tous les autres, n’arrivent pas à imaginer.

2 commentaires:

  1. { livre } est un mot trop ambigu.

    Ce dont tu parles c'est le texte.
    Yaura-t-il tjrs des lecteurs de textes ? est une bonne question !

    Longtemps, le texte a été un moyen supérieur à la parole, qui s'envole, mais qui aussi, est difficile à travailler et à contrôler.
    Une fois dite et entendue, vous ne pouvez plus l'effacer, sauf si personne ne l'a entendue.

    Le texte, même à la plume et à l'encre, se travaille, et se peaufine.
    Un texte (pas celui-ci) est une image améliorée de l'auteur.
    Surtout, quand une poignée de relecteurs-diplômés le retravaillent sous la signature de l'auteur.

    Le texte est il menacé? dans sa supériorité sur la parole et la video temps réels ?
    La video nous envahit (mais je résiste) mais a-t-elle des avantages décisifs sur le texte un peu travaillé ?

    Comment défendre le texte ? Quels outils, au delà du traitement de texte pourraient renforcer la force du texte ?

    L'écriture est lente et maladroite, donc tout ce qui permettra à l'écriture de se faire plus vite et mieux sera favorable.

    Ce qui est la défense la plus importante du texte bien écrit (donc pas celui-ci), c'est la vitesse du lecteur
    et du cerveau alimenté par l'oeil et les mains face à la lenteur et la médiocrité informationnelle de la parole et de la video temps réels
    (à la youtube et consorts, mais aussi la plupart des émissions de tv).

    Lit-on plus vite sur un écran, et quel écran ? que sur du papier ?
    Ça se discute et peu importe, car c'est du texte dans les deux cas.

    La défense du texte, c'est aussi que nos interlocuteurs apprenne à bien écrire pour le lecteur que je serai,
    et notamment avec un bon professeur qui serait tjrs là avec vous, à la fois rigoureux et pédagogue.
    On sent bien que l'ordinateur peut être ce défenseur du texte que les autres préféreront à la parole-video...

    Concept important à mes yeux: actuellement on écrit pour se conformer aux règles de l'orthographe, de la grammaire, du style et de la logique... en général.
    Mais, en fait, il faudrait que comme on peut choisir la police (nature, taille) selon son destinataire,
    il serait avantageux qu'un même texte puisse être adapté à ses différents lecteurs ? Cela pourrait être aussi facile que de choisir son adresse e-mail et que l'e-messager fasse la transcription
    en connaissance précise du destinataire et de ses préférences selon les conditions et l'outil où il le lit!


    En gros, la bataille du texte n'est pas du tout perdue, il y a des tas de pistes devant nous!

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  2. @ sglsgl : merci pour cet apport intéressant et optimiste :-)
    Oui, en effet, quand je dis : "livre", j'entends : "interface de lecture de textes", dispositif de lecture...
    Oui : "il y a des tas de pistes devant nous" :-)

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